Scène 25

𝕊𝕔è𝕟𝕖 𝟚𝟝 : 𝕃𝕦𝕞𝕚è𝕣𝕖𝕤, 𝕔𝕒𝕞é𝕣𝕒, 𝕒𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 !

Kenza
Même si je suis une personne plutôt optimiste, convaincue qu'il n'y a aucune situation de laquelle l'on ne peut pas se sortir, je dois avouer qu'il m'est arrivé à trois instances d'être certaine que peu importe ce que je tenterais, il n'y aurait pas de solution, pas d'échappatoire.

Et chacune de ces fois impliquait Levi von Neumann.

La première fois, c'était quand il m'a surprise sortant telle une voleuse de la chambre de Blake avant de me courser. Lorsqu'il m'a fermement attrapée pour me trainer vers les agents de sécurité, j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux.

La deuxième fois, c'était lors de l'audition, lorsqu'il m'a reconnue comme celle qui s'était introduite par effraction dans la chambre de son ami, lui avait volé son script avant de le mordre et le laisser avec un vilain œil au beurre noir. Il avait à présent mon nom, mon identité, si bien que fuir aurait été vain. Une véritable impasse.

La troisième, c'est maintenant que je suis écrasée par lui qui dort paisiblement sur moi. Son souffle lent et apaisé caresse le sommet de mon sein sur lequel son adorable, mais très lourde tête repose. Comble du désespoir, ses bras sont solidement noués autour de moi, rendant tout espoir de m'échapper impensable.

Pas sans le réveiller. Pas sans avoir à l'affronter lui, son regard et ce que nous avons fait cette nuit.

J'ai couché avec Levi von Neumann.

Levi von Neumann est dans mon lit, nu.

Ça fait presque deux heures que je me suis réveillée et aussitôt que j'ai senti sa masse sur moi, sa peau contre la mienne, des bribes de la nuit dernière me sont revenues.

Les baisers.

Les touchers.

Les mots d'encouragement, les louanges, les gémissements, la douleur et puis le plaisir, tant de plaisir, de jouissance, les éclairs, le tonnerre et...

«Je suis à toi... Levi.»

Quand, j'y repense, je frissonne d'inconfort. Pourquoi ai-je dit ça ? Qu'est-ce qui m'a pris de dire ça ? C'est comme si pendant un instant, j'ai cessé d'agir de mon propre chef.

Un instant seulement ?

J'ai couché avec Levi, bordel, j'ai totalement perdu le contrôle. Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ? C'était le point de non-retour, la frontière qu'il ne fallait absolument pas que je traverse. J'ai si honte que je regrette maintenant qu'il ne soit pas suffisamment lourd pour m'écraser de tout son poids et m'asphyxier. Ce sera toujours moins pire que l'humiliation de le regarder dans les yeux après les sons qu'il m'a fait produire hier, après qu'il m'ait vue sans le moindre artifice, après qu'il ait exploré des parties de mon corps où je ne me suis moi-même jamais rendue, après que je lui aie fait ce qui pourrait passer pour une déclaration d'amour ?

Et Blake. J'ai l'impression d'avoir trahi Blake. Je ne suis plus la plus dévouée à lui si j'ai aussi facilement laissé un homme me prendre ma vertu. Son meilleur ami de surcroit !

S'il l'apprend...

Quoi ? Quoi s'il l'apprend ? Ce n'est pas comme si nous étions ensemble, je ne l'ai pas trompé. Mais... me verra-t-il différemment ? Me verra-t-il comme Levi a dit qu'il me verrait ? « Bonne à baiser et à jeter. » Il n'aurait pas tord, je viens de le prouver en couchant avec Levi putain de von Neumann.

Comme si je n'avais pas le moindre standard, comme si j'étais désespérée. Qui veut d'une personne désespérée dans sa vie ?

Mais je crois que le pire dans cette galère, c'est combien j'ai aimé ce qu'on a fait, ce qu'il m'a fait, combien les mots qui sont sortis de ma bouche m'ont semblé réels et sincères. C'est qu'en le voyant ainsi, en le sentant ainsi, sa nudité contre la mienne, il me démange de l'avoir à nouveau en moi, de l'entendre me susurrer poésie et obscénité à l'oreille, de le faire gémir comme une gamine à léchant là où il faut, de ravoir ce Levi l'a rien que pour moi et qu'il m'ait rien que pour lui.

Mon dernier souvenir de la nuit dernière, ce sont ses baisers sur mon épaule alors qu'on s'échangeait quelques répliques de nos scripts, pendant qu'un de ses doigts me rendait la tâche difficile.

Le chant de quelques oiseaux me ramène au moment présent. Condamnée sur le lit, je tends le bras vers la commode à ma droite et attrape mon téléphone pour vérifier l'heure qu'il est. Il est très tôt, à peine 6h du matin. Profitant de ce que l'appareil soit dans mes mains, je le dirige vers Levi pour le filmer en train de dormir. Il est si adorable et je redoute de ne plus jamais le voir aussi vulnérable.

— Sésame, ouvre-toi...

Je tressaillis quand j'entends sa voix et échappe mon téléphone sur son visage.

Je baisse mon regard alerte, mais constate qu'il dort encore profondément et parle dans son sommeil. Peu importe ce qui l'agite dans ses songes, cela suffit à marmonner quelques phrases intelligibles, ricaner comme s'il était défoncé et enfin, enfin, défaire sa prise de fer d'autour de moi pour rouler sur le lit et se repositionner. Sa lente respiration reprend et moi je ne perds pas une seconde pour m'extirper du lit, redoutant qu'il m'y coince à nouveau avec ses bras musclés.

Quand mes jambes vacillantes touchent terre, il me faut un moment pour m'adapter à la soudaine faiblesse dans celles-ci et au vertige de la réalité s'imposant à moi.

Je songe à aller prendre une douche en sentant mes cuisses se coller l'une contre l'autre, mais l'idée que le jet d'eau puisse le réveiller me fait vite changer d'avis.

Quand mon ventre gargouille d'une puissance inusité, réclamant de l'énergie après l'effort de toute une nuit, je me résous à aller calmer ma faim, redoutant que ce soit lui qui réveille Levi.

J'enfile un t-shirt et ce n'est que quand je sens son odeur qui m'a enivrée toute la nuit m'envelopper que je me rends compte que c'est un de ceux que je lui ai chipés. J'en ai une véritable collection maintenant et c'est devenu comme une obsession. Ils sont si confortables et me vont si bien, à croire qu'ils ont été faits pour moi !

«Tu vois comme tu me prends bien? Comme si tu as été moulée rien que pour m'accueillir en toi.»

Merde!

Je sors de la chambre et me rends jusqu'à la cuisine. La cuisine où tout a dérapé. La bouilloire repose encore sur la cuisinière, après avoir été abandonnée. La tisane est à présent refroidie, comme moi et mes ardeurs passées. J'allume le round pour la reporter à ébullition, elle sera utile finalement, ma gorge est un peu enrouée.

Une fois ma tisane prête et les tartines sorties du grille-pain, je m'assois à table et commence à manger, l'impression d'être étrangère dans ma propre maison, dans mon propre corps qui refuse d'oublier.

Le regard fixe vers le comptoir où tout a commencé, où nous avons arrêté de faire semblant, me rejouant la scène comme s'il s'agissait d'un film dans lequel je jouais avec lui, je ne l'entends pas se lever, s'habiller et sortir de la chambre. Ce n'est que quand je vois ses abdominaux de dévergondé se planter devant mon film que je reviens à moi.

Je cesse de respirer et garde les yeux vers sa ceinture d'Apollon, n'osant pour rien au monde croiser son regard, voir son expression et ressentir la gêne.

Il reste debout quelques secondes, silencieux, attendant clairement que je lève les yeux vers lui, mais je refuse de les retirer de sa taille magnifiquement sculptée par le jeu d'ombre et de lumière du crépuscule.

Je l'étudie comme si c'était là ce qu'il pouvait y avoir de plus passionnant et franchement, plus je m'y attarde, plus ce l'est.

Non, mais regardez-moi ce corps de petite trainée!

Levi tire sur la chaise en face de moi, me faisant sursauter, avant d'y prendre place, me forçant à le regarder lui à présent. Le regard que je fuyais avec raison devient ma prison. Je ne sais plus comment détourner le mien. Et le sien demeure neutre, impassible, je n'y lis pas la moindre indication de ce qui pourrait bien se tramer dans son esprit à ce moment précis.

Il me fixe et plus c'est tout.

Par moment, il cligne des yeux, mais trop vite pour me laisser le moindre répit, il tend la main et prend une de mes tartines dans l'assiette entre nous et la porte à sa bouche, ses yeux aux tons froids verrouillés sur moi. Il mâche, lentement, si lentement que le son de la nourriture cédant sous ses dents me parait amplifié. C'est si déstabilisant que je finis par réagir, ne pouvant pas supporter la pression.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— J'ai peur que si je regarde ailleurs, tu disparaitras.

La rapidité de sa réponse couplée au calme de sa voix et son expression toujours figée me trouble quelques instants. Il... il me surveille...

— Oh...

Et il est sérieux en plus. Il garde un œil sur moi avec toute la diligence d'un gardien de sécurité zélé.

Disparaitre? Mais où veux-tu que j'aille?

Ça prend un moment, mais je finis par m'habituer à être ainsi scrutée. Ce n'est pas la première fois qu'il me donne cette impression d'être observée. Quand je venais d'avoir le rôle et que ça ne faisait pas son affaire, il me fixait ainsi, projetant son mépris pour moi à la seule force de sa pensée.

C'était horrible, mais là c'est mille fois pire. Car à présent, je sais ces yeux capables d'exprimer le désir, le plaisir... l'amour ? Pourtant en soi, le regard en lui-même ne change pas, il est toujours aussi perçant et troublant.

Mais je ne sais pas, il y avait quelque chose qui le faisait être doux alors qu'il murmurait des mots tous aussi doux, autoritaire alors qu'il me conduisait dans notre tango de folie, possessif alors qu'il me faisait sienne, amoureux alors qu'il nettoyait mon corps de son sperme et de mon sang sous la douche après coup.

Bien que déstabilisée, je vois là une opportunité d'éviter la confrontation que je redoutais. S'il me fixe silencieusement, je peux l'ignorer, finir de manger, le foutre à la porte et on en parle plus. Mais dès que je tente de me lever, prête à suivre mon plan à la lettre, sans voix vibre.

— Faut qu'on parle.

Non...

Sans autre issue, je remets mes fesses sur la chaise. Combien même je ne veux pas, il a raison ; il faut qu'on parle.

— La semaine prochaine, on effectuera le tournage de la dernière scène.

Je fronce les sourcils quand il mentionne notre dernier jour de tournage. Je m'attendais à ce qu'il parle de ce qu'il s'est passé cette nuit, entre nous, pas de ce qu'il va se passer la semaine prochaine entre Henry et Alice !

Mais jamais je n'oserais lui dire ça. Alors je hoche simplement la tête.

— Il faut qu'on remette les choses aux points concernant notre fausse relation et qu'on prépare notre séparation.

Quoi ?

Je veux dire... oui, c'est vrai... mais pourquoi il parle de ça maintenant ?! D'autant plus qu'il le fait d'une voix détachée et calme.

— Qu'est-ce que tu veux dire par remettre les choses aux points ?

— Je ne veux plus faire semblant de sortir avec toi.

Oh...

À ma grande surprise, une partie de moi se retrouve blessée par cette déclaration. Pourquoi il me dit ça ? Pourquoi maintenant ? Est-ce parce qu'il m'a eu et maintenant il ne me voit plus de valeur ? Est-ce que je suis bonne à jeter à présent ?

Je ravale le nœud qui s'est formé dans ma gorge et hoche la tête. Je dois rester pro, on s'est entendu, c'est ce qui devait arriver de toute façon.

— Il me semble qu'on avait dit qu'on attendrait jusqu'à la première du film pour annoncer la séparation.

— Oui...

— J'aimerais qu'on la devance.

— Quoi ?

— On n'est pas obligés de l'annoncer tout de suite, mais on peut commencer à prendre nos distances, précise-t-il, comme si ça allait me rassurer.

— Tu veux... qu'on prenne nos distances ?

— Oui.

Mais... il vient de dire qu'il avait peur que je disparaisse.

— Pourquoi ?

— Je ne veux plus faire semblant.

L'indignation et la colère me traversent pour une raison que j'ignore. Il veut mettre un terme à notre relation montée de toute pièce, la belle affaire ! Mais c'est plus fort que moi, le fait qu'il ait choisi ce moment, après que je me suis offerte, véritablement offert à lui pour rompre me vexe, m'humilie. Je ne sais pas comment réagir, alors je ris jaune.

Il affiche la première émotion de la journée ; la confusion. C'est mon tour de devenir un mur de glace.

— Bien. Je dois en informer Bea d'abord. Tu peux attendre un peu ou tu es trop pressé de rompre ?

— Je vais attendre.

Il se lève, raclant de nouveau la chaise sur le plancher et disparait de mon champ de vision. Après je ne sais plus trop ce qu'il s'est passé. Je l'ai entendu prendre une douche et dire quelque chose que je n'ai pas écouté avant de sortir. De nouveau, j'ai cette impression d'être étrangère à moi-même, mais surtout d'avoir été utilisée...

Mais qu'est-ce que je m'imaginais ? Que ses mots, ses gestes et ses paroles étaient sincères ? C'est un putain d'acteur, un comédien ! Un vrai de vrai. Il vit du mensonge et des illusions, il maitrise l'art du trompe-l'œil. Bien que je ne ressente rien pour lui, je me sens tellement idiote d'avoir cru le temps d'une nuit que ce n'était pas Henry ou n'importe lequel de ses rôles, mais Levi qui m'appelait tendrement trésor.

Quand le choc passe, mon esprit retrouve son calme. C'est vrai que ça m'a fait mal qu'il décide de rompre avec moi comme ça. Je commençais à l'apprécier et à apprécier sa compagnie. Je le considérais comme un ami... et cette nuit il a été plus, mais la vérité c'est que je ne l'aime pas. C'est Blake que j'aime, il le sait. C'est Adèle qu'il aime, je le sais. Cette relation avait une date de péremption prédéfinie, une ligne d'arrivée marquée par la fission du notre faux couple et l'on y est presque.

C'est le début de la fin.



Levi
— Et... COUPEZ !!!

Dès qu'Hannah annonce la fin de la dernière prise de la toute dernière scène que nous avions à tourner, celle qui clôture des mois et des mois de travail, des cris et des applaudissements s'élèvent dans la salle. Le staff au complet nous félicite et se félicite pour avoir mené ce projet à terme. Certains sautillent, d'autres s'enlacent ou se serrent la main pour exprimer leur reconnaissance. Un petit buffet a été offert par la production pour l'occasion.

Kenza et moi faisons le tour des membres pour les remercier pour leur collaboration, elle y tenait. Puis, après ce qui me semble être une éternité, je l'ai enfin pour moi tout seul.

— On m'a dit que quelqu'un avait fini de tourner son premier film.

À l'entente de cette voix enjouée qu'il est impossible d'associer à qui que ce soit d'autre, nous nous tournons pour apercevoir Blake.

Il se tient en face de nous, vêtu de manière décontractée, contrastant avec sa coiffure impeccable. Son bracelet en pierre blanche et son bronzage lui donnent des airs de surfeur californien. On dirait qu'il dégage suffisamment de chaleur, car déjà, Kenza fond à ma droite.

La bile me monte à la bouche. Noire et amère.

— Blake !

Elle court à sa rencontre et noue ses bras autour de sa taille. Il ricane alors qu'il lui rend son étreinte d'une seule main qui se pose sur ses reins et l'attire à lui. L'autre est dissimulée derrière son dos et ce n'est que quand elle retire son visage de son torse pour lui sourire comme une ravie de la crèche qu'il dévoile ce qu'il cachait.

Un bouquet de fleurs. Un ornement de roses rouges, emballée dans du plastique sonore et décoré par une boucle au ruban lui aussi marron.

La bouche de Kenza s'ouvre d'émerveillement.

— Oh mon dieu... il est magnifique !!!

— Tu trouves ?

— Mais oui ! Je peux les sentir ?

— Bien sûr, dit-il en les lui tendant. Elles sont pour toi.

Cette fois, ce sont ses yeux qui s'ouvrent grand pour mieux entendre. Blake, ravi de sa surprise, lui présente son plus beau sourire.

— Félicitations pour la fin de ton tournage de ton premier rôle, ajoute-t-il d'une voix mielleuse.

Il vient d'arracher toutes les étoiles du ciel pour les accrocher dans les yeux de Kenza qui pousse un son exprimant qu'elle est émue avant de retourner se blottir contre lui.

Je pense au bouquet de fleurs que moi j'ai acheté qui est bien plus gros, bien plus beau et que j'ai laissé caché dans la loge, mais décide intérieurement qu'il vaut mieux que je ne lui offre pas. Pas alors qu'il a été le premier à lui en offrir un. Je n'ai pas été assez rapide.

Alors qu'il la serre de nouveau en riant, il remarque enfin ma présence.

Ce n'est pas la première fois que nous nous voyons depuis l'incident du lac. Blake a essayé à quelques reprises d'entrer en contact avec moi. Il m'a écrit, pour qu'on parle et est même venu chez moi. Nous nous sommes croisés une fois au golf, par hasard, mais nous avons fait semblant de ne pas nous voir.

Kenza se sépare de lui, juste à temps pour sentir la tension entre nous, décuplée par la jalousie que je ressens en le voyant la toucher. Ses yeux dorés alternent entre nous.

— Toi aussi, félicitations pour le tournage de ce film.

Je l'aurais ignoré si Kenza ne m'avait pas lancé ce regard me suppliant d'être civil. Elle croit toujours dur comme fer qu'on peut se réconcilier Blake et moi. Comme si je pouvais simplement faire semblant que je ne sais pas qu'il ne m'apprécie pas.

Elle se tient responsable de la fin de notre amitié. Elle me l'a dit juste avant qu'on couche ensemble. Je ne veux pas qu'elle s'en sente responsable alors, je décide de moi aussi, faire comme si de rien n'était.

— Merci, dis-je simplement.

Soulagée, Kenza recommence à s'émerveiller devant le bouquet de fleurs comme si c'est la première fois qu'elle en reçoit. Mais quand j'y pense, c'est peut-être vraiment la première fois qu'elle en reçoit.

J'allais lui en offrir, la semaine dernière. Je comptais lui donner un bouquet, certes plus petit, pour notre rencard avant que le ciel ne s'ouvre sur moi. Mais tout avait pris l'eau : la nappe, la nourriture, l'emballage des fleurs et moi avec.

Aujourd'hui que c'est sans doute lui qui lui offre son tout premier bouquet de fleurs, qui plus est pour célébrer une étape importante de sa carrière d'actrice.

Je regrette de ne pas avoir fait un deuxième saut chez la fleuriste avant d'aller chez elle.

Pour ma défense, je croyais qu'il lui était arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Alors les fleurs étaient le dernier de mes soucis, il fallait juste que je m'assure qu'elle allait bien.

Dire que je n'ai pas été en colère de la trouver confortablement installée chez elle alors que je venais de l'attendre sous l'orage pendant deux heures, ce serait mentir. Ça m'a énervé d'avoir passé la journée à préparer ce moment entre nous pour elle, pour lui faire plaisir et qu'elle n'a même pas pensé à me débloquer pour me prévenir qu'elle ne venait plus.

Mais alors que je la regardais chercher de quoi me changer dans son walk-in, vêtue uniquement d'un t-shirt à moi qui révélait une partie de sa culotte quand elle est montée sur le petit banc pour atteindre les vêtements, mon courroux s'est évaporé, remplacé par les pensées les plus impures n'ayant jamais traversé mon esprit.

Quand je me suis rendu compte que j'étais en train de la mater, j'ai tenté de me reprendre en main. Elle venait de me recevoir chez elle, ce n'était pas le moment de repenser à son corps nu lors du tournage, à ses seins visibles à travers le tissu de mon t-shirt, à ses lèvres et ses yeux d'enchanteresse.

Mon esprit était le théâtre d'un combat interne entre la raison et mon désir pour elle. La raison n'avait pas la moindre chance, pas quand elle portait uniquement mon t-shirt. T-shirt que je me suis littéralement retrouvé à envier ; moi aussi, je voulais l'envelopper, être collé à sa peau nue en dessous, lui procurer chaleur et confort... et même plus s'il elle me laissait la... si elle me laissait la...

Je me suis retrouvé dans sa cuisine, derrière elle, prêt à lui faire tout ce qu'elle me laisserait lui faire, prêt à lui retirer le vêtement pour le remplacer, je voulais juste... sa chaleur.

Alors je l'ai réclamée. Elle me l'a donnée. Je voulais ses lèvres, elle me les a offertes, sa peau, ses seins, ses cheveux, sa voix, sa première fois ; elle m'a tout donné comme si j'avais d'un coup la clé donnant accès à son être tout entier, à tous ses trésors.

Mon trésor.

Mais ça n'a duré qu'une nuit, une seule. J'aurais tant voulu que cette nuit en devienne Mille et une et qu'encore, j'aie accès à mon trésor en soufflant ces mots d'amour se transformant en la formule magique: « Sésame, ouvre-toi ». J'aurais voulu être le seul à lui prendre son souffle, lui faire perdre la voix comme la tête, m'emparer de chaque parcelle de sa chair et voler son coeur une bonne fois pour toutes, mais je n'ai pu que lui dérober une déclaration, une promesse :

«Je suis à toi... Levi»

Et pourtant te voilà, cambrée et ronronnant dans les bras de ton Blake.

Même si ça me brise le coeur, je suis content d'avoir eu raison. Car la raison elle-même, après une cuisante défaite m'était revenue le lendemain au matin et avec elle, elle apportait un allié de taille.

Blake.

Je venais de me réveiller, une douleur inexplicable au visage et la première chose que j'avais vu était une photo de moi aussi son téléphone. Forcément, ça m'a donné le sourire. Alors pour bien commencer ma journée, je me suis mis à faire défiler les photos d'elle, les photos de nous pour tomber sur les photos de Blake. Tant de photos de Blake. Elles dataient de plusieurs mois, mais cela n'a pas réussi à amoindrir ma jalousie.

D'un coup, cette extraordinaire nuit n'était plus que mirage en plein désert, une belle histoire que ma Shéhérazade a soufflée sur l'oreiller. Maintenant, la réalité me frappait de plein fouet : elle n'est pas mon trésor et si j'ai pu entrer dans la caverne, ça a été pour constater qu'un autre voleur était déjà parti avec tout, avait déjà tout pris d'elle.

Regardez-les... elle est déjà sienne.

Je n'ai pas voulu être celui qui interfère, celui de trop, celui qui s'agrippe alors qu'on ne veut pas de lui comme l'a dit Adèle sur ce yatch. Je n'ai pas voulu que Kenza aussi me déteste, parce que au diable les autres, elle, je n'aurais pas pu supporter de la perdre. Alors j'ai pris sur moi pour lui épargner d'avoir à penser à notre dérapage, d'avoir à se débarrasser de moi.

J'ai enlevé le pansement pour elle en mettant un terme à notre fausse relation. Ainsi, je ne serais plus un obstacle... un parasite.

Depuis, comme je l'ai demandé, nous avons en effet pris nos distances. Nous ne nous adonnons même plus à des démonstrations d'affection publique et nous nous voyons strictement sur le plateau. Ça fait mal, mais c'est ce qui me permet de sauver mon amitié avec elle.

J'aurais dû lui offrir des fleurs pour la féliciter moi aussi... elle les mérite tellement.

Accablé de les voir flirter sous mes yeux comme toujours, je les laisse sans rien dire. Je quitte le studio où les membres de l'équipe célèbrent depuis quelques minutes et vais dehors prendre l'air. Il fait chaud, le soleil brille trop fort, j'ai le vent dans le visage... mais c'est mieux que d'assister à leurs retrouvailles.

Je suis si jaloux que j'en ai parfois la migraine et la nausée. Blake, Blake, Blake, encore et toujours Blake ! Le pire quand on est jaloux de lui, quand on envie Blake, c'est de ne pas être en mesure de lui reprocher quoi que se soit pour préserver son égo. Je ne peux pas me dire « mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ?! ». Je sais ce qu'elle lui trouve :

Il est beau comme un Dieu, il est radiant de bonne humeur, leur personnalité sont similaires, d'où mon attraction à eux tel un papillon de nuit à une lanterne, ils ont plein de points communs, elle l'aime depuis l'enfance et Blake a toujours été si gentil avec elle.

Contrairement à moi.

Même lorsqu'elle était encore qu'une étrangère dont personne ne voulait dans le milieu, il était le seul à dire : « moi je lui souhaite bonne chance pour son audition », « moi je pense qu'elle mérite ce rôle », « si tu veux, je peux t'aider à t'entrainer pour atteindre le physique d'Alice », « tu es sublime dans cette robe Kenza ! » Même lorsqu'elle n'était pas là, même en présence d'Adèle, il la soutenait quand tous voulaient la saboter.

Contrairement à moi.

— Ça va ? Le soleil ne brille pas trop fort ? Les oiseaux ne chantent pas trop juste ?

Je tourne la tête pour voir Blake fermer une des portes menant à l'arrière du studio. Quand je vois qu'il s'approche, je décide de me lever pour me barrer, mais il me retient d'une main posée sur ma poitrine.

— Levi arrête ça.

— Arrêter quoi ?

— De faire ta diva.

— Parce que je ne veux pas parler à un hypocrite, je suis une diva ?

Il ouvre la bouche pour riposter quelque chose, mais se ravise avant de sourire. Ce sourire, il m'énerve tellement. C'est sa façon de vous laisser savoir que vous n'êtes rien alors ce n'est pas la peine de chercher à le provoquer, ce sera vain.

— C'est moi où tu agis bizarrement ?

Intrigué, je le laisse expliquer ce qu'il entend par là.

— Vous agissez tous les deux bizarrement. Vous n'avez pas posté de photo ensemble de la semaine et tout à l'heure, j'ai eu l'impression que vous mainteniez vos distances.

Oh...

— Le tournage est fini. Alors notre faux couple aussi.

— Je vois... tu t'en es plutôt bien sorti. Mieux que je le croyais.

— Tu croyais que quoi ?

Il hésite à répondre, puis son sourire retrouve le chemin de ses lèvres.

— J'entrevoyais deux façons dont cette histoire de faux couple finirait en fiasco total : soit ça allait imploser, vu comme vous vous détestiez, vu comme tu la vomissais, et que vous alliez mettre fin à votre entente en peu de temps... soit l'un d'entre vous allait finir par tomber amoureux de l'autre à force de faire semblant. Mais vous êtes resté pro... non ?

Je serre la mâchoire et fais tout pour que mon visage ne trahisse pas la réponse, mais en le voyant froncer les sourcils puis sembler amusé, je comprends que mon meilleur ami a vu au-delà du masque. Il pose ses mains sur mes épaules, approchant son visage du mien comme pour mieux voir la vérité.

— C'est toi... tu es tombé amoureux d'elle.

— Lâche-moi.

Ma voix est plus insécure et effrayée que j'aurais voulu.

— Oh Levi... Adèle et maintenant elle ?

— Lâche-moi.

— Ton genre c'est les femmes qui ne t'aiment pas en retour ? C'est ça ?

— Je n'aime pas Kenza.

— Pas à moi.

— Je ne suis pas amoureux d'elle.

Bordel, même moi je n'y crois pas. Je suis tellement amoureux d'elle que ça me sort par tous les pores et clairement Blake le voit. Je suis tellement amoureux d'elle que je sais aujourd'hui que peut importe ce que je ressentais pour Adèle, c'était insignifiant à côté de ce que j'éprouve pour Kenza, ce n'était pas de l'amour.

— Dans ce cas, ça ne te dérange pas que je la prenne.

Je me reconcentre sur lui, interpellé.

— Quoi ?

— Puisque vous allez bientôt vous « séparer ».

— Depuis quand tu la veux ?

— Depuis un moment déjà. Quoi, ça t'étonne ? Elle est jolie, elle est drôle, elle est authentique, déterminée, elle est bonne aussi... moi ça fait longtemps que je connais sa valeur.

Le pire c'est que c'est vrai. Dès le début, il a cherché à se rapprocher d'elle, à être son ami. Si ça se trouve, il la voulait déjà pour lui, mais je lui ai coupé l'herbe sous le pied avec cette histoire de faux couple. Mais au lieu de s'en plaindre, il a patienté, et maintenant que c'est fini, il va la réclamer.

Il n'a fait que me la prêter.

— Et puis elle est déjà gaga de moi. Ça sera facile.

Je serre la mâchoire et les points, impuissant, écrasé par la véracité de son propos. Blake le remarque et une satisfaction malsaine illumine son visage.

— T'en fais pas... tu me connais, les prises de tête et l'engagement m'ennuient. Une fois que j'en aurai fini avec elle, tu pourras avoir mes restes... comme toujours, murmure-t-il contre mon oreille.

Je craque et me saisit de son col avant de le plaquer contre le mur du bâtiment derrière lui. Il semble surpris, mais retrouve vite son air narquois, jubilant d'être enfin parvenu à me faire sortir de mes gonds.

— Espèce d'hypocrite, tu montres enfin ton vrai visage ?

— Mon vrai visage ? Ce n'est un secret pour personne, Levi. J'obtiens ce que je veux et toi, ce qu'il reste.

— Sauf le rôle.

Il perd enfin son sourire. C'est mon tour de jubiler à l'idée de le faire descendre de son piédestal.

— Et Kenza aussi...

— Quoi ?

— Fais pas l'idiot. T'es un grand garçon, je sais que tu as compris.

Il affiche la confusion pendant une fraction de seconde avant de percuter.

— Vous avez... tu mens.

Je ris, le relâche et pointe la porte du menton.

— Va lui demander.

Blake me pousse et se dirige vers la porte. Il l'ouvre, mais s'arrête juste avant d'entrer.

— Tu te plais à nous traiter Adèle et moi d'hypocrites, mais tu es exactement comme nous, je le sais, tu le sais... et elle aussi, elle finira par le voir, ton vrai visage.

Mon coeur rate un battement et il claque la porte avant de disparaître. À présent qu'il est loin de moi, ma colère s'envole et je réalise que je viens de faire une grosse erreur. Sans nous l'être dit, je crois que Kenza comptait sur moi pour ne jamais dire à personne ce qu'on a fait ensemble... et surtout pas à Blake.

— Merde...

J'évalue si je devrais aller à la poursuite de Blake pour lui dire que je lui ai menti, qu'il ne s'est rien passé avec elle, que c'était juste pour l'énerver. Seulement, j'ai beau être bon acteur, ce ne serait pas crédible.

Au lieu de cela, je vais dans la loge que je partage avec Kenza pour me changer. C'est avec un peu de mélancolie que je me défait de la peau de Henry pour la toute dernière fois de ma vie.

Même Alice, je ne l'aurais plus pour moi...

J'ouvre la malle contenant le reste de mes costume pour y ranger celui que je portais et y trouve le bouquet de roses que je comptais offrir à Kenza.

Il est énorme, j'ai dû le transporter sur mon épaule et arriver tôt pour le dissimuler. L'ornement est composé de roses rouges et cuisses-de-nymphe ainsi que quelques petit œillet blanc, le tout emballé dans un papier de carton et tenu par une boucle de la même couleur que les siennes. En lisant le mot où je la félicite et la remercie je me dis qu'il serait dommage de ne pas lui donner juste parce que Blake s'y est pris en premier.

Le cœur léger, je retourne dans le studio à la recherche de Kenza, sans me soucier de cacher l'arrangement floral. Je cherche, cherche et puis de la vois.

Je la vois, avec Blake qui l'entraîne à l'écart.

Je les suis, discrètement. Tous deux s'arrêtent finalement dans une salle de repos et s'installent sur un des divans. Quand je suis suffisamment près pour entendre que je suis le sujet de leur conversation, je reste dissimilé derrière la porte et les épie.

— Vous devriez vous réconcilier avec Levi.

— Après ce qu'il a fait sur le yatch ?

— Je sais, il a été un peu... agressif... mais, c'est un bon ami. Il est loyal, il est toujours là quand on a besoin de lui... et je crois que tu lui manques.

Kenza...

— Je sais tout ça. Si ça ne dépendait que de moi, tout serait déjà oublié. C'est mon meilleur ami depuis qu'on est enfant. On a toujours tout fait ensemble. Les autres ne l'aimaient pas, je le savais, mais je ne lui ai jamais dit ce qu'il se disait dans son dos pour le préserver. Moi je l'appréciais et c'est tout ce qui comptait.

Je ne parviens pas à déterminer s'il est sincère ou pas. Il est vrai que toutes ces années, il a toujours été à mes côtés.

— D'ailleurs... sur le yatch, il a parlé de ta réaction par rapport au rôle d'Henry. Il s'est passé quoi ?

Voilà ! Dis-lui ce que tu as fait, montre-lui qui tu es vraiment !

— Écoute, ce rôle, je le voulais vraiment. C'était mon audition au départ, il ne devait que m'accompagner. Alors quand c'est lui qui l'a eu... j'ai pété un câble et j'ai déversé ma frustration sur les objets dans ma chambre. Mais c'était sur le moment. Ça arrive d'être en colère. Une fois que ça m'est passé, j'étais vraiment heureux pour lui, pour vous.

Encore le doute. C'est vrai que son explosion face à l'annonce de son échec était excessive, mais par la suite il ne m'a jamais fait ressentir l'envie ou la jalousie. Au contraire, il a célébré mon rôle avec moi.

— Je suis son meilleur ami, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne m'arrive pas de lui en vouloir ou d'être jaloux. Lui aussi a ses défauts, lui aussi a fait et dit des choses répréhensibles... mais l'important c'est que c'est passager. C'est juste un rôle... lui il est mon meilleur ami.

Kenza pose une main sur son épaule qu'elle caresse doucement.

— Je comprends mieux. C'est vrai qu'il peut être détestable... mais je l'aime bien quand même.

Moi aussi, je comprends mieux. J'ai fait une énorme erreur. Blake ne perd plus de temps et pose la question :

— Il s'est passé quelque chose avec Levi ?

Kenza fronce les sourcils, ne comprenant pas ce soudain changement de conversation.

— Quelque chose ?

— Je te demande si vous avez couché ensemble.

Le visage de Kenza se décompose quand il lui demande cela et quand elle comprend que s'il pose la question aussi soudainement, c'est parce qu'au fond, il connait la réponse. Elle soupire.

— C'est lui qui te l'a dit ?

— Oui.

Les larmes lui montent aux yeux et une douleur indescriptible s'installe dans ma poitrine en voyant que je l'ai trahie.

— Je... je suis désolée...

Pourquoi s'excuse-t-elle?

— Je ne sais pas ce qui m'a pris... c'est arrivé comme ça et-

— Est-ce que tu l'aimes ?

— Hein ?

— Levi, tu es amoureuse de lui ?

— Euh... non... je ne suis pas amoureuse de Levi.

— Tu es sûre ? Passer autant de temps à faire semblant que lui a peut-être fait naitre des sentiments entre vous. Peut-être que tu ne t'en rends même pas compte.

— Non ! Non ! Jamais ! C'est toi que j'aime, comment pourrais-je tomber amoureuse de lui-

Elle plaque sa main sur sa bouche en réalisant sa bévue avant de regarder Blake pour vérifier s'il a entendu.

Il a entendu.

Avant qu'elle ne se lance dans les excuses ou ne cherche une explication, Blake ayant eu la confirmation qu'il voulait prend son visage dans ses mains et écrase ses lèvres contre les siennes. Kenza, prise au dépourvu, fige. Blake met fin au baiser et la regarde dans les yeux.

— Redis-le.

Kenza, encore sous le choc, prend un moment avant de mouvoir ses lèvres.

— Je t'aime.

Quand Blake porte les yeux dans ma direction, je réalise qu'il m'a vu depuis un moment. Il voulait me porter le coup de grâce et c'est fait. Il me sourit avant de l'embrasser à nouveau. Je m'éloigne de la porte, fais demi-tour, m'éloigne de la pièce, trouve la poubelle la plus proche et y jette le bouquet de roses.

Alors que fixe le papier froissé l'impression qu'il s'agit plutôt là de mon cœur, comme depuis une semaine, cette même phrase tourne en boucle dans ma tête pour me torturer

«Je suis à toi... Levi.»

— Menteuse.

Coupé !

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