Scène 19

𝕊𝕔è𝕟𝕖 𝟙𝟡 : 𝕃𝕦𝕞𝕚è𝕣𝕖𝕤, 𝕔𝕒𝕞é𝕣𝕒, 𝕒𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 !

Kenza

— C'est quoi le but de l'émission déjà ?

Interpelée par la voix grave de Levi, je cesse de contempler le studio. Il se tient à ma gauche, vêtu d'un pull en cachemire blanc et de jeans bleu sombre dans lesquels ses mains sont enfouies.

— Hm ? Oh ! Ricardo que tu vois là-bas, commencé-je en désignant l'homme en train de se faire maquiller, est de descendance italienne, alors la cuisine, ça le connaît. Au départ, c'était simplement une émission où il montrait les recettes du livret de sa grand-mère, mais quand l'audimat à commencer à baisser, ils ont transformé l'émission.

— En quoi consiste-t-elle maintenant ?

— Il invite les plus grosses célébrités du moment à cuisiner avec lui tout en les interviewant sur leur carrière, leur vie personnelle. Comme il y a quelques verres d'impliqués parfois leurs confidences. Comme ça, on en apprend plus sur une célébrité, une idole, un modèle dans une ambiance conviviale et on apprend des recettes en bonus. C'est un espèce d'Oprah au fourneau. Ça cartonne en ce moment ! Tu n'as jamais écouté ?

Levi cherche dans sa mémoire avant de secouer la tête.

— Non, je ne regarde presque jamais la télé... maintenant que tu le dis, ça a dû passer une ou deux fois à la télé alors que je zappais, mais je ne me suis jamais attardé sur l'émission.

— Ça m'étonne que tu me dises ça. Blake y est déjà passé à deux reprises pourtant.

— Contrairement à toi, je ne passe pas mon temps à suivre ce que Blake fait.

Je m'apprête à riposter avec une réplique acerbe, mais la productrice de l'émission m'interrompt.

Elle vient nous expliquer le déroulement du tournage de l'épisode que nous allons filmer aujourd'hui. Elle nous explique également que les épisodes ont d'ordinaire un décalage d'une semaine entre le tournage et la diffusion, sauf exception.

Ce n'est donc que la semaine prochaine e que maman pourra me voir à l'écran.

Après quoi, Levi et moi sommes conduits vers les maquilleuses qui s'occupent d'illuminer nos visages fatigués par les longues soirées de répétitions en solo ou ensemble que nous avons enchaînées depuis la semaine derrière.

— On va débuter l'enregistrement. Vous êtes prêts ?

Une jeune femme qui s'était présentée comme étant une stagiaire à la production au moment de notre arrivée avant de poliment demander une photo avec Levi et moi apparait. Elle porte un casque qui lui permet de communiquer avec les différents membres du personnel réparti un peu partout dans le studio.

Levi et moi répondons par l'affirmative.

— Ils sont prêts, ils arrivent, dit-elle dans son micro accroché au casque. Suivez-moi.

Nous nous levons et la suivons à travers le studio. C'est un assez grand bâtiment qui accueille plusieurs plateaux d'émissions diverses. Alors que nous marchons, nous passons non loin du tournage d'autres émissions et même de décors de plateau vide, jusqu'à arriver au décor de la cuisine qui marrie champêtre et moderne de Ricardo Conti.

Je suis émerveillée de voir devant mes yeux ce décor que j'ai tant vu à la télé alors que ma mère me forçait à suivre l'émission avec elle, car si je voulais être une bonne épouse et une bonne mère, il fallait que je sache cuisiner. Je protestais toujours parce que bien souvent, j'étais déjà occupée, mais en fin de compte, c'était plutôt divertissant et puis nous essayions les recettes ensemble après, ce qui me faisait passer du temps avec elle.

C'est sur que voir l'envers du décor est impressionnant, mais une partie de la magie s'envole également quand je réalise justement que ce n'est que ça.

Un décor.

De loin, des roues sont visibles sous ce dernier, ce qui veut dire qu'il est mobile. Certaines des pièces, des instruments ou des décorations sont en papier mâché, la vue en fond n'est en réalité qu'un écran vert.

L'on nous conduit jusque sur le plateau où Ricardo Conti discute avec la productrice qui tient une liste dans sa main.

— Oh, ils sont là ! Venez, venez !

Elle nous explique qu'ils vont lancer l'enregistrement, qu'on va rapidement se présenter et que Ricardo va nous interviewer un peu, sur nous, notre enfance, ce qu'on aime manger pour déterminer quelles recettes il va nous faire faire avec lui.

Le plan révisé une ultime fois, tout le staff quitte le plateau, les spots sont aluminés, illuminant la cuisine dont les instruments métalliques brillent de mille feux, le jingle de l'émission est joué et Ricardo fait l'introduction habituelle dans un gros plan de son visage avant que la caméra ne recule pour présenter les invités qui exceptionnellement sont au nombre de deux, le public invité applaudis et nous commençons.

— Alors, Levi et... Kenza, nous nous devions de vous inviter tous les deux, car aux dernières nouvelles, en plus de jouer ensemble dans une romance qui reprend le récit d'un des plus grands classiques américains, vous formiez un couple secret.

— C'est bien cela oui, répond Levi.

Fidèle à lui-même, Levi fait preuve de professionnalisme. Il semble détendu et en pleine maitrise de la situation.

Moi à côté, je suis encore un peu stressée de tourner ma première interview à la télé. J'ai peur de gaffer, de buter sur les mots, de me tromper, alors je laisse Levi converser avec notre hôte.

— Dites-moi, pourquoi un couple secret ?

Levi et moi nous regardons, cherchant quoi répondre, car nous n'avons pas de raison puisque nous n'étions pas en couple secret. Nous n'étions même pas en couple. Mais Levi que rien ne semble perturber improvise.

— Vous savez, quand on est une célébrité, il y a tant d'aspects de notre vie qu'on partage avec le public, parfois même contre notre volonté. Entre les tournages, les entrevues comme celle-ci et les paparazzi qui nous suivent partout, la ligne entre le public et le privé devient très floue.

— J'imagine !

Levi passe sa main derrière mon dos.

— Alors quand on trouve quelqu'un comme Kenza, quelqu'un qui vous comprend et avec qui vous êtes à l'aise de partager votre intimité, quelqu'un qui non seulement vous rappelle celui que vous êtes vraiment, mais également celui que vous aspirez à être... on souhaite la garder pour soi, jalousement, comme le précieux trésor qu'elle est. C'est d'ailleurs la signification de son prénom.

Mes yeux s'écarquillent à un tel point que je suis sûre d'avoir l'air plus surprise par sa réponse que notre hôte et le staff en face de nous. Le public invité lâche un « awwnn » comme un seul homme et Levi rit timidement avant de rougir un peu.

Il peut rougir sur commande?!

— Kenza ? Tu as l'air surprise, es-tu d'accord avec les magnifiques mots de ton partenaire ?

Non! Non, je ne suis pas d'accord! C'est un menteur, c'est un acteur!

Je le sais et pourtant même moi je suis bluffée par sa performance.

— Euh... oui... c'est ça...

Je vois à l'expression de Ricardo que ma réponse le déçoit un peu. À côté de celle de Levi, il est certain qu'elle ne fera pas fondre les auditrices à la maison.

— De jeunes gens amoureux, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus beau ? Profitez-en, dans dix ans, vous serez en instance de divorce et elle partira avec la moitié de ta fortune !

Levi et le public rient à sa plaisanterie sur son divorce assez médiatisé avec sa propre compagne. Je suis encore trop crispée pour ces moments d'hilarité.

— Bon, je comprends votre choix, mais visiblement, votre couple n'est plus secret. Comment cela se fait-il ? Kenza ?

Je tressaute quand il m'interpelle au lieu de s'adresser exclusivement à Levi.

— Hum...

Je sens la main de Levi toujours dans mon dos presser ce dernier pour me rappeler de ne pas tout faire foirer. Je reprends mes esprits.

— C'est tout bête. Nous avons été filmés à notre insu alors que nous nous réconcilions après une petite dispute. Le lendemain, la vidéo était partout sur internet. Nous avons songé à nier les rumeurs, mais avons finalement décidé d'être honnêtes quant à la nature de notre relation.

— D'où la déclaration de Levi et ce fameux baiser.

— Oui...

Il passe à la prochaine question qu'il pose à Levi cette fois alors que moi je libère le souffle que je retenais. C'est bien, je n'ai pas bégayé, ma réponse comportait une part de vérité, contrairement à l'énorme mensonge mielleux de Levi.

Tout va bien.

Pendant une bonne partie de l'entrevue, je n'interviens que rarement, Levi étant la personnalité la plus connue. Nous parlons rapidement du film, de comment nous avons eu l'idée de participer ensemble à l'audition et à quel point nous avons été contents d'apprendre que nous avions tous les deux le rôle. J'aborde rapidement la réponse négative du public en m'attirant un peu la sympathie de Ricardo et du public invité, je mentionne rapidement ma mère qui regardera sans doute l'émission.

Ricardo annonce la pause publicitaire et nue prenons également une petite pause avant de reprendre. Jingle, réintroduction, interview.

— Chacun d'entre nous a ce qu'on appelle un « love langage », ces manières de faire comprendre à l'autre qu'on l'aime sans se servir de mots. Ça peut être les contacts physiques fréquents, les cadeaux, passer beaucoup de temps ensemble et parfois, c'est de cuisiner pour l'autre. Cuisinez-vous souvent pour l'autre ?

— Assez rarement. Nous ne vivons toujours pas ensemble, alors habituellement quand on partage un repas, ce sera à un restaurant ou un café. Et puis nous avons des régimes alimentaires assez différents.

Je hoche la tête pour corroborer ce que Levi dit. Ricardo tape dans ses mains.

— Bien, alors en prévision de votre future vie commune, que diriez-vous de cuisiner quelque chose pour l'autre ?

— Cuisiner...

— Pour l'autre ? termine Levi.

— Oui ! J'avais pour but de vous montrer une recette de ma grand-mère, mais ce ne serait pas authentique. J'aimerais que vous fassiez votre plat le plus bon, le plus réconfortant, le plus nourrissant ? Quelque chose qui fera comprendre à votre douce moitié combien vous l'aimez.

Levi et moi nous regardons, légèrement paniqués. Je croyais qu'on allait simplement devoir suivre les instructions de Ricardo et de son livre de recettes, pas faire une telle improvisation. Je jette un coup d'œil vers la productrice pour voir ce qu'elle pense de ce virement.

Elle présente des pouces en l'air, très clairement enthousiasmée par cette idée.

— Super ! Voilà ce que nous allons faire, l'un après l'autre vous allez concocter votre petit plat d'amour et nous apprendre la recette à tous, puis vous le ferez goûter à l'autre pour qu'il en fasse une appréciation. On commence avec qui ?

— Levi ! m'empressé-je de répondre.

Il ouvre la bouche pour protester, mais le chef Ricardo pose ses mains sur ses épaules pour l'entrainer vers le comptoir où des ingrédients tous plus beaux les uns que les autres l'attendent déjà. On m'indique de me retirer et me donne une chaise pour que je m'assoie avec le public.

Cette idée m'a angoissé quand elle a été énoncée, mais je dois reconnaitre que c'est assez amusant de voir Levi réfléchir à ce qu'il pourra bien cuisiner pour exprimer son amour pour moi, sachant pertinemment qu'il est inexistant. J'en profite aussi pour réfléchir à ce que je pourrais bien faire de bon.

Quelque chose que j'aurais pu faire pour Amar, mes parents ou mes frères pour leur montrer combien je les aime et combien je tiens à eux.

— Levi, as-tu décidé de ce que tu allais nous faire aujourd'hui ?

— Pas vraiment non... je n'ai jamais vraiment cuisiné...

— Jamais ?!

L'étonnement se fait entendre dans le public qui surjoue un peu trop leurs réactions si vous voulez mon avis.

— Je viens d'une famille assez aisée, nous avions des cuisiniers. Pareil, là où je vis, il y a un chef pour tout l'immeuble. Les seules fois où je « cuisine », c'est pour me faire des salades... je me nourris presque exclusivement de crudité pour être franc...

— Il broute ! crié-je de depuis mon coin, provocant le rire du public.

— Et de blanc de poulet, ajoute Levi en me lançant un regard mauvais après mon commentaire, pour maintenir mon physique.

— Aie aie aie ! Dur la vie de vedette.

Levi lâche un rire qui communique un peu son malaise. Quand il me voit encore à me moquer de lui, une lueur traverse ses yeux.

— Mais pour Kenza, j'aimerais bien apprendre. Elle adore manger, contrairement à moi.

Hein?

— Ah oui ?

— Oui ! Il faut la voir ! Des fois, je me demande si c'est une femme ou un aspirateur. Un véritable ventre sur pattes.

J'arrête de rire, scandalisée.

— C'est vrai ça Kenza ?

— Non ! Je ne suis pas aussi gourmande-

— Elle ment. Elle mange des quantités hallucinantes à une vitesse hallucinante. Quand on commande, elle finit toujours par manger la moitié de mon assiette en plus de la sienne. Elle mange comme s'il n'y avait pas de lendemain.

Mais quel menteur ! On ne mange même pas ensemble ! Il n'aime pas manger pendant les répétitions !

En voyant qu'il est parvenu à se venger de mon commentaire sur son alimentation de vache pleine aux as, un sourire narquois retrouve le chemin de ses lèvres. Je m'enfonce dans ma chaise et cache mon visage, humiliée.

Heureusement, le public semble apprécier que Levi ait livré une information embarrassante sur moi, il semble même attendri. Je veux dire, qui n'aime pas les grands mangeurs ?

— Alors au lieu de lui faire un plat que je connais, j'aimerais que vous m'appreniez une recette gourmande et bourrative, pour qu'elle arrête de me piquer ma nourriture. Oh- sans porc aussi. C'est possible ?

— Évidemment ! La cuisine italienne en regorge ! On vous prépare tout cela, après une courte pause publicitaire.

Le jingle joue, on leur apporte de l'eau et la maquilleuse leur fait une petite retouche avant qu'il ne reprenne le tournage.

— Bon Levi, pour ta douce et gourmande Kenza, j'ai pensé à un osso-buco avec un risotto à la milanaise. Un plat riche en saveur et plein de protéines. À ta demande, nous allons changer la recette traditionnelle et remplacer le porc par du veau. Ça ira ?

— Ça me semble parfait.

Ricardo commence à lui donner des instructions pour la préparation de ce plat, tout en interagissant avec le public et les caméras. Pendant presque deux heures, ils cuisinent cet osso-buco à la milanaise. Levi a un peu du mal à suivre, car la seule chose vraie qu'il ait dite depuis le début, c'est qu'il n'a aucune compétence en cuisine.

C'est divertissant de le voir ne pas exceller dans quelque chose. Au début, mon hilarité l'énerve, mais peu à peu, lui aussi trouve le ridicule de sa performance amusant. Il semble même prendre du bon temps avec Ricardo.

On me rappelle sur le plateau où je m'installe pour déguster leur plat devant caméra. Je complimente d'abord les deux hommes pour la présentation du plat qui semble effectivement très goûteux. J'en salive carrément. Après une dégustation d'un des meilleurs plats que j'ai jamais mangés de ma vie, marquée par des onomatopées qui n'exagèrent en rien mon appréciation, c'est à mon tour de me retrouver devant la grande variété d'ingrédients frais pour décider de ce que je vais faire pour Levi.

— Alors Kenza, tu as aimé ce que Levi a fait pour toi ?

— Oui, j'ai adoré ! C'était délicieux.

— Délicieux et fait avec amour ! Maintenant, c'est à toi de lui faire un plat fait avec amour. Pour manger autant que Levi nous l'a dit, je suppose que tu dois cuisiner de temps en temps.

— Très souvent même ! J'ai appris à cuisiner auprès de ma mère. Nous regardions votre émission et tentions de reproduire les recettes.

— Je vois, tu es donc très proche de ta mère.

Je m'arrête et réfléchis à que dire. Avant qu'elle ne découvre que je leur ai menti et détourné des dizaines de milliers de leurs dollars durement économisés pour mes études, nous l'étions. Nous magasinions ensemble, cuisinions ensemble et j'aimais beaucoup me balader avec elle. Mais depuis cette soirée-là, nous ne nous sommes plus parlées.

Elle ne veut plus me parler.

Aussi, depuis l'agression d'Amar, j'essaie d'éviter les contacts avec ma famille, de peur que quelqu'un les prennent pour cible eux aussi si je venais à être aperçu avec l'un d'entre eux. Mais je me vois mal étendre mon linge sale en public, encore moins à la télé, alors comme Levi, j'ai recours au mensonge pour embellir une relation qui bat de l'aile.

— Oui, nous avons toujours été très proches ma mère et moi, mais avec mon nouveau rôle, les longues heures de tournage et de répétition, mon déménagement et le fait que je souhaite protéger leur vie privée, on se voit de moins en moins. Elle me manque...

Le public attendri, réagit d'une voix et, bien malgré moi, submergée par la véridicité de la dernière phrase, les larmes me montent aux yeux.

— Oh... lala... hum...

Paniqué, Ricardo cherche une boite de mouchoir qu'un membre du staff lui apporte et il m'en fournit un pour que je sèche mes larmes avant qu'elles ne ruinent mon maquillage. J'ai un peu honte d'avoir craqué en onde, mais je me reprends presque aussi vite.

— C'est pour ça que j'ai décidé de faire un des plats qu'on cuisinait le plus ensemble. Pour moi il n'y a pas plus d'amour que dans ce plat.

— Comme c'est adorable ! De quel plat s'agit-il donc ?

— Un tajine de poulet, tout ce qu'il y a de plus simple.

— Oh, que c'est exotique ! J'ai bien hâte d'apprendre à en faire.

Je tique quand il dit cela. C'est juste un plat, je ne vois pas ce qu'il y a de si exotique. Mais ce n'est ni l'endroit ni le moment de faire la difficile, alors je ne fais que sourire pour dissimuler mon malaise. Je jette un coup d'œil en direction de Levi qui a les bras croisés depuis que c'est mon tour. Quand il se rend compte que je l'observe, il me sourit.

J'ai assuré.

Je commence à expliquer les étapes de la confection d'un bon tajine à Ricardo. Pareil qu'avec Levi, il me pose des questions sur moi en même temps. Je ne sais pas si c'est le fait de cuisiner un plat de chez moi, un plat qui me fait penser à ma mère et ceux que j'aime qui me détend, mais je suis très vite plus à l'aise. Je raconte quelques anecdotes sur mon enfance, fait quelques plaisanteries et taquine un peu Ricardo qui apprécie ce moment qu'on passe ensemble où il est exceptionnellement l'élève et non le maître.

Pendant que la préparation mijote, Ricardo annonce la pause publicitaire et la productrice annonce la nôtre.

Je quitte le plateau et vais rejoindre Levi.

— Alors ? J'étais comment ?

— Bien.

— Bien ?! J'ai été extraordinaire. Ricardo et le public m'adorent.

— Si tu le dis, lâche-t-il d'un ton blasé.

— Tu as hâte de goûter au plat que je fais avec amour pour toi ? plaisanté-je.

Il grimace.

— Je vais peut-être prendre une bouchée.

Mon sourire me quitte.

— Comment ça ?

— Je ne mange pas les choses étranges.

— En quoi c'est étrange ?

Il se contente de lever les épaules.

— Attends, parce que ce n'est pas cru, sans goût ou fait par un de tes chefs privés tu ne vas pas manger ?

— Je ne suis pas friand de plats « exotiques ». Surtout pas faits par toi.

Je croise les bras.

— Ok, tu ne m'aimes pas, moi non plus, mais je t'assure que c'est délici-

— Pour les gens comme toi peut-être, moi j'ai le palais fin, je ne mange pas n'importe quoi venu de n'importe où.

Je pouffe de rire, plus excédée qu'amusée.

— Non mais pour qui tu te prends ?! T'es trop bien pour la nourriture marocaine, c'est ça ?

Il semble réfléchir avant de dire :

— Sincèrement ? Oui. Mais t'en fais pas, je vais faire semblant d'aimer. Faut bien que mes talents d'acteur me servent de temps à autre.

Sur cet affront à ma cuisine et à toute ma culture, il me laisse là.

Non mais c'est quoi son problème?!

Comment est-ce qu'on peut être aussi méprisable ? J'ai mangé tout ce qu'il a préparé moi ! Bon, OK, c'était à tomber, mais il pourrait au moins faire un effort.

Fulminante, je retourne sur le plateau pour surveiller la cuisson de mon tajine qu'il a insulté de toute les manières possibles. Il sent merveilleusement bon, je me suis donnée à fond pour qu'il soit parfait et lui... Et puis qu'est-ce qu'il veut dire par « j'ai le palais fin », à croire que je vais lui servir de la bouffe de Fast Food.

— C'est de la fine cuisine marocaine, espèce d'ignare, soufflé-je pour moi-même.

Je m'apprête à refermer la casserole quand mon regard accroche le piment que j'ai précédemment mis en petite quantité dans la casserole pour rehausser un peu le goût et une idée des plus indécente me traverse l'esprit. Ma conscience me chuchote de ne pas faire ça, de ne pas laisser ses piques m'atteindre, mais en repensant à la condescendance dans son regard, ma fierté l'emporte.

— On va voir si tu es aussi bon acteur que tu le prétends.

Vérifiant que personne sur le plateau ne prête attention à ce que je fais, je découpe cinq piments en petits cubes avant de les lancer dans la préparation. J'ajoute également plus de sel que nécessaire avant de fermer la casserole et de m'éloigner discrètement de la scène de crime.

Levi revenu des toilettes m'approche, car à part moi, il ne connait personne dans ce studio. Comme je suis dans la même situation, je n'ai pas d'autre choix que de passer mes pauses avec lui en attendant que ce tournage de merde soit fini.

— C'est exactement pour ça que personne ne t'aime.

Il se tourne vers moi.

— Pardon ?

— Tu es méchant, tu méprises tout et tout le monde, tu te crois supérieur et tu n'as aucun tact. Franchement, même Adèle est plus supportable que toi. Je comprends que ni elle, ni tes amis, ni tes parents ne t'aiment. Le problème c'est toi, pas eux.

En voyant la souffrance dans son regard, je sais que j'ai frappé là où ça fait mal. Bien fait, c'est tout ce qu'il mérite.

— Tu ne me connais pas.

— Je te connais assez pour savoir que je n'ai pas envie de te connaitre plus que ça. J'ai fait des efforts pour qu'on « reparte sur de bonnes bases » comme tu as dit au moment de conclure notre marché, mais j'ai l'impression de nager à contre-courant avec toi.

J'attends qu'il réplique, mais il semble à court de mots.

— Je suis censée être en train de vivre mon rêve, mais pour une raison que j'ignore tu as décidé d'en faire un cauchemar. C'est pas parce que ta vie est pourrie que tu es obligé de pourrir la mienne.

Je reprends mon souffle après ma tirade et essuie mes larmes de frustration. Comme il ne dit toujours rien, je m'apprête à partir sur le plateau pour me préparer à la reprise, mais il me retient.

— Attends...

Reniflant, je me tourne pour lui faire face alors que lui tient toujours mon poignet.

— Je suis désolé... tu as raison. J'ai pas été très cool avec toi.

— Pas très cool ?

— Ok, j'ai été exécrable. Je... je n'ai pas à te traiter comme ça alors que nous sommes censés former une équipe.

Je confirme.

— Tout à l'heure, mes mots ont dépassé ma pensée OK ? J'ai toujours été très méfiant, de tout ; des gens, des endroits et même de la nourriture que je ne connais pas. Je suis très réticent au changement et à la nouveauté, ça doit être pour ça que je me suis accroché à Blake et Adèle toutes ces années, par peur de m'ouvrir à qui que ce soit d'autre...

Il baisse le regard après cette confession qui parvient à apaiser un peu ma colère.

— Mais je crois qu'il est temps que j'essaie de nouvelles choses et de nouvelles personnes... je- je le veux vraiment. J'ai juste besoin d'un peu de temps... tu comprends ?

Je hoche la tête et il me sourit, soulagé que je ne le juge pas. Il se met à caresser la surface de mon poignet, ce qui envoie des petites décharges dans tout mon corps.

— Et je vais commencer avec ton truc-

— Tajine.

— Ton tajine. Je suis sûr qu'il est succulent.

Je lève les yeux au ciel.

— Tu dis ça juste pour me faire plaisir.

— Non, je te jure. Et oublie ce que je t'ai dit tout à l'heure. Je vais terminer l'assiette et ne pas en laisser une seule miette.

Bien malgré moi, je lui rends son sourire complice.

— Vraiment.

— Promis, souffle-t-il.

Face à la sincérité de ses excuses et de sa confession, je ne trouve pas la force de lui en vouloir encore. Il s'apprête à ajouter quelque chose, mais la productrice l'interpelle pour la reprise du tournage.

Le staff a dressé une assiette encore fumante rien que pour lui. Les caméras roulent, le jingle reprend.

— De retour à la cuisine de Ricardo, nous recevons aujourd'hui Kenza et Levi qui se sont communiqué tout l'amour qu'ils ont pour l'autre dans de bons petits plats. Levi, as-tu hâte de goûter à ce que Kenza t'a préparé avec amour ?

Levi verrouille ses yeux bleu-céruléen dans les miens, mais contrairement à d'ordinaire, il n'y a aucune animosité.

— Très hâte, affirme-t-il en m'adressant un clin d'œil qui me fait manquer un battement de cœur.

C'était quoi ça?

Déstabilisée, je sens le sang me monter aux joues et lui rends un timide sourire avant de passer une mèche de mes cheveux derrière mon oreille pour rompre le contact visuel qui a mis le feu à mon être.

Le feu...

Je me redresse en me rappelant que j'ai altéré la recette juste avant que lui et moi enterrions la hache de guerre.

— Eh merde...

Je plaque ma main sur ma bouche quand je le vois porter la première bouchée à sa bouche. Elle est énorme, mais il la prend toute entière et mâche quelques secondes.

— Hmm, c'est-

Soudain, il arrête de mâcher, cligne rapidement des yeux et grimace.

— C'est comment tu dis ? demande Ricardo.

Les joues toujours pleines, son visage en train de rougir et les larmes aux yeux, Levi ne répond pas. Il me regarde, paniqué alors que le piment est clairement en train de ravager son fin palais.

Il se met à tousser, s'étouffant de douleur, transpire comme jamais, tape la table comme pour demander à l'aide, fait signe pour qu'on lui apporte un verre d'eau et l'avale avec sa bouchée infernale.

Il reprend son souffle, tel un cheval après une course, des larmes ruisselant toujours le long de ses joues et son visage ayant pris la couleur du piment qui le torture bien après qu'il ait avalé sa bouchée.

— Levi, on aura besoin d'un commentaire, le presse Ricardo qui ne comprend pas sa réaction.

— C'est...

Sa voix est enrouée, tabassée par le feu qui brule dans sa gorge. Toujours la main sur la bouche, morte de culpabilité, je le regarde agoniser.

— Délicieux...

Sous mes yeux médusés, Levi prend une nouvelle bouchée de la lave comestible que je lui ai faite. Encore une fois, il tousse, pleure, se met même à morver, boit beaucoup d'eau, mais il avale. Puis il recommence, encore et encore, jusqu'à vider l'assiette.

Comme il me l'a promis.

Sur le visage de tous, l'inquiétude est inscrite, mais je crois que comme moi, ils ont été trop absorbés par la réaction de Levi à mon tajine des enfers pour arrêter de filmer.

Levi s'excuse et quitte le plateau au pas de course. Je regarde l'assiette où il ne reste plus une miette et le remords me saisit. Sans prendre le temps de m'excuser, je pars à sa poursuite. J'ouvre la porte qui mène vers les toilettes et l'y trouve, torse nu, en train de vomir tout ce qu'il a ingéré en poussant des cris qui témoignent d'un intolérable supplice.

Il m'aperçoit du coin de l'œil.

— QU'EST-CE QUE T'AS MIS DEDANS ?!!! EEEURRGHHHH !!!

Je me retiens de vomir à mon tour quand il dégueule devant moi.

— J'ai... peut-être... ajouter beaucoup plus de piments sur le coup de la colère tout à l'heure...

Il tousse à s'en cracher les poumons et pousse encore pour évacuer la braise qui doit le bruler l'estomac, mais plus rien ne sort. Je l'aide à se relever pour qu'il aille coller sa bouche au jet du robinet du lavabo.

— Espèce de barge, crache-t-il entre deux gorgées salvatrices. Je te déteste.

Au lieu de m'en offenser, je me surprends à sourire alors que je lui masse le dos.

Peut-être bien que je suis un tout petit peu barge.


Coupé!

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