Scène 12

𝕊𝕔è𝕟𝕖 𝟙𝟚 : 𝕃𝕦𝕞𝕚è𝕣𝕖𝕤, 𝕔𝕒𝕞é𝕣𝕒𝕤, 𝕒𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 !

Levi

Ils étaient jeunes.

Ils étaient beaux.

Ils étaient heureux.

Ils s'aimaient.

En tout cas, ça en a l'air. À voir leur sourire, maman dans sa robe blanche, papa dans son costume sur mesure, entourés de tous leurs êtres chers, quelques minutes après avoir échangé des veux d'amour quasi inconditionnel, de soutien...

De fidélité.

Je décroche mes yeux de la photo grandeur nature accrochée sur le mur en face de moi pour les descendre sur ceux qui y figuraient, une trentaine d'années plus tard.

Ils discutent en mangeant le petit déjeuner préparé par les domestiques. Maman avec ses bigoudis aux cheveux magasine en même temps sur sa tablette et papa essaie de lire son journal comme tous les matins.

D'un œil extérieur, on dirait un de ses rares couples qui a trouvé le secret de la longévité. Malgré le temps passé, l'âge, malgré moi (l'arrivée d'un enfant est un tue-l'amour pour plusieurs couples), malgré l'attrait du train de vie hollywoodien ; excès, débauche, consommation, scandales.

Donald et Irina von Neumann sont les enfants sages de la télé.

D'un œil extérieur.

Je suis sans doute la seule personne qui sait que leur couple ne va pas aussi bien que chacun s'efforce de le prétendre... enfin... moi et leurs amants sans doute.

Je sais que maman voit plusieurs hommes et cela depuis plusieurs années. Enfant déjà, elle s'adonnait à toute sorte de tendresses avec eux et quand, mal à l'aise, l'un demandait si ça ne dérangeait pas que son fils les voit, elle répondait avec insouciance ;

« Oh ça va, il n'a que trois ans, ce n'est pas comme s'il va aller le raconter. Il ne s'en souviendra même plus d'ici une heure, hein mon Levi ? »

Je vous le donne dans le mille, je m'en souviens encore deux décennies plus tard, des baisers, des caresses, des gémissements derrière la porte pendant que je jouais au pompier ou que je regardais la télé censée me distraire.

Je sais aussi avec quasi certitude que mon père était et est toujours au courant des ébats de maman. Il n'y a qu'à voir le regard qu'il lui adresse quand elle nous sert un grossier mensonge en guise d'excuse pour ses absences et escapades.

Quel problème me direz-vous ? Un couple ouvert comme il s'en fait dès que la sexualité devient routinière.

C'est vrai.

Sauf que je doute qu'ils en aient convenu. Tout est dans le non-dit, pour sauver les apparences, ils jouent les aveugles. Un couple d'infidèles.

Si je connais le visage et même le nom des quelques hommes qui écartent les cuisses de ma mère, le dernier étant le jeune homme qui s'occupe de la piscine, j'ignore totalement l'identité des amantes de mon père.

Il est plus discret, moins désinvolte.

Ses excuses sont toujours bien ficelées, il ne laisse presque aucune trace. Toutefois, tous les soins qu'il apporte à dissimuler sa liaison n'ont pas suffi à ce qu'elle échappe à mon œil aguerri.

Des numéros enregistrés sous d'étranges pseudonymes, des numéros auxquels il refuse systématiquement de répondre quand je suis avec lui, même s'il ne fait que conduire. Les bribes de messages qu'il reçoit. Les cadeaux qu'il achète, mais que ma mère ne reçoit jamais.

Tout de même, le soin qu'il porte à son affaire m'a toujours intrigué. Parce que ça voulait dire une chose ; soit la personne qu'il voyait était assez proche de ma mère, ou de la famille, soit elle était elle aussi très célèbre et mariée.

Je n'ai jamais su de qui il s'agissait.

Une chose est sur elle était à la fête hier.

Mon père s'est absenté un long moment, comme souvent et contrairement aux autres fois, il est revenu cheveux désordonnés malgré une apparente tentative de les mettre en place et tenue un peu débraillée, le sourire de quelqu'un qui vient de se faire sucer aux lèvres, peut-être trop saoul pour voir qu'il dégageait le sexe.

Je ne suis pas le seul à avoir remarqué. Ma mère lui lançait des éclairs des yeux, un fond de jalousie dans ceux-ci.

La question c'est qui ? Qui lui a offert sa fin heureuse ?

Quelle importance? Je n'ai aucune intention de révéler l'affaire de l'un à l'autre. Savoir qui il baise ne me sert à rien.

Mes yeux retournent vers le jeune couple et comme chaque fois que je le regarde et que je le compare à celui d'aujourd'hui, je me promets que jamais je ne finirai comme ça avec Adèle.

Moi je lui serai fidèle toute la vie.

— Levi, mon cœur.

— Hm ?

— Tu ne manges pas ?

Mes yeux suivent les siens vers mon assiette qui n'a pas bougé. Faut croire que fixer ce couple et penser à mes parents en train de coucher m'a coupé l'appétit. Je soupire avant de me lever de table.

— Je n'ai pas très faim. En fait, je vais y aller maintenant.

— Maintenant ? Mais il n'est que 7h20.

— Oui, mais je veux arriver avec de l'avance, voir si je peux aider à la préparation du tournage. Toi tu arrivais bien en avance pour te préparer, dis-je en allant déposer un baiser sur sa joue.

— Oh, mon petit Levi, si professionnel et perfectionniste. Je suis très fière de toi.

Je lui souris. C'est un mauvais couple, je le concède, mais ce sont de bons parents, du moins ma mère. Peut-être même ne restent-ils en couple que pour moi, comme c'est souvent le cas des couples qui battent de l'aile mais demeurent ensemble, pour les enfants. Même si ça fait aujourd'hui quatre ans que j'ai quitté le nid familial.

Cette nuit, je suis exceptionnellement venu dormir chez eux parce que j'étais déjà dans le quartier. Je me tourne vers mon père.

— On se voit à 9h00.

— Oui.

Sans ajouter un mot, je leur tourne le dos et sort. J'inspire une grande bouffée de l'air matinal alors qu'un timide rayon de soleil me dit bonjour à sa manière. Je marche sur le chemin de dalles de pierre jusqu'à ma voiture que j'ai garée sur le côté de la courbe de l'allée. L'eau qui s'écoule de la fontaine se joint au chant des oiseaux. C'est une des choses qui me manque de cette maison. Il y fait bon, tôt le matin quand le soleil californien n'essaie pas de vous cuire et sans l'agitation de la journée.

Une fois dans mon véhicule, je me dirige vers le lieu de tournage.

Même maintenant, je n'arrive pas à croire que je vais jouer dans ce film alors qu'au départ je ne faisais qu'accompagner mon ami. Comme si ce n'était pas déjà chiant, l'actrice n'est pas celle que je voulais, pire encore, l'actrice est bonne à interner.

Ce qu'elle a fait hier...

Ça m'a tellement énervé. Je sais que je vais devoir l'embrasser pour le film, mais me sauter dessus comme elle l'a fait, devant public en plus. Si Adèle avait été là, j'aurais fait comment moi ?

Elle est vraiment malade.

J'arrive une petite demi-heure plus tard dans la librairie où nous devons tourner la rencontre entre Alice, écrivaine et fille de libraire et Henry qui est à la recherche d'un ouvrage qu'ils sont les seuls à posséder dans la région. Je trouve les camions de l'équipe de tournage déjà garé et les techniciens sont en train de préparer la scène. Hannah est si occupée à donner des indications sur la luminosité ou la position des objets pour que le décor corresponde à celui qu'elle se figure qu'elle me remarque à peine.

Je vais dans la caravane à mon nom pour me changer et enfiler les vêtements d'époque que vient de me donner la costumière. Pendant qu'on nous maquille, je discute avec Woody Ziemmer, l'acteur qui joue le père d'Alice.

Après quoi, je donne un coup de pouce pour la finalisation de l'installation du décor avant de me retirer et de répéter en attendant 9h30.

Alors que je répète mes répliques, je vois la barge faire son entrée, essoufflée. Elle s'excuse et salut tout le monde avant de prendre le costume qu'on lui donne et de courir se changer. Elle revient, habillée d'une robe modeste mais charmante quelque dix minutes plus tard.

Quand elle me remarque enfin, elle semble vouloir me dire quelque chose, mais je détourne le regard et m'éloigne d'elle. Qui sait si elle ne va pas encore m'embrasser sans mon consentement. À maintes reprises, elle tente d'établir le contact avec moi, cherche à s'excuser de ce qu'elle a fait hier, mais je l'évite minutieusement, jusqu'à ce que la scène débute.

Une fois dans nos rôles, on ne dirait pas qu'il y a de la tension ou un quelconque conflit entre nous. Elle interprète à merveille la douce fille de libraire qu'Alice est dans l'histoire alors qu'elle parle avec son père de leurs soucis financiers et qu'elle lui remonte le moral.

Entre alors Henry à la recherche d'un ouvrage pour un de ses cours de littérature à Stanford. C'est la sixième librairie qu'il fait et il désespère un peu. Il fait la rencontre d'Alice avec qui il échange un peu, sur le livre, sur son cours et les deux ont même un petit débat sur la qualité d'une autre œuvre d'un auteur anonyme, le tout alors qu'elle cherche l'ouvrage de sa convoitise. Henry qui ignore qu'Alice en est l'autrice en fait une critique assez acerbe avant qu'elle ne contre chacun de ses arguments.

Puis apparait le propriétaire de la librairie, le père d'Alice qui prend le relais avec ce client alors que sa fille retourne classer des livres un peu plus loin, non sans jeter quelques regards dérobés au bel érudit, l'oreille tendue. Le père reconnaît le fils de l'homme qui menace de faire détruire sa librairie ainsi que d'autres petits commerces de la rue marchande pour faire construire un cabaret et lui dit qu'ils n'ont pas ce livre.

Déçu que sa source se soit trompée et sentant l'animosité du vieil homme, Henry s'en va sans demander son reste. Alice qui n'a rien manqué de leur échange le suit jusqu'à sa voiture pour discrètement lui glisser l'ouvrage et s'évaporer aussi vite qu'elle est apparue.

— Coupé !

Je me tourne vers Hannah et Kenza sort de la boutique.

— C'était parfait ! On refera la scène, mais essaie de la poursuivre pour la remercier et toi Kenza, tu le repousses, il ne faut pas que ton père sache que tu as établi un contact avec un Hilton.

Nous acquiesçons à l'unisson.

— Bon, on fait une pause tout le monde ! On revient dans une heure, pas une minute de plus !

— OK ! s'exclament toutes les âmes sur le plateau.

Je profite de la pause pour manger et boire après avoir passé trois heures à jouer le ventre vide, ce qui a gâché une ou deux scènes.

Note à moi-même : ne plus jouer le ventre vide, il protestera bruyamment.

Heureusement, comme c'est toujours le cas et qu'on se connaît pas mal avec l'équipe pour avoir collaboré sur les projets passés, le tout a été pris dans la rigolade et on a repris comme si de rien n'était.

Alors que je croque dans une pomme en observant les gens discuter, manger, se préparer pour la reprise, je remarque Kenza Belbachir en train de boire de l'eau dans un coin isolé, avec son script.

Elle se met souvent à l'écart comme ça... on dirait que les gens l'intimident. En fait plus j'observe la salle, plus je suis mal à l'aise. C'est comme si personne n'avait remarqué que la vedette du film pour lequel nous sommes ici réunis est assise dans l'ombre.

Mais je doute qu'on ne l'ait pas vu. Je crois qu'ils l'ignorent sciemment. Je sais que le choix de Kenza en tant qu'Alice est loin de faire l'unanimité, même dans l'équipe de tournage. Rajoutez par-dessus cela le fait que comme moi, Adèle connaît et est même amie avec la plupart des gens ici.

Ils se sont rangés de son côté et ostracisent Kenza.

Ça ne semble pas la perturber plus que ça. Elle n'accorde pas plus d'attention aux gens présents qu'eux ne lui en accordent. Les yeux sur son script, elle répète avec diligence.

C'est bien la seule chose que j'apprécie chez elle, elle est aussi perfectionniste que moi.

Après la pause déjeuner, nous bouclons la scène de la rencontre et avec elle, la journée. Les prochaines scènes sont des scènes dans d'autres lieux et prévues pour plus tard.

Après m'être changé, je sors de la caravane et me dirige vers la salle où Hannah souhaite nous faire voir les prises.

— Levi.

Ughhh, pas elle.

Je presse un peu le pas pour faire comme si je ne l'ai pas entendue. Mais elle ne me lâche pas.

— Levi, je peux te parler ?

— Non.

— Levi, arrête-toi !

— Sinon quoi ? Tu vas encore me sauter dessus ?

Elle vient se poster devant moi, me bloquant l'accès à la porte que j'allais ouvrir.

— Non, mais c'est quoi ton problème ? On ne t'a pas dit que quand quelqu'un te parle tu t'arrêtes et tu écoutes ?! Pourquoi dois-je toujours te retenir physiquement pour m'entretenir avec toi ?

— Parce que tu ne comprends pas que je ne veux pas m'entretenir avec toi. Et puis pourquoi voudrais-tu t'entretenir avec moi ? Hein ? Ce n'est pas toi qui m'as dit qu'on ne devait plus s'adresser la parole ? Ça fait déjà deux fois que tu enfreins ta propre règle.

— Je sais ! Crois-moi, ça me fait autant chier que toi, d'avoir à te parler, surtout quand je dois te courir après, mais il faut que je te dise... pour hier... tu sais quand...

— Quand tu m'as embrassé sans mon consentement ? Je m'en rappelle vaguement oui.

— Je suis désolée, OK ? Je ne sais pas ce qu'il m'a pris sur le moment... en fait, c'est que...

J'attends qu'elle me dise ce qu'elle a de si important à me dire pour expliquer son geste d'hier. Mais on dirait qu'elle ne trouve pas les mots, ou le courage.

— Oh non, ne me dit pas que t'as le béguin pour moi, je vais me vomir dans la bouche.

Elle grimace presque instantanément.

— T'es malade ?

— Si tu savais combien de fois j'aimerais te retourner la question.

— Je ne t'ai pas embrassé parce que j'ai le béguin pour toi.

— Pourquoi alors ?

— Euh...

Je profite de son instant de confusion pour faire quelques pas vers elle. Surprise, elle recule et se retrouve entre moi et la porte dont elle m'a bloqué l'accès. Je me penche.

— Qu-qu'est-ce que tu fais ?

— Si ça se trouve, Blake n'est qu'une excuse et c'est moi que tu vises, c'est de moi que tu es folle.

La panique laisse place à un rire nasal.

— Et puis quoi encore ?

Je souris.

— Tant que tu ne m'auras pas donné d'explication valide à ce baiser, ce sera mon hypothèse. Je devrais en parler à Blake, pour savoir ce qu'il en pense-

Elle me saisit le col et rapproche mon visage du sien avant de siffler d'un ton menaçant.

— T'as pas intérêt à lui dire.

— Pour mon hypothèse ou que tu m'as embrassé ?

Son regard s'assombrit et l'instant d'une seconde, il m'absorbe et m'excite un peu.

Mais qu'est-ce que je raconte?

— Peu importe. Personne ne doit savoir ce qu'il s'est passé hier. Si tu le dis à Blake, je te le ferai regretter amèrement.

— Et tu vas faire quoi ? T'introduire chez moi ?

— Possible, et bien pire, si c'est nécessaire. Tu ne sais pas ce que je suis prête à faire par amour.

J'éclate de rire.

— Amour ? Quel amour ? Si tu parles du truc à sens unique que tu éprouves pour Blake, je te corrige ; c'est pas de l'amour, c'est une obsession. Il y a des gens qui se font soigner pour ça.

— Tais-toi, tu es est très mal placé pour me parler d'amour à sens unique alors qu'avec Adèle tu es dans la même situation que moi... pire même.

— Comment ça, pire ?

— Tu voulais savoir pourquoi je t'ai embrassé hier ? C'est parce que je ne voulais pas que tu ailles dans la serre chercher Adèle.

Je fronce les sourcils.

— Elle était dans la serre alors ?

Elle hoche la tête.

— Tu ne me demandes pas ce qu'elle y faisait ?

Devant mon silence qui trahit quand même ma curiosité, elle ajoute, un sourire malsain collé aux lèvres.

— Elle était en train de baiser.

Je sens ma poitrine se serrer.

— Quoi ?

— Tu es sourd ?

— Tu mens.

— Je dis la vérité. Elle s'est retirée dans la serre pour se faire soulever par un homme et ma vision n'est pas parfaite, mais je suis presque sûre que ce n'était pas toi. Alors, ne me parle pas d'amour comme si toi tu avais une idée de ce que c'est. Ton Adèle ne t'aime pas, loin de là, j'ai observé tes amis, je doute qu'ils t'aiment eux aussi et je ne crois pas que tes parents soient le meilleur exemple de ce qu'est l'amour.

Comment-

— C'était qui ?

— Ah, maintenant tu me crois ?

— C'était qui ?!

— Qu'est-ce que ça change ? Elle ne t'aime pas et franchement, je crois que personne ne t'aime.

— Pardon ?

— Je veux dire, mis à part de Blake. Personne ne t'aime autant que lui, alors sors-toi de la tête que quelqu'un, et encore moins moi, pourrait un jour avoir le béguin ou aimer une personne aussi négative et désagréable que toi. Personne ne t'aime.

Après sa tirade, Kenza me fixe, attendant ma réaction à sa pique- que dis-je- au coup de poignard qu'elle vient de me planter en plein cœur. Parce qu'au fond, ses paroles ont un rien de vérité. Si l'on me traite avec égard, c'est simplement parce que je suis le fils de Donald et Irina von Neumann. À part Blake, je n'ai vraiment personne et lui aime tout ce qui a un pouls donc...

Je sens mon sang bouillir en repensant à ce qu'elle vient de me dire sur Adèle. J'ai passé la soirée à la chercher, pour avoir une conversation privée avec elle, lui avouer mes sentiments comme je l'avais répété pendant la journée et elle, elle...

Putain!

Je donne un coup sur la porte, à quelques centimètres de la tête de cette mijaurée de Kenza avant de la tasser et d'entrer dans la salle où l'équipe est réunie devant l'écran qui projette les scènes. J'entends les pas de Kenza qui me suit pour elle aussi venir regarder le résultat de la journée.

Seulement, quand j'arrive au niveau des autres qui semblent totalement absorbés par quelque chose, je vois que ce n'est pas la scène qu'on a filmée qui est à l'écran.

Oui, Kenza et moi y apparaissons, mais pas ici, pas aujourd'hui, mais hier. On nous y voit nous confronter et...

— Oh non...

Les têtes de tous se tournent vers moi au moment où Kenza m'embrasse.

— Quoi ?

Je pointe l'écran et elle suit mon doigt avant de mettre sa main sur sa bouche.

On nous a filmés.

On nous a filmés alors qu'elle m'embrassait.

Kenza et moi nous regardons en réalisant la merde dans laquelle on est.

— Je ne savais pas qu'on nous filmait.

— Crétine, t'es une vedette, on est toujours en train de te filmer, bordel !

Elle baisse la tête. Je roule les yeux et vais vers l'ordinateur qui diffuse l'image pour débrancher le projecteur, expliquer à tous que je suis la victime de Kenza, leur demander de n'en parler à personne et supprimer la vidéo.

— Qui a filmé ça ? demandé-je quand j'arrive au niveau d'un technicien devant l'ordinateur.

— Personne ici.

— Comment ça ?

Il réduit la vidéo qui prenait tout l'écran pour l'afficher en miniature à côté de mots, de phrases, de paragraphe.

Un article de la presse people.

— C'est pas vrai...

Je défile et vois le titre : La romance dépasse la frontière de l'écran ; Levi et Kenza aperçus en plein moment d'intimité lors d'une fête.

— Non, non, non...

Je vais dans la barre de recherche, tape nos deux noms et déjà une vingtaine d'articles publiés il y a moins de trois heures relayent l'information sur le baiser et s'adonnent à des spéculations sur la nature de notre relation.

— Ouhh, je ne savais pas que vous sortiez ensemble, commente Hannah. Ça explique la chimie.

— On ne sort pas ensemble ! nous écrions-nous en cœur.

— Vous savez, vous pouvez nous le dire à nous, on gardera votre couple secret... secret, ricane ma maquilleuse.

Mais j'hallucine!

— On n'est pas dans un couple secret.

— C'est ce que disent les couples secrets.

Comme un seul homme, la salle opine, sourires malicieux aux visages.

— J'ai dit qu'on n'est pas ensemble !

Je porte mes yeux vers Kenza qui regarde encore l'écran avec horreur, parce que si c'est dans les magazines, Blake verra aussi ce baiser qui n'aurait pas dû avoir lieu.

— Explique-leur !

— Euh... non... non, on n'est pas ensemble. On... on ne faisait que répéter la dispute entre Alice et Henry.

Quoi?! Bon, c'est pas plus mal et c'est mieux que dire la vraie raison.

Elle me regarde, m'intimant de l'appuyer dans son mensonge.

— Oui, c'est ça. On répétait.

Étonnamment, la déception lave tous les visages quand on leur dit que leur petite fantaisie concernant notre pseudo couple n'est que cela, une fantaisie.

— C'est dommage, vous seriez si mignon comme couple, commente Hannah.

Je la fusille du regard et elle rit avant d'ajouter :

— En tout cas, le public semble adorer l'idée du couple devant et derrière caméra. Regardez les commentaires.

Elle défile au bas de la publication et des gens, à l'instar des auteurs, spéculent sur notre pseudo couple, sur le sujet de notre dispute. Certains n'y croient pas, d'autres comme Kenza avancent la possibilité qu'on répétait simplement, d'autres encore disent qu'on s'est séparé à ce moment-là, d'où la dispute.

Mais ce qui revient souvent c'est des commentaires d'utilisatrices qui sont totalement fan de la possibilité qu'on forme un couple.

Angela Osborn : Je ne voulais pas voir ce film, mais s'ils sont en couple c'est sure que la tension va être incroyable.

Et sous son tweet, des centaines de gens déjà la rejoignent dans son idée. Des photos montages de nous sont déjà faites, me faisant encore plus redouter la puissance et la vitesse des réseaux sociaux. Bien évidemment, il y a encore quelques détracteurs de Kenza qui s'en prennent à elle et somment les autres de ne pas oublier qu'elle n'est pas la bienvenue, mais en plus d'être engloutis par la réponse positive au couple, ils se font attaquer.

C'est tout ce qu'il a fallu pour renverser l'opinion publique ; un baiser volé filmé à notre insu.

— N'importe quoi.

Je rabats violemment l'écran de l'ordinateur et sors de la pièce, non sans donner un coup d'épaule à cette fille à cause de qui cette rumeur infâme circule à présent.

— Tout ça, c'est de ta faute, lui soufflé-je avant de sortir.

Mais comme le pot de colle qu'elle est, Kenza me poursuit en m'appelant, mais cette fois, je refuse de m'arrêter.

J'ouvre la porte qui mène hors du bâtiment, mais moi qui souhaitais rentrer tranquillement chez moi pour la maudire elle, ses ancêtres sur chameaux et toute sa descendance, je tombe sur un groupe de paparazzi.

Oh, non... ils nous ont trouvés, bordel! Tout, mais pas ça.

Au même moment, Kenza sort et attrape le manche de mon t-shirt pour m'obliger à l'écouter.

— Lâche-moi, soufflé-je

— On doit parler, je ne savais pas, je suis désolé-

— C'est pas le moment, devant nous.

Kenza regarde enfin droit devant elle juste au moment où les flashs nous aveuglent. Les photographes fondent sur nous et nous entourent littéralement, ne nous laissant aucune issue. Commence alors la salve de questions :

— Est-ce vrai que vous sortez ensemble ?!

— Depuis combien de temps ?!

— Pourquoi vous disputiez-vous hier ?

— Est-ce pour cela que vous avez été prise pour le film ?!

— Levi !

— Kenza ! Kenza, répondez s'il vous plait !

Je tente de me défaire d'eux, de quitter le piège qu'ils ont refermé sur nous, mais il n'y a pas plus féroce que des paparazzi qui veulent vous arracher un scoop. Ils referment carrément l'emprise en nous serrant encore plus. Kenza prend même un coup, sans excuses du responsable.

— Depuis combien de temps sortez-vous ensemble ?!

— Mais poussez-vous, je veux passer !

Peine perdue. Ils sont sourds à ce qui ne les intéresse pas et l'espace personnel est un concept qui leur est étranger.

— Tout le monde pensait que vous étiez peut-être en couple avec Blake, pourquoi avoir choisi Levi ?

Comment ça, pourquoi avoir choisi Levi ? C'est quoi, je suis un terrible choix ?

«Personne ne t'aime.»

— Les rumeurs comme quoi vous seriez amoureux d'Adelaïde Cimone sont-elles donc fausses ?! Était-ce la raison de votre dispute ?!

Quand il mentionne Adèle, je repense à ce que Kenza m'a dit et à nouveau, la colère m'envahit. Moi qui me gardais de mal réagir, je deviens aussi violent qu'eux, les poussant sans scrupule. Ils s'indignent, mais qu'est-ce que j'en ai à faire ? Je réussis à me frayer un chemin.

J'entends encore Kenza peiner à se dégager d'eux, mais ce n'est pas mon problème. Elle n'est pas mon problème. Je veux juste partir d'ici, loin d'eux, loin de Kenza et ne plus penser au fait que la femme que j'aime en aime un autre.

— Il la laisse derrière...

— Qui laisse sa copine derrière ? Et la galanterie Levi ?! Tu la laisses sur le plateau ?!

Ils te provoquent, ne réponds pas.

— Le pire des petits amis.

— Toujours aussi désagréable, hein Levi ! crie un de paparazzi.

Ne réponds pas.

— Pas étonnant que personne ne t'aime ! ajoute un autre.

«Personne ne t'aime»

C'est peut-être les mots de Kenza qui me font mal parce qu'ils sont vrais, ma colère envers Adèle ou envers Kenza, mais je m'arrête d'un coup, fais demi-tour et fonds sur le journaliste qui n'a pas le temps de réagir avant que je ne le saisisse par les sangles de son appareil photo pour l'attirer à moi.

— Retire ce que tu viens de dire !

Voyant que sa provocation a porté fruit, et qu'il m'a sorti de mes gonds, son sourire à croquer la fortune s'élargit.

— Au contraire, je vais répéter ; la rumeur de votre couple est sans doute fausse, qui voudrait sortir avec toi ? Personne ne t'aime.

Mes yeux voyagent vers Kenza qui est en train de se noyer dans le blocus humain et les questions et, ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas plus que vous, je relâche le paparazzi, attrape le bras de Kenza, l'extirpe de leur emprise avant de l'accoler à moi.

Elle ouvre grand les yeux.

— Levi ?

Mes mains se saisissent de son visage avant que je n'écrase mes lèvres contre les siennes.

Le temps est suspendu pendant une seconde de pur silence, avant qu'un tonnerre de craquement d'appareil photo et de flashs ne s'abatte sur nous. Kenza se crispe, si bien que j'ai accès à sa bouche assez longtemps pour un long baiser, pour être sûr que ces vautours ne manquent rien de la scène.

Puis, je me sépare d'elle et regarde le paparazzi insolent droit dans les yeux.

Tais-toi...

— Détrompez-vous, on sort bien ensemble. Vous avez eu votre photo et votre info, maintenant laissez-nous tranquilles.

Je lâche Kenza, la laisse là, totalement larguée, tourne les talons, vais dans ma voiture, démarre et mets les voiles. À ce moment, je ne mesure pas encore les répercussions de mon geste. Tout ce à quoi je pense c'est cette phrase :

«Personne ne t'aime.»

Coupé!

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