Scène 1


𝕊𝕔è𝕟𝕖 𝟙 : 𝕃𝕦𝕞𝕚è𝕣𝕖𝕤, 𝕔𝕒𝕞é𝕣𝕒, 𝕒𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 !

Kenza

Je promets que je n'étais pas venue avec l'intention de m'introduire par effraction dans la chambre de Blake Donovan.

Premièrement, pour ma défense, je ne me suis pas vraiment introduite dans la chambre de Blake. Bien que le désir y soit, je le tiens trop en estime pour ainsi violer son intimité.

Je me suis seulement introduite dans sa chambre d'hôtel, nuance.

Et puis comme je l'ai dit, ce n'était nullement mon intention au départ, de me retrouver dissimulée sous son lit pour éviter que lui et son compagnon me repèrent. Je ne suis que la victime d'un enchainement de circonstances hors de mon contrôle.

Bon OK, Blake est mon idole de toujours, l'homme que j'admire et j'aime de tout mon cœur et malgré la gravité de ma situation, je ne regrette rien.

Ok, j'ai traqué ses déplacements des derniers jours quand j'ai appris son retour au pays après un mois de tournage à l'étranger, grâce à ses réseaux sociaux.

C'est vrai, dès que j'ai reconnu le lobby du Fairmont Hôtel où ma colocataire est femme de ménage, je l'ai suppliée de la remplacer une seule soirée pour avoir l'opportunité de demander un autographe et une photo.

Je le reconnais, je suis restée après la fin de son quart parce que je n'ai pas eu la chance de la croiser dans le couloir au cours de ce dernier.

J'avoue que quand Israe a commencé à me menacer et à me presser de rentrer avec son uniforme, j'ai un peu paniqué et j'ai décidé de faire semblant de me tromper de chambre à nettoyer.

D'accord, en ne voyant personne dans sa chambre, je me suis autorisée à m'y aventurer un peu ; à sentir ses vêtements, à les essayer, à consulter son agenda et-

Quoi ?! C'était plus fort que moi !

Vous allez me faire croire que vous n'auriez pas fait de même si vous aviez l'opportunité d'être si près de votre idole que vous avez l'impression de ne faire qu'un ? Soit ce n'est pas vraiment votre idole, en quel cas votre jugement de m'intéresse pas, soit vous n'êtes qu'une bande d'hypocrites.

Ce que j'essaie de dire c'est que je ne suis pas cinglée.

Ce qui m'a menée ici, dans cet hôtel, dans cette chambre et maintenant sous ce lit, ce n'est pas de la folie ; c'est de la dévotion.

C'est elle qui fait que je sais presque toujours où se trouve Blake, c'est elle qui m'a permis de tout savoir sur lui, d'étudier toute sa cinématographie, d'être présente à presque toutes ses apparitions publiques, de suivre ses pas en choisissant moi aussi la carrière d'actrice, en quittant le foyer familial pour m'installer à Hollywood et poursuivre mon rêve. C'est elle qui me fait persévérer lors de périodes difficiles ; elle et l'espoir.

L'espoir qu'un jour, Blake et moi appartiendrons au même monde, qu'il m'aimera comme moi je l'aime. L'absolue conviction qu'il sera à moi.

Parce qu'il est à moi.

Et à défaut de pouvoir le réclamer dans l'immédiat comme je le souhaiterais, et bien, je me suis accordé un avant-goût de lui : de son odeur, de son horaire, de son talent. Je n'ai aucune mauvaise intention à son égard, alors je ne vois pas où est le mal à cela. Je ne suis qu'une inoffensive admiratrice qui s'est un peu laissée aller et qui, n'ayant pas vu l'heure avancer, se retrouve sous le lit d'une célébrité.

Si je ne bouge pas, si je ne fais aucun bruit, ils ne se rendront pas compte qu'une fille est cachée sous le lit. Alors Blake ne saura jamais que j'étais là et ce sera tout comme si je n'étais jamais entrée par effraction dans sa chambre d'hôtel.

C'était le plan, mais je viens de sentir quelque chose atterrir sur mon visage, bouger et puis ramper. Quand je comprends qu'une araignée est sur moi, je panique et donne plusieurs coups sur mon visage pour l'en dégager, oubliant que je ne devais pas bouger ou produire de son.

— Tu n'as pas entendu un bruit ? demande la voix masculine qui accompagne celle de Blake depuis leur entrée il y a bientôt une heure.

C'est celle de Levi von Neumann, le meilleur ami de Blake.

Sa présence ne m'étonne guère, ils font la promotion d'un film sur lequel ils ont joué tous les deux. Une première depuis « Two of a Kind », la série qui avait été la révélation des enfants stars, il y a de cela plus de 10 ans. Ils y incarnaient de faux jumeaux diamétralement opposés ; Blake était le bon garçon et Levi, la mauvaise graine et tous deux avaient une adorable petite sœur, incarnée par l'actrice Adélaide Cimone avec qui ils sont encore très proches aujourd'hui. C'est en regardant cette série, âgée de six ans, que je suis tombée amoureuse de Blake et il a été ma seule et unique obsession depuis.

— Si tu parles des cris des dizaines de filles qui m'attendent dehors, oui, j'ai entendu, répond Blake.

— Non, à l'instant. J'ai entendu un bruit, ici, dans la pièce.

Je cesse de respirer quand il mentionne m'avoir entendue. Tous les deux se taisent, à l'écoute de ce bruit qu'aurait entendu Levi, mais comme je retiens mon souffle, ce n'est en effet que les lointains cris des fans agglutinées dehors qui bourdonnent.

Blake lâche un rire moqueur.

— T'es parano ou c'est les effets du décalage horaire ?

— La ferme. Je doute de la sécurité de cet hôtel, c'est tout, se défend Levi sur un ton désagréable.

Toi la ferme. Et parle mieux déjà.

Je me suis toujours demandé pourquoi ils étaient amis. Leurs personnalités ne pourraient pas être plus aux antipodes. Alors que Blake est adorable, chaleureux et lumineux, son meilleur ami est lui abrasif, froid et un peu effrayant.

Il faut croire que certaines préfèrent ça, les garçons ténébreux, hautains, mal poli et pénible puisque parmi les filles là dehors, la moitié sont venues expressément pour lui.

Moi, il me débecte.

Pourtant j'ai essayé de m'intéresser à lui quand j'ai su qu'ils étaient très amis, Blake et lui. Après tout, si je voulais un jour finir avec Blake, il fallait que son entourage m'adore.

Ce goujat de Levi m'a sciemment ignorée lors d'un fan meeting avant de se lever et de partir, trois heures avant la fin du meeting pour lequel on avait payé ! Il était parti avec le bracelet que je réservais à Blake qui était assis à sa gauche.

Il déteste ouvertement ses admiratrices et les traite comme si ce n'était pas à elles qu'il doit sa gloire et son compte en banque bien fourni. Tout le contraire de Blake qui ne cesse jamais d'exprimer sa gratitude, accepte toutes les demandes de photos ou d'autographes, laisse les fans le toucher, engage des discussions avec elles, accepte les cadeaux. Ma théorie est que Blake, contrairement à Levi dont les parents sont très influents dans l'industrie du cinéma, doit sa célébrité à son seul travail. Il sait être reconnaissant, et pour cela, il aura mon éternelle adoration.

Et pourtant, comme nord et sud magnétique, ils sont unis depuis près de deux décennies et passe le clair de leur temps libre ensemble. Ça me dépasse, mais bon, même quelqu'un d'aussi déprimant que Levi n'a pas su résister au charme de Blake, alors pourquoi le ferais-je ?

— Oh détends-toi, toujours à imaginer le pire, maugrée Blake.

— C'est toi qui n'imagines pas suffisamment le pire. Tu as vu toutes ces filles dehors ? Et le peu d'agents que l'hôtel a mis à notre disposition, n'importe laquelle d'entre elles aurait pu s'introduire ici.

— Tu penses qu'il y a une de mes groupies cachée dans la penderie ? le taquine Blake.

Levi marque une pause, puis je vois ses pieds se diriger vers ladite penderie qu'il ouvre pour vérifier.

— Alors ? Il y en a combien ? Elles sont jolies au moins ? se moque Blake en s'asseyant sur le lit.

Je dois mettre ma main sur ma bouche pour me retenir de pouffer de rire.

— La ferme, répond Levi en refermant la penderie. Si tu n'avais pas posté ces photos, elles ne sauraient pas où on séjourne et ne seraient pas agglutinées à l'entrée à cette heure.

Il est allé vérifier. Je souffle en réalisant que si Blake avait plutôt dit sous le lit, je me serais fait prendre.

Blake, ricane, insoucieux.

— C'est fou la vitesse à laquelle elles ont trouvé l'hôtel juste avec la photo du hall. Ça fait peur parfois, mais ce n'est pas grave.

— Pas grave ? C'est inacceptable et flippant que des inconnues soient au fait de tes moindres faits et gestes. Tu pourrais un jour tomber sur une fanatique qui a la politique du « si je ne l'ai pas, alors personne ne l'aura ». Comme celle d'il y a deux ans.

Il y a deux ans, quand Blake s'est mis en couple avec une chanteuse, une admiratrice folle de jalousie avait fait irruption dans un restaurant où tous deux avaient rendez-vous et les avait menacés avec une arme à feu.

Je sais, une vraie folle !

Heureusement, un garde du corps les suivait et était posté non loin. Il l'avait maîtrisée, mais ça aurait vraiment pu mal tourner, elle aurait pu blesser Blake... ou même le tuer ! J'en ai fait des cauchemars pendant des mois.

Il me coute de partager son opinion, mais Levi a raison sur ce coup. La sécurité de cet hôtel n'est vraiment pas au point. Personne n'a fait attention au fait que je n'étais pas vraiment Israe. Ils ont vu une fille de couleur en uniforme de femme de ménage et c'est tout ce qu'il m'a fallu pour entrer. De plus, l'agent censé surveiller l'étage prend des pauses clope toutes les heures, laissant le champ libre à n'importe quel énergumène de pénétrer le périmètre supposément sous étroite surveillance.

Et si une fan mal intentionnée s'était introduite ici ? Je porterai plainte une fois sortie d'ici. C'est dangereux pour Blake !

— Tu en es où avec tes répétitions ? demande Levi, tanné des railleries de son ami.

Le changement de sujet capte mon attention.

— Je connais mes répliques par cœur, qu'est-ce que tu crois ?

— Récite-moi les lignes 42 à 90 de la scène de la première séparation.

— Voyons... 42... « Alice, notre amour n'a point sa place. Je suis un Hilton et vous... que diraient les gens de la bonne société ? Ma famille ? Je suis promis à la Élise de... de... »

— Lorimier, lui souffle Levi.

— « De Lorimier, son père et le mien sont partenaires, il est de mon devoir de... euh... »

— « D'assurer la pérennité de notre affaire en joignant nos deux maisons. » Mec, tu as vraiment répété ?

— Oh c'est bon, on a eu les scripts hier, comment veux-tu que je retienne tout ça en moins de 24h ?

— Je l'ai fait moi.

— Tout le monde n'est pas comme toi.

— Je comprends, mais les auditions sont dans moins d'une semaine, tu le veux ce rôle ou pas ?

Les auditions? Les auditions de quoi?

— Oui... ce serait l'accomplissement ultime que de jouer Henry. Les filles adorent déjà cette romance en livre, alors imagine le succès du film.

Quel film?! Il va jouer dans un nouveau film? Une romance en plus?

Je me retiens de couiner d'excitation sous le lit.

— Dans ce cas, applique-toi. Retenir le script ce n'est même pas 30 % du travail, après il faut l'interpréter comme il se doit, te l'approprier.

— Tu ne vas pas m'apprendre mon métier non plus, s'énerve Blake. Je sais ça. Je vais m'y mettre plus sérieusement bientôt, même si je ne doute pas une seule seconde que j'aurai ce rôle.

— Ah oui ? Tu ne crains pas que quelqu'un d'autre soit sélectionné ?

— Du tout. Les auditions pour le rôle masculin ont eu lieu longtemps avant notre retour du tournage et pourtant ils nous ont conviés à une audition en différé. C'est évident qu'ils savent qu'avoir mon visage dans ce film fera exploser le box-office. Cette audition n'est qu'une formalité. À part toi, personne n'est à la hauteur de mon jeu, et comme le rôle ne t'intéresse pas, je peux dormir tranquille.

— J'ai dit à Hannah que je ne voulais pas jouer Henry, mais elle m'a quand même envoyé le script.

— Au moins, tu me seras utile pour répéter.

— On peut commencer maintenant-

— Ah non ! Hors de question. On vient de finir la promotion de «Run », je suis crevé, mon horloge biologique est encore réglée sur l'heure des Philippines et je n'arrive pas à me concentrer avec ce vacarme, là dehors. Ce soir, c'est soirée détente. On sort.

— Tu veux aller où ?

— En boîte, me saouler et me trouver une jolie fille à ramener ce soir.

— Comme tous les autres soirs, commente Levi.

Blake, aucunement insulté, rétorque :

— Faut bien que je profite de ma vasectomie. Toi aussi tu devrais te trouver une jolie fille pour te détendre ce soir, tu es si crispé. Alors ?

Levi soupire, résigné. Moi je ravale le nœud de jalousie et d'envie qui s'est formé dans ma gorge à l'idée qu'une autre fille que moi sera dans ses bras. Mais je ne m'en indigne pas, il a le droit, je respecte sa vie privée, mon tour viendra, ce n'est que partie remise.

Et moi je serai sa dernière.

— On fait comment pour passer tes fans hystériques devant l'hôtel ?

Blake se lève du lit, ouvre la penderie.

— Tiens, j'ai toujours un déguisement en plus. Allons-y.

Tous deux se dirigent vers la sortie, la lumière s'éteint.

— L'audition a lieu où déjà ?

— Au centre de convention, suite 200, en salle 14, jeudi à 13h00, indique Levi de manière quasi robotique. En même temps que les auditions du rôle féminin, je crois.

— Ok, s'éteint la voix de Blake avant que la porte ne se referme.

La salle est de nouveau plongée dans le silence et les battements de mon cœur ralentissent. Je sors de ma cachette et allume la lumière.

Oh mon dieu!

Blake va jouer dans une nouvelle romance!

Je pousse un petit cri et sautille sur place. J'ignore totalement de quel film il s'agit, mais ça avait l'air d'une histoire d'amour impossible ; mes préférées ! J'ai si hâte !

Oh que j'aimerais être cette Alice dont il parlait ! J'aimerais qu'il m'aime bien que l'on soit issus de milieux si différents et qu'il soit prêt à tout délaisser pour moi, qu'on se marie et qu'il me fasse tendrement l'amour.

— Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!

Je m'arrête de sautiller et regagne mon sérieux.

— Il faut que j'obtienne ce rôle.

C'est crucial.

C'est vital.

Mais comment ? À les entendre, il s'agit d'une grosse production. Pour ce genre de film, les auditions ne sont pas ouvertes à tous, les candidats sont présélectionnés parmi un bouquet de célébrités déjà connues ou il faut avoir des contacts dans le monde du cinéma pour y être invité.

Une simple étudiante en théâtre comme moi n'obtiendrait jamais de convocation à ces auditions qui ont lieu dans des endroits tenus confidentiels. Sauf que maintenant je sais où et quand aura lieu cette audition réservée aux V.I.P.

Jeudi, Centre de convention, suite 200, salle 14 à 13h00.

Je me le ferai tatouer s'il le faut!

— Ah, mais savoir le lieu et l'heure de l'audition ne me mènera nulle part si je ne sais même pas de quel film il s'agit. On ne m'a pas envoyé d'invitation ni de script...

Je me mords les ongles à la recherche d'une solution en promenant mon regard dans la salle. Il atterrit sur le lit où reposent deux documents. Je m'en approche pour constater que ce sont les scripts, l'un adressé à Blake, l'autre à Levi.

Levi a dit que le rôle ne l'intéressait pas, alors je peux prendre son script, non ? En plus, il l'a déjà mémorisé de ce que j'ai entendu. Il ne lui sera d'aucune utilité. Comme ça, Blake garde le sien et peut répéter pour avoir le rôle.

— Tu es un génie, Kenza.

Je prends le script de Levi, le consulte rapidement, le serre contre ma poitrine et me dirige vers la sortie telle une souris avec son précieux morceau de gruyère.



Levi

Après avoir avisé l'agent de sécurité assigné à notre étage, et revenu de je ne sais où, de notre petite escapade, Blake et moi avons pris l'ascenseur menant au rez-de-chaussée. Au lieu de nous diriger vers le hall, nous avons bifurqué en direction de l'arrière de l'hôtel, à la recherche d'une sortie plus discrète et ainsi éviter la cohue. Nous sommes près de la sortie de service quand je réalise que j'ai complètement oublié les clés de ma voiture dans ma chambre. La sienne est entourée des groupies qui ont pris d'assaut l'entrée principale de l'hôtel.

— Je reviens, je vais chercher mes clés.

— Ok me dit-il en s'adossant et en ajustant ses lunettes et son bonnet de hipster cliché.

Tu parles d'un déguisement.

Je fais demi-tour, reprends l'ascenseur en direction du huitième étage où se trouve ma chambre, voisine avec celle de Blake. J'entre à l'aide de ma carte magnétique, trouve les clés sur la table de chevet et ressors.

Alors que je ferme la porte de ma chambre, celle de Blake s'ouvre.

Qu'est-ce que-

Quelqu'un vêtu d'une veste à capuche noire que je jurerais être une de celle de Blake en sort, sans remarquer ma présence, et referme la porte doucement, à la manière de quelqu'un qui veut se faire le plus discret possible. Puis cette personne, une femme apparemment, lève enfin la tête et tombe nez à nez avec moi.

La terreur la paralyse. Elle porte un masque sanitaire blanc et des lunettes fumées noires alors je ne distingue pas les traits de son visage.

— Qui êtes-vous ? Et que faisiez-vous dans cette chambre ?

— Euh... entretien ménager, moi nettoyer la chambre de monsieur Donovan, pond-elle dans un accent espagnol cliché à souhait.

— Entretien ménager vous dîtes...

Mes yeux descendent sur ses bras chargés qu'elle tient près de sa poitrine et je reconnais le script, mon script, dans ceux-ci. Ses yeux suivent les miens avant de remonter à moi pour constater que je sais qu'elle n'avait rien à faire dans la chambre et qu'elle a essayé de nous voler.

— Mon script- Sécurité !

— Merde...

Elle tourne les talons et prend la fuite.

— Sécurité !

Je regarde les alentours, mais le garde que l'hôtel avait promis de poster à notre étage n'est pas là. Vraiment du grand n'importe quoi !

— Bordel ! juré-je en la prenant en chasse moi-même.

Quand elle réalise que je la poursuis, elle accélère, arrive devant l'ascenseur, clique à maintes reprises, abandonne en voyant que je la rattraperai avant qu'il n'arrive, poursuis sa course vers le fond du couloir où elle pousse la porte menant aux escaliers de secours.

Je pousse à mon tour la porte et l'entends descendre à toute vitesse.

— HEY !!!! REVIENS ICI !!!!

Elle lève la tête deux étages plus bas avant de reprendre sa course. Je déboule moi aussi les escaliers pour l'attraper. Ce script doit rester confidentiel, si une des fans de Blake met la main dessus, elle partagera l'information sur le film à tous.

Elle court vite!

Elle court vite, mais la distance entre nous rétrécit, car malgré son avance, trois de ses pas équivalent à un seul des miens. Elle pousse la porte qui mène au hall alors que je la talonne. Quand elle s'en rend compte, elle met les bouchées doubles. Les clients de l'hôtel se tournent vers nous.

— SÉCURITÉ !! crié-je pour que les deux hommes à l'entrée qui s'assurent qu'aucune fan de Blake n'entre l'interceptent.

Mais ils ne m'entendent que trop tard, elle passe leur niveau et sort du bâtiment.

Putain!

Je m'élance aussi dehors où, en me voyant, des cris féminins se font ouïr. J'ignore si c'est moi qui aie accéléré ou si c'est elle qui fatigue, mais je parviens à attraper son bras et la retenir. Aussitôt, elle commence à se débattre.

— Lâche-moi !

— Tu pensais pouvoir me voler et t'en sortir? Viens, on va appeler la police, dis-je en la traînant.

— Non ! Pas la police !

Elle se débat encore, donnant des coups sur mon bras pour que je la lâche. Excédé, je me tourne vers elle, l'attire à moi, lui retire sa capuche, ses lunettes et son masque.

— Si et-

Je reste sans mot quand ses yeux d'ambre derrière ses larmes rencontrent les miens. Ils m'envoûtent le temps d'un instant où mon cœur rate un bon. Mes yeux se promènent sur le visage le plus captivant qu'il m'ait été donné de voir ; il est marqué par des sourcils épais, mais chirurgicalement tracés, de la même couleur que ses cheveux aux boucles et aux frises indomptées, des cils longs comme je n'en ai jamais vu, des joues ayant pris une teinte qui fait ressortir l'éclat de sa peau riche, un nez légèrement proéminent, des lèvres pulpeuses qui promettent des merveilles et laissent entrevoir des dents blanches qui s'ouvrent et-

— ARRRGHHHHHHH !!!!!!!!!!!!! m'époumoné-je quand elle me mord la main.

Elle profite de mon manque d'attention pour me donner un coup de poing dans l'œil avant de se défaire de moi et de reculer.

— Désolée, lâche sa petite voix avant qu'elle ne remette sa capuche et fasse demi-tour pour aller se fondre dans la foule de groupies.

Moi je vois encore des étoiles alors je ne parviens pas à la suivre. J'inspecte ma main où les traces de ses dents sont encore, avec sa salive.

Bordel!

— Ça va, Levi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Je me tourne pour voir Blake, sans son déguisement, poser sa main sur mon épaule. Mes yeux retournent dans la foule de filles qui hurlent à la mort en voyant leur idole, mais je ne la vois plus, elle s'est évaporée.

— Mon script...

— Hein ?

— On m'a volé mon script.

Kenza

J'ai volé le script!

Oh putain!

Oh putain!

OH PUTAIN!!

Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie ! J'ai vraiment cru qu'il m'avait attrapée et que je finirais ma nuit en prison et que je déshonorerais ma famille et que Blake me prendrait pour une folle. Mais je m'en suis sorti grâce au crochet du droit que j'ai tellement mangé plus jeune, de la part de mes frères.

Après avoir jeté un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule pour m'assurer que Levi ou la police n'est pas parvenu à me trouver, je fouille dans mes poches et extirpe les clés de l'appartement. J'ouvre la porte, me déchausse et m'y introduis. Je passe le salon où Amar regarde une autre série turque.

— Alors, tu as eu un autographe ?

Non, sa veste et la chance que j'attends depuis toujours de jouer avec lui.

— Tellement mieux !

— C'est bien.

Si tu savais!

Je bifurque aussitôt vers ma chambre, que je ferme à clé, mais dès que je me tourne, je tressaute en voyant Israe assise sur mon lit, bras croisés. Mon euphorie de la dernière heure part en fumée.

— Isra-

— On avait dit qu'à la fin de mon quart tu devais partir.

Je jette un coup d'œil vers le cadran près de mon lit. Bientôt minuit, cela fait plus de trois heures que son quart de travail a pris fin.

— Je sais, mais-

— Mais quoi ? Déjà que j'ai mis mon job en péril pour que tu puisses avoir ton stupide autographe, t'es même pas foutue de respecter notre entente.

Je baisse la tête en réalisant combien ce que j'ai fait ce soir était grave. Si je m'étais fait prendre, c'est plus que son job qu'elle aurait perdu, elle aurait risqué d'être reconnue coupable de complicité.

— Je suis vraiment désolée, Israe. Ça ne se reproduira plus.

— Ça, tu peux en être sure. C'était la dernière fois que je te rends un service.

— D'accord, désolée.

Elle demeure assise sur mon lit, bras croisés. Puis elle semble remarquer mon accoutrement.

— Qu'est-ce que c'est ? D'où sort cette veste ?

— Euh...

— Kenza, ne me dis pas que tu es entrée dans sa chambre.

— Je te jure que ce n'était pas mon intention, mais-

Elle se lève et vient me retirer le vêtement de force.

— Qu'est-ce que tu fous ?!

— Qu'est-ce que je fous ?! T'es entrée dans la chambre d'hôtel d'une célébrité en te servant de mon uniforme et tu lui as volé un vêtement en plus ! Il faut t'en débarrasser hmara. On fait quoi si la police débarque ici et te trouve bien au chaud dans la preuve de ton crime ?!

Je n'y avais pas pensé. Si ce que j'ai fait ce soir n'impliquait que moi, j'aurais pris le risque, mais j'ai également mis Israe en danger. Obtenir des rôles est déjà suffisamment difficile pour nous deux, perdre son gagne-pain et avoir un casier judiciaire serait du suicide.

— Ok, OK ! Je vais m'en débarrasser.

— À d'autres. Donne.

À contrecœur, j'enlève la veste et la lui tends. Israe me l'arrache avant de se diriger vers la sortie. Juste au moment de franchir la porte, elle se tourne vers moi et pointe le script dans mes mains.

— Et ça, c'est quoi ça ? demande-t-elle suspicieuse.

Mes yeux descendent sur les feuilles qui représentent pour moi un ticket vers la célébrité, vers Blake. Je peux renoncer à une veste, mais pas ça.

— J'ai réimprimé le script du projet de semestre, les lettres étaient trop petites sur l'ancien et je n'aimais pas la police.

Elle plisse les yeux, perplexe, mais finit par tourner le dos et claquer la porte de ma chambre. Je souffle un coup, mi-soulagée, mi-coupable.

Se faire une place dans le milieu du cinéma est presque impossible quand on n'a pas déjà un pied dans l'industrie. En particulier pour les gens comme moi, Amar et Israe. Alors on fait toujours en sorte de nous soutenir dans notre poursuite de notre rêve hollywoodien. Quand l'une d'entre nous a vent d'une opportunité dont pourraient bénéficier les autres, on se partage le tuyau, on répète ensemble, on corrige les lacunes des autres, quitte à se retrouver en compétition. 

C'est notre éthique et si j'avais obtenu ce script légalement, j'aurais partagé l'information concernant l'audition à Israe, pour qu'elle aussi tente sa chance. Elle est talentueuse, le mérite amplement et puis elle et Amar ont tant fait pour moi... En lui cachant ce script, je commets une double faute, mais je n'ai pas le choix.

Ce rôle-là, il est pour moi.

Je ferme la porte à clé avant de me jeter sur le lit. Pendant de longues minutes, je hume le parfum de Blake, encore sur l'uniforme.

Oh, Blake~

Il sent le ciel.

Je tourne ma tête vers le script qui repose à côté de moi et me redresse. L'audition a lieu dans moins d'une semaine. Je dois découvrir de quel livre le film va être inspiré, retenir le script et répéter d'ici là.

Jeudi, Centre de convention, suite 200, salle 14 à 13h00.


Coupé!

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