Chapitre 27 La fin d'une affaire.
Les chaînes de télévision régionales s'étaient focalisées, durant une semaine entière, sur les événements – plutôt l'assaut – qui avait permis de mettre un terme à l'appétit meurtrier de Raïken Villeroche. Suite à cela, la grande famille Villeroche avait été mise à nue par des journalistes un peu trop curieux : les infidélités, les consommations de drogues, les envolées fiscales, l'affaire Theo Villeroche, tous ses secrets furent jetés en pâture à la population, et l'ancienne réputation des Villeroche ne fut plus qu'une époque dorée très lointaine.
C'était, en tout cas, ce que Simon entendait depuis une semaine, cloué dans son lit. La balle qu'il avait reçue n'était pas venue à bout de lui. À bout de sa dignité, sans doute, mais son corps allait parfaitement bien. Selon Esteban Crawford, son médecin attitré, après quelques examens, il serait libre de rentrer chez lui – enfin, chez Leo – à condition de faire très attention à ne pas détruire le travail des chirurgiens.
Alors que Simon s'apprêtait à changer de chaîne une fois encore avec un soupir, la porte de sa chambre s'ouvrit à la volée. Leo Damiens apparut, un large sourire sur les lèvres et une boîte en carton dans les bras. Catherine Douglass le poussa à l'intérieur de la pièce et se dirigea vers le fauteuil, sur lequel elle s'assit en croisant bras et jambes. Leo, quant à lui, déposa vivement le carton aux pieds de Simon – du moins, il aurait été sur ses pieds s'il ne les avait pas décalé.
– J'ai eu une idée, cette nuit, commença le détective.
– Une idée utile ? Parce que la dernière était – comment dire ? – digne du re-make des Quatre Fantastiques.
– Je suis d'accord. Sérieusement, l'invisibilité ? Autant lui offrir un plumeau, rouspéta Catherine.
– Bref, coupa Light. Prends mon offrande.
Le détective lui tendit le carton. Simon, bien que méfiant, le prit et l'ouvrit délicatement. Il s'attendait à voir quelque chose lui sauter à la figure, mais ce ne fut pas le cas. En revanche, une odeur lui brûla les narines.
Bordel, Light lui avait ramené un poulpe mort.
Dans un carton.
À l'intérieur d'un hôpital.
– ¡ Joder ! Je préfère les pommes de Blanche-Neige, comme cadeau empoisonné!
Catherine se leva et s'approcha de la boîte. Elle se boucha le nez immédiatement.
– C'est dégoûtant, imbécile ! s'exclama-t-elle. Et dire que je t'ai laissé mettre ça dans ma voiture. Couilles sans cervelle, marmonna-t-elle en allant ouvrir la fenêtre.
Light prit le poulpe à pleine main. L'insouciance de cet instant épatait Simon. N'ayant jamais touché de poulpe, il s'imaginait que la sensation devait être comparable au fait de jouer avec des entrailles. Remarque, cela non plus, il ne l'avait jamais fait.
Son petit-ami lui tendit l'animal. Le corps flasque et sans forme avec un léger balancement irrégulier et perturbant.
– Oublie. Ça ne me touchera pas.
– Je ne vais pas te le faire gober, rit Light. Je t'autorise à me le mettre sur la tête !
Simon fronça les sourcils.
– C'est un honneur ... je suppose ?
– Mieux qu'un prix Nobel, précisa le détective avec un clin d'œil.
– Même celui de la littérature ?
– Évidemment.
– Et de la paix ?
– Sans aucun doute.
– Et des mathématiques ?
– Il n'existe pas.
– Grillé.
À contrecœur, Simon attrapa le poulpe du bout des doigts. Son hésitation faillit faire tomber l'animal sur ses jambes. Un scénario affreux ponctué de vomi et de cris virils se présenta au latino l'espace d'une seconde.
– Pourquoi ai-je droit à un tel honneur ? demanda-t-il, encore réticent.
Cette fois-ci, Light soupira et jeta un regard à Catherine. Alors que le jeune détective allait prendre la parole et, pour une fois, expliquer l'un de ses gestes étranges – Simon devait avoir des étoiles d'excitation dans les yeux –, Catherine sortit son téléphone et commença à enregistrer la scène.
Simon haussa un sourcil. Ces deux-là pouvaient se révéler vraiment spéciaux, mis côte à côte.
– C'est pour me faire pardonner, débuta Light. Je suis sincèrement navré de ne pas avoir pu te protéger. Ça me taraudait. Voilà tout.
Simon lança un regard étonné à Catherine, qui se contenta d'un haussement d'épaules. Puis, il fixa Leo.
– Tu n'as rien à te faire pardonner, tu ne m'as pas tiré dessus que je sache. Et puis, attends ... ça te taraudait ? Genre, toi, ô grand maître de la détection, seigneur de l'arbalète et des arts sanglants, tu étais taraudé par le petit hobbit que je suis ?
Light préféré s'abstenir de mots et se pencha directement vers Simon pour l'embrasser. Sa main se posa délicatement dans le cou du jeune homme, et son pouce en caressa la joue.
– Tu es un géant pour mon cœur, lui murmura doucement Light à l'oreille.
Ils restèrent quelques instants, yeux dans les yeux, un léger contact corporel, et une bulle autour d'eux. Le monde venait de prendre son sens le plus précieux. La vie semblait moins pesante, moins douloureuse, lorsque Simon se réfugiait dans la plus belle chose qu'il ait jamais vue : un être humain qui faisait battre son cœur si fort que même un marathon ne pouvait entrer en compétition ; un être qui le faisait vivre si intensément que même la mort souriait.
– Toujours là, mecs ingrats. Vous m'avez ignoré comme jamais, râla Catherine, en abaissant son téléphone.
Les deux hommes se mirent à rire, de bon cœur. Catherine eut un sourire presque imperceptible.
Le soir venu, Light et Catherine durent quitter l'hôpital. Plusieurs conditions étaient nécessaires pour avoir la possibilité de dormir sur place, près d'un patient. Il n'était pas rare de voir des parents rester avec leurs enfants.
Simon arrivait à trouver quelques heures de sommeil au milieu de ses réveils incessants, sans doute dus à son « traumatisme », comme lui avait précisé Esteban Crawford. Il était peut-être vrai que le regard meurtrier de Raïken lui faisait encore froid dans le dos, et qu'il vivrait chaque instant de sa vie en ayant peur qu'il s'échappe de prison. Il était sans doute vrai que le regard accusateur de Raïken lui faisait ressentir une pointe de culpabilité : c'était lui qui l'avait brisé en le privant de son cousin bien aimé.
Et, bien que tout ça soit vrai, Simon avait l'impression que sa peur ne pouvait être qu'un mirage, et sa culpabilité qu'une erreur.
Alors que le sommeil l'emportait à nouveau, il entendit des bruits étranges dans les couloirs. À cette heure-ce, il n'y avait plus que des infirmières ou le somnambule du quatrième étage qui se baladaient dans les couloirs, mais ils étaient plus discrets, leurs pas étaient moins lourds, moins appuyés.
En tant que bon agent, Simon suspecta quelque chose d'étrange. Ainsi, au lieu de se la jouer héros de film d'horreur qui vérifie la source de chaque bruit, Simon se leva de son lit rapidement et chercha à se planquer. Même si ce n'était qu'une impression, dans le pire des cas, on se moquerait juste de lui, il deviendrait rouge version maillot de bain d'Alerte à Malibu, avant de s'enterrer avec sa dignité.
Seulement, cette chambre d'hôpital n'offrait pas réellement de cachette efficace. Sous la couverture ? Il n'y pensait même pas. À quel moment disparaissait-on sous une fine couche de coton ?
Dans la salle de bain ? Trop petite et étroite, facilement repérable. Sous le lit ? Trop haut, il serait vu immédiatement.
Les pas, de plus en plus lourds, finirent par s'arrêter devant la porte de Simon. La lumière des couloirs lui permettaient de voir une ombre se tenir là, immobile.
Sauter par la fenêtre ? Du troisième étage, c'était vraiment un acte désespéré.
La porte s'ouvrit dans un cliquetis. Et Simon se félicita d'avoir un si bon instinct. Ou alors il se maudit.
Un homme, fortement baraqué, à l'allure de la créature de Frankenstein, venait de pénétrer dans la pièce. Il remarqua instantanément le jeune latino, debout, les yeux écarquillés face à l'être qui, forcément, s'était trompé de chambre.
Mais il ne donnait pas cette impression. Il eut un sourire froid, glacial, à concurrencer les températures de Sibérie. Puis, cet étranger dégaina une arme, un beau pistolet Makarov pointé sur Simon. Le nouvel arrivant avança, sans un mot, vers – a priori – sa cible.
Simon se réveilla de sa paralysie temporaire et, d'un geste rapide et agile, il sauta sur le lit pour contourner l'homme, puis courut vers la porte, encore entrebâillée. Il l'ouvrit sans peine, sans aucune discrétion. Son abdomen lui envoya une décharge de douleurs.
Et, pendant cette petite seconde, il fut assommé par derrière.
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