Chapitre 23 Réveille-toi.

Simon émergeait d'un trou noir. La pression sur ses muscles, ses tympans, sa poitrine, était pareille à un courant marin : parfois glacé et rude, parfois chaud et apaisant. Le latino imaginait que son corps se reformait, comme celui de Nebula, en craquant, se contorsionnant, ignorant les lois de la physique terrestre. 

Puis, les sensations de son corps furent complétées par son ouïe. Dans l'immédiat, c'étaient les sons aigus et brefs des machines – supposait-il – qui l'entouraient. Vinrent ensuite les claquements des portes, les discussions futiles des couloirs, les bruits de pas sur le sol, le bruissement des feuilles de papiers. 

Simon fit un effort pour ouvrir les yeux. Il avait l'impression que quelqu'un s'était amusé à mettre de la colle entre sa paupière supérieure et inférieure. Sa vue était trouble. Il se sentait perdu, comme plongé dans une autre dimension où l'air libère des drogues constantes. 

À ses côtés, il remarqua du mouvement, sans pour autant être capable de le comprendre. Une voix étouffée semblait lui parler, mais tout était vague. Sa mémoire lui faisait, elle aussi, défaut. Que s'était-il passé ? 

Au bout de plusieurs secondes interminables, sa vue s'améliora, ses sens reprirent du service, et sa mémoire lui fit signe. La bombe. 

De nouveau, il y eut du mouvement à ses côtés. Il tourna lentement la tête vers la gauche et vit un homme en blouse blanche manipuler une poche reliée à son bras. 

  – Le moucheron émerge enfin, dit une voix à sa droite. 

Simon distingua alors Catherine, assise sur un fauteuil beige. Un bandage épais entourait sa tête, ce qui avait contraint la jeune femme à rassembler ses cheveux clairs en palmier. D'autres pansements et bandages couvraient son corps. 

Catherine lorgnait le blessé, les bras croisés. 

  – Le topo est : on s'est fait défoncer. Raïken s'est enfui. Tu as été à l'état de larve accidentée pendant deux jours. 

La jeune femme se leva de son siège, tandis que le médecin contournait le lit pour accéder à l'électrocardiographe. Il semblait faire des relevés. Simon, quant à lui, absorbait ces minimes informations. Il était resté dans cet état pendant deux jours ? 

  – Monsieur Cortez, regardez le plafond, s'il-vous-plaît, le pria son médecin. 

Simon obéit. Son docteur passa une lumière aveuglante devant ses yeux avant de ranger cette lampe dans la poche de sa blouse. 

  – Bon retour parmi nous. Je suis le docteur Esteban Crawford. Je reviendrais pour de plus amples analyses de votre corps, mais je suis optimiste quant à votre santé à présent que vous êtes réveillé. Reposez-vous. 

Le médecin lui sourit avant de s'éloigner et de sortir de la chambre. 

Dès qu'il fut hors de leur vue, Catherine sortit de son sac bandoulière un ordinateur et l'ouvrit sur le lit de Simon, en poussant les jambes de ce dernier pour faire de la place. Le latino rouspéta et eut un petit gémissement de douleur. 

  – J'ai déjà piraté les données de l'AMAC, du FBI et de la NYPD pour avoir toutes les informations possibles sur Raïken Villeroche : ses planques supposées, ses contacts, ses antécédents médicaux, j'ai tout. Il ne partira pas de l'État tant que tu ne seras pas mort, ça nous laisse l'opportunité de le coincer. 

  – Où est Leo ? demanda Simon, plus intéressé par l'état de son petit-ami que par la chasse à l'homme. 

Catherine le fixa et soupira. 

  – C'était ... c'était le plus près de la bombe. 

Simon écarquilla les yeux et commença à paniquer. Sa respiration fut plus rapide et saccadée. Une crise instantanée. 

  – Il n'est pas mort, moucheron. Il est plongé dans le coma. Les médecins ne savent pas encore s'il s'en sortira. 

  – Quoi ? Comment ça, ils ne «savent» pas ? C'est leur métier, non ? Pourquoi ne peuvent-ils pas nous dire si Leo va s'en sortir ? 

  – Arrête de t'exciter, ordonna Catherine. C'est pas notre domaine. Nous, notre domaine, c'est de tabasser les QI d'acariens, alors c'est ce qu'on va faire. 

  – Je veux voir Leo. 

  – Simon ... 

  – Je veux le voir ! 

Catherine soupira à nouveau avant de hocher la tête et de fermer son ordinateur. Elle l'aida à se lever. Malgré l'engourdissement de ses muscles, Simon arrivait à se déplacer. Accompagné de sa poche médicale et de Catherine, il traversa les couloirs avant de se retrouver devant une vitre. 

Sa collègue pointa du doigt le lit à l'intérieur. 

Simon crut que ses muscles allaient lâcher, comme si un poids venait de l'écraser. 

  – Il n'a pas besoin d'assistance respiratoire, précisa Catherine. 

Même si aucun tube ne pénétrait dans la bouche de Light, il donnait quand même l'impression d'être déjà passé de l'autre côté, et cela fit peur à Simon. Light, entouré de machines connectées à son corps, recouvert d'une couverture blanche, allongé dans un lit blanc, placé dans une pièce aux murs blancs. C'était comme s'il attendait d'être pêché par un ange. Son visage n'exprimait aucune douleur. Des petites coupures encore rouges parsemaient sa peau claire. Ses cheveux noirs formaient une résistance contre cette blancheur. 

Simon colla son front contre la vitre et tapa du poing. Il se mit à pleurer, aidé par la fatigue accumulée. 

Catherine tapota gentiment son épaule. 

  – Tu as adouci ton caractère, remarqua, entre deux sanglots, le jeune latino. 

  – Pas le moins du monde, mais je sais quand me taire, homme. 

Simon ne put s'empêcher de sourire. Il ne savait même plus quelle émotion le contrôlait, tout s'embrouillait. La peur de voir Light disparaître, la joie de le voir encore respirer, le bonheur de retrouver ses équipiers, d'être encore en vie, la crainte de voir ces vies se briser. 

Le téléphone de Catherine sonna. Elle répondit lassée, avant de passer l'objet à Simon, qui fronça les sourcils mais le prit néanmoins. 

  – Agent Cortez, commença Hederald Damiens. Je vous avais prévenu : vos actions vous coûtent, et coûtent également à mon fils. Vous avez ignoré mes ordres et affronté le danger sans renforts, c'est inacceptable. 

J'ai vraiment pas la tête à ça, pensa Simon, le regard fixé sur Light. 

Il entendit Hederald Damiens soupirer, comme dépassé par les événements. 

  – L'agent Douglass et vous-même, vous allez finir le travail. Capturez Raïken Villeroche. Ensuite, nous discuterons de votre position et des sanctions. Me suis-je bien fait comprendre ? 

  – Oui, Monsieur. 

En réalité, même si le directeur de l'AMAC ne lui avait pas donné de permission pour cette chasse humaine, Simon y serait allé. Il aurait tout mis en place pour être celui qui attraperai Raïken Villeroche et pour avoir le plaisir de le regarder dans les yeux au moment où il lui annoncerait que sa vie était foutue. 

Raïken avait tué une des précieuses personnes qui partageaient sa vie, Julie O'Malley, avant de s'en prendre à son petit-ami. Il regrettait les moments qu'il avait passés avec le jeune homme, à accepter la présence d'un meurtrier et d'un destructeur. 

L'harmonie apparente dans la chambre de Light, néanmoins, contrastait avec ses pensées noires. 

  – On peut entrer ? demanda-t-il à Catherine. 

La jeune femme hocha la tête. 

  – Je vais chercher des pop corn pour regarder ta scène d'homme fragile sourit-elle, vicieuse, avant de disparaître dans les couloirs. 

Simon souffla un grand coup, avant que ses côtes ne lui rappellent qu'il sortait d'une explosion plutôt douloureuse. 

Il poussa la porte comme s'il entrait dans un univers inconnu. Du moins, il aurait préféré que cela reste un mystère. Cette angoisse à l'idée de perdre quelqu'un, de perdre son sourire, de perdre le sentiment de sérénité qui naît de ses bras. 

Le jeune homme s'approcha et prit la main de Light dans la sienne. 

  – Alors, tu joues les flemmards ? dit-il, une boule dans la gorge. 

Il embrassa le bout de ses doigts. 

  – Ça ne te ressemble vraiment pas, le silence. Fais-moi une faveur, bébé, réveille-toi. 

Simon eut un rire nerveux et secoua la tête. 

  – J'ai franchi l'étape des surnoms idiots ... Ça ne veut dire qu'une chose, je suis maintenant dépendant de toi comme les dieux le sont du nectar et de l'ambroisie. 

Il se pencha en avant pour déposer un baiser sur le front de Light. 

À ce moment-là, tout s'effondra. Les machines s'affolèrent, et les bips incessants des objets connectés vrillaient les tympans du jeune homme. L'électrocardiographe venait de perdre la raison, avant de perdre les battements de cœur du patient. 

  – Quoi ? Non, non ! Leo ! Je t'en supplie, ressaisie-toi ! 

Des médecins et infirmiers débarquèrent dans la chambre. Ils s'activèrent autour du corps de Light, les uns baissaient le lit, les autres amenaient le défibrillateur, et encore d'autres commençaient une intubation pour amener l'oxygène. 

Simon fut tiré en arrière. 

  – Non, non ! LEO ! Je t'en prie ... NON ! 

Il eut beau se débattre, le latino se retrouva à nouveau de l'autre côté de la vitre. Paniqué, il se mit à faire les cents pas en marmonnant et en se rongeant les ongles et les sangs. 

Finalement, après quelques minutes intenses, le personnel médical sortit de la pièce en emportant le matériel. Simon se précipita à la vitre, l'inquiétude responsable de l'explosion lente de son cœur. 

L'électrocardiographe était à nouveau normal. Light était toujours vivant. 

Simon dut avoir quelques minutes supplémentaires pour évacuer toute la panique et la peur qui s'étaient installées dans son esprit. Son corps suait et ses blessures lui faisaient mal. Il se laissa glisser contre le mur. Ses poings se serraient et se desserraient. La peur l'avait conduit à la colère et à la haine. 

  – Et à la souffrance, hein, murmura-t-il. 

Simon leva les yeux au ciel. 

  – Tu vas payer, déclara-t-il entre ses dents. 



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