Chapitre 17 Crise de nerfs.
Assis sur le rebord d'un quarter, Raïken attendait. Sa musique à fond, essentiellement Eminem, il portait lentement sa cigarette aux lèvres. Le regard vide, l'esprit dans le vague, son cerveau jouait à chat.
En tout cas, c'est ce que déduisit Simon en arrivant sur les lieux. À l'observer, Raïken avait l'allure d'un vagabond.
Simon grimpa avec une difficulté dissimulée le lanceur du skatepark et s'installa aux côtés de Raïken, qui lui fit un bref salut de la main.
Pendant quelques minutes, les deux jeunes hommes regardèrent la foule d'adolescents qui s'amusaient sur les rampes. D'impressionnantes figures étaient réalisées, et rappelaient à Simon à quel point il était nul en sport. Non pas un en particulier, mais tous. Quand on lui disait de frapper un ballon, soit il le ratait, soit il le faisait partir en arrière par un coup du sort formidable.
– J'venais souvent ici quand j'étais p'tit, dit finalement Raïken.
Simon hésitait. Devait-il intégrer Theo à la conversation, ou devait-il attendre une meilleure complicité ? Son envie de l'interroger à son sujet et sa réticence à le faire lui donnait la migraine.
Finalement, ce fut Raïken qui évoqua son cousin en premier.
– Theo, il était super fort en tout. Le skate, c'était son truc préféré, mais tu pouvais lui filer n'importe quelle merde, il en faisait un truc de ouf, sourit Raïken, les yeux plongés dans les souvenirs.
– Vous aviez l'air proche.
– Je ne dirais pas qu'on l'était, rétorqua Raïken avec un rire nerveux. La plupart du temps, il m'ignorait. Mais, j'le comprends. Avoir un gamin comme moi dans les pattes, ça doit être gênant. En réunion de famille, il faisait toujours attention à moi. C'était mon protecteur. En dehors, j'étais juste le gosse qui le suivait partout et l'admirait de loin.
Simon ne pouvait s'empêcher de vouloir s'électrocuter le cerveau, afin de faire remonter ses souvenirs si longtemps enfouis. Cette vision de Theo, il voulait pouvoir la confirmer. Ce cousin attentif, mais qui restait un enfant normal, un peu rebelle, qui souhaite une liberté dont il ne connaît même pas la définition.
Cependant, tout restait éteint. Aucun souvenir ne jaillissait. Et le jeune homme restait dans une bulle, coupé de la vérité.
– Ta famille ... dit Simon. Tu t'entends bien avec elle ?
Raïken ralluma sa cigarette.
– Comme une famille, rien de spécial, se contenta-t-il de répondre. Et toi ?
Ne s'attendant pas à la question, Simon mit du temps avant d'offrir une réponse. Il en oubliait qu'il n'était pas en position d'enquêteur, mais d'ami.
– Mes parents sont en Espagne, je ne les vois plus vraiment. Mais je pense que tout est resté comme avant.
– Chouette, sourit Raïken en finissant sa clope.
Après cet échange, Simon rentra chez Light. Sa mission semblait avancer, c'était satisfaisant. Peut-être que, dans quelques temps, il aurait l'opportunité de fouiller plus amplement les affaires de Raïken, et ainsi apporte la preuve qu'il recherchait, si tant est qu'elle existe.
Une fois dans l'appartement, vide, le latino, par habitude, jeta sa veste sur le canapé sans même regarder. C'est alors qu'il entendit un grognement. Il fit volte-face et eut la surprise de trouver un homme dans le salon, qui posait avec un énervement contenu sa veste loin de lui.
Un homme, mais pas n'importe lequel.
– Monsieur ?
Simon avait du mal à masquer son étonnement. Il devait avoir l'air d'un idiot.
Hederald Damiens, PDG de l'AMAC, était (confortablement) assis sur le canapé du salon, droit comme un i, les sourcils épais usuellement froncés. Il portait un costume italien noir, ainsi qu'une cravate de la même teinte.
Son regard était comme robotisé, fixé sur Simon.
– Asseyez-vous, monsieur Cortez, j'ai à vous parler, annonça-t-il d'un ton froid et distant.
– Terminator, chuchota le latino en obéissant.
Hederald soupira avant de se masser les tempes. Après quelques secondes d'un silence gênant qui donna envie à Simon de se jeter aux requins, Hederald reprit sa position initiale.
– Je viens pour vous mettre en garde. Vos actions vous coûteront, monsieur Cortez, à vous mais également à l'AMAC. Vous êtes un de mes agents, certes suspendu mais vous restez un élément de mon organisation. Si on venait à apprendre que je ne peux pas maintenir en place mes propres hommes, la réputation de l'AMAC en pâtira. Ce n'est pas concevable.
Par réflexe, Simon leva la main. Hederald souleva un sourcil et l'autorisa à parler avec un geste de la main.
– Pourquoi je suis le seul ?
Simon n'était pas le genre de personne à trahir les autres, mais le fait qu'Hederald vienne lui parler spécifiquement à lui, dans son appartement, sans le prévenir, ça lui paraissait étrange.
– Pour la simple et bonne raison que j'ai une requête, que vous allez bien entendu accepter, si vous voulez conserver votre emploi aussi longtemps que votre vie.
Aucune pression, songea amèrement Simon.
– Je vous demande d'arrêter Light. Il me cause encore plus de problèmes que vous, et vous êtes le seul qu'il écoute. S'il ne le fait pas, vous n'aurez qu'à trouver des moyens plus persuasifs. À vrai dire, je me fiche de la façon dont vous vous y prendrez, mais vous le ferez.
Hederald se redressa, reboutonna sa veste et se dirigea vers la sortie.
– Attendez ! s'emporta Simon.
Le PDG se stoppa et le regarda droit dans les yeux.
– Je peux pas faire ça. Je ... Nous ... Ce serait le trahir, d'une certaine manière, et je n'aime pas ça.
Hederald se rapprocha assez près pour que Simon puisse sentir son souffle brûlant lui agressant la peau.
– Mettez-vous dans le crâne une chose, monsieur Cortez, vos états d'âme me sont étrangers et le resteront. En d'autres termes, je me fiche que vous aimiez cela ou non. C'est un ordre, éloignez-vous de cette affaire, et emportez mon crétin de fils avec vous.
– Quoi ? Vous ... vous avez dit «fils» ? balbutia Simon en écarquillant les yeux.
Hederald resta muet comme une tombe sur cette question. Il l'évita, en réalité.
– En ce qui me concerne, je considère que sa vie est entre vos mains. Vos choix, vos actions. Tout dépend de vous. Pour clarifier les choses, vous pourrez devenir la cause de sa mort, finit Hederald en sortant de l'appartement.
Le PDG laissa derrière lui un Simon secoué. Ses paroles venaient de profondément le toucher. Il repensa immédiatement à Julie, aux menaces qu'elle avait supportées et aux conséquences qui avaient suivies. Il se souvint de cette photo qu'avait reçu Catherine, suggérant sa mort. Light pourrait être en danger. L'entourage de Simon était en danger. Il était lui-même en danger. Les problèmes venaient de lui, de son incapacité à se souvenir des événements de son enfance, de son incapacité à aider les personnes qui lui étaient chères.
Au milieu du couloir, Simon serra les poings et écrasa ses os contre le mur. L'appartement trembla, et la tapisserie blanche se teinta de rouge. Le latino observa sa main, en sang. Sa peau n'était plus qu'une douce brise dans sa mémoire.
Il se pressa à se bander la main, puis à essayer de nettoyer le mur. Ce qui fût un échec.
– Merde ... merde, merde, merde ... ¡ Hostia !
Le jeune homme s'appuya contre la commode de l'entrée et resta quelques instants suspendus au vide de son esprit.
Puis, au bout d'un moment, les échos d'un téléphone qui sonnait lui parvinrent aux tympans.
– Oui ? répondit-il, le ton agressif.
– Ça a réussi ?
– Qu'est-ce qui a réussi, Catherine ?
Son timbre était pressé, agacé, comme si la patience ne faisait plus partie de son vocabulaire.
– Laisse tomber, ça va pas marcher si je te le dis, moucheron.
– Qu'est-ce que tu veux ?
À l'autre bout du fil, il entendit la jeune femme soupirer. Un court silence s'ensuivit, avant que la nouvelle n'explose le cœur de Simon et lui fasse lâcher le téléphone.
Light a eu un accident.
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