Chapitre 15 : Growl


    Debout dans cette ruelle sombre, alors que le soleil disparaissait déjà, il s'était immobilisé malgré le froid et la neige qui commençait à tomber. Devant ses grands yeux se rejouait la scène. Son esprit faisait bourdonner ses oreilles avec le souvenir strident de plusieurs sirènes, des moteurs arrivant en trombe pendant qu'il le voyait, lui, se tenir devant lui et n'être que spectateur du pire. Il entendait les vitres se briser, les gens crier, les coups partir alors que ses yeux ne pouvaient que le regarder, lui. Il le voyait frissonner sous le froid mordant de cette soirée d'hiver alors qu'il n'avait pas de veste, il le voyait se mordre les lèvres, tout comme aucun de ses sursauts ne lui échappait quand un fracas plus violent se faisant entendre. Il l'avait senti fébrile, avait compris sa panique et son angoisse, s'était l'espace d'un instant réjoui en sentant son hésitation à rejoindre la bataille mais... Quelle n'avait pas été sa déception lorsqu'il le vit finalement détourner le regard et abandonner ces hommes dont il avait semblé être si proche, et qui semblaient tant l'aimer. Comment avait-il pu les laisser ainsi ? Taehyung les revoyait se faire traîner au sol, les mains liées, leurs visages balafrés et ensanglantés pendant que chacun se plaignait sans comprendre ce qui leur arrivait. Mais lui, dans la neige, n'en avait que faire. Il était réellement resté là, immobile, posant sur toute cette horreur un regard éteint et lointain, non concerné par toute la souffrance que devaient ressentir ces hommes avec lesquels il l'avait pourtant vu boire de bon cœur et rire avec tout l'éclat dont il était capable. Byun Baekhyun, qui était-il vraiment ? N'était-il réellement que spectateur de ce massacre ? Ou, à en croire sa nonchalance et son indifférence malgré les liens qui semblaient les unir, était-il l'instigateur de cette mascarade révoltante ? Là qu'il se tenait, seul, devant ce qui restait de ce bâtiment encore entaché de l'horreur y ayant eu lieu, il se mettait une fois de plus à douter de ce dont il avait été témoin. Son attachement à ce barman blond lui infligeait toujours énormément de torture, se jouait alors en lui une bataille sans fin durant laquelle s'affrontaient ses sentiments et sa raison. Taehyung avait vu tout ça, il avait assisté à l'arrestation des sauveurs de vies, il avait été aux premières loges et n'avait donc pas pu louper le désintéressement de Baekhyun face à ce triste spectacle. Sa raison s'entêtait alors à lui mettre l'évidence en face, la trahison de son blondin, le cœur noir qu'il devait renfermer, l'admiration inutile qu'il lui avait vouée car il ne l'avait en aucun cas méritée, sa véritable nature qui devait être celle d'un criminel. Tout était contre lui, rien n'était en sa faveur et ne lui permettait d'être gracié. Et pourtant, derrière la colère et la rancœur de l'étudiant, l'affection était toujours bien présente, même faible, elle continuait de briller dans la noirceur de son esprit comme un faible espoir que les événements auxquels il avait assistés ne soient finalement pas ceux qu'il avait cru comprendre.

Plus tôt, Taehyung aurait fait preuve d'immaturité et se serait contenté de suivre son cœur, il aurait alors tout pardonné à son premier amour pour ne pas avoir à s'infliger cette solitude qu'il vivait très mal, il se serait réfugié dans ses bras, aurait guéri ce traumatisme sous ses lèvres et aurait laissé ses mains habiles balayer tous les soupçons qu'il avait à son égard. Mais depuis la disparition de Seokjin, le jeune homme n'était plus le même. Cette tragédie l'avait obligé à grandir d'un coup et ne plus être aussi égoïste qu'il l'avait été. Alors, même s'il sentait sa poitrine lui crier tout l'amour et tout le manque qu'elle éprouvait, il se faisait violence pour n'écouter que sa raison. Baekhyun, bien qu'aimé, ne devait finalement pas être un individu convenable, fréquentable, et n'apporterait que le malheur à ceux l'entourant. Il devait se répéter ces pensées régulièrement pour ne pas craquer, ressasser régulièrement la colère qu'il avait pu ressentir sur le coup et qu'il avait crachée au concerné lorsqu'il s'était senti emporté par la haine suite à la lecture de cet article de journal prouvant qu'il avait aimé le mauvais homme. Sa confiance avait été brisée, au point qu'il avait presque peur de ce même individu qui l'avait tant rassuré par sa simple présence. Pourtant, cette adrénaline qu'il avait ressentie à ses côtés, cette prestance qu'il avait tant aimé admirer, cette supériorité qui lui avait fait briller les yeux, lui manquaient. Jamais il n'avait rencontré d'homme aussi resplendissant que Baekhyun, aussi princier, plein d'assurance et de panache, donnant cette impression de ne craindre personne et pouvant s'attirer la confiance de n'importe qui. Cette brillance avait fini par être une drogue pour le jeune étudiant qui se retrouvait désormais en manque et pétrifié à l'idée de ne plus jamais ressentir une telle admiration pour quiconque. Alors ce soir-là, comme tous les soirs depuis le drame, il quittait les vestiges du You Were Here pour arpenter des rues qu'il n'aurait jamais osé traverser en temps normal, il s'engouffrait dans un monde qui n'était pas le sien et qui l'accueillait pourtant à bras ouverts. Ces quartiers, Baekhyun devait très bien les connaître, Taehyung n'en avait aucun doute car, souvent dans les conversations de plusieurs hommes, son nom était cité, parfois pour de simples souvenirs de soirées festives, d'autres fois pour des horreurs que le plus jeune aurait préféré ne pas connaître. Il fréquentait donc les mêmes bars que lui, foulait les pistes de danse qui avaient accueilli son déhanché, posait son verre sur les comptoirs qui avaient rencontré ses doigts effilés. Il n'avait de cesse de lui courir après, d'aller à sa rencontrer sans jamais lui faire face. Il suivait alors ses traces, vivait à travers les souvenirs des lieux qu'il avait connus, en apprenait toujours plus sur lui à travers les récits qu'il entendait. A l'écoute d'une de ces fameuses histoires, ce soir-là, le photographe s'imaginait les scènes, il n'avait aucune peine à voir son blondin fièrement perché sur le bar de cette boite de nuit pour user de tous ses talents de danseur et d'aguicheur, il voyait parfaitement ses courbes onduler sous les néons, ses cheveux clairs virevolter au rythme de la musique, son sourire illuminant son visage, et ne ressentait aucune jalousie à imaginer les yeux envieux des autres clients se poser sur lui sans aucune retenue. C'était bien l'image qu'il avait eu de lui, et elle était apparemment répandue dans les esprits de ce quartier où il devait venir s'y amuser, évacuant la pression que pouvait lui infliger son rôle de sauveur de vies, ou alors était-ce encore une manière d'attirer sa proie pour soutirer toujours plus d'informations. Taehyung n'en savait rien, mais ces simples souvenirs racontés par un homme bourré assis à côté de lui au comptoir suffisaient à lui donner cette petite dose de lui qui lui manquait tant alors qu'il faisait danser l'alcool dans son verre qu'il n'osait pas boire. Sirote un peu si tu veux, mais ton verre doit toujours être à moitié plein à la fin de cette soirée. Et le re-remplir ne compte pas ! Cet ordre une fois lancé ne l'avait plus quitté et lui permettait de ne pas complètement se noyer dans la débauche de ce monde dont il était bien trop étranger. Il n'abusait donc jamais, se contentait de tremper ses lèvres comme le faisait Baekhyun, faisait mine de l'apprécier mais passait finalement plus de temps à l'observer qu'à boire cette liqueur qui tourbillonnait dans son verre.

- Bois-le cul-sec et viens danser avec moi, Taehyung-ah ! S'exclamait soudainement un homme derrière lui tout en posant une main sur son épaule.

Le concerné se retournait alors pour oser un sourire à un jeune homme aux cheveux blanchis et à la silhouette longiligne qui l'accompagnait tous les soirs dans ces errances nocturnes et régulières.

- Minhyuk-ah, non, je suis bien là.

- Tu parles, tu ne profites pas du tout de la soirée... Insistait-il alors. Ce vieux croulant est plus intéressant que moi ?

- Oui.

- Pardon ?! S'exclamait Minhyuk outré, avant de réfléchir. Vraiment, ça ne sert à rien d'écouter les ivrognes, tu en sais déjà bien assez sur ton mec, vient t'amuser maintenant.

Minhyuk ne pouvait pas comprendre ce qu'était le manque, cette impression de vide dans la poitrine de son nouvel ami, qu'il n'arrivait à combler qu'en pensant à lui. Alors il lui attrapait le bras, lui faisait lâcher son verre et l'attirait de force sur la piste pour se défouler, lâcher prise et oublier l'espace d'un instant ses malheurs et cette douleur qui n'avait de cesse de lui marteler le torse. La première fois qu'il avait revu ce jeune homme, la soirée avait fini de la même manière. Taehyung avait pleuré sa peine durant une semaine complète suite à l'anéantissement dont il avait été témoin, et il avait osé pour la première fois joncher les pavés des rues qui lui hérissaient le poil et lui provoquaient des frissons. Il avait eu du mal à se frayer un chemin jusqu'au bar, n'avait pas même réussi à interpeller le serveur tant il ne se sentait pas à sa place, et ce fut finalement cette voix qu'il n'avait entendue qu'une fois qui lui était venue en aide. Les retrouvailles n'avaient pas été des plus joyeuses en réalité. Le jeune Tae était resté distant, presque gêné par cette nouvelle présence qui refusait de le lâcher, tant il se souvenait de la jalousie qu'avait eue Baekhyun à son égard et surtout, de la soirée où la police avait donné l'assaut contre son soi-disant patron. Minhyuk était impliqué dans des affaires qui ne le regardaient pas, des affaires dans lesquelles avait été forcé de s'intégrer Baekhyun pour les supprimer, alors, Minhyuk ne devait pas être un homme à fréquenter. Quoi que. À bien y réfléchir, Baekhyun lui-même n'était finalement pas quelqu'un de bien, à en croire les événements... Alors l'étudiant s'était laissé aller et avait accepté l'amitié de ce jeune homme aux cheveux blancs. Avaient alors commencé une série et une répétition de jours où les deux nouveaux amis partageaient chaque minute, ils se rencontraient principalement le soir pour profiter des bars ensemble, rentraient très tard pour dormir tout le lendemain, mais se retrouvaient également pour partager des après-midi où Minhyuk lui faisait découvrir un Séoul qu'il ne connaissait pas. Le Séoul que Baekhyun s'était certainement refusé à lui présenter, celui qui ne baigne pas dans la lumière, celui dont il devait se sentir honteux, celui qui n'était pas fait pour accueillir un cœur aussi tendre que celui du jeune photographe. Au fur et à mesure de ses découvertes, Taehyung découvrait l'envers du décor dans les mauvais quartiers, ceux où certains n'ont pas la chance de dormir dans un lit ni même une chambre, où il est rare de manger à sa fin, et où tout est permis pour survivre. Les mafias régnaient sur ce bas peuple prêt à tout pour quelques billets, quelques avantages, ou même la chance d'être choisi pour porter un magnifique costume et faire des affaires. Hyuk vivait là-dedans depuis tout jeune, il avait expliqué au caissier ses mésaventures, sa progression dans plusieurs organisations, dans plusieurs trafics et n'avait pas manqué de se plaindre de l'assaut qu'il avait subi à cause des sauveurs de vies. Le brun se souvenait alors des paroles de ces derniers lors de leurs explications sur la création de leur groupe. Ils n'étaient rien à la base, de simples enfants noyés dans la pauvreté et forcés à se battre pour survivre. Alors c'était de là que venait Baekhyun, c'était cette vie-là qu'il avait connue et dans laquelle il avait grandi, il ne pouvait pas avoir les détails mais pouvait au moins se faire une idée de ce que le blondin avait traversé et, d'une certaine manière, Minhyuk lui offrait cette petite dose de lui sans s'en rendre compte. Alors, chaque jour, il continuait de le suivre pour en savoir plus, pour partager cette vie qu'il ne connaissait pas mais que, lui, avait dû traverser.

Il était finalement devenu l'un d'eux. Très vite, il fit connaissance avec des gens qu'il n'aurait jamais dû rencontrer, il avait tissé des liens inutiles qui eurent pourtant beaucoup de répercussion dans sa vie. Il put découvrir ce qu'était de participer à une mission mafieuse, de faire du trafic, même s'il n'était que spectateur, il lui avait alors fallu courir pour de longues cavalcades nocturnes qui lui rappelèrent sa toute première. Cette fuite lors d'une nuit fraîche, sa main dans la sienne, à suivre ses épaules qui s'engouffraient dans les rues étroites de la ville, avant que ne lui soit offert ce premier moment intime qui les avait liés, à jamais, par un simple baiser. Alors ce n'était pas Minhyuk qu'il voyait fuir devant lui, c'était le mirage de son blond qu'il suivait en toute hâte, le cœur tambourinant et le sourire aux lèvres avant que la réalité ne le rattrape, tout comme les forces de l'ordre qui le poursuivaient. Il avait de nombreuses fois retrouvé cette cellule où il se recroquevillait au même endroit que lui pour poser sa tête contre les barreaux qui avaient accueillis ses cheveux clairs. Bouleversé, coincé entre cette obligation de ne pas le revoir et son envie désespérée de le garder près de lui, il en venait à devenir son double par peur de l'oublier. Taehyung ne faisait qu'incarner ce jeune homme plein de fougues et sans peur qui narguait les lois pour imposer sa propre majestuosité. Mais ce n'était clairement pas lui, Taehyung n'était pas comme ça. Alors, enfermé dans cette prison qui lui avait donné des frissons la première fois, il refoulait ses larmes et ne pouvait que se morfondre sur ses choix de vie jusqu'à ce que sa mère ne vienne le libérer et lui impose un regard plein de désolation et de regret.

Il s'en était toujours voulu, d'avoir ainsi impliqué sa précieuse mère dans cette crise existentielle qu'il traversait. Mais il ne s'était pas douté que ce sentiment de culpabilité allait largement dépasser toute raison, au point que son manque de lui n'en devienne qu'obsolète.

Encore une fois, elle était venue le chercher après sa garde à vue, encore une fois elle s'excusait auprès de ce même agent de police qui n'avait de cesse de veiller sur son fils sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle le récupérait alors qu'il baissait la tête et n'osait pas la regarder, elle le serrait dans ses bras et l'emportait dehors où elle retrouvait Minhyuk qu'elle avait appris à connaître et qu'elle osait considérer comme étant un ami de son fils. Elle semblait triste de ne plus voir ses anciens amis mais Taehyung n'avait jamais voulu en parler, elle ne pouvait pas savoir ce qui les avait séparés de la sorte et était forcée de mentir lorsque Jungkook venait sonner à la porte pour demander des nouvelles. Elle avait donc découvert de nouvelles têtes, de tout âge, qui entouraient désormais son enfant sans qu'elle ne puisse s'y opposer. À bien les regarder, ils étaient tous comme lui. Brisés, blessés, en colère contre la vie, emplis d'une haine qu'elle ne saurait guérir alors, elle espérait qu'ensemble, ils sauraient se réparer les uns les autres, sans même oser penser qu'ils pourraient tout autant se détruire. Elle s'était impliquée, un peu, en allant chercher son fils dans certains quartiers, dans certains bars, lorsque l'ambiance avait dépassé l'innocence du jeune homme, elle avait rencontré toujours plus d'individus, s'était faite draguer au coin d'un comptoir en attendant que Taehyung salue ses amis et avait fini par accepter quelques verres les rares fois où les au revoir s'éternisaient. Ainsi, un homme s'était mis à lui tourner autour plus que les autres, il était charmant, imposant et mystérieux, le genre d'homme qu'une divorcée coréenne quarantenaire ne pouvait repousser, bien au contraire. Taehyung avait été témoin de ce rapprochement, il avait hésité à intervenir mais il avait eu beau y penser, elle avait besoin de quelqu'un dans sa vie, un homme fort qui saurait la protéger. Cet ahjussi ne lui avait pas déplu, même mafieux il restait respectable et avait toujours gardé un œil protecteur sur le jeune caissier. Alors il laissa couler, les deux adultes entamèrent une relation intime et Tae ne fut nullement surpris de le voir à table le midi pour manger avec eux. Ils partagèrent les repas, puis l'appartement dans lequel il s'installa avec la jeune femme et son fils et, peu à peu, tous furent complètement au courant de toutes les affaires de cette organisation qu'il dirigeait presque.

- Votre mission d'hier soir s'est bien passée ? Avait demandé la mère de Taehyung un matin en leur servant plusieurs petits plats.

- Taehyung-ah est resté au bar avec Minhyuk, il n'a pas été impliqué rassure-toi. Commença l'homme en souriant et en posant une main sur l'épaule du jeune homme qui se contentait de manger sans rien dire. Mais de mon côté tout s'est passé s'en encombre. Je dois bien avouer que la disparition de ce groupe de jeunes idiots est une véritable bénédiction !

- Un groupe de jeunes idiots ? Continuait la mère en s'asseyant à table, finalement friande des histoires que pouvaient lui raconter son nouveau compagnon.

- Huit gamins, plus âgés que ton fils, qui s'amusaient à détruire nos organisations. Tu ne peux pas savoir le nombre de mes hommes que j'ai perdu à cause d'eux !

- Et tu dis qu'ils ont disparu ?

- Oui, il y a plusieurs semaines, c'est l'un d'entre eux qui a vendu ses propres camarades à la police. Le fourgon qui les emportait a eu un accident et ils en sont tous morts. Il ne reste donc que le traître de vivant.

- Pauvre garçon... Il doit terriblement s'en vouloir... Compatissait la jeune femme en attrapant instinctivement le bras de son fils, comme ayant peur que ce ne soit lui dans cette situation.

- Certains de mes hommes le surveillent de loin, au cas où il lui viendrait l'idée d'anéantir d'autres groupes. Mais je pense cesser cette surveillance, il n'est plus un danger pour personne.

Même la tête basse, Taehyung ne manquait rien de cette discussion et dévorait chaque mot qu'il entendait. Cette histoire, il la connaissait certainement mieux que l'homme qui la contait, mais en ce qui concernait la suite, il était un réel ignorant qui refusait d'avouer tout son intérêt. Alors, il ne dit rien et laissa sa mère en demander d'avantage. Il put alors apprendre ce qu'il devenait, dans quel état il était, où il vivait et comment. Le savoir seul et abandonné lui broyait le cœur mais sa raison était toujours trop forte pour qu'il le plaigne. Il l'imaginait terne, ayant perdu toute sa lumière, ses lèvres ne souriant plus, ses doigts glacés qui ne devaient plus servir de verre et sa silhouette esseulée dans un nouveau bar que l'homme décrivait de miteux. Suite à ces nouvelles, Taehyung s'était battu contre l'envie d'aller jeter un coup d'œil, histoire de le voir de ses propres yeux, de se rendre compte par lui-même de la pauvreté dans laquelle il vivait désormais pour se punir de ses agissements. Mais il devait se rendre à l'évidence, ce n'était qu'un moyen de mettre sa raison à l'épreuve, une occasion de briser ses convictions car il le savait très bien, s'il avait le malheur de le voir dans un tel état, comme un corps échoué dans la poussière à attendre que la mort l'emporte, il craquerait et se précipiterait pour lui offrir sa chaleur et son pardon. Mais son nouveau beau-père avait parfaitement raison, il n'était qu'un traître qui méritait son châtiment, il ne donc devait pas craquer.

Alors ses sorties se firent plus nombreuses et plus alcoolisées. Le jeune caissier ne tenait plus compte des paroles qui hantaient ses souvenirs, il buvait à sa guise et ne manquait aucune occasion de rejoindre son nouvel ami sur la piste pour des danses endiablées qui lui rappelaient les siennes sans vraiment qu'il ne se l'avoue. Car il ne lui courrait plus après, il cessait de le chercher dans le moindre recoin de chaque bar, ne demandait plus aux inconnus s'ils connaissaient un certain Byun Baekhyun, car il devait l'oublier cette fois. Il crut réussir, un soir, alors que le corps de Minhyuk se frottait contre le sien au rythme d'une musique qui les assourdissait et les envoûtait, en plus de l'odeur de la liqueur. Il ne repoussait plus ses approches, ne déviait plus le regard du sien, acceptait ses caresses et son rapprochement nullement innocent. Cette nuit-là, alors que la nouvelle année avait largement commencé, il aurait pu sauter le pas, passer à autre chose et l'oublier complètement. Il s'en était senti capable dans les bras de cet homme pourtant trop fin et longiligne, il avait réussi à chasser le souvenir de ses lèvres sur sa peau pour accepter les nouvelles qui arpentaient sa gorge, il noyait son flair dans le parfum d'un autre pour oublier le sien, mais alors que leurs souffles se mêlaient enfin, il dût renoncer à sceller ce baiser fatidique pour maîtriser cette infime nausée qui risquait de l'emporter. Il l'avait repoussé, une main sur la bouche, la tête basse, le teint blême alors qu'il ne supportait déjà plus de sentir cette poigne un peu trop large et calleuse sur son épaule, ce regard perfide qui rencontrait le sien et cette voix qui dans le fond l'agaçait. Impossible pour l'étudiant de savoir si c'était l'alcool qu'il avait descendu sans retenue qui faisait monter en lui cette envie irrépressible de vomir, ou si c'était tous ces détails qui s'imposaient à lui sans qu'il ne le veuille réellement et qu'il aurait volontiers acceptés s'ils étaient venu d'un barman en particulier. Il déversait alors ce qu'il avait en trop sur le cœur, et sur l'estomac, sur le trottoir d'une rue vide d'où ne lui parvenaient que les basses assommantes de la boite de nuit, sans même prêter attention à la main de Minhyuk qui lui caressait le dos pour faire passer son mal-être plus vite sans qu'il ne se doute que cela aggravait les choses. Plus il l'entendait lui demander s'il allait bien, plus la nausée lui venait, plus il sentait cette main lui tapoter le dos, plus les larmes lui montait aux yeux. Il était clairement en train de forcer le destin, et tout se mettait en œuvre pour lui prouver qu'il n'allait pas dans la bonne direction et qu'il était vain de vouloir échapper à ces sentiments qui s'accrochaient toujours désespérément dans sa poitrine. Le pire étant passé, il s'était redressé en toussant et en s'essuyant les lèvres comme il le pouvait, s'appuyant difficilement contre le mur à côté de lui, il aurait été prêt à se laisser tomber s'il n'avait pas directement était soutenu par cet homme aux cheveux blancs qui ne le lâchait plus.

- Laisse-moi !

Pour la première fois il s'entendait grogner et lever le ton. Depuis qu'il s'était emporté devant son si précieux blondin, il n'avait plus osé dire quoi que ce soit, il n'avait plus élevé la voix, n'avait plus imposé ses idées ni ses choix à quiconque. Mais, ce soir-là, alors que son corps entier lui implorait de s'assumer et de faire demi-tour, il osait se manifester et repousser cet individu qui ne comptait finalement pas pour lui et qui n'avait été que le sparadrap nécessaire à ses blessures sentimentales. Minhyuk semblait sous le choc, ne comprenant pas cette soudaine tournure dans la situation alors qu'ils avaient manqué de se tomber dans les bras l'un de l'autre. Il aurait voulu mettre ça sur le coup de l'alcool mais, malgré les mois qui avaient défilé, il n'était pas dupe sur la raison du malaise de ce beau brun qu'il avait dans le viseur depuis cette fameuse soirée où un blond le lui avait volé. Ce même blond, n'avait de cesse de se mettre entre eux, apparemment.

- J'en ai marre, laisse-moi maintenant. J'ai besoin d'air. Continuait Taehyung en relevant la tête vers le ciel, la gorge déployée pour respirer à pleins poumons et refouler les larmes de détresse qui menaçaient de couler.

- Comme si je t'étouffais...

- Oui ! Tu m'étouffes, tu es toujours là, peu importe où je regarde je vois ta tête, je ne peux pas faire un pas sans que tu me suives, je ne peux même pas dégueuler tranquille !

- Lui aussi te collait, je te signale ! Il était partout où tu regardais, te suivais partout aussi et t'empêchait de parler aux autres ! S'emportait soudainement Minhyuk, dont la jalousie n'avait désormais plus de limite, surtout face à quelqu'un qui n'était plus là depuis longtemps.

- Tu ne comprends rien... C'est moi qui le regardais. C'est moi qui le suivais, qui le cherchais, qui lui courrais après... Je voulais qu'il soit tout le temps là, je voulais le respirer, lui, je n'avais pas besoin d'air.

- Il va pourtant falloir te contenter de l'air, maintenant.

Les paroles de Minhyuk étaient désormais très froides et surtout défiantes, elles étaient destinées à être blessantes et à alarmer le jeune caissier qui releva immédiatement la tête. Le jeune homme aux cheveux blancs le toisait avec mépris, boudant certainement comme jamais alors que ses bras étaient croisés sur son torse et lui donnaient une silhouette très efféminée sans qu'elle ne soit pour autant sensuelle. Taehyung se calmait, il se tenait au mur et tentait de se remettre correctement droit alors qu'il questionnait son soi-disant ami du regard. Que voulait-il dire par-là ? Certes, Baekhyun ne semblait être que l'ombre de lui-même depuis cette tragédie, mais cela n'empêchait pas le caissier de pouvoir le retrouver s'il le désirait. S'il décidait de céder à ses sentiments, de ne plus tenir compte de ses résolutions et de ce que lui criait sa raison, il pouvait immédiatement courir vers lui pour l'enfermer dans ses bras et pouvoir à nouveau le respirer comme jamais.

- Il est mort en fin Décembre, ton très cher oxygène.

La foudre l'avait frappé de plein fouet. Il n'entendait soudainement plus rien. Sa vision était brouillée par le défilement très rapide de tous les souvenirs qu'il avait tant essayé de contenir depuis si longtemps. Il se voyait assailli par sa voix qui bourdonnait dans ses oreilles, se voyait ébloui par le sourire carré que sa mémoire lui affichait et sentait son nez se perdre dans le souvenir d'un parfum floral et épicé qu'il avait souvent retrouvé contre cette peau qu'il avait encore presque l'impression de caresser. Il lui manquait. Il lui manquait terriblement, et ce fut dès lors qu'il réalisa ce sentiment débordant qu'il comprit qu'il ne pourrait plus jamais combler ce vide dans sa poitrine. Alors qu'il assimilait qu'il l'avait perdu à jamais, il osait crier dans les rues toute la détresse qu'il ressentait en apprenant qu'il ne le reverrait plus jamais, qu'il avait sacrifié les derniers moments qu'il aurait pu passer avec lui, qu'il avait tout gâché à force de s'entêter pour paraître plus raisonnable malgré les hurlements de son cœur qu'il avait tant réprimés. Il saisissait le col de Minhyuk pour le secouer avec toute la hargne dont il était capable, lui sommant de s'expliquer, d'en dire plus, alors qu'il priait pour qu'il retire ses paroles dans l'espoir que cette annonce soit fausse et que tout n'était pas perdu.

- Il s'est fait tabasser par les mecs du Casino avant d'être jeté à la mer, content ? C'est ce que tu voulais savoir ?

La poigne de Taehyung se fit plus ferme, plus brutale, et dans un élan de rage il balança son vis-à-vis dans un grondement accompagné de larmes. Il tournait en rond tout en s'ébouriffant les cheveux, ses doigts n'avaient de cesse de se crisper sur ses mèches brunes tant il se sentait soudainement pris d'une crise de panique. Son imagination débordante lui rejouait des tours, tout comme cette fois où il l'avait vu poursuivi par un inconnu, il le voyait gésir au sol, inerte, sans même un souffle pouvant prouver d'une pointe de vie, et enfin, il voyait son fin minois meurtri couler dans les abîmes glacés d'une mer sombre et plate. Tout comme il l'avait imaginé vivre seul dans une froideur des plus étouffantes, il le voyait mourir dans une solitude telle qu'elle lui faisait immédiatement cracher les sanglots qu'il voulait refouler. Il lui avait imposé cette vie terne et glaciale, comment avait-il pu l'abandonner et le laisser partir sans même une main pour le rassurer que tout irait bien ? Traître ou pas, Baekhyun n'avait jamais mérité de quitter ce monde d'une manière aussi cruelle. Taehyung se voyait alors ravagé par la nouvelle et anéanti par ce que l'être qui lui était le plus cher avait dû subir, seul, abandonné par tous, même par lui. Il aurait voulu être là, surplombant la mer, prenant son élan pour oser sauter dans les abîmes sous un soleil levant pour lui venir en aide, l'élever jusqu'à la surface et lui offrir tout l'air qu'il lui avait déjà offert. Il s'en voulait de ne pas tremper avec lui, de ne pas se battre contre le courant à ses côtés et de ne pas ressentir de froid mordant qui les aurait endormi ensemble. Et derrière lui, Minhyuk semblait s'en réjouir, il ricanait de le voir si désemparé, fier d'être débarrassé à jamais de son rival direct alors que le cœur de celui qu'il convoitait ne lui appartiendrait jamais, surtout après tant de cruauté. Alors l'étudiant s'approchait à nouveau, le forçait à se lever pour mieux le malmener encore, le fracassant contre un mur sans aucune retenue, le cognant contre à de nombreuses reprises pour passer ses nerfs avant de le jeter au sol dans un cri de rage qui réussit à faire taire le ricanement sournois de l'albinos. Il n'en pouvait plus, il devait partir, il ne supportait plus de le voir ni de l'entendre, alors il quittait en courant cette rue nauséabonde sans prêter attention à l'homme qui se plaignait d'avoir été jeté dans ce que le brun avait recraché plus tôt.

L'aube s'était déjà levée alors que Taehyung arpentait les rues de la ville comme une âme errante, un corps qui peinait à se porter, qui faisait un pas devant l'un avec une lenteur étouffante. Mais il lui fallait réfléchir, penser, rêvasser, songer, dans l'espoir d'avaler la pilule. Instinctivement, il avait retrouvé la ruelle sombre qu'il avait connue à côté de son épicerie pour retrouver les vestiges de You Were Here. Mais le bâtiment avait changé, racheté, il était devenu tout autre chose et n'avait plus le même charme ni le même intérêt pour le caissier qui ne s'était pas éternisé. Il n'osa pas rejoindre le quartier de son blondin, de peur d'être noyé dans une tristesse qu'il ne saurait maîtriser. Il avait bien trop peur de se laisser emporter par son émotivité, que les larmes ne coulent sans jamais s'arrêter, qu'il ne soit destiné qu'à couiner son chagrin sans jamais trouver de porte de sortie. La mort de Seokjin avait été effroyable pour Taehyung. Dès lors il s'était rebellé de façon futile et puérile, il avait osé faire tout ce que son grand-frère lui avait refusé, par pur esprit de contradiction car, s'il était mort à cause de son insolence, il devait garder cette image de vilain garçon qui décevait ses parents. La trahison de Baekhyun lui avait permis de comprendre les craintes de Seokjin, il avait su mettre des idées sur les mots qu'il avait entendus et était devenu aussi raisonnable qu'il le pouvait face à ses émois. Mais, désormais privé de Baekhyun, lui-même ne savait plus quoi faire, comment réagir et ce qu'il allait bien pouvoir devenir. Plus personne pour lui dire la marche à suivre, plus personne pour lui montrer le chemin qu'il ne devait pas prendre, et malgré son âgé désormais avancé, il ne se sentait toujours pas capable de marcher seul dans cette vie qui, décidément, n'était qu'un combat épuisant et sans fin. Le seul lieu qui l'appelait désormais et vers lequel il désirait se tourner était son appartement, sa chambre et les bras de sa mère qui avait passé tout son temps à l'attendre sagement en s'inquiétant pour lui. Elle était finalement la dernière personne sur qui il pouvait compter, la seule qui saurait lui donner de bons conseils et qui lui permettrait de tenir encore debout malgré cette douleur qui n'avait de cesse de grandir dans sa poitrine, qui lui crispait l'estomac et lui ankylosait les membres. Tant bien que mal, il avait trouvé la force de courir à nouveau, fuyant comme un chiot apeuré par la mort vers chez lui, vers cette porte qu'il ne connaissait que trop bien et qui lui promettait un foyer réconfortant et rassurant. Et pourtant, une fois face à elle, la main sur la poignée, hésitant à l'ouvrir, ce ne fut qu'une horreur supplémentaire qui le frappa à nouveau. Il aurait dû s'en douter. Depuis plusieurs jours, sa mère était timide, hésitante, fébrile et aux aguets. Elle n'était plus elle-même, toujours sur la défensive, bien trop souriante pour être sincère et elle n'avait eu de cesse de l'implorer pour qu'il ne reste pas trop longtemps dans les bars, pour qu'il rentre vite et la rejoigne. Il avait cru qu'elle s'inquiétait pour l'alcool, pour ses fréquentations, pour ses fins de soirées qui pouvaient mal tourner, sans se rendre compte que c'était elle qui était en danger.

Derrière le bois mal isolé de cette porte d'entrée, il devinait les coups qui étaient donnés, les pleurs de cette femme qui était tout ce qu'il lui restait, la peur qu'elle devait ressentir, les larmes qui devaient souiller ses joues et l'homme qui devait lui faire face. Les plaintes et les couinements laissèrent place à des cris, à des coups qu'il pouvait très bien percevoir et son sang, déjà bouillant suite à l'annonce du pire, se vit dans une telle ébullition qu'il vit rouge et se vit incapable de maîtriser ses gestes. La porte avait finalement été ouverte dans un fracas, la charnière s'était envolée et les grosses semelles de Taehyung avaient claqué le parquet jusqu'à la cuisine avec une force qui traduisait toute la rage dont il était victime. Sa mère avait crié d'autant plus, de peur que son fils ne soit victime de son bourreau, l'homme s'était joint aux grondements, menaçant le jeune homme de le tabasser à son tour s'il oser lui tenir tête. Il avait pris la pauvre femme pour exemple, lui saisissant le bras avec brutalité pour la maltraiter une fois de plus. La fois de trop. L'étudiant s'était jeté sans aucune hésitation sur ce monstre qui risquait de lui voler tout ce qu'il lui restait, il l'avait mordu avec hargne au poignet pour qu'il lâche sa mère, ne s'était pas plaint en prenant une premier coup au visage, avait à peine plié un genou avant de se jeter sur l'agresseur avec la force d'un bœuf pour lui faire traverser la baie vitrée et l'étaler sur le béton de la terrasse. Il entendait sa mère hurler de peur derrière lui, il sentait ses mains fébriles griffer son gilet dans l'espoir de le dissuader de se battre, mais rien n'y faisait, il ne le laisserait pas s'en sortir. Emporté par la haine, ravagé par ses sentiments qui n'avaient de cesse d'être chamboulés, broyés, torturés, il n'avait plus l'esprit clair et ne désirait qu'une chose : débarrasser sa mère de ce danger. Revenant dans la cuisine, sa grande main saisit la première arme qu'il trouva et, alors que l'homme se remettait à peine sur ses pieds dans des râles rauques et pénibles, il fut traversé d'une fine lame qui lui coupa l'air. Le cri strident d'une femme, la plainte ensanglantée d'un homme et le silence d'un plus jeune qui ne faisait qu'observer le spectacle effroyable qu'il avait créé. Son beau-père tombait au sol, un couteau dans l'abdomen, dans des éclaboussures rouges qui marquèrent Taehyung à jamais. Il s'était aussitôt reculé, avait rencontré le mur à l'opposé de la pièce et s'était laissé tomber au sol sans réussir à réaliser ce qu'il venait de faire de ses propres mains. Mains qu'il montait jusqu'à son visage pour en découvrir cette immonde couleur sombre, ce fluide luisant et visqueux dont l'odeur était réellement répugnante. C'était sa faute. Il avait fait ça. Sa mère ne pouvait qu'assister, tétanisée, à la disparition de la colère de son fils pour qu'elle laisse place à une angoisse pesante qu'elle ne saurait atténuer. Les larmes du jeune homme coulaient d'elles-mêmes, sans qu'il n'ait à sangloter, alors qu'il se rendait compte qu'il devenait un meurtrier. Mais il était hors de question pour cette mère aimante que son fils devienne un criminel alors, même si ce monstre ne le méritait pas, elle s'était emparé de son téléphone pour joindre les pompiers ainsi que la police, pour lui sauver la vie. Mais surtout, pour sauver celle de son fils. L'étudiant avait d'ailleurs pris peur. Entendre sa mère parler avec les forces de l'ordre n'avait fait qu'augmenter sa panique en lui faisant réaliser son geste et la gravité de ce dernier. Il courrait donc dans les rues encore désertes de Séoul en ce début de matinée, rejoignant un parc excentré et complètement déserté de toute animation pour s'y réfugier. Il se fraya un chemin dans les vieilles bâtisses délabrées, se recroquevilla au sol dans un coin aux murs tagués et tenta de retrouver son calme. Il n'était plus maître de sa respiration, il lui semblait manquer d'air alors qu'il n'avait de cesse d'ouvrir la bouche pour toujours plus de bouffées, comme soudainement noyé dans une panique qui le ferait bientôt suffoquer. Une bonne heure fut nécessaire avant qu'il ne puisse se détendre contre le crépi, prendre une inspiration convenable malgré les tremblements de sa mâchoire et enfin pouvoir réfléchir calmement. Le sang sur ses mains n'avait pas disparu et n'avait de cesse de lui rappeler ses actes, une descente aux enfers qu'il n'aurait jamais dû connaître et pourtant, il devait désormais y faire face tout en se dégoûtant lui-même. Une bouteille d'eau qu'il avait dans une des larges poches de son manteau lui servit alors pour une toilette improvisée même s'il lui fut difficile de faire entièrement disparaître ces traces rougeâtres qui traduisaient ses agissements. Ses vêtements étaient tout aussi tâchés mais il ne pourrait s'en débarrasser, il devait alors se rendre à l'évidence et accepter que c'était son image désormais. Un jeune homme ravagé par le chagrin et la colère ayant commis le pire délit dans un élan de désespoir.

Traversait-il les mêmes questionnements que lui ? S'était-il posé toutes ces questions après sa trahison ? S'était-il senti si sale et si vide après avoir exécuté des actes aussi atroces ? Certainement. Taehyung pouvait désormais comprendre la déchéance qu'avait endurée Baekhyun. La solitude se faisait d'autant plus lourde sur ses épaules, la culpabilité lui rongeait l'esprit et le peu d'humanité qu'il lui restait lui griffait le cœur pour lui faire réaliser ce qu'il avait fait. La nausée et les sanglots se faisaient à nouveau sentir alors qu'il traversait les mêmes sentiments qu'avait dû subir son blond quelques mois plus tôt. il s'en voulait d'autant plus de l'avoir abandonné à ce moment-là. Car il en était persuadé désormais, l'anéantissement des sauveurs de vies avait dû être bien plus douloureux pour celui qui restait, que pour ceux étant partis. Cette angoisse, ce désespoir, ce mal-être, cette impression d'être détruit jusqu'au plus profond de son âme, il avait dû les ressentir également, seul. Mais Taehyung ne voulait pas affronter cette misère seul, il n'était pas aussi résistant que le barman, pas aussi fort, pas aussi caractériel. Il se voyait déjà sombrer et dépérir jusqu'à le rejoindre pour de bon, mais avait tellement peur de cette finalité qu'il ne pouvait qu'appeler à l'aide. Il s'était donc saisi de son téléphone pour en arpenter les contacts. Il les faisait défiler sans aucune conviction, sachant pertinemment qu'aucun d'entre eux ne serait capable de lui venir en aide. Son doigt s'arrêta sur un numéro qui lui pinça le cœur et lui fit immédiatement lâcher une larme. Comme une évidence, il appuya dessus et l'appela, fut surpris sans vraiment l'être d'entendre quelques tonalités avant que la boite vocale ne lui réponde. Le bip insistant se fit entendre, l'enregistrement se lançait pendant que Tae se pinçait les lèvres, ravalait un sanglot et prenait son inspiration malgré ses tremblements.

- Hyung... Je veux te voir, Hyung...

Ses pleurs le rattrapèrent, il ne fut pas capable de s'étendre d'avantage et fut forcer de raccrocher, de couper ce lien irréel qu'il avait cru avoir jusqu'à lui. Seokjin aurait su quoi faire. Il aurait su comment l'aider, il aurait eu les mots justes pour le rassurer, les idées adéquates pour le sortir de cette angoisse. Mais il n'était plus là, et l'étudiant devait se contenter d'un numéro auquel seule une boite vocale pouvait répondre. C'était la première fois qu'il osait aller à sa rencontre, c'était la première fois qu'il parlait à un mort et, même si cela n'avait aucune réelle répercussion, il se sentait déjà plus léger. Attendant que ses larmes finissent de glisser d'elles-mêmes, le caissier refusait d'appeler quelqu'un d'autre. Ses amis, ses frères qu'il avait abandonnés, il ne savait pas s'il méritait leur aide. Certainement auraient-ils accouru vers lui, eux. Mais il devait se retenir et ne pas craquer, il ne devait surtout pas les mêler à tout ça et les mettre à leur tour en danger. Il ne prendrait plus le risque de perdre quiconque. Alors il se perdait dans son portable, retrouvait ces vieilles photos où il les voyait sourire, rire ensemble, partager de bons repas dans une ambiance conviviale qui lui manquait énormément. Tous ces visages lui manquaient, puis il tomba sur un qui lui manquait tout particulièrement. Il avait oublié que Jimin avait pris cette photo, ce soir-là, alors que l'alcool s'était fait sentir et qu'une tête blonde s'était réfugiée d'elle-même dans le creux de son cou. Rien qu'en voyant cette image figée de cet homme qu'il avait tant aimé, il sentait son odeur, sa chaleur, son poids sur ses genoux qui étaient devenu son siège et son lit de fortune en cette fin de soirée qui avait été pour lui comme un miracle. Lui, aurait su quoi faire. Lui, aurait su comment le sortir de là. Lui, n'aurait pas eu peur. Lui... N'était plus là non plus. Pourtant, il avait bien déjà parlé à un mort aujourd'hui. Alors il retrouva ses contacts et chercha celui qu'il avait osé voler dans le téléphone d'Hoseok : Baekhyun-hyung. Son doigt survolait son numéro, il tremblait et n'osait pas appuyer. Puis une voix lui provoqua un sursaut avant que plusieurs poignes ne viennent le maintenir et l'empêcher de faire un simple geste. Cette voix agaçante, il la reconnaissait et avait souhaité ne plus l'entendre, pourtant il n'avait eu que quelques heures de répit. Taehyung relevait alors le visage pour ce minois coupé au couteau surplombé de cette tignasse blanche et blafarde qui n'avait aucun éclat.

- Tu penses pouvoir tuer un de nos hommes et t'en sortir aussi facilement, Taehyung-ah ? Demandait Minhyuk sans réellement attendre de réponse.

L'organisation était donc désormais au courant de l'état dans lequel était leur chef et surtout, elle connaissait l'identité du coupable. Alors c'était ainsi. Le sort de Taehyung ne dépendait pas de la police et mais de cette mafia miteuse qui se croyait plus forte que tout. Il ne finirait donc pas sa vie en prison mais bien ici, dans cette bâtisse pourrie où il allait très certainement être martelé jusqu'à son dernier soupir pour avoir trahi un groupe dont il n'avait jamais réellement fait partie. Le blafard détaillait son portable, il rallumait l'écran et haussait les sourcils en découvrant le contact sur lequel était resté Tae. Il lui tendit alors le portable avec une ironie pleine de sadisme et une bouille faussement triste à laquelle le caissier aurait volontiers craché.

- Tu voulais appeler ton très cher Baekhyun ? Essaye ! Plaisantait-il alors en ricanant de façon purement malsaine. Les morts ne répondent pas.

Effectivement, seules les boites vocales pouvaient être joignables, il en avait eu le cœur net un peu plus tôt et n'était clairement pas prêt à s'infliger une chose pareille concernant son bien-aimé. Pourtant, ce fut Minhyuk lui-même qui osa cliquer sur le numéro du fameux contact tant redouté avant qu'il n'approche le téléphone de l'oreille du jeune étudiant qui tremblait déjà entre les mains qui le tenaient fermement à genoux au sol. Les tonalités se firent entendre, à nouveau, pourtant son esprit ne pouvait qu'entendre les battements de son cœur dans ses tempes, largement amplifiés par la panique qu'il subissait. Elles se firent trop nombreuses pendant que le sourire satisfait et arrogant de Minhyuk s'élargissait sur son visage fin et dénué d'humanité. Sa gorge lui faisait mal, l'air lui manquait, sa bouche se faisait pâteuse et ses dents claquaient presque alors que cette attente se faisait bien trop longue et insupportable pour le malheureux caissier. Puis le bruit cessa. Aucune boite vocale ne se fit entendre, ni même ce bip strident et bien trop fort devant lui donner l'autorisation de commencer son message. Quelqu'un avait décroché. Quelqu'un était de l'autre côté et quelqu'un pouvait l'écouter et entendre son appel à l'aide. Minhyuk, stupéfait, n'eut pas le réflexe d'éloigner le téléphone, Taehyung tenta alors de s'exprimer malgré les pleurs soudains qui lui secouaient le torse et faisaient chevroter sa voix rauque et pourtant voluptueuse.

- Hyung... Sauve-moi.

Il ne savait pas si cet appel à l'aide avait bien été entendu. Ni si c'était les bonnes oreilles qui l'aient reçu. Certainement pas. Mais alors qui ? Il avait un infime espoir alors que son portable lui était confisqué pendant que Minhyuk ordonnait à ses brutes de le relever pour l'embarquer. Il fut alors attaché, malmené et abandonné sur une chaise rouillée au beau milieu d'un hangar immense et sombre, sous la surveillance nonchalante de Minhyuk et ses hommes. Ce dernier laissait une chance à son appel. S'il avait bel et bien était entendu par quelqu'un, il désirait savoir qui, et attendrait jusqu'au soir même que quelqu'un ne se manifeste avant de faire payer au malheureux pour ses actes de sauvagerie envers l'un des siens. Taehyung n'était plus maître de rien, et ne pouvait pas savoir entre les mains de qui se trouvait sa vie. Il ne pouvait pas se douter qu'elles étaient délicates, aux doigts élancés mais à la poigne pourtant acérée et impardonnable.


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Petit mot d'Injae-Nim :

Enfin le retour de Tae ♥ Il m'avait manqué ce petit, j'espère que ça vous fait plaisir autant qu'à moi ~
Les retrouvailles sont pour bientôt, le prochain chapitre risque d'être riche en émotion et en action. En tout cas, j'espère réussir à l'écrire convenablement.
On commence à sentir la fin de l'histoire, ça me fait bizarre d'ailleurs de toucher le bout... Mais nous n'y sommes pas encore, nous avons encore deux chapitres pour profiter de nos bébés !
Merci pour votre lecture ! J'espère que cela vous aura plu, on se retrouve très bientôt ^^

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