Chapitre 13 : Damage



    Il venait de se lever, et le soleil se couchait déjà, en cette fin d'après-midi de Décembre, pourtant il ne semblait même pas se rendre compte de son décalage. Son premier réflexe fut de rejoindre sa salle de bain, d'allumer l'eau pour remplir sa baignoire, puis de s'asseoir à même le sol, adossé contre le carrelage gelé. Depuis que les vacances étaient arrivées, il n'avait pas quitté son appartement et sortait très rarement de sous sa couette. Comme la majeure partie des étudiants certainement, sauf qu'il ne perdait pas son temps à dévorer des épisodes de séries ou d'animes, et qu'il n'était pas accompagné d'une potentielle copine, ni même d'un potentiel copain. Surtout, d'un potentiel copain. L'homme qu'il avait en vue, il ne pouvait plus le voir et ne le reverrait certainement plus jamais. Tout comme son presque grand-frère, Seokjin, cet homme n'était plus là, et il laissait derrière lui une coquille vide pourtant étouffée d'un trop plein d'amour qu'il ne pourrait jamais déverser. Il n'aurait pas dû attendre, il n'aurait pas dû jouer, il n'aurait pas dû attendre un geste de sa part, il aurait dû... Il aurait dû faire tellement de choses tant qu'il en avait encore le temps et la possibilité. À vouloir faire le beau et à espérer déclencher un quelconque sentiment chez ce géant qui avait fait naître en lui une sympathie bien particulière, il avait loupé sa chance, et ne pourrait désormais plus la rattraper. Jimin s'en voulait, profondément. D'abord ravagé par la disparition du plus âgé de la bande, il avait espéré pouvoir se raccrocher à ce qu'il lui restait. Il s'était rapproché de Chanyeol comme il l'avait pu, s'était montré discret mais bien présent jusqu'à se rendre compte que le regard inquiet de celui qu'il aimait n'était finalement tourné que vers une tignasse blonde qui faisait pâle figure. Cette découverte n'avait pas été un choc, le rouquin s'en était fortement douté, il avait même eu la confirmation sur les précédents sentiments du plus grand envers Baekhyun, mais il était déçu de voir que sa présence ne dépasserait jamais la sienne. Mais, là qu'il y pensait à nouveau, comme tous les jours depuis cette horreur, il se disait qu'il aurait pu mieux faire. Il n'aurait pas dû attendre que les grands yeux de Chanyeol se posent sur lui mais, plutôt, le forcer à le regarder, il aurait dû se mettre devant lui, cacher Baekhyun derrière et s'imposer. Ce qu'il n'avait pas osé faire, de peur d'être plus déçu encore, d'être achevé par la découverte de son insignifiance par rapport au barman dans le cœur du grand brun.


Désormais, il ne pouvait plus savoir s'il avait sa chance, il ne pouvait plus se comparer au blondin, tout comme il ne pouvait plus espérer voir le visage du musicien se tourner vers lui, et lui sourire à nouveau. Aucun survivant n'a été annoncé. L'article de journal qu'il avait lu lui revenait sans cesse en tête. En l'espace d'un mois, il avait perdu deux aînés dont sa vie dépendait. Il avait eu du mal à imaginer vivre sans Seokjin, il avait perdu pied, comme tout le monde, mais s'était raccroché à une idée, à une envie, à une raison de vivre suffisante pour espérer des jours meilleurs. Mais, une fois cette nouvelle raison de vivre gelée au fond du fleuve, comment pouvait-il à nouveau espérer se reprendre ? Comment pouvait-il encore croire que tout allait bien se passer ? Comment pouvait-il encore se tenir debout et respirer, alors que lui, était plongé dans le silence angoissant de l'eau glacée du mois de Décembre, à jamais ?



Jimin se prenait le visage dans les mains, n'arrivant même pas à pleurer malgré ce mal-être tant il était à bout de force et à moitié mort déjà. Il s'ébouriffait les cheveux, se griffait le crâne, s'étouffait dans ses bras et écrasait le col de son haut entre ses doigts. Il se crispait dans un gémissement de rage et de désespoir quand il sentit l'eau déborder de sa baignoire et lui couler dans le dos. Elle était froide et pourtant, il ne sursautait même pas et se laissait mordre sans une plainte avant de se relever doucement et d'enjamber le muret de carrelage pour plonger son pied, sans même prendre la peine de se déshabiller. Après tout, ce n'était pas une douche qui l'attendait, et même s'il s'agissait bien d'un bain, il ne lui était pas nécessaire de se mettre à nu. Ce soir-là, il arrêtait tout, il stoppait sa souffrance et son mal-être pour retrouver l'apaisement, retrouver le calme et surtout, le retrouver lui. Son corps entier fut immergé, il ne tint pas compte de ses frissons ni de ses dents qui se mirent à claquer alors que ses lèvres prenaient déjà une teinte violacée. Les siennes devaient être violettes depuis longtemps, et même blanches désormais, le rouquin n'avait donc pas à se plaindre de son sort, lui, avait dû bien plus souffrir. Le crâne posé contre la baignoire, Jimin réfléchissait une dernière fois, prenait ses dernières bouffées d'air et voyait ses dernières couleurs avant que la lumière ne s'éteigne pour l'éternité. Quoi que, il avait entendu parler d'une lumière blanche qui l'appellerait, il espérait bien la voir. Son téléphone vibrait sur le lavabo à côté de lui mais il semblait ne pas l'entendre, puis il dût ignorer la porte de son appartement qui se mit à sonner, et se décida à plonger la tête sous l'eau. Le froid lui mordit les paupières et les yeux, il s'infiltra dans sa chevelure rousse et se fraya un chemin jusqu'à ses tympans. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu'il ne fut pas comblé par le silence, tout comme il l'avait espéré. Il entendait des bulles, plus ou moins fines, qui devaient se précipiter jusqu'à la surface, il entendait le moindre de ses gestes beaucoup plus fort que ça ne l'aurait dû, et les battements de son cœur n'avaient de cesse de tambouriner dans sa poitrine, dans son esprit, et en faisaient même trembler son bain de façon infime. Il espérait ne plus l'entendre, il espérait ne plus rien entendre et pourtant, très vite, ses pensées le rattrapèrent, suivies de son agonie. Il manquait d'air. Ses lèvres se pinçaient avec rage et détermination, ses paupières se crispaient et sa gorge se mettait à se tordre sous le manque d'oxygène pendant que son torse hoquetait en silence. Il ouvrit la bouche mais se cramponna au fond avec rage, il n'allait pas abandonner si tôt, alors qu'il souffrait à peine, alors qu'il était si proche de passer de l'autre côté, si proche de le retrouver. Ses poumons se remplirent d'eau pendant que son corps semblait ne plus lui obéir, il se débattait, rattrapé par son instinct de survie alors que son esprit lui permettait toujours de se bloquer au fond de son bain. Le silence qu'il avait tant espéré fut alors balayé par ses propres mouvements de détresse qui faisaient des vagues pourtant de moins en moins vives. Il était en déclin, et alors qu'il trouvait doucement la paix qu'il avait tant recherchée, un ouragan traversa la baignoire, une tempête qui frappa de plein fouet ses tympans alors que la froideur de son bain était chassée par un contact bouillant qu'il n'avait pas prévu. Jimin était forcé de quitter le fond, malgré sa plainte muette, étouffée par les flots, il se sentait rappelé par les cieux sans qu'il n'ait pu voir une quelconque lumière. Il était seulement tiré hors de son agonie avec force et précipitation sans que son corps ne puisse répondre, il ne pouvait plus se débattre et devait accepter son sort. Cette sensation désagréable que rien ne se passait comme il le voulait pris fin lorsque son corps fut totalement entouré par une chaleur mordante et réconfortante. Il était soudainement mis à son aise, dans un cocon confortable et rassurant. La paix, il venait de la trouver, enfin.



Il se surprenait à tousser, à avoir envie de vomir, à trembler, alors qu'il pensait que la mort lui apporterait de la douceur, du bien-être, et cette sensation d'apaisement dont il avait tant rêvé. Pourtant, il n'était pas bien, il en grimaçait même et s'en plaignait dans des grognements de mécontentement alors que son corps ne pouvait bouger, ayant l'air prisonnier et enfermé par un poids dont il prenait doucement conscience. Ses soubresauts étaient retenus, ses tremblements se voyaient effacés par une peau bouillante contre lui et son esprit était bercé par un souffle chaud à son oreille. Cela ressemblait fortement au confort qu'il avait recherché, soudainement inondé par un apaisement qui lui faisait monter les larmes aux yeux, dont les paupières n'osaient toujours pas s'ouvrir, jusqu'à l'entente de l'impossible.



- Jimin-ah ?



Un son rauque, chaleureux, qui venait lui faire ronronner la poitrine dans un frisson de bien-être. Ses paupières papillonnèrent, son front se frotta contre ce moelleux brûlant qui l'entourait et, enfin, il osa lever les yeux pour rencontrer les siens. Il y trouvait du soulagement, malgré des restes de peur et de panique qu'il ne comprit pas, mais il retrouvait une douceur qu'il n'avait jamais pu prendre pour lui. Ses larmes coulèrent d'elles-mêmes alors que son cœur se noyait dans une joie contenue, la joie de l'avoir retrouvé, de l'avoir rejoint et surtout la joie de pouvoir exprimer de lui-même ce qu'il avait tant retenu sans penser qu'il allait autant le regretter. Il était temps de rattraper celui qu'il avait perdu, et de réécrire l'histoire comme il aurait aimé la vivre, dans cette nouvelle vie qui s'offrait à lui.


Sa petite main fébrile et tremblante s'éleva alors pour toucher cette joue bouillante et mâte qu'il n'avait jamais osé approcher, son corps ankylosé trouva la force de se soulever jusqu'à lui, s'accrochant à ses épaules et à son cou comme il le pouvait et, enfin, ses lèvres glacées eurent le culot de rencontrer leurs jumelles. Elles se virent alors réchauffées et, étonnamment, caressées et embrassées à leur tour pendant que la poigne autour du petit corps gelé se faisait plus puissante encore et pourtant plus tendre. Le rouquin pouvait voir ces grandes mains le parcourir, ces doigts de guitariste l'agripper avec force, ces paumes lui emprisonner le visage contre le sien, tout ce dont il avait rêvé sans jamais faire l'effort de le demander ou de s'en donner les moyens. Il en profitait pleinement, glissant ses propres mains dans ces cheveux bruns quelque peu frivoles qu'il avait toujours voulu caresser, laissant son torse humide rencontrer celui, bouillant, de son vis-à-vis pendant qu'il se sentait soulevé par ses bras imposants qui l'installaient au-dessus de ses cuisses qu'il entourait désormais des siennes, certes, plus courtes, mais étrangement plus larges. Le rouquin se débarrassa de lui-même de son haut trempé et glacé, préférant apprécier à sa juste valeur la chaleur des lèvres qui se posaient désormais dans son cou jusque sur son torse mis à nu. Il ne s'était pas senti partir en arrière tant la large main de son géant avait pris soin de lui attraper le crâne et de le maintenir avec assurance jusqu'à l'allonger avec douceur contre le sol inondé. Le contact de son dos avec les flaques glacées était balayé par celui, ardent, de leurs corps l'un contre l'autre, de leurs bassins se mouvant en harmonie pour un avant-goût qui provoquait déjà des soupirs et des gémissements timides de plaisir. L'esprit de Jimin se faisait tout aussi flou que sa vue qui n'osait rendre le visage qui lui faisait face net et identifiable, son odeur et son contact étaient des preuves suffisantes pour qu'il se laisse aller et profite de ces baisers tant désirés, de ces caresses tant de fois imaginées et de cette nuit rêvée à maintes reprises. Ce ne fut qu'une fois mis à nu, bercé par ses paroles tendres et uni à lui que Jimin prit conscience du plus important. Alors qu'il criait son plaisir et son amour inavoué pour celui qu'il enfermait avec possessivité dans ses bras, il se rendait compte que ces ressentis étaient les siens, et étaient bien réels. Son toucher, il le ressentait vraiment, cette vague de chaleur le faisait réellement transpirer, ses baisers le faisaient assurément frissonner et ce visage et ce corps face à lui, qu'il prenait plaisir à dévorer des yeux, étaient bien là, avec lui, contre lui et, en lui. Jimin réalisait alors qu'ils venaient tous deux d'atteindre le paradis, tout en étant vivants, lui comme Chanyeol.




Une nouvelle fois, il perdait patience, ne sachant que faire pour apaiser ces questionnements et ce trouble dans ses pensées et dans son cœur, il ne pouvait que passer ses nerfs sur ce qui l'entourait. Ses mains agrippaient ses draps et les tiraient d'un geste vif pendant qu'il grimaçait, avec rage, il balayait tout ce qui se trouvait sur son bureau, se saisissait de sa radio pour la balancer à travers la chambre et la voir fracasser le grand miroir face à lui. Jongin n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus de cette solitude, de ce poids dans sa poitrine, de ces souvenirs qui le hantaient et de cette culpabilité qui le rongeait peu à peu. Pourtant, de quoi pouvait-il bien se sentir coupable, alors qu'il n'avait rien fait ? De vouloir le voir. Et de vouloir les retrouver, tous. Certes, il était traumatisé par cette nuit-là, par ces images lui revenant souvent en tête d'un de ses compagnons désirant les supprimer et les faire disparaître une bonne fois pour toutes dans un élan de désespoir. Mais peu à peu, sa bonté d'âme avait su gommer ces peurs, ces angoisses et ces cauchemars. Désormais, il n'était torturé que par l'envie de retrouver sa vie d'avant, ses amis, ses journées bien remplies et surtout joyeuses. Mais il s'en voulait de pouvoir pardonner l'impardonnable. Baekhyun, il n'en avait plus aucune nouvelle, et plutôt que de s'en sentir soulagé et de penser qu'il avait mérité de finir seul, l'imaginer abandonné au milieu de cet hiver déprimant lui fendait le cœur. Il avait fauté, mais n'avait finalement créé de problème à personne. Les sauveurs de vies étaient dissous, Jongin en était fortement peiné, mais tous étaient bien vivants, alors pourquoi ne se voyaient-il plus ? Car Baekhyun n'était pas le seul à avoir été mis à l'écart, c'était la meute entière qui avait explosé pour laisser les éclats se perdre dans la solitude. Il ne travaillait même plus, ayant demandé une période de congés pour se remettre de toute cette pagaille sans vraiment s'en sortir, il ne voyait donc plus grand monde mais se permettait de rares fois à approcher le restaurant dans lequel avait travaillé Kyungsoo, car il ne s'y trouvait plus. Tout comme lui, les ex sauveurs de vies s'étaient tous mis en pause et avaient totalement disparu. S'ils n'étaient pas réellement morts, cela en avait tout l'air. Certains bougeaient toujours, comme Junmyeon qui continuait son ascension jusqu'à la tête de l'entreprise de son père, Jongdae également semblait ne pas avoir quitté son travail de bureau mais Sehun, lui, ne prenait plus la peine d'aller à l'université et restait caché derrière son ordinateur et son téléphone, il ne devait pas sortir de sa chambre, tout comme Chanyeol qui devait agoniser sur son piano. Ces pensées ne faisaient qu'accentuer la colère du mat qui grognait seul dans son appartement de ne pouvoir en voir aucun. Il ne supportait plus d'être séparé d'eux, il voulait renouer avec chacun, enquiquiner à nouveau ses Hyungs et rire de plus belle avec un Baekhyun joyeux et rayonnant. Mais l'appréhension reprenait très vite le dessus. Il était facile de retrouver Baekhyun, certainement, ce serait donc le premier avec lequel il désirerait reprendre contact, ne serait-ce que pour repartir sur de bonnes bases. Mais, les autres, accepteraient-ils de le voir lui pardonner cette trahison ? Se retourneraient-ils contre lui et l'abandonneraient-ils comme ils l'avaient si facilement fait avec le blond de la bande ? Il craignait le pire. Plus personne n'osait se faire confiance alors, même s'il croyait généralement en ses Hyungs, il avait peur d'être rejeté au moindre geste, à la moindre parole. Il se retrouvait alors prisonnier de ses propres peurs et de ses propres idées, sans oser franchir le pas. Épuisé d'avoir une nouvelle fois mis son appartement sans dessus-dessous pour passer ses nerfs, il ne pouvait que se laisser emporter par la déprime et ce sentiment d'impuissance.



Attrapant sa couverture pour la déposer sur ses épaules, sans rien prendre de plus pour se couvrir, Jongin traîna des pieds jusqu'à la sortie de son immeuble et se décida à prendre un bon bol d'air frais. Il s'emmitouflait comme il le pouvait dans sa couverture pendant que le vent glacé de Décembre lui mordait les joues, les nombreux flocons emportés par la brise s'écrasant sur sa silhouette penaude et lasse. Il ne savait où aller, ne sachant quoi faire, et se contentait donc d'errer comme le voulaient ses jambes, se laissant simplement porter sans même prendre le temps d'observer les rues qu'il traversait, il n'avait même pas le souvenir d'avoir croisé quiconque. Il espérait simplement que les bourrasques sauraient emporter avec elles ses plus tristes pensées et ses plus lourds ressentis, que le froid saurait geler ses nerfs et ses larmes pour ne plus les sentir déborder sur le coup de la colère. Et lorsqu'il se sentit enfin léger et libéré de ce sentiment d'impuissance, il se permit enfin de relever la tête, de prendre une grande bouffée d'air pour enfin se rendre compte de ses propres tremblements tant il avait froid. Mais pas seulement. Il connaissait le quartier, il n'y avait mis les pieds qu'une seule fois et pourtant, il pouvait clairement s'en souvenir. Il n'était pas venu seul, et certainement pas à pied. Il se souvenait d'un scooter et de la présence de quelqu'un de bien plus petit et de peu souriant. Yoongi, le livreur ami avec Jimin le danseur et Hoseok le serveur. Et Taehyung, la folie de Baekhyun. Il s'en souvenait clairement désormais, après tout, ce n'était pas si vieux que cela. Il se souvenait être rentré de You Were Here avec lui un jour, après une belle soirée arrosée, le plus âgé lui avait d'abord proposé de le raccompagner chez lui en scooter puis, sur le trajet, l'idée de partager une pizza leur était venue. Il avait donc passé un repas dans ce quartier où Yoongi vivait. Instinctivement, il se mit à redécouvrir les rues, cherchant la bonne, désirant sans réellement savoir pourquoi, revoir cette façade derrière laquelle il avait partagé cette pizza et ces discussions à la fois sérieuses et moqueuses. Mais, à peine avait-il aperçu l'appartement, qu'il s'était séparé de sa couverture sans plus de remord et s'était mis à courir aussi vite qu'il le pouvait. De la fenêtre qui paraissait être celle de la chambre de Yoongi s'échappaient déjà d'immenses flammes rougeâtres qui avaient aussitôt fait oublier l'air glacial qui transperçait l'être de Jongin. Il s'était précipité jusqu'à la porte d'entrée qu'il n'avait pas réussi à ouvrir malgré les coups qu'il avait pu lui donner dans la panique. Des voisins semblèrent enfin se rendre compte de l'horreur et paniquaient à leur tour alors que le mat les suppliait d'appeler les pompiers. Personne ne semblait savoir comment entrer, mais tous affirmaient avoir entendu du bruit plus tôt dans l'appartement, une dispute même, alors Jongin craignait le pire. Il se permit d'entrer chez une voisine, traversa son couloir et son salon sans même jeter un coup d'œil aux enfants qui émergeaient à peine de leur sommeil sans comprendre ce qu'il se passait, puis il ouvrit la fenêtre la plus proche du balcon de Yoongi. De ce côté-là, aucune flamme pour le moment, il lui fallait donc agir au plus vite. Il prit tous les risques pour escalader la façade, à plusieurs étages au-dessus du vide, il s'accrochait comme il le pouvait à l'encadrement des fenêtres, aux rebords en béton et tentait de se coller le plus possible au mur pour ne pas basculer dans le vide. Il se crispait, sentait ses jambes trembler et les larmes lui monter aux yeux et pourtant, il fallait qu'il avance sur cette corniche bien trop étroite et glissante après cette chute de neige. Son équilibre sans faille fut réellement son sauveur et il ne saurait dire d'où il avait trouvé le courage de se jeter dans le vide pour s'accrocher à la rambarde du balcon tant il sentait son corps envahi par des milliers de fourmillements. Il avait encore la force de se hisser jusque sur la terrasse, se mettant enfin à l'abri du vide, il reprit un instant sa respiration et se frotta le visage pour chasser les larmes qui faisaient peu à peu leur apparition. Parce que oui, clairement, il avait peur. Il avait eu peur pour lui, certes, mais il avait toujours terriblement peur pour l'homme qu'il espérait ne pas trouver à l'intérieur. Sans plus attendre, il n'hésita pas une seule seconde à briser la baie vitrée face à lui, se retrouvant soudainement noyé dans une vague de fumée noire happée par l'extérieur et emportée par le vent. Commençant déjà à tousser, Jongin se décida tout de même à pénétrer le salon plongé dans la pénombre et dont chaque meuble était dissimulé dans le nuage sombre, il se cogna d'ailleurs à de nombreuses reprises et dut arpenter la totalité de la pièce avant d'enfin trouver le couloir qui le mena jusqu'à la chaleur dévorante de l'incendie. Il apercevait la chambre, complètement éclairée par le feu ardent et, même s'il prenait déjà la peine de crier son nom, il savait très bien qu'il n'aurait pas d'autre choix que d'aller jusqu'à lui, car plus il avançait, plus il était persuadé de le trouver. Et ce fut le cas. À peine Jongin eut fait un pas dans la chambre qu'il le vit, inconscient sur son lit, alors que les flammes grignotaient déjà les draps.



-HYUNG !



La chaleur du feu le mordait un peu plus à chaque pas et pourtant, il lui fallut presque courir jusqu'au corps frêle de Yoongi. Il lui attrapa la jambe, le secoua mais ne réussit pas à le réveiller. Craignant de brûler vif, il tira sur le tibia qu'il tenait en main pour faire glisser le corps jusqu'à lui, il put lui agripper le bras, l'amener à lui et entourer ses bras autour de son buste. D'un geste vif de la main, il éteignit la légère braise qui commençait à prendre vie sur la tignasse menthe de son ami et se décida enfin à le traîner hors de la chambre. Il avait pu les éloigner des flammes mais ils n'étaient pas sortis d'affaire, impossible pour Jongin de se mettre debout tant la fumée était épaisse, aveuglante et étouffante, il n'avait de cesse de tousser et craignait de s'asphyxier avant même de pouvoir sauver quiconque. Restant au plus proche du sol, il laissa l'inconscient dans le couloir le temps de trouver la salle de bain, s'empara des deux serviettes qu'il trempa au plus vite sous la douche, les imbibant au plus possible d'eau. L'une finit sur sa tête, l'autre sur celle de Yoongi qu'il hissait déjà sur son dos pour s'enfuir à la hâte. Il trébucha à de nombreuses reprises, se cogna aux murs alors que les flammes les rattrapaient, et trouva enfin la sortie. Ses mains s'énervèrent un moment sur les nombreuses serrures verrouillées puis sur la poignée qui peinait à s'ouvrir et, enfin, l'air frais s'offrit à eux. Jongin se précipita à l'extérieur, ses jambes ne le portèrent plus et ils se virent tous deux s'effondrer au sol devant les yeux médusés des voisins. Il toussait, se séparait de sa serviette et se retournait vers son ami.



- Hyung ?! Yoongi-hyung ?! N'avait-il de cesse de répéter, prit d'une panique qu'il tentait tant bien que mal de contenir.



Le dit Yoongi ne bougeait pas, mais ses yeux s'ouvrirent un infime instant avant qu'un très mince sourire ne s'étire au coin de ses lèvres. Jongin ne pouvait alors plus contenir les larmes qui forçaient ses paupières, il se laissa emporter par les sanglots alors qu'il avait enfin la confirmation que son ami était vivant, certes mal en point, mais vivant tout de même. Les sirènes des pompiers étaient désormais assourdissantes, plusieurs hommes se battaient contre le feu pendant que d'autres prenaient en charge les deux blessés. Enroulé dans une couverture de survie, le danseur profitait d'une bouteille d'oxygène pour se remettre de ses émotions pendant que Yoongi profitait des soins des pompiers. Par chance, il était seulement tombé dans les pommes par manque d'air et s'était finalement très vite réveillé. Il lui était impossible de se lever, il lui fallait partir à l'hôpital mais avant, les deux garçons profitèrent d'un moment en tête à tête.



- Merci, Jongin-ah. Prononçait difficilement le plus vieux d'une voix plus rauque qu'à son habitude.


- Ne me remercie pas, je n'allais pas te laisser mourir. Comment a commencé cet incendie, hyung ? Tu... Tu n'as tout de même pas tenté... Demandait Jongin, avec un mauvais pressentiment.


- Si. C'était une connerie. Mais je n'en pouvais plus. Confirma Yoongi après un moment de silence pesant. Nos vies n'ont plus de sens, si tant est que nous en ayons encore une. Puis... Je pensais que vous étiez...



Jongin eut un signe négatif de tête alors qu'il affichait un sourire timide. Il vint dans l'ambulance et s'installa sur un des sièges aux côtés du patient. Il s'appuya contre le matelas quelque peu plastifié du brancard et fut surpris de sentir une main fébrile passer dans ses cheveux bruns.



- Vous êtes tous vivants alors ? Vraiment tous ? Demanda le blessé. Taehyung nous a pourtant dit que l'article de journal parlait de vous, qu'il avait tout vu.


- Il parlait de nous oui, mais... Taehyung-ssi n'a pas réellement tout vu. Il a dû se fourvoyer.


- ... Nous devons redonner du sens à nos vies, Jongin-ah. Nous devons cesser de souffrir seuls. Réalisait Yoongi après son long moment d'inconscience, se rendant bien compte que son geste n'avait eu aucun sens et qu'il allait lui falloir remettre sa vie en ordre. Mais, comment as-tu fait pour être là au bon moment, toi ?


- Eh bien... Réfléchit Jongin, peu décidé à lui raconter la vérité sur sa propre déprime. Parce que je suis un sauveur de vies.



Le mat ne put alors éviter l'apparition d'un large sourire sur son visage, et même si les larmes se remettaient à couler d'elles-mêmes, cela n'enlevait rien à la beauté de son geste. Le cœur de Yoongi s'apaisa instantanément et il ne put réprimer un léger sourire à son tour, finalement satisfait de sa réponse. Un sauveur de vies resterait certainement à jamais un sauveur de vies, c'était ainsi, dans leurs veines et dans leur cœur. Alors celui de Jongin fut soudainement libéré et allégé. Les choses avaient peut-être mal tournées, ils avaient peut-être fini par se séparer et vivre loin les uns des autres, mais il restait quelque chose d'immuable, ils seraient à jamais tous liés par ce qui faisait leur essence, leur rôle de sauveur de vies. Et alors qu'il ne s'était jamais senti aussi proche de sa meute, son téléphone vibra dans la poche de son pantalon et afficha un nom qu'il n'avait plus osé espérer : Jongdae-hyung. Il décrocha avec une certaine fébrilité, incertain de ce qu'il allait entendre, de la tournure qu'allait prendre la discussion, il craignait les mots qu'il allait entendre tout comme ceux qu'il allait prononcer mais il ne s'était pas attendu à la discussion qui suivit. Yoongi observa son air surpris laisser place à une gravité et un sérieux angoissant, suivit d'une détermination qui lui redonna un certain espoir, puis il le vit se relever et sortir de l'ambulance.



- Excuse-moi Hyung, je dois sauver quelqu'un d'autre !


- Qui ?!


- Baekhyun-hyung !



Et déjà, la silhouette du danseur disparaissait en courant dans les ruelles complètement recouvertes de neige.




Il se faisait frapper de plein fouet par le vent glacé, en frissonnait sans vraiment y faire attention et continuait de déambuler en ville sans faire attention au monde autour de lui. Son esprit était occupé à ressasser les mêmes événements. Une dispute récente, avec des cris qui résonnaient toujours à ses oreilles qui lui emballaient le cœur et enserraient sa poitrine. Le jeune Jungkook revoyait son aîné Yoongi agrippé à son col pour lui cracher au visage toute son impatience et sa haine quant à ce monde et la tournure qu'avait pris leur vie à chacun d'entre eux. Le malheureux n'avait pas supporté de voir leur groupe s'affaiblir jusqu'à ne plus se voir car, même s'il paraissait être le plus solitaire et le plus froid, il avouait désormais ne plus pouvoir vivre sans ces jeunes hommes qui remplissaient ses journées. Le plus jeune de la bande ne s'était absolument pas attendu à le voir exploser de la sorte, il n'était venu le voir que pour se rassurer, pour voir un visage familier, pour avoir des nouvelles rassurantes... Mais en aucun cas il avait reçu ce qu'il désirait, bien au contraire. Il s'était pris une réelle tornade, une claque dont il avait du mal à se remettre. Le groupe allait-il si mal que cela ? S'était-il réellement effondré depuis la mort de Seokjin ? Taehyung ne reviendrait-il pas vers eux ? Hoseok et Jimin ne finiraient-ils pas par ressortir de chez eux un jour ? La perte de contrôle de Yoongi n'apportait que des réponses négatives. Pourtant, Jungkook avait tenté d'y croire, il avait protesté, avait tenté de raisonner son aîné en le contenant, le retenant pour éviter qu'il ne se fasse mal dans cette bataille contre ses nerfs. Ils s'étaient alors battus l'un contre l'autre, avec une hargne dont Jungkook ne se serait pas cru capable envers son hyung, tout comme il ne l'aurait jamais pensé capable d'une telle vigueur à son égard. Il le revoyait s'énerver seul dans son salon, envoyer valser tout ce qui traînait sur les meubles, le bousculer s'il était sur son chemin tout en jurant des insanités qu'il ne pensait certainement pas. Et il se revoyait, lui, perdant patience et ne sachant plus que faire, n'être capable que de balancer son poing au visage d'un Yoongi complètement ravagé par sa folie. Le coup n'avait pas suffi à lui faire retrouver ses esprits, la bataille avait repris de plus belle et Jungkook s'était retrouvé jeté au sol avec force, percutant un fauteuil et ne put alors qu'être spectateur du vol d'une chaise à travers la pièce, finissant son voyage dans un miroir qui explosa en de milliers d'éclats au-dessus de leurs têtes. Yoongi avait poussé un cri venant du plus profond de ses tripes, faisant suffoquer le plus jeune, avant de lui sommer de partir au risque de finir dans le même état que le mobilier. Jungkook n'avait pas demandé son reste et avait quitté la partie, voyant le corps essoufflé de son aîné se traîner jusqu'à sa chambre et se retrouvant alors seul dans l'appartement, il avait réalisé une chose. Leur vie était finalement à l'image de l'horreur qui s'affichait devant lui. Un salon vide plongé dans la pénombre, et dont chaque meuble était retourné et brisé, à l'image de leur cœur et de leurs espoirs.



Il avait donc retrouvé les rues de Séoul, tout de suite plus animées et plus encombrées par les passants mais pourtant toujours aussi vides d'intérêt pour lui. Il ne prenait pas la peine de s'excuser lorsqu'il bousculait les gens, ne faisait que garder les yeux rivés sur le sol alors que son esprit semblait tourner dans le vide. Il ne réfléchissait à rien, se rendait seulement compte qu'il ne faisait que subir les événements sans rien pouvoir y faire. Si, il pouvait y faire quelque chose. S'il ne pouvait pas diriger sa vie, il pouvait au moins décider du moment où elle toucherait à sa fin. Plongeant sa main dans la poche de son jean, il attrapa son téléphone pour l'allumer et ne fut même pas surpris de ne remarquer aucun message, aucun appel, aucune notification. Il ne manquerait donc à personne. Ce fut donc avec la détermination d'un jeune rebelle que Jungkook approcha de la route. Un passage piéton, un feu vert pour eux contre un feu rouge pour lui. Le destin allait-il une nouvelle fois diriger son existence et décider de le sauver par le plus grand des hasards, par la force de la chance, ou allait-il réussir à mettre ce point final par sa propre volonté ? Abattant alors toutes ses cartes sur la table, Jungkook avança un pied sur la route après une inspiration pleine de détermination mais étrangement suivie d'un soupir empli d'une peine qui traduisait à merveille sa renonciation. Il se faisait éblouir par les phares des voitures qui passaient à vive allure devant lui, un premier klaxon se fit entendre, lui faisant imperceptiblement trembler les genoux alors qu'il tournait un visage noyé de peine vers les véhicules qui le percuteraient bientôt. Mais avant que le pire arrive, un bras lui bloqua le passage, ganté et protégé d'un blouson, un motard que Jungkook n'avait pas remarqué venait de s'arrêter à son niveau et l'empêchait de faire un pas de plus. Maudite destinée. Même le choix de mourir ne lui avait pas été possible, il avait fallu que le hasard s'en mêle. Quoi que.



Le gant se leva jusqu'au casque et releva la visière. S'afficha alors devant le regard perdu de Jungkook un visage qui ne lui était pas inconnu. Un regard qu'il avait toujours trouvé hautain, un visage froid et peu aimable qui avait pour habitude de lui provoquer des frissons et duquel il préférait rester éloigné. Par chance, les deux jeunes hommes n'avaient pas pris pour habitude de se côtoyer. Pourtant, là qu'il faisait un pas décisif dans sa vie, le jeunot devait retrouver Sehun sur son passage, l'empêchant d'agir comme il le voulait. Longtemps, ils ne firent que se fixer sans qu'un mot ne se prononce ni qu'un pas ne soit fait. Ils restaient là, presque au milieu de la chaussée sans se préoccuper des gens les entourant. D'un côté, Jungkook se sentit apaisé, comme si un moment de pause lui avait été offert durant cette journée infernale qu'il avait dû traverser, mais d'un autre, il se sentait jugé de toutes parts par ce regard dédaigneux face à lui. S'il n'en avait que faire de lui, que faisait-il encore là à le fixer sans rien dire ?



- Qu'est-ce que tu fais ?



Jungkook fut surpris d'entendre la voix de Sehun fendre l'air la première, pour une question qu'il se posait lui-même dans le sens inverse.



- Ça te regarde ? Avait seulement répondu le plus jeune sans plus de manière. Qu'est-ce que toi tu fais là ?


- Je te sauve.


- Rien que ça ?! Avait ricané Jungkook en retour, n'en croyant pas ses oreilles. Depuis quand j'ai besoin d'être sauvé ?


- Depuis que tous tes amis sont dans le même cas que toi.



Ôtant l'un de ses gants, Sehun ouvrit la fermeture éclair d'une des poches de son blouson en cuir pour se saisir de son téléphone et dévoiler à son camarade toutes les épreuves que traversaient ses amis. À l'aide de ses dons dans l'informatique et de tous les moyens qu'avaient pu se procurer les sauveurs de vies, le plus jeune de ces derniers avait désormais le monde entre ses mains et pouvaient accéder à toutes les informations qu'il désirait. En premier lieu, il pirata les caméras de la ville pour faire découvrir à Jungkook l'incendie dont était victime Yoongi.



- Ne t'inquiète pas, Jongin est sur place, ils vont s'en sortir. Le rassurait-il sans pour autant que l'on sente une quelconque compassion dans sa voix.



S'en suivirent les messages échangés avec les autres membres de la meute. Quelques jours en arrière, il avait reçu des messages de Minseok et de Jongdae lui expliquant qu'ils avaient récupéré Hoseok dans un sale état et qu'ils le remettaient doucement sur pieds, puis la veille à peine, des messages de Chanyeol en pleine nuit lui assurant de la tentative de suicide de Jimin qu'il avait pu sauver in extremis. Ce fut alors une douche froide pour Jungkook qui découvrait l'état d'esprit de ses amis qu'il n'avait pas sentis comme étant si désemparés. Il n'avait pas su voir leur détresse, ou plutôt, ils ne lui avaient pas permis de s'en apercevoir, préférant protéger leur maknae jusqu'au bout. Seulement, d'une certaine façon, la détresse de ses aînés n'avait finalement pas épargné le plus jeune qui, plongé dans une ambiance des plus moroses, s'était peu à peu dirigé vers une finalité similaire. Sehun s'en était fortement douté, et sous les ordres discrets de Junmyeon, le jeune loupiot s'était fait un plaisir de surveiller tout ce petit monde devenu depuis peu leurs nouveaux amis, leurs nouveaux compagnons de route et de vie. La chute imminente du petit dernier lui avait paru inévitable et surtout, dans un futur très proche. Il n'était donc pas peu fier d'avoir suivi les moindres faits et gestes de Jungkook depuis quelques jours, que ce soit réellement en le suivant en ville ou informatiquement en jouant avec les réseaux sociaux et les caméras. Par chance, il avait senti le pire arriver et n'avait pas hésité à braver le froid, et la flemme, pour intervenir de lui-même dans la débâcle de son camarade.



- Vous êtes tous vivants alors ? Continua Jungkook après avoir assimilé toutes ces nouvelles informations.


- Oui. Tout comme vous.



Il y eu un sourire faux et un rire jaune de la part du cadet. Eux n'étaient pas tous vivants, non, il manquerait leur aîné, à jamais.



- Monte. Lui ordonna Sehun alors que son téléphone vibrait dans sa main.



Il ne prit pas le temps de répondre, le rangeant et cliquant sur un bouton de son casque pour un kit main-libre bien moderne, lui permettant de contrôler sa moto tout en téléphonant. Alors qu'il saluait quelqu'un, Jungkook se surprenait à lui obéir en enfourchant la bécane tout en enfouissant sa tête dans un casque que lui avait tendu le plus grand. Il eut à peine le temps de s'accrocher au cuir de Sehun que celui-ci démarrait son bolide en trombe sans cesser sa discussion permettant à Jungkook d'en savoir un peu plus sur la situation.



- Oui, Hyung. Hm. Jonginnie s'est occupé de Yoongi, il passera la nuit à l'hôpital. Chanyeollie reste chez Jimin pour éviter toute nouvelle tentative et... Ah ? Oui j'étais au courant pour Baek, Minseok-hyung m'a appelé il y a une heure. Maintenant ? J'arrive, je ramène l'autre chez lui.



Bien. Il n'était donc que l'autre. Et effectivement, il s'était laissé emporter par l'écoute de la discussion téléphonique qui ne le regardait pas mais, maintenant qu'il tournait les yeux vers les rues qui défilaient à une vitesse folle, il reconnaissait peu à peu son quartier. Sehun eut vite fait de le déposer devant chez lui, ne lui permettant pas plus de curiosité et d'indiscrétion, de toutes manières il ne lui en aurait pas dit plus. Cela avait bien était la première fois qu'il avait entendu les lèvres de son aîné prononcer autant de mots d'un coup, il devait donc s'en contenter. Jungkook rentrait donc chez lui dans un état d'esprit mitigé, perdu entre sa déprime de plus tôt et le soulagement suite à tout ce qu'il avait appris. Les sauveurs de vies étaient toujours vivants, et les vies de ses frères avaient été sauvées, tout comme la sienne. Les choses étaient-elles sur le point de se remettre dans l'ordre ? Il l'espérait fortement.




Il en restait un qui avait vu arriver le pire depuis longtemps déjà, qui avait tenté de tenir le groupe mais qui, en pensant bien faire, n'avait fait que signer l'arrêt total de leur vie. Namjoon, depuis la disparition de Seokjin, faisait de son mieux pour garder les siens debout, tout en ayant du mal à rester sur pied lui-même. Il avait perdu son ami, son confident, et même plus encore. Il s'était retrouvé abandonné, désormais seul esprit calme, posé et sensé, parmi un groupe de jeunes intrépides aux nerfs à vif, et s'était pensé capable de gérer tout ce petit monde. Ce fut un travail d'équilibriste, ce fut fastidieux mais, dans les premiers jours de perdition où ils durent subir le manque de l'un des leurs, il avait réellement eu l'impression d'y arriver, l'impression de leur sortir la tête de l'eau et de les garder à la surface. Mais il avait fauté. En l'espace d'une soirée, d'une discussion autour d'un chocolat chaud, face à des yeux bruns de plus en plus ternes, il avait choisi la mauvaise solution. Baekhyun avait alors envoyé les pièces de son échiquier valser d'un grand coup de bras et le plus jeune ne pouvait désormais qu'observer ses pions s'écraser les uns après les autres sur le sol. Il aurait pourtant dû se douter que depuis la disparition de la reine, il n'avait pas d'autre issue que l'échec et mat. Depuis lors, il avait vu l'équipe adverse s'effondrer, jetée en pâture par leur fou sans plus de remord ni d'humanité, et il se rendait bien compte que l'absence de l'équipe d'en face n'avait fait que plonger ses camarades dans une guerre froide avec eux-mêmes. Il les voyait dépérir, les uns après les autres, sans savoir comment les remonter, et se sentait lui-même peu à peu emporté par l'évidence. Plus de reine, plus de fou, plus de cavalier, plus de tour, plus de pion... Il ne restait finalement qu'à faire disparaître le roi pour terminer la partie.



Ainsi, Namjoon se résigna. Cette nuit-là, alors qu'il était de service à sa station essence et qu'il venait de tremper le sol sans le vouloir, dans un geste las et maladroit, sans aucune motivation, il pensait réellement que mettre un terme à cette partie perdue d'avance ne pouvait qu'être l'ultime solution. Ainsi, comme il le faisait souvent depuis la mort tragique de son alter-ego, il alluma une cigarette. La drogue fut menée à ses lèvres, il profita de quelques bouffées qu'il prit plaisir à recracher en une fumée légère, rapidement emportée par la brise hivernale, et se rendit compte qu'il ne désirait que cela. Partir en fumée à son tour, tout comme lui, et très certainement tout comme les autres. Car Namjoon n'était pas dupe, et loin d'être aveugle et idiot. Bien au contraire, son intelligence et son intuition lui avaient déjà tout dévoilé sans qu'il n'ait besoin de le vérifier. Il se doutait de l'état d'esprit de ses amis et craignait évidemment qu'ils n'aient les mêmes envies que lui. Pourtant, c'était inévitable, il ne voyait pas d'option. Peut-être que certains étaient déjà partis, que d'autres ne tarderaient pas à les rejoindre, alors désormais c'était son tour. La cigarette quitta ses lèvres, il l'observa un instant, toisant ce qui allait être la cause de sa disparition puis, volontairement, ses doigts s'écartèrent et il put voir le mégot encore rougeâtre entamer sa chute vers la flaque de combustible qui le dévorerait bientôt.



Mais il ne s'était pas attendu à sa présence, à cet homme vif dont les gestes furent fluides et maîtrisés dans une sérénité déconcertante. Avant même qu'il ne puisse se rendre compte de l'échec de sa tentative, l'individu avait intercepté la cigarette à quelques centimètres de l'essence, la tenant du bout des doigts. Namjoon le vit se redresser avec lenteur et légèreté, leurs regards ne se croisèrent même pas, il s'était directement éloigné pour atteindre le cendrier qui siégeait devant la porte d'entrée de la station, se débarrassant de la cigarette tout en continuant sa conversion téléphonique. Sa voix était douce et quelque peu hésitante, il ne s'exprimait pas très bien, avait du mal avec la prononciation de certains mots, il se reprenait plusieurs fois et assumait complètement son accent chinois. Son faciès avait permis à Namjoon d'affirmer sans soupçons, l'individu n'était pas coréen, c'était un voisin, et enfin il se tournait vers lui pour un premier contact visuel. Étonnamment, l'inconnu le gratifia d'un sourire tout en s'approchant du pompiste.



- C'est bien lui ? Demanda-t-il soudainement.



Le téléphone se décolla de son oreille, il tapa furtivement sur l'écran et le tourna vers Namjoon qui fut surprit d'apercevoir le visage Junmyeon dans la conversation visuelle.



- Oui parfait ! Bonsoir Namjoon-ssi. Avait à peine eu le temps de prononcer le leader des sauveurs de vies avant que l'inconnu ne récupère la conversation de façon plus intime.


- Je m'en occupe alors. Oui, après j'arrive. Vous y êtes déjà ? Heu... Je ne sais pas... Mais il va m'aider non ? À tout de suite alors, oui.



Et le chinois raccrocha sous le regard interloqué du coréen. Le pauvre ne se remettait pas de ce qu'il venait de voir. Junmyeon devait pourtant avoir coulé dans le fleuve Han avec sa meute, comment pouvait-il être au téléphone à l'instant ? Namjoon restait muet, interdit, alors que l'inconnu raccrochait et prenait le temps de s'incliner devant lui avec une politesse démesurée.



- Je suis Yixing, le sauveur de vies de Chine. Mais amis m'attendent mais je ne sais pas comment les répondre, tu pourrais m'aider ? S'était-il exprimé avec une certaine difficulté.


- Les répondre ?


- Les... Ah ! Les rejoindre ! Je ne sais pas comment les rejoindre. Tu peux ?



Celui-ci n'était clairement pas comme les autres, il était plus détendu, plus détaché et semblait capable de se noyer dans un verre d'eau. Ou alors c'était la différence de langue qui donnait cette impression à Namjoon. Dans tous les cas, le pompiste retrouva ses esprits et avala toutes les questions qui lui taraudaient l'esprit pour venir en aide à ce sauveur de vies mal assuré.



- Ils sont viv-... Ils sont où, du coup ? Demanda-t-il, ayant du mal à choisir la priorité de ses questions.


- À notre QG, le You Were Here.


- Mais... Il est abandonné depuis...


- Depuis l'assaut oui, mais c'est le seul endroit que nous connaissons tous.



Qu'ils connaissent tous mais dont il n'est pas capable de retrouver le chemin, pensait fortement Namjoon en tentant de se raisonner. Le pauvre était étranger, certainement en Chine depuis longtemps, il devait probablement avoir oublié comment s'y rendre.



- Bien. Je peux t'y accompagner, oui.


- Merci beaucoup. Répondit Yixing en s'inclinant une nouvelle fois devant Namjoon.


- Ils t'y attendent... tous ? Osa-t-il alors, espérant avoir des réponses.


- Presque, il ne manque que Baekhyun-ssi. Mais tout le groupe est là, oui.


- J'avais entendu dire qu'ils avaient disparu pourtant.


- Officiellement, oui, mais ils sont toujours vivants. Tes amis aussi d'ailleurs.


- Pardon ?! S'étouffa soudainement Namjoon.


- Vous êtes tous en sécurité maintenant, alors ne recommence pas ce que tu as essayé de faire. Ils seraient très tristes, je pense.



Namjoon acquiesça timidement d'un signe de tête. Il était difficile de comprendre le chinois qui se limitait à des phrases simples avec un vocabulaire basique, il n'osait donc pas le questionner plus et lui demander des détails mais pouvait s'en tenir au principal. Tout le monde allait bien. Tout irait bien. La partie n'était finalement pas terminée.



Un sentiment étrange serra la poitrine de Namjoon lorsqu'il emprunta la ruelle étroite qui menait jusqu'au You Were Here, la nostalgie s'était emparée de lui et lui serrait sans ménagement la gorge. Ils se retrouvèrent devant le bâtiment à l'abandon, découvrant une façade morose, des fenêtres en débris qui laissaient le libre accès au café délabré et à moitié enneigé. Yixing n'eut aucune hésitation pour franchir la porte inexistante de ce qui était autrefois leur QG, et ils purent découvrir la présence de tout le groupe, certains arpentant avec tristesse les lieux et d'autres restant statiques, arborant un air grave. Une discussion avait certainement commencé et un débat avait désormais lieu, Namjoon ne put être témoin que du pire.



- Je suis entièrement contre l'idée d'aller le sauver !




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Petit mot d'Injae-Nim :

Fiouuu~ 
Ce treizième chapitre aura été aussi compliqué que le précédent à écrire, et je suis bien contente de l'avoir terminé, il me tardait de vous le faire lire.
Pourtant, aucune trace de Baek ni de Tae, je m'en excuse, promis ils reviendront très vite, mais je vous ai offert du Jimyeol pour compenser. J'espère que ce passage vous aura autant plu qu'à moi ! Dites-moi tout !

Je vous dis à bientôt pour retrouver nos héros !

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