9 - Les fantomes du passé 🌔
— Monroe... tu es sûre que tu ne veux pas en parler ?
Je restais allongée sur mon lit, mon ours en peluche collé contre ma poitrine et je fixais le mur devant moi tandis que ma mère était à ma porte, désemparée par mon chagrin. Je ne dormais plus la nuit, je ne cessais de rêver d'Alice, de sa mort si brutale, de cette forêt qui hantait mon esprit.
— Je ne veux pas parler...
— Ça fait déjà trois semaines...
— Laisse-moi maman.
— Monroe...
— J'ai dit, laisse-moi !
Les parents d'Alice avaient refusés un enterrement. Tout du moins, ils avaient souhaité que personne ne sache ce qu'il s'était passé. Alors la mort d'Alice était restée secrète puis nous avions déménagé, bien que j'avais fini par reprendre mes études à Hellbound.
— Alice ? soufflé-je déconcertée.
— Je suis contente de te revoir Monroe.
— Mais... comment c'est possible ? Tu... j'ai vu... ils disaient que ton cœur ne battait plus ce soir là dans les bois. Je m'en souviendrai toute ma vie.
— Je sais que tu as beaucoup de questions...
— Je ne comprends pas...
— Nous devrions nous isoler si tu l'acceptes Maximilien.
Max lui jette un regard et hoche la tête alors Alice croise le mien puis se rend dans la cuisine, la pièce d'à côté. Je la suis, les jambes flageolantes, complètement décontenancée.
Elle s'appuie contre le plan de travail et m'adresse un faible sourire. Elle est belle, c'est vrai, ses cheveux bruns sont coupés au carré, parfaitement lisses, elle arbore de beaux yeux noisettes et elle ressemble tellement à Louis... les mêmes yeux, la même couleur de cheveux, le même regard. Sait-elle que son frère est un tueur sans pitié ? Qu'il en veut au monde entier pour sa disparition ? J'ai tant de question... je la reconnais et à la fois, c'est une inconnue. Je me souviens d'une Alice plus petite, plus frêle, plus fragile, une Alice moins femme et plus enfant. Je me souviens de ma meilleure amie d'enfance, la femme que j'ai devant moi ne semble n'être que son fantôme. Le fantôme de mon passé.
— Comment va ton enfant, Monroe ?
Je croise les bras et relève le menton. Alice me sourit, ce sourire se veut rassurant, réconfortant, c'en est destabilisant.
— Mon enfant va bien...
— Jamais je n'aurais pensé un jour me dire que la petite Monroe que j'ai connu puisse devenir mère mais à la fois... je me doutais que la vie te réservait un grand destin.
— Un grand destin ? m'étonné-je.
Je hausse les sourcils et pouffe de rire. La vie m'a plutôt offert un grand cauchemar.
— Alice, j'ai vécu l'enfer durant sept ans. Je ne sais pas vraiment à quoi ressemble le bonheur, je ne me souviens même plus ce que c'est que d'avoir une vie normale.
— Je comprends tellement...
Elle baisse la tête et se mord les lèvres. Elles sont teintées d'un rouge pourpre et ses cils légèrement maquillés d'un mascara foncé. J'avoue que le maquillage n'a jamais été mon fort. Peut-être que je devrais m'y mettre un jour, mais je ne prends jamais le temps de me coiffer ou bien de maquiller mes cils, mes paupières, mes lèvres... Je suis plutôt ce genre de fille qui se laisse rapidement aller, parce que mon apparence est le cadet de mes soucis.
Elle inspire profondément et semble perdue dans ses pensées, ses yeux rivés sur les pieds de la table à manger.
— Ce soir là... commence-t-elle la voix tremblotante, je me souviens, nous jouions à cache cache, dans la forêt, au fond du jardin de mes parents... enfin, c'était un soir d'été ordinaire à Hellbound. Quand je suis partie me cacher, j'ai entendu du bruit, je me sentais suivie et épiée... j'ai soudainement eu peur et quand j'ai fait face à ce gigantesque loup devant moi, une simple gamine... je suis restée tétanisée. Tout est allé si vite, il m'a mordu, il m'a traînée sur le sol, certainement pour me dévorer et je ne sais comment, je me suis extirpée de son étreinte pleine de dents et j'ai foncé droit devant, quand tu m'as retrouvé et qu'on a tenté de s'enfuir... la douleur a été si vive que je suis tombée à la renverse...
— Tu convulsais, tu... tu es devenue si froide, inerte... l'interromps-je.
Elle relève ses yeux vers moi et hoche la tête, cet air empathique ne quittant pas son visage.
— J'ai comme un trou noir de cette nuit là, je sais juste que je me suis réveillée, dans une boite... j'étais dans une boite et... j'étouffais.
Elle raconte cela et je vois des larmes rouler sur ses joues rosies, ses yeux sont inondés de ces mêmes larmes, sa gorge semble nouée, sa voix rythmée par ses sanglots qu'elle tente de contrôler.
— J'étais qu'une gamine et je me réveillais six pieds sous terre...
Elle essuie d'un revers de la main ses larmes et renifle puis m'afficher un sourire crispé.
— J'ai réussi à sortir, parce que ma force s'était décuplée, comme par magie. Et j'ai voulu retourner voir mes parents...
Alice se redresse et s'approche de moi, doucement, elle attrape mes mains dans les siennes et les serre tout en me regardant droit dans les yeux. Je demeure immobile, les pieds ancrés dans le sol, je suis tétanisée moi aussi, comme une biche face à un loup affamé.
— Laisse-moi te montrer, souffle-t-elle.
— Je ne veux plus que personne ne me morde... déclaré-je.
— Connecte-toi simplement à moi, à mon esprit. Monroe... toi et moi, nous sommes pareilles.
Je fronce légèrement les sourcils puis je pousse un profond soupir. Je ferme finalement les yeux lorsque je la vois le faire. Je me laisse aller, je sens l'électricité entre elle et moi, entre nos deux paumes et quand je rouvre les yeux, je vois rouge, je vois par les yeux de mon loup mais par dessus tout, je vois les souvenirs qu'Alice souhaite me montrer.
— Papa... maman... ?
La petite fille titube dans la forêt, pleine de terre, essoufflée, manquant gravement d'oxygène, terrifiée, abandonnée. Ses pieds nus s'enfoncent dans la terre humide et quand elle approche du petit chalet illuminé dans cette nuit glaçante, elle s'avance sur le porche et ouvre la porte qui grince sur ses gonds. Les deux adultes dans le salon quelques mètres plus loin relèvent la tête vers elle alors elle s'immobilise.
— A-Alice ? s'étonne sa mère.
— Maman... je... maman, aide-moi s'il te plait...
— Oh, mon dieu, Alice !
Elle se lève mais son mari est plus rapide qu'elle, il s'empare du fusil qui reposait au dessus de la cheminée, l'arme et le braque sur son enfant.
— Isabelle, ne t'approche pas d'elle ! ordonne-t-il à sa femme.
— C'est notre fille, Cyril !
— Non, ce n'est pas notre fille, c'est un monstre, comme tous ces loups qui rôdent dans la forêt de Hellbound.
— Papa... j'ai froid...
— Oui, ma chérie, tu as froid, grogne-t-il en la visant. Ferme les yeux, tu verras, tout ce calvaire s'arrêtera.
Alors elle ferme les yeux. Ce n'est qu'une enfant terrorisée, perdue et gelée. À ce moment précis, elle n'entend plus que son organe vital battre contre sa poitrine et peut-être même que ce sera la dernière fois. Mais le coup de feu part et elle sursaute. Quand elle rouvre les yeux, seule une mèche de ses cheveux tombe sur le sol. Sa mère s'est jetée sur son mari pour l'empêcher de viser leur fille. Soudain, Alice se met à convulser, elle tombe sur le sol, sous l'air ahuri de ses deux parents. Mais lorsque ses membres se tordent, que sa colonne craque, que chaque partie de son corps se défait et se refait... pour former de nouvelles jambes, une toute autre forme... tous ces os qui craquent, tous ces hurlements d'une pauvre enfant qui souffre le martyr pour finalement ne laisser derrière eux plus qu'une bête à poils: un jeune loup, tout aussi gros que Max, que Marius, que moi... mais pourtant, il y a une enfant cachée là dedans.
Ses cris et ses pleurs ne sont plus que grognements et la bête féroce menace ses deux parents.
— Alice... c'est maman, tu te souviens ?
— C'est fini Isabelle, Alice est morte, souffle son mari.
Quand il braque à nouveau son fusil sur la bête, les bras tremblant, le loup se jette sur lui, enfonçant ses crocs dans sa gorge pour lui arracher la trachée et faire cesser ses hurlements d'agonie. Ensuite, la bête se chargera de sa mère et dévorera son cœur après avoir lacéré son torse de ses griffes.
— Maman... papa...?
La bête cesse de mastiquer l'organe vital qui battait dans la poitrine de sa mère quelques minutes plus tôt pour se retourner vers le jeune garçon qui se tient au pas des escaliers. La respiration de l'enfant se coupe lorsqu'il se retrouve face à la bête, ses petits yeux cernés et rouges à cause de toutes les larmes qu'il a versé après la disparition de sa sœur s'écarquillent et démontrent une peur incontrôlable et marquante.
Le loup ne l'attaquera pas cette nuit là.
Il partira et laissera ce pauvre Louis, seul, avec les deux cadavres dévorés de ses parents et le souvenir amer de sa petite sœur morte dans la forêt.
Je lâche les mains d'Alice et recule de quelques pas. Je dois cligner plusieurs fois des paupières pour que la vue du loup ne disparaisse et je croise alors son regard. Ses larmes inondent son visage et l'air de culpabilité qui le déforme me brise le cœur.
— Je n'étais qu'une enfant, Monroe...
— J'ai l'impression que les morceaux du puzzle s'assemblent petit à petit... marmonné-je.
À tâtons, je trouve une chaise derrière moi que je tire et sur laquelle je m'assois pour éviter de m'écrouler sur le sol tant mes jambes sont flageolantes.
— Louis déteste les loups garous... parce qu'il a vu ses parents se faire dévorer...
— Mon frère chassait avec mon père, du moins de ce que je me souviens et je suppose que mon père lui apprenait des choses dont moi, je n'étais pas au courant. Mais pourquoi tu parles de lui ?
Je relève les yeux vers Alice.
— Pourquoi tu es là, Alice ? Où est-ce que tu es passée pendant toutes ces années ?
— Je me suis éloignée de Hellbound, je me suis éloignée de Max, de ce monstre qui a fait de ma vie un enfer. Je suis partie... Monroe. Je me suis débrouillée seule, je survivais... seule.
— Et pourquoi tu es revenue ?
Alice s'approche de moi et s'accroupît pour sonder mon regard. Je ne bouge pas de la chaise, j'ai du mal à comprendre tout ce qu'il se passe mais j'ai la nette impression que tous nos destins sont liés. Alice, Max, Marius, Sam, Louis, moi...
— La Lune m'a parlé, Monroe.
Je fronce les sourcils, l'air interrogateur. La lune... on en revient toujours à la lune.
— Elle t'a... parlé... ?
— Elle m'a confié certains secrets, elle m'a susurré nos destins.
— Je ne comprends pas...
Alice attrape ma main et la serre dans la sienne.
— Monroe tu dois renoncer.
— Renoncer à quoi ? Insisté-je.
— À Hellbound, du frère de Max, à ta vengeance...
— J'aimerais bien mais tout me ramène ici. Tout me ramène à ça.
— Tu mourras si tu restes ici.
— Alice... écoute... tout ça me semble un peu farfelu.
Je me lève alors elle fait de même et me suit des yeux.
— Tu réapparais après des années, tu me parles de la lune, de destin, de mort...
— Si tu meurs, je meurs.
J'arrête les cents pas que j'étais en train de faire et je relève la tête vers elle.
— Nous étions proches quand nous étions enfants mais je t'ai cru morte et...
— C'est pas ça Monroe, c'est la lune.
— De quoi tu parles...
— Le Lien Lunaire, tu ne connais pas ?
Ma mère m'en avait parlé avant de me piéger. Ça me semble si loin à présent.
— Deux âmes liées l'une à l'autre, par la lune. Il n'y a rien qui peut desceller ce lien sauf la mort. Mais si l'un meurt, alors l'autre aussi, parce que la vie n'est pas possible sans son autre moitié. Tout comme la lune qui commence en croissant et finit totalement ronde, totalement entière... c'est là où elle brille le plus, quand elle est complète.
— Pourquoi tu me dis ça...
Ce fameux lien lunaire, cet âme sœur dont parlait ma mère... elle me parlait d'Alice ? C'est impossible. C'est à n'y rien comprendre ! Une migraine commence doucement à assaillir l'arrière de mon crâne et mon cœur s'emballe au fur et à mesure qu'elle me parle.
— Tu es un Alpha, ton pouvoir grandi et c'est fabuleux mais si tu souhaites entrer en guerre avec l'autre clan, tu mourras. Un soir de pleine lune, je l'ai vu dans ses rayons, elle me l'a dit, elle me l'a montré. Pitié Monroe... je ne peux pas mourir. Je ne veux pas mourir.
— Tu es revenue pour... pour me dire ça ?
Je me masse les tempes et lui lance mon pire regard. Ce qu'elle me dit n'a aucun sens.
— Jusqu'à présent, j'ai pu vivre cachée avec mes enfants...
J'écarquille les yeux et la fixe. Des enfants ?
— Ils... ils ont mes gènes mais mon mari est un être humain. Imagine qu'ils grandissent sans leur mère... imagine que la lune les choisisse comme elle nous a choisi nous... qui pourra les guider ? Ils seront perdus, terrifiés et referont les mêmes erreurs que moi...
— Alice... qu'est-ce que...
Je m'appuie contre le plan de travail.
— Je me sens mal... où... où est Max ? Balbutié-je.
— Je t'en prie, tu as un enfant maintenant, tu sais ce que c'est que d'être mère.
— Max... appelé-je sans forces.
Je finis par m'affaler sur le sol , mes doigts sont raides, mes bras aussi, ma vue est rouge. Toutes ces révélations ont eu l'effet d'un électrochoc pour moi, mais cet effet fut néfaste pour le loup.
Comme si la lune nous avait entendu.
Cette fois, c'est à moi qu'elle souhaite parler.
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