6 - Pleine Lune 🌕
Trois jours, voilà trois jours. Max m'a apporté de la nourriture matin, midi et soir. Nous avons parlé brièvement parce qu'il ne pouvait jamais rester avec moi. Il m'a aussi apporté des couvertures, un coussin et un livre. Je le déteste, parce que je suis captive dans un hangar, je dors dans de la paille et je mange des plats préparés que je vomis ensuite... Mais je ne peux qu'être reconnaissante des soins qu'il m'apporte. En revanche, je n'ai plus mes antibiotiques et en trois jours, mon état s'est aggravé. Ce matin, je n'ai pas pu manger la brioche qu'il m'a apporté, j'ai vomi sans m'arrêter.
Je vomis à nouveau alors que le soleil est sur le point de se coucher. C'est à peu près tout ce que je fais depuis trois jours en plus de dormir. À quatre pattes dans la paille, j'essuie ma bouche et relève les yeux quand je reconnais les chaussures noires de Max. Il s'accroupit devant moi et m'observe sans un mot, je serre les dents. Mon nez coule, mes yeux me brûlent, mon ventre gargouille et me torture.
— Pitié... soufflé-je. Emmène-moi voir un médecin.
Je ne saurais décrire son expression, a-t-il l'air inquiet ?
— Désolé mais non. Ta mutation va commencer et la mienne aussi, déclare-t-il.
Un violent mal de ventre me plie en quatre, je pousse un cri, je serre mon ventre et grimace.
— Je t'en prie !
— Si tu survis à cette nuit, demain tes sens seront décuplés et tu n'auras plus aucun symptôme, tu te sentiras beaucoup mieux.
Si je survis ? Il se fout de moi !
— Emmène-moi à l'hôpital et arrête avec tes conneries ! Je vais mourir !
— En effet... on verra ça...
Il se redresse, je le suis du regard alors que la douleur me tiraille jusqu'à l'os.
— Je serais dehors, il faut que je m'assure que tu ne quittes pas ce hangar.
Je le regarde alors partir, s'avancer vers la porte.
— Reste avec moi... supplié-je alors qu'une nouvelle douleur me tord.
— Je ne peux pas.
Il me jette un ciseau et me lance un dernier regard.
— Retire tes vêtements, tu seras plus à l'aise et t'auras moins de risque de t'étrangler.
Après ces quelques mots, il quitte l'endroit, je me retrouve alors seule. Je prends une grande inspiration avant que mon bras ne se raidisse, mes doigts se tordent et je hurle quand il se retourne dans un craquement inquiétant. Je colle mon front contre la paille, mes larmes coulent et je ne cesse de hurler tant c'est douloureux. Je n'ai rien contrôlé, mon bras vient de se briser seul. Mon estomac se tord, mes intestins s'enroulent, j'ouvre grand la bouche, la respiration coupée, je bave, je sens mes dents incroyablement tranchantes, tellement qu'elles entaillent ma langue. J'attrape par miracle le ciseau à quelques centimètres de moi et je m'empresse de découper mon pantalon d'une main tremblante tandis que mon bras gauche est tordu. Je fais la même chose avec mes sous vêtements et mon pull. Je lâche le ciseau lorsque mon deuxième bras subit le même sort que le premier, il se tord, se tourne et je hurle à nouveau tout en pleurant. J'entends un cri dehors, un cri de douleur puis plus rien. Je relève la tête, mes bras ne sont plus dans l'alignement de mon corps. Ma vue n'est plus la même, elle est rouge et noire, mes dents s'entrechoquent, je dois certainement être fiévreuse.
— M... M... Max... ? appelé-je difficilement.
Mon pied droit se raidit, je le sens. Je serre les dents, parce que je n'ai plus de voix à force de hurler, ma cheville craque et se démembre, je me mords les lèvres, je sens du sang qui en coule tant je les mords fort, mon genou se brise puis ma hanche se déboîte ce qui m'arrache un effroyable cri de supplice. Ma deuxième jambe ne tarde pas à me faire subir le même sort. J'ai l'impression que mes yeux sont en train de cramer tant ils me brûlent, que mes dents sont trop longues pour ma bouche, que mes organes ont bougé de place. Combien de temps cela va-t-il durer encore ?
Je mange littéralement la paille, prise de soubresauts chaque fois que l'un de mes os se brise. Je ne peux même pas décrire ce que je ressens tant cette douleur est intense. J'aimerais mourir à cet instant mais mon cœur est loin de s'arrêter de battre, il frappe si fort ma poitrine que je l'entends dans mes oreilles. Les chaînes suivent mes mouvements, elles serrent moins mes chevilles et mes poignets. Je tente de tirer dessus mais la douleur est trop intense, alors je hurle de nouveau.
Je ne suis pas proche de ma mère, ni même de mon père, mais j'aimerais tellement les avoir près de moi aujourd'hui. Je suis comme une petite fille effrayée, qui souffre, je veux mes parents auprès de moi, je veux me retrouver dans leurs bras, me sentir en sécurité.
Je gémis, je ne m'arrête pas, je suis essoufflée, exténuée mais la douleur se dissipe petit à petit et mes gémissements se transforment en grognements. Je peux enfin me redresser, je ne suis plus sur deux jambes mais sur quatre pattes. Je suis consciente quelques secondes avant que tout ne s'efface dans mon esprit, même ma vision.
🌕
Le premier son qui parvient jusqu'à mes oreilles, c'est le chant joyeux des petits oiseaux. J'ouvre difficilement les paupières. Elles semblaient scellées jusqu'alors et la lumière du jour m'aveugle quelques secondes. Je cache mon visage avec mon bras, j'entends la chaîne glisser sur le sol, ce qui me rappelle que je suis attachée. Mes ongles sont noirs tellement ils sont sales, ma gorge est sèche et tout mon corps est endoloris. Mais le chant des oiseaux... je souris légèrement alors que mes lèvres sèches semblent se fendre quand elles s'étirent. Ce chant me rappelle que je suis en vie, me rappelle à quel point c'est bon d'être en vie...
— Encore en vie à ce que je vois.
Je me tourne sur le dos, penché au dessus de moi se trouve Max, bien coiffé, bien habillé, propre sur lui... Ma vue est encore trouble mais pas assez pour cacher sa beauté. Il se décide enfin à me libérer de mes liens, je m'assois et colle mes genoux contre ma poitrine, je suis sale de la tête aux pieds. Mes chevilles sont marquées par les bracelets d'acier et mes poignets aussi. Il me recouvre d'une couverture et me porte contre lui. Je colle ma tête contre son épaule, mes bras pendent tellement je suis exténuée. J'entends son cœur battre, son sang qui coule dans ses veines, je sens l'odeur de sa peau bien plus que celle de son parfum. Il me dépose dans son pick-up. Il manque une porte, monte derrière le volant et démarre. Je lui jette un regard alors qu'il fixe sa route.
— Tu me dois une portière neuve.
Alors qu'on roule, je me redresse sur mon siège. Je suis capable de sentir la moindre petite odeur, en passant par les sapins jusqu'aux terriers des petits animaux qui se terrent dans la forêt. Je peux encore entendre le chant des oiseaux malgré le ronronnement du moteur. C'est juste incroyable ces sensations.
— Comment j'étais ? demandé-je plus calmement.
Il me jette un regard en coin. Ses cheveux sont bien attachés, sa barbe toujours intacte. Et moi, je suis échevelée, crasseuse, je dois même sentir mauvais.
— Je ne t'ai pas vu, avoue-t-il.
— Pourquoi ?
— Parce que je suis resté à l'entrée, pour m'assurer que tu ne sortirais pas du hangar. Au final, tu n'es pas restée transformée bien longtemps. Au début, tu grognais énormément et à peine une heure après ta transformation, je n'ai plus rien entendu.
— J'étais un loup, moi aussi ?
Il hoche la tête.
— Je ne veux pas revivre ça, avoué-je.
C'était tellement douloureux que je ne me sens pas prête de le revivre à nouveau.
— La première fois est toujours plus douloureuse que les autres, avec le temps, ce sera plus rapide mais jamais indolore.
— Je ne veux pas, insisté-je.
— T'as pas le choix.
— Ramène-moi chez moi.
Il ne se fait pas prier, il me ramène au pied de mon immeuble. Je garde la couverture sur mes épaules pour cacher mon corps nu de la vue des autres. Je m'apprête à sortir mais il m'attrape le bras. De nouveau cette décharge, mon coeur qui s'emballe... Je relève la tête. Pourquoi je ressens cette attraction intense ?
— Tu fais une erreur, assure-t-il. Rentrer chez toi après ça, ce n'est pas une bonne idée.
— Je m'attacherai chaque fois qu'il y aura une pleine lune.
— Je n'en doute pas, mais tu ne pourras pas m'oublier.
Je me retourne vers lui alors il me lâche le bras. Dieu merci, cette électricité est presque aussi insupportable que la mutation. Bien qu'elle reste agréable. Un petit peu comme une partie de jambe en l'air légèrement bestiale.
— Si je suis comme ça, c'est de ta faute.
Il hausse un sourcil, chaque chose que je peux lui dire ne semble pas l'atteindre. Ce type est un mur.
— Tu craqueras, assure-t-il.
En plus d'être un mur, c'est un abruti égocentrique qui a bien trop confiance en lui. Heureusement que je suis bien plus attirée par les hommes dotés d'une grande intelligence. Je suppose que son QI est très peu élevé... ça reste un chien après tout.
— Oublie-moi, grogné-je. Tu sembles prendre ça à la légère Max mais je crois que tu ne te rends pas bien compte : tu as ruiné ma vie. Est-ce qu'il te faut un schéma où ces quelques mots ont fait tilt dans ton crâne ? Je comprends rien à ce qui m'arrive, mais ce que je sais c'est que je ne pourrai plus jamais être la même et tout ça c'est à cause de toi.
Je marque une pause, les poings serrés. Il me regarde et me laisse parler. Un mur....
— Alors retourne à ta vie de toutou ou que sais-je encore et laisse-moi tranquille ! Je n'ai jamais eu besoin de personnes dans ma vie, ça ne changera pas de si tôt. Sayonara espèce de monstre.
Je tourne le dos à son véhicule tout en faisant un doigt d'honneur. Je dois avouer que c'est peu mature mais je me suis emballée. Quand j'arrive dans mon appartement, je ferme la porte et me colle contre celle-ci. Le loquet est cassé, des barquettes de viande vides gisent sur le sol, mon salon est en désordre...
J'inspire profondément et expire lentement par la bouche tout en passant la main dans mes cheveux moites.
— Tout ira bien, Monroe...
Après tout, j'ai toujours su me débrouiller seule, pas vrai ?
C'est pas comme si Max hantait mon esprit. Je saurai me passer de lui.
Je vous remercie d'avoir lu !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top