4. L'homme aux yeux de loup 🌘

Je sors de ma salle de bain, d'un pas lent et silencieux. Les douleurs sont vives et omniprésentes mais depuis qu'on a frappé à ma porte, je les oublie totalement. J'ai vu à travers les yeux de cet individu, j'ai su qu'il montait jusque chez moi et maintenant, je vais devoir me retrouver face à lui. Je n'en suis pas capable. D'ailleurs, comment ai-je pu voir à travers ses yeux ?

Je sursaute lorsqu'il frappe de nouveau à la porte, je m'empresse d'attraper un parapluie et de le maintenir fermement entre mes mains. Je suis affaiblie, je risquerai de me rater si je devais me battre contre lui, mais je garde espoir d'avoir un petit peu de chance.

Les coups sont forts à présent, je comprends qu'il tente d'entrer et pour se faire, il compte enfoncer la porte. Ma respiration s'accélère à mesure que je vois ma porte sauter sur ses gonds. Je m'apprête à le menacer quand je vois la chaîne se briser. Il l'ouvre d'un coup de pied et entre dans mon appartement. C'est lui, celui qui me suit depuis des jours, qui m'épie comme un psychopathe.

Je crie et me jette sur lui pour le frapper, il attrape le parapluie qu'il m'arrache des mains. Je le regarde alors avec de grands yeux. Je me sens menacée, parce qu'il vient d'entrer dans mon intimité et je ne supporte pas cela.

— Je vais appeler la police !

Je cours vers mon téléphone mais voilà qu'il parle enfin. C'est dingue, jamais je n'aurais cru que sa voix sonnerait si grave.

— Si j'étais toi, je ne ferais pas ça, dit-il.

Je me retourne vers lui. Il n'a pas bougé de sa place, sa barbe est parfaitement taillée, ses cheveux bruns sont attachés et semblent plus ou moins longs. Ses yeux sont sombres, des yeux qui me parlent tellement, sans que je ne sache pourquoi.

— Vous me suivez depuis des jours, je le sais, je vous ai vu. En matière d'espionnage vous êtes clairement mauvais !

— Je ne cherchais pas à être discret.

Je n'aime pas son ton, je n'aime pas le fait qu'il reste calme, qu'il sache répondre à ce que je lui dis. Pourquoi ne m'attaque-t-il pas ? S'il est rentré ainsi, c'est bien pour m'attaquer, certainement me violer ou tout simplement me tuer et me cambrioler.

— J'appelle la police, assuré-je d'un ton plus grave cette fois.

— Fais ce que tu veux, mais tu risques de t'attirer des ennuis.

Je fronce les sourcils, je suis si près de mon téléphone, je n'ai qu'à tendre le bras, composer le numéro et me voilà sauvée.

— Pourquoi ?

— Tu as des maux de tête ? Tu ne digères rien sauf la viande crue ? Est-ce que ta peau est grasse ? Tu as mal aux dents ? Tu as des visions ?

Je reste déconcertée un moment. Ces symptômes sont exactement les miens. Je ne sais quoi dire, cet homme sait tout de moi.

— Parce que moi oui, j'en ai des visions, reprend-il.

Je suis devenue muette. En temps normal, je n'ai pas la langue dans ma poche, je ne me laisse pas impressionner si vite, bien que lorsqu'un inconnu débarque dans mon appartement je perds vite les pédales et je panique, j'ai toujours su gérer chaque situation. Il porte une veste en cuir noire au col remonté assortie à ses vêtements tout aussi sombres. S'il portait du maquillage et quelques chaînes par ci par là, il ressemblerait clairement à un gothique ou un punk.

— Je dois aussi t'avouer que ta peau a bon goût.

Je le fixe et je sens mon cœur frapper ma poitrine.

— Ma peau... ? répété-je.

Il hoche la tête.

— Ta morsure ne s'infecte pas ?

Je le regarde un instant, droit dans les yeux. Puis je me retourne, j'attrape le téléphone mais on me saisit le poignet avec fermeté. Je tourne la tête, croisant alors son regard sombre. Comment a-t-il fait pour être si rapide ? Il est si près de moi, je sens sa chaleur, son odeur, je crois même entendre son cœur battre, sentir son sang couler dans ses veines. Sa main sur ma peau provoque une réaction en moi, comme un décharge électrique, comme un lien, des menottes qui m'emprisonnent.

— Je t'ai dit qu'appeler la police serait une mauvaise idée, souffle-t-il sans me lâcher des yeux.

— Lâchez-moi ! Crié-je.

Il resserre son étreinte, je tente de me débattre mais sa poigne est puissante.

— Sais-tu combien de personnes survivent à une morsure de loup-garou ?

J'arrête de me débattre, mais ne cesse de respirer fort. Je dois halluciner, c'est probablement la fièvre qui me fait voir des choses. En réalité, je suis certainement sur mon canapé, en pleine agonie.

— Aucune. Survivre à une morsure de loup ? Là... il y a de fortes chances.

— Laissez-moi...

— Tu devrais me reconnaître, tu devrais le savoir, le sentir !

J'arrive à me défaire de son étreinte, sans savoir comment. Malgré moi, je n'arrive pas à lâcher son regard. Quand j'ai retiré mon bras, cette connexion s'est soudainement éteinte, cette sensation s'est évaporée. Je le regarde, je le sens, et j'ai bien l'impression de le connaître.

— Vous étiez dans la forêt... soufflé-je.

Il relève le menton.

— Bien vu, je t'ai mordu.

Je rigole, c'est certainement nerveux et parce que je suis certaine d'avoir été attaquée par un loup et non par un fou. Pourquoi je ne prends pas mes jambes à mon cou ? Pourquoi je ne hurle pas ?

— Et si tu ne veux pas me suivre, d'ici trois jours, tu feras de graves dégâts.

— Je ne suivrais pas un inconnu qui entre chez moi sans y être autorisé ! Un fou qui me suit partout et qui m'épie !

— Tu es si rare... tu dois me suivre si tu veux survivre.

— Vous me faites plus peur qu'autre chose.

— Dans ce cas pourquoi tu ne pars pas ? Tu n'as qu'à t'enfuir.

Mon cerveau me le hurle mais mes jambes restent inertes, mes pieds ancrés dans mon plancher. Quelle personne normalement conçue agirait comme moi dans une telle situation ? Cela n'a aucun sens !

— J'ai été mordu par un loup, alors je ne sais pas qui vous êtes, peut-être que vous avez tout vu mais c'est pas pour autant que je vais suivre un tordu aux attirances bizarres !

— Oui par un loup, évidemment...

Il me regarde et soudain, ses yeux changent légèrement. Il restent sombres mais leur lueur est différente, presque animale. En fait, on dirait des yeux de loup. Je penche la tête sur le côté, la bouche entrouverte. Je rêve ? Ce doit être toute cette viande crue que j'ai avalé qui me fait totalement halluciné.

— À Hellbound, toutes les personnes qui se font attaquées meurent, mais pas toi. Alors il faut que tu me suives, en partie parce que je n'aurais jamais dû faire ça.

— Quoi ?

— Les loups garous ne doivent pas attaquer les humains, c'est une règle. Si je ne veux pas me retrouver dans la merde, je dois te contenir.

— Je rêve... me contenir ? Mais vous êtes qui ?!

— Celui qui a fait de toi un monstre.

Mon sourire nerveux disparaît, je crois même que mon visage se décompose littéralement.

— Je vois à travers tes yeux comme tu vois à travers les miens. Tu manges de la viande crue et tu ne digères plus rien parce que le loup qui est en toi a besoin de force. Tu piges ?

— Non...

Je n'ai plus envie de rire, je n'ai plus envie de fuir, j'ai juste envie que tout cela s'arrête. C'est pire qu'un bad trip après avoir fumé, c'est pire que tout à vrai dire.

— Je t'ai suivi pour être sûr que tu n'allais pas mourir. Et tu n'es pas morte par quelque miracle que ce soit, ce qui veut dire que dans trois jours, tu vas muter et je dois être là sinon ce sera un véritable carnage. Tu feras des dégâts et de mon côté, je serai puni.

Qu'il soit puni dans ce cas ! Moi, ça ne me regarde pas. Toutes ces histoires folkloriques sont à dormir debout. Combien de fois j'en ai entendu ? Combien de fois on m'a raconté de telles âneries ? Je ne suis pas stupide.

Ma rage de dents ne s'arrêtent pas, j'ai beau essayer de rester droite, de ne rien laisser paraître, je suis faible, ma morsure me démange...

— Il faut que tu me suives. Je te promets de tout t'expliquer si tu acceptes.

Monroe réfléchis, fuis, cours pour ta vie. Quel est cet instinct soudain qui me pousse à rester ? Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je n'arrive même plus à me reconnaître. Je ne crois même pas pouvoir contrôler les mots qui sortent de ma bouche. Quand je le regarde, je me sens attirée. Je ne pense pas que ce soit une attirance physique ou sexuelle. C'est pire que ça. J'ai l'impression d'avoir une part de lui en moi. J'ai la sensation de le connaître. D'être liée à lui par quelque chose d'invisible. Ou bien quelque chose qui coule dans mes veines. Loin de lui, cette sensation n'existe pas. Près de lui, c'est incroyable. Ça me force à agir à l'encontre de ce que mon cerveau me dicte.

— D'accord... acquiescé-je d'une petite voix.

Je m'embarque dans une histoire qui m'a l'air plus grosse que moi. Une histoire qu'on raconte au coin du feu. Celle qu'on lit dans les livres.

Je ne suis plus maître de rien.
Pas même de mon destin.

🌘

Je vous remercie d'avoir lu !

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