33 - Les frères loup 🌑

— Max est l'aîné, il est né un an avant moi, et ça peut faire toute la différence quand tu nais sous une pleine lune. Du moins, cette différence, elle était flagrante pour mon père. C'est lui qui nous a tout appris, lui qui nous a obligé à ne verser aucune larme quand on se transformait.

J'écoute Marius. Il est assis sur le bord du canapé, le teint blafard, les yeux cernés. La nuit suit son cours et nous ne dormons toujours pas. Il tient un verre d'eau entre ses mains fébriles et abîmées, il fixe un point devant lui pendant qu'il me parle, perdu dans ses pensées, ses souvenirs.

— C'était tellement dur, c'était incroyablement difficile de ne pas pleurer ou hurler de douleur quand chaque os de notre corps se brisait. On était jeune, à peine dix ans et si on avait le malheur de verser une larme, on en payait les frais.

— Qu'est-ce qu'il vous faisait ? Demandé-je.

— Il nous martelait de coups, il nous griffait jusqu'au sang, en nous rabâchant que c'était ça la vraie douleur et que les transformations étaient simplement le meilleur de nous-mêmes qui ressortait.

Je n'ose imaginer les douleurs qu'ils ont pu subir, je n'ose imaginer comme ce dut être difficile pour deux enfants de ne pas verser de larmes alors que leur corps se brisait tout entier.

— Mon père n'est pas né lycanthrope, il l'est devenu après avoir été mordu par ma mère. Et son amour pour elle comme son admiration pour cette race l'a conduit à penser que nous étions rien d'autre qu'une mutation humaine et surtout, une race bien plus supérieure aux autres. En soit, c'est réel. On guérit plus vite, on est plus rapide, plus agile, nos sens sont plus développés... mais on est trop peu parce qu'il a engendré une guerre contre des humains, contre ces personnes qui se servent d'armes à feu pour nous nuire. On a beau être robuste, l'argent nous tue. Et qui d'autre que l'Homme est mieux placé pour savoir comment éradiquer une espèce entière ? Très vite les clans se forment et mon père, à mesure que je grandissais, ne mesurait pas l'ampleur de la situation. Ma mère est morte sous les coups de feu d'un chasseur et il continuait de croire qu'on allait gagner. J'avais beau m'opposer à ses ordres, j'étais vu comme le raté, parce que Max buvait ses paroles, Max était le fils prodige.

Il se tourne vers moi tout en posant son verre sur la table basse.

— Laisse-moi te montrer.

Je fronce les sourcils.

— De toute façon, au point où j'en suis... grogne-t-il.

Il attrape mes mains et les serre dans les siennes. Je le regarde alors qu'il approche mon poignet de sa bouche.

— Si je meurs, au moins, tu comprendras ce que je protégeais.

Il dit cela juste avant de me mordre jusqu'au sang, je pousse un cri mais je suis prise d'une vision ou plutôt, d'un souvenir mais ce n'est pas le mien. On dirait que ce contact me permet de voir tous ses souvenirs les plus enfouis.

Il y a Marius d'un côté, jeune, à peine âgé de dix sept ans et Max, légèrement plus vieux, sans cette barbe et ses longs cheveux. Je reconnais cependant leur couleur, ses yeux sombres et ceux si clairs de Marius. Ils pleurent, tous les deux, devant ce qui ressemble le plus à une tombe : une croix plantée dans le sol et de la terre toute fraîche qui comble une tombe creusée dans un jardin. L'homme qui se tient à leurs côtés ne pleure pas, ses mains sont croisées, son menton est levé.

— Rejoignez-moi dans la cuisine.

Il laisse les deux jeunes hommes. Marius se laisse tomber à genoux et enfonce ses doigts dans la terre, cette vison me rappelle grandement sa réaction face au manoir en feu, sa meute entière brûlée vive. Max pose sa main sur son épaule juvénile et la serre.

— Lève-toi, ordonne-t-il.

— Laisse-moi, grogne Marius.

Leur voix est plus jeune, moins mature. Ils sont tous les deux plus minces, moins musclés, moins torturés aussi.

— Ne lui montre pas que tu es faible.

Marius se relève brusquement en poussant son bras violemment et le fusille du regard.

— C'est faible que de pleurer la mort de sa mère ?! hurle-t-il. J'espère que tu te fous de ma gueule, putain ! J'y crois pas, ça te fait rien ?

— Bien-sûr que si, mais on doit élaborer un plan pour la venger.

— Ça ne sert à rien ! Ils nous ont eu et ça ne tardera pas avant qu'ils reviennent ! On doit les sauver, tous, cette meute... on doit partir, se réfugier ailleurs, quitter Hellbound ! C'est maudit ici ! Tu piges ?

— On trouvera le moyen, papa...

—  Ne me parle pas de lui, lui qui a laissé notre mère mourir, l'interrompt Marius.

— Sois intelligent et arrête de te comporter comme un gamin ! Bordel, on a des pouvoirs ! Qu'est-ce que tu cherches, hein ?

— À vivre libre et non comme des putains de proies. Vous comprenez rien, papa et ses envies de pouvoir, de conquérir je ne sais quoi, ça nous tuera tous. Ça nous tuera comme ça a tué maman...

Quand les deux jeunes hommes rentrent et rejoignent leur père dans la cuisine, Marius a le visage inondé de larmes. Il fixe le sol face à son paternel, tout comme Max, il essuie d'un revers de la manche ses larmes sur ses joues et renifle légèrement quand son père s'approche de lui.

— Regarde-moi Marius.

Ce dernier ne cille pas, fixant un point droit devant lui.

— REGARDE-MOI ! hurle son père.

Il relève alors ses beaux yeux bleus vers lui, les lèvres retroussées.

— Tu me fais honte.

Marius ne rétorque rien.

— J'ai tout entendu, tu me fais honte.

— Tu l'as laissée mourir, marmonne Marius.

Son père fait mine de tendre l'oreille.

— J'ai pas entendu, qu'est-ce que tu as dit ?

— Tu as laissé notre mère mourir ! Elle t'as offert un corps plus jeune, en forme, fort et toi, tu l'as laissée mourir !

Son père le regarde, le visage fermé, ridé par sa colère avant que son poing ne s'abatte sur sa figure. La tête de Marius valse sur le côté, il se retient à la table pour ne pas tomber, il s'est mordu la lèvre et elle saigne pourtant, il se redresse face à son père.

— Vas te faire foutre toi et tes foutus plans suicidaires ! Tu nous tueras tous !

Son père le frappe à nouveau. Max, lui, reste immobile, il ne regarde que du coin de l'œil, sans un mot pour défendre son frère ou bien suivre son père. Chaque fois que Marius se redresse, son père le frappe d'une violence ahurissante, à tel point que je crois en ressentir la douleur mais ce n'est peut-être dû qu'à cette morsure qu'il m'inflige. Rapidement, Marius se retrouve sur le sol, le visage couvert de sang, le nez gonflé, les yeux entourés de rouges.

— C'est toi que je vais tuer, grogne son père. Toi qui n'a jamais su suivre mes règles, toi qui n'a toujours été qu'une déception pour moi.

— Papa, intervient Max, ce n'est pas équitable, tu le sais, ce ne sont pas dans nos règles.

Son père lui jette un regard.

— On doit le bannir, souffle Max.

— Pitié... murmure Marius. Vous pensez à Jess ?


Évidemment, son père a accepté et son bannissement est presque identique à celui de Max, seulement, les loups se jettent tous sur lui, le rouent de coups de crocs et de griffes. Marius se défend, plusieurs fois il en blesse quelques uns mais impossible pour lui de gagner alors il fuit est demeurera banni.

Pendant près de trois ans, Marius vit seul, ses transformations sont difficiles, il ne se contrôle plus et tue tout ce qu'il trouve. Quand bien même, quand il parvient enfin à entrer en harmonie avec son loup, sa faim est toujours bien présente et son envie de tuer aussi alors il commence à chasser, comme Marie l'a fait. Il sait qu'il est bel homme et joue de ses charmes pour tuer chaque femme qu'il croise. Rapidement, le jeune Marius effrayé et attristé semble disparaître et en trois ans, un nouveau Marius est né, celui qui a survécu sans meute mais qui garde qu'une seule idée en tête : tuer son père et protéger la meute.

C'est bien ce qu'il fait, quand il se rend chez lui, après trois ans, sans même prévenir personne. Un soir où la lune est croissante, il entre dans le hall et claque la porte derrière lui en laissant tomber son sac de voyage à ses pieds.

— Je suis de retour ! crie-t-il sarcastique.

Rapidement la meute toute entière le rejoint. Le visage de Marius se décompose quand il remarque que la moitié n'est pas au rendez-vous. Max et son père sont les derniers à arriver et ne cachent pas leur surprise.

— Où sont tous les autres ? Demande Marius.

— Morts, répond son père. Qu'est-ce que tu fais là, Marius ?

Ce dernier le fixe un instant.

— Et si nous allions discuter dans la cuisine ? Comme au bon vieux temps ?

— Tout le  monde remonte dans sa chambre, tout de suite ! ordonne son père au reste de la meute.

Je reconnais Rebecca, Marie... Lizzie, encore toute petite, qui ne savait à peine parler, Darius, Dickon... Marius se rend dans la cuisine en frappant ses mains sur l'encadrement de la porte, le sourire aux lèvres, un sourire narquois, évidemment. Il passe sa main dans ses cheveux plaqués en arrière et relève ses yeux vers son frère et son père.

— Je vous ai manqué ?

— Tu n'as pas le droit de revenir ici, grogne Max, tu as été banni de la meute.

— Oui, je m'en souviens frangin... mais tu vois... certaines choses n'ont pas été mises au clair.

Il se tourne vers son père.

— Dis-moi, en trois ans, t'as pris au moins dix ans, que s'est-il passé ? Tu n'as pas su gérer cette guerre ? Toute ta meute a été décimée ?

En effet, le visage de son père est marqué, plus ridé, tiré, il semble tout simplement exténué .

— Pars d'ici, tu n'es pas le bienvenu.

— Je n'ai jamais été le bienvenu, je crois même que je n'ai pas été désiré ou alors... tu aurais aimé que Max et moi, on soit jumeau, deux copies conformes, deux robots conçus spécialement pour t'écouter et t'obéir au doigt et à l'œil.

Il se rapproche doucement de son père et tape son index sur son torse.

— Tu sais, papa, j'ai appris à vivre seul, et je t'en remercie.

Il se tourne vers Max.

— Toi aussi mon frère, je te remercie. Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point ça m'a aidé, à quel point ça m'a sauvé. En fait, j'étais une couille molle, ouais c'est vrai... puis j'ai dû tuer pour survivre.

Il fait de nouveau face à son père et penche la tête sur le côté.

— En revanche, je ne me suis pas amusé à tuer des enfants, parce que je ne suis pas si faible, si lâche. J'ai confectionné une toute nouvelle manière de chasser, j'ai arrêté de m'acharner sur les gosses et plutôt à me faire plaisir avec des canons de beauté, tu vois... j'ai appris à vivre, seul, autrement, avec mes propres règles et surtout, sans laisser de trace derrière moi comme laisser une gamine mourir en pleine forêt !

— Tu es fier ? Grogne Max.

— Ouais, Maximilien, je suis fier, fier de tuer pour mon plaisir, fier d'avoir de la force, j'en suis fier.

— Ça fait des années que nous ne chassons plus depuis la jeune fille dans la forêt Marius et tu le sais, alors arrête de dire n'importe quoi, nous ne tuons plus les enfants, d'ailleurs, nous ne tuons plus personne, grommelle son père.

— Comme c'est dommage... ça vous aurait tellement aidé pour protéger cette meute.

Marius serre les mâchoires et déglutis difficilement.

— Dites-moi que Jess est encore là.

Son père baisse les yeux, tout comme Max alors Marius inspire profondément et passe ses épaules en arrière tout en faisant craquer sa nuque.

— Si elle t'avais vu comme ça, elle aurait été écœurée, c'est bien mieux pour elle comme pour toi qu'elle soit mo...

Son père ne peut terminer sa phrase que Marius saisit sa gorge avec violence et la serre. Il le regarde alors dans les yeux et son père fait signe à Max de ne pas intervenir.

— Est-ce que tu sens toute cette force ? vocifère Marius les larmes aux yeux.

— Tu restes minable, tousse son père.

— Comment elle est morte ? grogne Marius.

Son père reste muet alors il le cogne contre le plan de travail, sous les yeux écarquillés de Max.

— COMMENT ELLE EST MORTE ? Hurle Marius.

— Je... l'ai tuée... souffle son père.

Marius le regarde un instant, les mâchoires crispées il pousse un cri de rage avant de le lâcher, laissant l'empreinte de sa main sur sa gorge. Il respire fort et se tourne vers Max.

— Tu l'as laissé faire ?! Tu l'as laissé tué ma petite amie ?!

— Elle causait du tort, Marius...

— Bande de...  rien ne va plus, peste Marius. Il faut un nouvel Alpha.

Il relève la tête vers son père.

— Il faut un Alpha plus fort, plus intelligent, plus méticuleux... un Alpha qui n'enverrait pas sa meute toute entière se faire exterminer, un Alpha qui saura les protéger au lieu de les exécuter.

Son père se met à rire ouvertement, se moquant de lui.

— Ton frère en a plus l'étoffe que toi, s'il doit y avoir un nouvel alpha, c'est bien lui.

Marius le regarde, les yeux sombres de colère avant d'enfoncer sa main dans son abdomen. Ce fut si violent qu'il parvint à saisir son cœur, comme si ses doigts avaient fait office de couteaux. Du sang coule des lèvres de son père, Max lui, est paralysé. Le menton tremblant, les yeux brillant de rage et de tristesse, Marius le fixe, lui, son paternel, l'Alpha de la meute qui l'a rejeté.

— Ton règne prend fin, souffle-t-il.

— Marius, NON ! hurle Max.

Mais c'est trop tard, Marius lui arrache le coeur. Le corps de son père retombe aussitôt sur le sol, son sang se déversant sous son corps. Max se précipite vers lui, se jette à genoux et ne retient pas ses larmes tandis que Marius reste immobile, le coeur de son père dans sa main couverte de sang. La meute toute entière était là, la meute toute entière a tout entendu. Max se relève et le regarde, les mâchoires serrées.

— Je vais te...

— T'avise même d'essayer ou tu subiras le même sort ! gronde Marius avant même que Max ne puisse terminer sa phrase.

Max se laisse alors tomber à genoux, sanglotant sans s'arrêter.

— C'est moi l'ALPHA ! hurle Marius les larmes roulant sur ses joues.





Je reviens enfin à moi. Mon cœur bat à tout rompre et mon premier réflexe est de poser ma main sur ma plaie ensanglantée. Je regarde Marius, je ne sais pas si j'ai envie de pleurer, le tuer ou bien fuir tout simplement.

Lequel des deux frères est le plus dangereux ? L'Alpha ? Ou bien l'aîné ?
Lequel des deux frères est le plus meurtrier ?

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