Peut-être que je fais la pire erreur de ma vie. Parce que oui, au final, même si j'ai croisé à nouveau Samuel, je ne devrais pas me laisser envahir par toutes ces émotions. Je ne devrais pas laisser ma curiosité tuer ce que j'ai commencé à construire.

Sam me l'a dit : je dois rester loin de tout ça.

Je le faisais bien depuis tout ce temps.
Depuis la disparition de Marius.

Mais c'est plus fort que moi.
C'est ma curiosité, ce lien... je veux savoir ce qu'il devient. Ce qu'il fait. Ce qu'il se passe.

Une guerre ? Contre qui ? Ou quoi ? Pourquoi ?

J'inspire profondément, assise en tailleur sur mon canapé, puis je ferme les yeux et je lutte contre rien. Je me laisse aller.

— Comment ça se fait qu'elle est là ?!

Ça y est, je vois à travers ses yeux. C'est Max qui vient de s'exclamer. Il semble faire les cents pas et se ronge l'ongle du pouce. Samuel se tient debout devant lui. Il a laissé tomber sa casquette et dévoile des cheveux légèrement plus longs que dans mes souvenirs.

— J'en sais rien, elle travaillait dans ce bistro pourri.

— C'est pas vrai. Dans tous les coins que j'ai cherché, c'est ici qu'elle se trouve. C'est une blague !

— On peut toujours bouger, souffle Sam.

— On ne bougera pas, intervient une voix féminine.

Max se retourne et fait face à cette femme blonde. Elle doit avoir une trentaine d'années si ce n'est plus. Elle est vraiment belle et semble avoir une incroyable prestance. Son corps est parfaitement musclé et ses yeux bleus sont perçants.

Max pousse un profond soupir, je peux voir ses bras, les manches de sa chemise à carreaux rouge sont relevées et je devine tous ses tatouages. Tous ces fabuleux dessins que j'avais aimé admirer quand il était nu devant moi. Je peine à me souvenir de lui, de son visage, de son odeur, de sa présence. J'ai l'impression que les deux frères n'ont finalement été que de simples personnages tout droit sorti de mon imagination.

— Il n'y a aucune raison de s'inquiéter à ce point parce que cette femme se trouve dans les parages, pas vrai Maximilien ?

— Bien-sûr.

— Ton lien est brisé, c'est ce que tu m'as dit ?

— Ouais...

Elle s'approche de lui. De nous. Elle le regarde droit dans les yeux et pose sa main sur sa joue. J'ai presque l'impression de ressentir ce contact. Elle lui sourit et dévoile deux fossettes qui creusent ses joues roses.

— Je suis là, maintenant.

Il pose sa main sur la sienne et inspire profondément.

— Monroe n'est pas le problème... reprend-il.

— Je l'espère bien, ce n'est qu'une gamine que tu as mordu. Je te l'ai expliqué, ce que tu ressens est normal et elle aussi. La morsure crée un lien unique mais pas indestructible non plus. On a plus important pour le moment, on doit retrouver ton frère.

Marius ? Pourquoi est-ce qu'ils le cherchent ? Est-ce qu'il serait dans le coin ?

— Je suis pas sûr qu'il soit là... je suppose qu'il évite tout le monde maintenant. Il a sûrement compris ce qui se trame, il est loin d'être idiot.

— Tu penses ? Tu ne m'as pas dit que tu avais vu à travers les yeux de Monroe ? Tu ne m'as pas dit qu'ils avaient eu une liaison tous les deux ? Il est sûrement amoureux d'elle. Marius ne laisse jamais aucune femme le toucher.

Alors Max regardait à travers mes yeux ? Il espionnait ma vie ? Il sait donc ce qu'il s'est passé avec son frère et il doit donc savoir que la maison a brûlé. Pourquoi n'est-il pas venu après ça ? C'était ses amis aussi !

— Oui et alors ? Cette fille est une garce, elle couche avec tout le monde.

— Monroe est quelqu'un de bien... tente Samuel.

Mais Max secoue la tête.

— Toi tu dis ça parce que tu l'as toujours aimé, moi je te le dis parce que je ne l'aime pas, c'est une garce. Le seul moyen qu'elle trouve pour se sentir exister et importante, c'est de se taper chaque gars qu'elle croisera. T'étais pas le premier et certainement pas le dernier alors tu ferais mieux d'oublier rapidement Monroe, parce que c'est pas notre préoccupation première. On a une promesse à tenir et plus le temps passe, plus nos chances d'une vie tranquille s'amenuisent.

Il est vache. Il est dur et parle de moi comme s'il me haïssait alors que j'avais tenté de le suivre, j'avais voulu le rejoindre ! J'avais voulu pardonner ce que je savais, ce qu'il avait fait à Alice et au final, il m'a abandonné. Je pensais l'aimer comme mon âme sœur. Je pensais ressentir quelque chose que je n'avais jamais ressenti pour personne. J'avais l'impression que c'était réciproque. Que c'était nous deux, pour toujours, malgré tout ce que nous aurions pu traverser.

— Marius est forcément dans le coin, reprend la femme blonde. Il doit être accro à cette Monroe. Il y a du bon dans le fait qu'elle soit là.

— J'espère que tu sais ce que tu fais Délia.

— Fais moi confiance, Max.

— Je m'attaque à ma propre famille. Sans vraiment savoir si tout ça fonctionnera.

— Tu fais ce qui doit être fait. Tu le fais pour notre avenir à tous. Pour que notre espèce ne s'éteigne jamais.

Après leur petite conversation qui ne semble n'avoir aucun sens, Max s'enferme dans une chambre. Visiblement, ils discutaient dans un bar et à présent, ils se trouvent dans un motel. Je ne saurai dire lequel c'est mais il à l'air de se trouver près d'une autoroute. Il est assis sur le lit, face à la télé qui tourne en sourdine, adossé contre la tête de lit et cette femme, Délia, blonde et svelte, sort de la salle de bain, vêtue d'une jolie lingerie rouge. Elle le rejoint sur le lit et s'avance vers lui, à quatre pattes, tout en le regardant d'un air coquin. Au moment même où ses lèvres entrent en contact avec les siennes, je rouvre les yeux et brise le lien.

Je reprends quelques inspirations pour revenir à moi correctement puis me masse les globes oculaires. Je crois avoir compris qu'il souhaitait s'attaquer à Marius, mais pourquoi ? J'ai du mal à comprendre ce qui lie ces deux frères mais surtout, ce qui les détruit.

Je passe mes cheveux derrière mes oreilles et ramène mes genoux contre ma poitrine. J'aimerais réussir à rassembler les morceaux de ce puzzle afin de comprendre clairement ce qui est en train de se passer mais dans un sens, est-ce que tout cela me regarde vraiment ? Samuel m'a bien fait comprendre que je devais rester à l'écart et oublier tout ça mais en même temps... je n'y parviens pas. Après tout, je suis comme eux maintenant. Je le sais, je ne suis plus la même Monroe qu'avant.

Depuis que j'ai ce loup en moi, tout est décuplé, mes émotions sont incontrôlables, je n'ai jamais été aussi sensible depuis que j'ai été mordu, je ressens beaucoup trop de choses et surtout, je sais que je suis une personne nouvelle. J'aurai beau tenter de rester la même, je ne le pourrai pas. Dans le fond, une partie de moi est morte dans cette forêt ce soir là, et elle ne reviendra jamais.

Le reste de ma soirée consiste à boire bière sur bière et à écouter de la musique, vautrée sur le canapé, la tête qui tourne et les yeux lourds à ruminer et ressasser la conversation que j'ai espionné. Je finis par m'abandonner aux bras de Morphée, à plonger dans un paisible sommeil en me disant que demain sera une nouvelle journée.

Les nuits sont rapides en temps normal mais pas cette fois.
Quand j'entends frapper contre mon carreau, je me réveille en sursaut. La musique est éteinte, tout comme la bougie que j'avais allumé. Sur le four de la cuisine, il est inscrit : 3h56, soit une heure propice à dormir. Je me redresse, sur mon canapé et me lève toute groggy. J'entends un cœur qui bat, je sais qu'il y a quelqu'un derrière cette fenêtre, sur le petit balcon, ce que je peine à comprendre, c'est que j'habite au sixième étage.

Je fais un détour par la cuisine où je me saisis d'un couteau en acier puis m'avance vers mon rideau tiré. Je serre le manche de mon arme entre mes doigts et tire un grand coup sur le rideau pour affronter l'individu qui a grimpé six étages pour finalement me réveiller.

Alors que je m'attends à voir un psychopathe ou un drogué sur mon balcon, c'est une toute autre personne qui me rend visite. Une personne qui, je le croyais, avait disparu.

— Marius ? m'étonné-je.