— Mais qu'est-ce que tu as fait ?!

La voix de leur père semble résonner dans la pièce toute entière. Max se tient non loin de son petit frère. Quel âge ont-ils ? Quinze ? Seize ans ? Ils sont jeunes. Max n'a même pas encore de barbe, Marius non plus. Ses cheveux sont plus courts, coiffés en arrière et Max laisse ses boucles libres. Deux jeunes garçons, à peine musclés, frêles et juvéniles. Des adolescents.

Leur père fait les cents pas devant eux et devant leur mère. Une belle femme brune aux yeux bleus, quant à leur père, il est blond aux yeux bruns. L'un ressemble beaucoup à sa mère et l'autre à son père.

— C'est arrivé quand ?!

— Y'a un mois mais... tout va bien ! Je t'en prie, on peut pas la renier, elle a besoin d'une meute ! Répond Marius d'une voix plus claire que dans mes souvenirs.

Cela doit être dû à son âge.

— Tu as mordu une gamine ! Où avais-tu la tête ?

— Dans son décolleté, blague Max.

Marius esquisse un faible sourire et se pince les lèvres pour ne pas rire. Ce sourire disparaît rapidement quand son père saisit son visage entre ses deux mains de façon brutale.

— Arrête de tout prendre à la légère Marius !

— Je ne me suis pas contrôlé ! Se défend-il en repoussant les mains de son père.

— Tu devrais savoir te contrôler !

— Marius... intervient sa mère, comment est-ce arrivé ?

Marius pousse un profond soupir tandis que Max garde ses bras croisés à écouter les remontrances de ses parents à l'égard de son petit frère.

— On était en train de... j'en sais rien, c'était comme une pulsion, j'aimais son odeur, sa peau... j'ai pas fait exprès et je pensais pas ce que ça pouvait engendrer ! Maintenant elle s'est transformée, elle est comme nous... je veux pas qu'elle reste seule.

La gifle de son père fait valser sa tête sur le côté. Sa joue sans une once de poils rougie aussitôt et il retrousse ses lèvres, vexé par ce geste. Max a décroisé ses bras, les yeux grands ouverts.

— Tu n'as pas le droit de transformer des humains ! Hurle-t-il près de son visage. Et regarde-moi dans les yeux quand je te parle !

Marius le regarde alors droit dans les yeux.

— Seul l'alpha détient ce droit dans une meute, tu entends ?

— Oui...

— J'ai rien entendu, grogne son père.

— Oui ! Je l'entends...

— Nous l'accepterons au sein de la meute, déclare sa mère de sa douce voix.

Une voix qui fait contraste avec celle de son père.

— Mais tu devras t'éloigner d'elle.

— Pourquoi ?! S'offusque Marius.

— Lorsque l'on mord quelqu'un, souvent un lien se crée et parfois... Ce lien devient très fort, même trop fort, et on serait prêt à tout pour cette personne. La lune choisit les amants mais parfois, ses choix ne sont pas les bons. Tu es jeune Marius, tu as le temps avant de trouver ton idéal. Ce lien risquerait de vous ronger tous les deux. Et tu n'es pas son alpha, elle devra le comprendre. Ton père est l'Alpha de cette meute.

Après cette discussion quelque peu mouvementée, Max voit son frere traîner des pieds dans le jardin l'air pensif. Il décide alors de le rejoindre. Il passe son bras sur ses épaules et l'entraîne dans sa marche.

— Allez petit frère, fais pas cette tête, ça te dit d'aller boire un verre ?

Les lèvres de Marius s'étirent en un sourire en coin. Le même que lorsqu'il est plus vieux... Certaines choses ne changent pas.

— Je veux bien.

Ils se retrouvent dans un bar, évidemment, le même bar fréquenté par toute la population de Hellbound. WELCOME IN HELL. Ils sirotent une bière tout en discutant et rigolant de leurs blagues et souvenirs ridicules. En l'occurrence, il ont l'air de deux frères ou bien deux amis qui s'entendent plutôt bien. Deux frères qui se sont amusés avec leur fausse carte d'identité.

— Est-ce qu'elle est jolie au moins ta copine ? Demande Max en s'enfilant sa troisième bière.

— Regarde-moi Maximilien, je suis le plus beau de nous deux, tu penses vraiment qu'elle ne l'est pas ?

Max rigole et secoue la tête.

— J'aime ta modestie petit frère.

Marius finit sa bière, la pose sur le comptoir puis la tourne entre ses mains tout en poussant un profond soupir. Il serre et desserre ses mâchoires.

— Il lui fera du mal un jour ou l'autre, dit-il en humectant ses lèvres.

Max pose sa main sur son épaule qu'il presse alors Marius le regarde.

— Pas tant que je serai en vie.

— Pourquoi tu protégerais une fille que tu ne connais même pas ?

— Parce que t'es mon petit frère et tu tiens à cette fille alors je te promets, Marius, que je ne laisserai jamais notre père faire du mal à cette Jessica, compris ?

Marius hoche seulement la tête.

— Merci frangin.

Après le terrible bannissement de Marius seulement deux ans plus tard, des cris s'élèvent dans la maison. Max qui était allongé sur son lit à rêvasser et ne pas trouver le sommeil, descend doucement les escaliers pour écouter et regarder ce qui est en train de se passer.

C'est en effet Jessica qui, avec de grands gestes, ne cesse de hurler face au père de Max. Un père qui semble abattu par la perte de sa femme.

— Je veux le revoir ! Je... je ne peux pas vivre comme ça ! Je le sens qui est loin, je le sens qui s'en va ! Ce lien... il est là, dans ma poitrine et il est en train de me consumer ! J'ai l'impression que je vais mourir...

Tout en disant cela, elle ne cesse de sangloter encore et encore en serrant le t-shirt qu'elle porte. Un t-shirt trop grand pour elle, qui appartenait probablement à Marius.

— Je l'aime tellement... j'ai besoin de le voir, de le sentir près de moi. Vous... vous n'êtes qu'un monstre sans cœur !

— Ça SUFFIT ! Hurle son père.

Max descend aussitôt les escaliers pour s'interposer entre les deux individus.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Intervient-il.

— Il se passe que toi, ton père et toute votre meute à la noix, vous avez banni Marius ! Vous avez banni mon âme sœur ! Tout ça pour quoi ? Parce qu'il n'a pas su gérer le deuil de sa mère ?!

— Mais réveille toi petite idiotie ! Peste son père. Ce n'est qu'un lien stupide dû à une morsure !

— Je vois, dans ce cas, votre femme et vous, vous ne vous aimiez sûrement pas !

Le poing de son père s'abat contre le visage de la jeune femme tout juste âgée de dix huit ans. Elle tombe à la renverse mais est rapidement rattrapée par Max. Son nez se met à saigner abondamment et se mêler à toutes ses larmes.

— Il faut l'éliminer, grogne son père.

— Quoi ?! S'offusque Max. On ne va pas tuer un membre de notre meute !

— Alors quoi ? Ça y est, ton frère est parti et tu vas prendre sa place ? Je ne laisse plus de place aux faibles dans cette meute.

— Non mais...

— Alors prouve-le moi ! Hurle son père.

Max aide Jessica à se relever et affronte son père.

— Tue cette gamine inutile au bien de notre meute. Maintenant que Marius n'est plus là, elle ne nous sert plus à rien.

Max ne répond rien tandis que Jess ne cesse de pleurer.

— Emmène-la dans la forêt et tue-la ! Tu l'enterreras au milieu des arbres.

Max inspire profondément et plongé, absorbé par le regard ténébreux et obscur de son père, il serre les mâchoires, attrape brusquement les bras de Jess et l'entraîne avec lui. Elle se met alors à hurler de toutes ses forces, se débattre mais il la porte et ne lui laisse plus le choix.

— NON ! Pitié ! Arrête ! ARRÊTE ! Je suis désolée ! Pardonnez-moi !

Il claque la porte derrière lui et marche ainsi de longues minutes, supportant ses cris, ses coups et ses pleurs. Il la laisse tomber, au milieu de la forêt, dans l'obscurité la plus totale et la relève brusquement pour la plaquer contre un arbre, sa main autour de son cou. Les lèvres de Jess tremblent, son visage est déformé par sa tristesse et sa peur.

— Arrête de me regarder comme ça ! Vocifère Max.

Il lève son poing à hauteur de son visage, prêt à l'abattre sur celui de la jolie blonde.

— Pitié... souffle-t-elle pétrifiée.

Max la regarde, les lèvres pincées, les narines dilatées tout comme ses pupilles qui sont noires comme l'ébène. Finalement, il n'en trouve pas la force. Il baisse son poing, lâche son cou et recule d'un pas, les bras ballants. Jess reste collée contre l'arbre et le regarde, ne sachant comment réagir.

— Je ne peux pas... marmonne-t-il les yeux pétillant sous le clair de lune. J'ai fait une promesse...

Il se laisse glisser contre l'écorce d'un arbre, attrape ses cheveux entre ses mains, les jambes repliées, il se met alors à pleurer, sans se contrôler. Je n'ai jamais vu Max pleurer. Jamais. Mais dans ce souvenir, il pleure toutes les larmes de son corps.

— J'ai fait une promesse à mon petit frère... mon petit frère que j'ai banni...

Sa tête plonge entre ses mains, et il sanglote encore et encore. Jess, doucement, se décolle de l'arbre et s'avance lentement vers lui. Elle s'accroupit et c'est hésitante qu'elle pose sa main sur son bras. Alors Max relève la tête vers elle, les yeux remplis de larmes.

— Merci Max...

— Je peux te cacher, dit-il.

Il essuie ses larmes d'un revers de la main puis se lève enfin alors Jess fait de même et l'interroge du regard.

— Oui... je vais te cacher. Il faut pas que tu te fasses voir. Y'a un chalet pas loin de Hellbound, tu auras tout ce dont tu as besoin. Je m'en chargerai personnellement.

— Et Marius...?

— Il te faudra l'oublier... pour ton bien et pour le sien.

Jess lève le menton et inspire profondément.

— Je t'aiderai, hein... je... je serai là, tous les jours, je viendrai te voir et... tu verras, on ira de l'avant. Tous les deux, ensembles.

C'est ainsi qu'il cacha Jess, dans le chalet dans lequel il m'avait moi-même emmenée lorsque j'étais encore qu'un jeune loup apeuré et désorienté. Juste avant que Marius ne nous retrouve et ne se présente à moi comme une personne cruelle et dépourvue d'humanité.

Max n'avait pas menti. Il passa tous les jours, jusqu'à ses vingt et un an, près de Jess. Et à tel point qu'ils finirent par s'aimer. Du moins, c'est ce que je crois. Ils ont couché ensemble, plus d'une fois. Ils ont échangé des baisers près de la cheminée, des centaines de fois. Je crois que Max est tombé amoureux d'elle et vice versa.  Jusqu'au jour où...

Marius vient de tuer leur père et Max ne cesse de creuser, près de la tombe de sa mère, encore et encore, jusqu'à ce que le jour se lève, jusqu'à ce que l'après-midi pointe le bout de son nez. Il plante la pelle dans la terre et s'appuie dessus pour reprendre son souffle alors qu'il entend des pas derrière lui. Il est couvert de terre, de sang, de sueur...

— Ça me rappelle bien des choses, souffle Marius.

Max se retourne et le fusille du regard.

— Ne m'adresse pas la parole ! Espèce de monstre !

— Moi, je suis un monstre ?

Marius s'avance d'un pas et fixe son frère. Max est plus grand que lui, il frôle les un mètre quatre-vingt dix quand Marius demeure fier sur ses un mètre quatre vingt.

— J'ai toujours été plus humain que n'importe qui ici et c'est d'ailleurs ce qui m'a fait faire des erreurs. Mais moi... JAMAIS JE N'AURAI FAILLI À MA PROMESSE !

Les tendons de son cou se tendent quand il hurle si fort. Max ne dit rien, les mâchoires serrées.

— Je n'ai plus aucune larme à verser tu sais, reprend Marius plus calmement. Vous me les avez tous arraché. Merci pour ça. T'as fait de moi un vrai homme. Toi et papa, vous avez été les meilleurs pour me détruire. Mais maintenant, je sais qui je suis.

Il se rapproche encore un petit peu plus.

— Je suis ton pire cauchemar, articule-t-il a quelques centimètres de son visage. Tu vivras un enfer. Je m'en chargerai.

Après avoir enterré son père, Max entre dans la cabane en trombe, du sang plein les vêtements. Jess qui lisait un livre se lève d'un bond en le voyant.

— Max, qu'est-ce que... c'est le sang de qui ?!

Max reste immobile au milieu de la pièce, les yeux grands ouverts, dans le vague, brillants de larmes qui peinent à couler.

— Mon père, dit-il.

Il a une légère barbe naissante, quelques tatouages ici et là mais rien comparé à aujourd'hui.

— C'est le sang de mon père.

— Tu... tu l'as tué ?

— Non... jamais je n'aurais fait ça, c'est l'Alpha... c'était... l'Alpha.

— Explique-moi, qu'est-ce qu'il se passe ?

— Marius...

Jess fronce les sourcils.

— Il est revenu...

Elle laisse tomber son livre et son visage se décompose. Elle s'apprête à s'avancer vers la porte, assurant qu'elle doit le voir mais Max la saisit par les épaules, lui bloquant le passage.

— Je dois le voir ! Il faut que je le vois !

— NON ! Hurle Max.

Elle relève les yeux vers lui et le gifle.

— Je l'aime !

— Je sais ! Mais tu aimais l'ancien Marius. C'est plus... c'est plus mon frère... je le reconnais pas et tu ne le reconnaîtrais pas non plus.

— Qu'est-ce que tu racontes...

— Il lui a arraché le cœur... avec sa propre main...

Jess met sa main sur sa bouche, et des larmes commencent à humidifier ses yeux. Max, qui semble clairement traumatisé par un tel acte de barbarie se reprend puis s'approche d'elle.

— Tu dois partir. Tu dois disparaître. Marius te crois morte.

— Il doit savoir que je suis en vie !

— Non, Jess ! C'est ce qui l'a fait vrillé !

— Je peux pas partir... loin de lui, en sachant qu'il est là, tout près... je t'aime Max mais...

Elle ne termine pas sa phrase que Max lui mord l'épaule, et ce, jusqu'au sang. Elle pousse un cri et recule d'un pas. Elle met aussitôt sa main sur sa plaie saignante.

— Tu l'oublieras, dit Max simplement. J'ai promis à mon petit frère de protéger celle qu'il aime et je le fais. S'il sait que tu es en vie, il perdra les pédales, il me tuera pour mon mensonge...

Jess ferme les yeux et se pince les lèvres. Finalement, elle se jette au cou de Max et le serre dans ses bras. Elle enfonce sa tête au creux de son cou, sans le lâcher.

— Je suis sincèrement désolée pour ton père, murmure-t-elle.

— Tu referas ta vie.

— Je vous aime... tous les deux... tellement fort.

— La morsure t'aidera à oublier le lien.

Jess se détache de lui.

— Allez pars, ne retrouve jamais Marius. Ne retrouve jamais ce monstre.

Max détache enfin ses lèvres des miennes. Je recule de quelques pas et passe ma main dans mes cheveux.  Je respire fort. Toute cette vision semble être passée à une vitesse fulgurante devant mes yeux, si bien que j'en ai des sueurs froides.

— Elle aurait pu l'apaiser... soufflé-je.

— Il n'a plus de cœur, grogne Max. Et cette fois, s'il la croise, il la tuera pour ce qu'elle a fait.

Je m'appuie contre un arbre, y colle ma tête et fixe les branchages et leurs ombres sous la lumière argentée de la lune. Je souffle longuement et tente de calmer mon pouls qui s'est considérablement accéléré. Ils s'aimaient, tous les trois, mutuellement. Max aimait son petit frère et Marius aimait son grand frère. Puis il y avait Jess, au milieu de cet amour fraternel. Jess et le lien lunaire.

Un amour fraternel qui a volé en éclat après la mort de leur premier amour : leur mère.

Ils sont tous les deux dangereux.
Jess et Max.

Et Marius... c'est un prédateur assoiffé de sang et de vengeance.