29. Le loup 🌕
En oubliant la douleur que cela procure.
En ignorant chaque os du corps qui se brise pour prendre une toute nouvelle forme.
En séchant ses larmes chaque fois que l'on croit que notre cœur va cesser de battre tant la douleur paraît insurmontable.
En songeant à la peau qui s'étire et se tord pour s'allonger et tous les sens qui se décuplent...
On se rend compte qu'il peut y avoir une cohésion.
Je suis là.
J'ai pris sa place pour une seule nuit de pleine lune.
En temps normal, c'est lui qui est en moi, invisible mais présent, qui parfois parvient à m'aider, qui parfois me permet de cicatriser...
Cette fois, c'est moi qui suis en lui et lui qui a le contrôle.
Ses pattes blanches comme neige arborant des griffes noires heurtent le sol avec force durant sa course en pleine forêt. Il court mais je ne sais pas vraiment où il va. Son souffle est fort, son cœur bat pourtant paisiblement et le froid ne traverse pas son pelage épais pour glacer nos os.
Il a faim.
Il chasse.
Les craquements de bois nous permettent de repérer notre cible : une biche.
À droite.
Alors il tourne à droite comme je lui ai indiqué.
Il slalome entre les arbres à toutes vitesses et finalement, il bondit, haut, les pattes écartées, il s'abat de tout son poids sur la biche qui roule dans la terre et plante ses crocs aiguisées dans sa chair tendre. L'animal pousse un cri mais nos pattes, nos dents et notre poids la retiennent prisonnière.
Son sang imprègne nos babines, notre langue et fait grogner notre estomac. Lorsqu'elle cesse tout mouvement et que la vie quitte son corps, il s'empresse de la dévorer.
La chose qu'il cherche par dessus tout : c'est son cœur.
Il le trouve après avoir broyé ses côtes entre nos mâchoires féroces. C'est un régal. Pour lui comme pour moi. Un regain de force bien que le cœur d'un être humain possède un goût plus agréable et une vitalité plus requinquante.
Après notre chute du quatrième étage, ce repas semble tombé du ciel. Je sais qu'après ça, je me remettrai bien mieux de mes blessures.
Je le sais, lorsqu'il courait, l'une des deux pattes arrière ne suivait pas très bien la cadence. Mais je sais que ça passera.
Trouve Marius.
Notre langue caresse nos babines pleines de sang et il reprend sa course effrénée à travers les arbres.
Après que Marius se soit jeté dans le lac, ma transformation a commencé. Alors je me suis libérée de mes vêtements, je me suis rendue dans le jardin et j'ai laissé le loup prendre ma place. C'était l'une des rares fois où je l'accueillais les bras ouverts.
Mais Marius... sa colère, sa tristesse, sa frustration et son désespoir... toutes ces émotions étaient si fortes. Je sais que cette nouvelle l'a bousculé et je sais qu'il a besoin de temps.
Alors que nous courons, quelque chose se jette sur nous. Nous roulons dans la terre froide. Nos pattes viennent repousser les mâchoires féroces du loup qui s'en prend à nous. Les grognements se mêlent et sont menaçants. Les crocs de l'animal viennent se planter dans notre épaule. Nous poussons un cri et parvenons à le repousser.
De nouveau sur nos quatre pattes, nous nous retrouvons l'un face à l'autre. Nous sommes face à un autre loup garou, ses yeux sont rouges, c'est un Alpha. Son pelage est roux, une couleur peu commune et incroyable. Il montre les dents et grogne, attendant notre soumission.
Marius.
Si seulement il pouvait m'entendre mais ce n'est pas le cas. Alors je lutterai contre lui. Nous lutterons contre lui.
Je suis mon propre Alpha.
Ne te soumets pas.
C'est ce que j'ordonne au loup. Alors il reste immobile et nous nous tournons autour. Deux prédateurs, deux cœurs meurtris.
Le loup de Marius bondit en avant pour nous effrayer. Je sens nos poils se hérisser le long de notre échine mais nous ne nous soumettons pas.
De la bave dégouline de ses babines rosées, ses crocs sont plus grosses que les miennes et ses deux rubis rouges à la place des yeux nous toisent avec ardeur.
Voilà qu'il nous bondit dessus à nouveau. Ses pattes viennent heurter nos côtes, ses griffes tentent de se frayer un chemin à travers notre pelage.
Défends toi.
Le loup riposte. Grognement, oreilles en arrière et sens en alerte. Nous mordons Marius à la patte. L'autre vient griffer notre museau cependant nous continuons notre lutte.
Nous roulons dans la terre, échangeant des morsures douloureuses, des griffures intenses.
Nous glissons sur nos pattes et nous remettons droit, le loup de Marius fait de même et ses yeux nous fixent.
Étrangement, cet échange de regard prend une autre tournure lorsque ses rubis rouges deviennent finalement bleus comme la glace. On dirait que sa colère s'atténue. Ses oreilles se redressent, tout comme sa queue qu'il gardait entre ses pattes arrières, collée à son abdomen.
Alors je sens que mon loup se décrispe à son tour et nous nous approchons l'un de l'autre.
D'abord, nous nous reniflons timidement avant que nos museaux ne s'effleurent, une sensation étrange qui semble troubler mon loup. Doucement, nous nous collons l'un à l'autre, la tête du mon loup vient glisser contre celle de l'Alpha.
Cette soudaine tendresse vient soulager les plaies qui guérissent déjà sur notre corps et apaiser la Lune qui semblait sous tension.
Ma première pleine lune consciente en sept ans.
Et je la passe auprès d'un autre loup.
Loin du Lien Lunaire que j'avais avec Max.
Était-ce réellement le Lien Lunaire ?
Ou ne serait-ce pas ce que nous vivons à cet instant ?
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