28. Écoute 🌕

Je roule mes épaules, craque mes phalanges et détend mon bassin. Nous sommes à l'orée de la forêt juste derrière la maison et Marius est face à moi.

— Prête ?

On est prêt, lancé-je.

Ce soir c'est la pleine lune. J'appréhende mais à la fois, je suis impatiente. D'autant plus que je me sens de mieux en mieux. Depuis une semaine, Marius m'apprends à gérer mes sens, cette fois, c'est la vitesse.

Marius me tourne le dos et se met à courir. Alors je pars moi aussi, je dois le rattraper et surtout, le flairer. Je me concentre autant que je le peux et surtout, je laisse de la place au loup. En effet, c'est avec sa vision que je cours et c'est avec sa force que je déplace mon corps encore meurtri par ma chute.

Je vois Marius devant moi mais je ne m'arrête pas. Je dois le rattraper. Je saute par dessus le tronc d'un arbre abattu, évite une racine et zigzague entre les arbres. Mon cœur bat fort, ma respiration est plus rapide mais j'arrive à gérer le tout.

Soudain, il disparaît. J'ai dû être distraite une fraction de seconde, ce qui lui a permis de disparaître derrière les arbres. Je freine ma course et fini par marcher sur le sol gelé ou les feuilles craques sous mes pieds tant il fait froid. Je regarde autour de moi, je flaire. Doucement, je me baisse et ramasse une pierre que je garde fermement dans ma main. J'entends le moindre petit bruit et lorsque je crois reconnaître le craquement d'une semelle sur la terre glacée, je me retourne et lance la pierre de toutes mes forces. Marius se la prend dans le dos et pousse un grognement. Cependant il continue de courir mais je m'élance à nouveau, cette fois je dévie ma trajectoire, j'accélère le pas et je tourne sur la droite pour lui barrer la route. Il s'arrête et me fixe, un léger sourire au coin des lèvres.

— Je t'ai attrapé, grogné-je.

— Bien joué.

Je me redresse et souris, plutôt fière de moi.

— Maintenant il faut s'affronter.

Je fronce les sourcils mais voila qu'il me bondit dessus. Nous roulons dans la terre froide, ce qui réveille des douleurs enfouies. Je repousse son visage et de mes ongles, ou plutôt, des griffes du loup, je lui lacère la peau. Il pousse un grognement mais ne me laisse aucun répit. Il bloque mes jambes, tout son poids est sur moi, et ses mains s'enroulent autour de mon cou alors qu'il a bloqué mes bras sous ses genoux. Il me regarde droit dans les yeux. Les siens sont rouges comme le sang. Rouges comme ceux de son père. Rouges comme les yeux d'un Alpha.

J'ouvre la bouche pour respirer, mais l'air peine à passer.

— Défends-toi, Monroe.

Je le vois lui, puis je vois Gabriel. Mes yeux se gorgent de larmes, ma tête est compressée. Me défendre ? Il a déjà gagné.

— Défends-toi, bon sang !

Je serre les dents et je pousse un cri étouffé lorsque je me déboîte le bras pour me libérer. À ce moment précis, je vise les yeux de Marius dès que mon os se remet en place. Je ne peux plus imaginer un seul instant le regard vicieux et pervers de Gabriel. Il parvient à éviter mon coup alors je recommence mais il saisit mon poignet, me laissant respirer.

— Laisse-moi ! Hurlé-je.

— Sors-toi de la toute seule.

— Tu m'écrases.

— Tant mieux.

— Je t'en prie !

Je n'arrive pas à défaire mon autre bras. Les os brisés sont terriblement douloureux. Je n'ai pas envie de recommencer. Je n'en peux plus de revivre ce calvaire.

— Laisse-moi ! Laisse-moi ! Gabriel, par pitié !

Marius desserre son étreinte et lâche mon bras. Son visage est vilainement lacéré par deux traces de griffures, traversant son énorme cicatrice qui coupe son visage et fend sa lèvre supérieure. Il finit assis dans la terre mouillé juste à côté de moi alors que je porte mes mains à mon visage que je cache pendant que mes larmes ruissellent.

— Qui est Gabriel ?

— Laisse-moi...

— C'est lui qui t'as jeté de cet immeuble ?

— Marius... je t'en prie...

Il pousse littéralement mes mains de mon visage, saisit mes avants bras et me force à me redresser. Je suis alors assise devant lui, des feuilles mortes dans les cheveux et le visage à nouveau inondé.

— Maintenant tu vas me répondre.

Il dit cela et ses yeux deviennent rouges à nouveau. J'en frissonne. Cela me rappelle Gabriel dans le restaurant où je travaillais.

— J'en ai assez que tu restes silencieuse. J'en ai assez de te voir pleurer. Explique-moi qui est ce Gabriel et si c'est bien lui qui t'as jeté de l'immeuble.

Je détourne le regard et fixe le sol, mes larmes coulent et roulent sur les feuilles sèches.

— Oui...

— Pourquoi il te hante à ce point ? Pourquoi tu l'associes à moi, putain ?

— Je ne l'associe pas du tout à...

— Ça suffit tes mensonges ! Gronde-t-il.

Je le regarde tout en sursautant. Sa voix est forte.

— C'est compliqué Marius...

— Oui, tout est toujours compliqué avec toi, Monroe, mais je t'aide à préparer une vengeance sans même savoir contre qui tu comptes te battre. C'est un humain ? Un loup ? C'est un chasseur ?

— C'est un loup-garou...

— Putain... jure-t-il. Pourquoi il t'as attaqué ?

— Aucune idée... il était complètement enragé... il... il est entré chez moi, il...

Je déglutis difficilement, je ne parviens même pas à regarder Marius et pourtant je sens son regard insistant sur moi.

— Il m'a violée...

Marius demeure silencieux, alors je tourne la tête vers lui. Son regard semble vague, pensif.

— Plusieurs fois... reprends-je. J'ai voulu m'enfuir quelques jours plus tard, et il m'a jetée par la fenêtre, pour que je ne puisse plus m'enfuir. J'ai pris le métro, j'ai réussi à lui échapper comme ça et la suite, tu la connais.

Il cligne plusieurs fois des paupières avant de se lever. Il passe une main dans ses cheveux humides par ce froid pour les plaquer en arrière mais les mèches rebelles sont coriaces. Il fait les cents pas tout en inspirant profondément.

— Ce n'est pas Louis, je t'ai menti... je suis désolée.

Il me jette un regard tout en serrant et desserrant ses mâchoires.

— Il... il a les yeux bleus, comme toi, c'est pour ça que je l'associe... parfois... ça me renvoie à son image sans que je ne puisse le contrôler. Je pense que c'est simplement un choc... je m'en remettrai...

Il se pince les lèvres et pose ses mains sur ses hanches. Il garde ses lèvres pincées et me fixe. Son silence me tue à petit feu.

— J'aurais pas dû te mentir...

Je relève la tête vers lui.

— Pitié, dis moi quelque chose.

— Je ne conçois pas qu'on puisse te faire autant de mal, souffle-t-il.

Je baisse le regard et inspire profondément tout en serrant des feuilles dans mes mains, laissant quelques taches de terre sur ma paume.

— Je dois te dire autre chose...

Il ne répond pas. Alors j'inspire profondément, ma nuque est raide, mon cœur bat fort, des fourmillements engourdissent mes mains.

— Il y a quatre ans, j'ai appelé Max pour qu'il vienne me sortir de ma prison chez les Chasseurs.

Je marque une pause mais je ne l'entends pas parler, j'entends seulement son souffle et son silence me glace.

— Après ça, j'ai décidé de partir te chercher car tu avais disparu, et j'avais vu ce que tu avais fait... je voulais te retrouver, te serrer dans mes bras et te dire que j'étais toujours là, toujours en vie...

Je lève la tête vers lui et le regarde. Il me fixe, et ses yeux sont rouges. On dirait que des larmes s'y logent mais que par fierté, il tente de les contenir.

— Avant de partir, j'ai parlé avec Max. Il m'a avoué quelque chose qu'il ne t'as jamais dit. Quelque chose que tu ne sais pas...

— C'est pas nouveau, grommelle-t-il.

— Marius...

Je me lève à mon tour et me poste devant lui, saisissant de mes deux mains son magnifique visage. Les marques de mes griffes sont déjà entrain de disparaître et de laisser derrière elles de simples taches de sang.

— Promets-moi de m'écouter jusqu'au bout. Promets-moi que tu contrôleras ta colère.

Je vois les tendons de son cou saillir. Il est déjà en colère.

— S'il te plaît...

— Qu'est-ce que Max m'a caché ? Grogne-t-il entre ses mâchoire crispées.

— Vous êtes démis frères.

Il ne réagit pas et reste impassible. Je détaille chacune de ses réactions. J'ai tellement peur. Oui , j'ai peur de lui. Mais je me suis entêtée à croire en la rédemption. Je continuerai d'y croire. Je sais que Marius n'est pas le monstre qu'il laisse paraître. Je sais qu'il peut se canaliser.

— Christopher n'était pas ton père biologique. Ton père biologique... est un loup-garou, un... Alpha... ton père biologique a violé ta mère et quand Christopher voulait te tuer à peine avais-tu vu le jour, ta mère a refusé et il s'est forcé, toute ta vie, de t'éduquer comme son propre fils mais tu étais le fruit d'un viol...

Il commence à respirer de plus en plus fort et quand il veut s'éloigner, j'attrape aussitôt ses mains.

— Ce n'est pas ta faute, tu entends ? Tu n'y es pour rien Marius si Christopher t'as haïs, tu n'as pas demandé à venir au monde de cette façon.

Il serre mes mains dans les siennes.

— Je ne veux pas faire comme eux, je ne veux rien te cacher.

Son regard s'assombrit à mesure que je parle.

— Gabriel... Gabriel est ton père.

Il lâche aussitôt mes mains et me tourne le dos. Finalement, il abat son poing contre un arbre. Si fort que l'écorce se brise sous ses phalanges. Il recommence à deux reprises, si fort que je crois qu'il va tout simplement couper cet arbre mais finalement, il pose ses deux mains dessus puis appuie son front dessus. Je l'entends alors sangloter, tout en tentant d'être silencieux. Je sens sa tristesse, sa colère. Elle me brise tant je ressens toute sa peine et sa détresse.

Il serre l'écorce, ses ongles le raclent et me donnent des frissons.

— Je veux que tu aies confiance en moi...

Il lève sa main vers moi et ferme son poing. Me faisant comprendre qu'il ne veut plus rien entendre. Sa main tremble tant sa colère est intense.

— Je suis le fils d'un Alpha et d'un violeur... marmonne-t-il.

— Tu vaux bien plus que lui.

— NON ! Hurle-t-il.

Je sursaute. Il s'avance vers moi, les mains et les ongles écorchés. Je reste immobile devant lui.

— Je suis le fruit d'un acte de violence ! J'ai vécu DANS la violence. Tu comprends ça ? J'ai grandi en pensant que mon père, oui car je croyais que j'étais bien le fruit de son union avec ma mère, et j'ai cru qu'il me détestait car je ne valais rien comparé à Max. En fait... je suis le fils de son ennemi ! Et le fils de l'homme qui t'as détruite ! L'homme qui t'as presque tuée ! Comment je devrais réagir, hein? Monroe, dis-moi comment je dois réagir ?!

— Je suis désolée...

Il lève sa main à hauteur de mon visage et serre si fort son poing que ses phalanges blanchissent.

— Je... vais retrouver cette enflure... et je vais le détruire...

— Pitié...

— Je vais lui faire bien pire que ce qu'il a pu vous faire subir. Il souffrira tellement qu'il me suppliera de l'épargner... ce sera lui, l'être faible à la fin de cette histoire.

Je le saisis par la taille, me colle à lui, la tête contre son torse, assourdie par son cœur en miette. Je le serre de toutes mes forces, ferme les yeux et espère seulement qu'il ne me repousse pas.

— Reste avec moi...

Il ne dit rien, ne bouge pas.

— J'ai besoin de toi Marius.

Je le serre encore plus fort. Sa chaleur, son odeur, son ardeur... je serre tout, j'aspire tout, je m'imprègne de tout.

— Il n'y a que toi qui peut m'aider à me remettre, il n'y a que toi qui me fera oublier, qui me permettra de devenir la meilleure version de moi-même. Avec toi, je sais que je serai prête à me venger, je sais que je pourrai devenir mon propre Alpha. Je t'en prie, reste avec moi... je t'ai attendu quatre ans. Je ne veux plus jamais te perdre.

Je humecte mes lèvres, la gorge nouée.

— Tu vois Marius... tu as peut-être été haïs une bonne partie de ta vie, tu as longtemps été seul... mais aujourd'hui... aujourd'hui je suis là, tu entends ?

Je relève la tête; toujours collée à lui. Il me regarde, le visage crispé.

— Tu m'entends ?

— Je t'entends...

— Je t'aime.

Doucement, il pose sa main sur ma joue puis passe l'une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille, ses yeux plongés dans les miens.

— Je t'aime tellement... soufflé-je.

Il relève le regard pour fixer un point devant lui, sa main derrière ma tête, il me rapproche de lui pour déposer un baiser sur mon front.

— Si tu veux devenir un Alpha, tu devras rester éveiller cette nuit, tu devras ne faire qu'un avec le loup.

— Je le ferai.

— Parfait.

Il me lâche finalement puis se retourne pour se diriger vers la maison. Je le suis et notre retour est silencieux. C'est pesant, ça me fend le cœur. Le pire, c'est que je sens que Marius boue de l'intérieur.

Je prends une douche que j'apprécie par ce froid intense. Heureusement, les gènes du loup permettent de supporter le froid bien mieux que lorsque je n'étais qu'une humaine.

J'essuie mes cheveux tout en m'avançant vers mon lit, enroulée dans une autre serviette mais du bruit à l'extérieur retient mon attention. Je me dirige alors vers la fenêtre et regarde par celle-ci. En contrebas, près du petit atelier non loin du lac, je vois Marius. Il détruit absolument tout ce qui se trouve à portée de mains. Il attrape une scie qu'il jette sur le sol, son pied vient frapper l'établi qui était dehors, il se brise et une partie vole dans le lac.

Je vois qu'il respire vite, d'ailleurs le soleil commence à se coucher et la lune est déjà visible dans le ciel glacé. Il retire son t-shirt et le jette sur le sol, se débarrasse de ses cheveux et déboutonne son pantalon. De dos, je devine ses muscles et sa respiration accélérée tant sa colère le malmène. Je devine également les cicatrices, dont la pire : celle du poignard en argent entre ses deux omoplates.

Finalement il se jette dans l'eau glaciale et se laisse couler. Je détourne le regard. Je ne sais pas si c'était une si bonne idée que de tout lui dire mais je voulais lui prouver que moi, j'étais digne de confiance.

Même si j'ai englobé la vérité. Je ne veux pas qu'il sache que son père le recherche pour quelques raisons que ce soit. Je voulais simplement qu'il sache qui il est, d'où il vient. Car c'est légitime que de savoir ses gènes.

Ce soir est un grand jour.
Ce soir, je ne devrais faire qu'un avec le loup et passer ma première pleine lune, entièrement consciente.

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