26. Un coin paisible 🌓

Je pense avoir longuement rêvé.
J'ai rêvé de choses plutôt joyeuses, d'un monde sans monstres, de moi, professeur de musique, toujours proche de Sam. Je crois même que j'ai rêvé lui avoir dit oui quand il m'a demandé en mariage. Pourquoi ne pas avoir des enfants, acheter une maison et vivre la vie que toute personne rêverait de vivre ?

Mais tout cela, ce ne sont que des rêves.
Parce que malgré mes mauvais choix, même si je pouvais remonter le temps, il serait impossible de vivre cette vie là.

J'ouvre difficilement les yeux quand j'entends le chant des oiseaux. Au début, je crois être morte tout simplement.

Est-ce que je suis au paradis ?

Impossible. Je ne mérite pas le paradis. Les rideaux de la pièce sont fermés mais je devine des lueurs du soleil. Je suis dans ce qui ressemble à une chambre. Dans un lit double plutôt confortable. Je tourne doucement la tête, sur la table de nuit est posé un verre d'eau.

J'ai tellement soif.

Je tends mon bras tremblant et j'attrape le verre. Le liquide dedans ne cesse de vaciller. Je relève la tête et approche mes lèvres du bord. C'est délicat, j'ai l'impression que je vais le renverser mais non, j'arrive à boire. Je le vide d'un trait. Puis repose ma tête sur l'oreiller.

Mon corps me fait terriblement souffrir bien que je crois avoir connu pire après ma chute de quatre étages. C'est un miracle que je sois encore en vie et il est certain que c'est parce qu'une partie de moi n'est pas humaine.

La porte s'ouvre et la personne tire les rideaux. La lumière de l'extérieur m'éblouie un instant. Il porte un t-shirt gris à manches courtes et un jean bleu foncé. Quand il se retourne je remarque que le t-shirt est coincé dans sa ceinture et quand je relève les yeux, je reconnais son visage. Mon cœur s'emballe aussitôt, ma respiration aussi.

La ressemblance est troublante et je ne saurais dire si j'en ai peur ou non. Il s'approche du lit, son pas est lourd sur le plancher. Je me redresse à l'aide de mes coudes et m'éloigne du bord du lit où il s'assoit.

Il me toise un instant de ses yeux bleus tout en se pinçant les lèvres.

— Tu ne me reconnais pas ? Demande-t-il en penchant la tête sur le côté.

Je le fixe un instant.

— Je te reconnais... soufflé-je.

— Bien.

Il baisse les yeux et tire doucement la couverture pour me découvrir.

— Tu as l'air terrifiée, remarque-t-il.

Et je le suis.
Je le suis tellement.

À la place d'un t-shirt ou d'un soutiens-gorge j'ai le droit à une bandage autour de la poitrine. Je pose ma main dessus. Je vois que des bleus dépassent de ce bandage et je n'ose imaginer dans quel état est mon corps.

— Tu avais les deux clavicules cassées, la cage thoracique aussi... j'ai bandé le tout pour le maintenir, les gènes du loup se chargent du reste.

Je ne réponds rien et laisse glisser ma main sur le bandage. Il est vrai que quand je respire, j'ai mal.

— Ton bras s'est remis rapidement, il était cassé et l'épaule déboîtée mais c'est ce qui s'est réparé en premier. Concernant ta jambe et ta hanche, ça va mieux mais ça va prendre du temps.

— Je me souviens plus de grand chose...

— Tu as dormi quatre jours.

— Je suis encore en vie ou je rêve ? Peut-être que je rêve... c'est sûr que je rêve... ici ça a l'air paisible et toi... Marius... tu es juste là... devant moi. Oui je rêve...

Il me fixe de son regard intense. Un regard qui me fait chavirer et oublier ce que j'ai vu de lui. Lui tuant chaque membre de sa propre meute. Pourtant je ressens une crainte que je ne saurais identifier.

— J'ai cru rêver moi aussi, notamment les premières fois où j'ai recommencé à te ressentir y'a à peine deux ou trois semaines. Je t'ai cru morte pendant près de quatre ans. Puis je me retrouve à me balader de villes en villes pour te retrouver dans un hôpital, branchée à des machines bizarres... j'ai pu te sortir de là avant que les médecins ne se doutent de quoi que ce soit et que tu deviennes un cobaye. Quelqu'un a dû te trouver et t'y emmener...

Je baisse les yeux et pousse un profond soupir qui me vaut une douleur au thorax. Je ne me souviens de rien, si ce n'est le fait que j'ai lutté pour bouger après ma lourde chute.

— Qui t'as fait ça Monroe ?

Il demande cela en tentant de sonder mon regard.

— Je... je ne sais pas.

— Tu connaissais la personne qui t'as fait ça ? C'est un Chasseur ?

— Sûrement un Chasseur oui...

Il saisit une mèche de mes cheveux et l'observe un instant.

— Qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux...

Je me recule encore un petit peu et repousse sa main. Je n'ai pas envie d'être touchée je l'avoue. Je suis trop déboussolée pour savoir comment réagir. Je le vois, il est là devant moi. Une barbe de trois jours, sa cicatrice toujours bien présente malgré le temps qui a passé, quelques mèches de cheveux retombent sur son front, le reste est en arrière. Il est vraiment beau, mais il me rappelle trop Gabriel.

Je me rallonge doucement dans le lit et me tourne dos à lui, tirant la couette jusqu'à mon menton.

— Je suis fatiguée...

Je le sens qui se lève du lit, il ne dit pas un mot et je l'entends même attraper la poignée de la porte. Je fixe le mur devant moi, et je sens les larmes noyer mes yeux.

— Je retrouverai la personne qui t'as fait ça, et je lui ferai subir bien pire, déclare-t-il avant de fermer la porte.

Je ferme les yeux et je sens les larmes couler toutes seules. Je crois que je ne peux m'empêcher de sangloter. Chaque fois que mes yeux se ferment je revis ce calvaire. Le viol, les coups, cette chute de plusieurs mètres et je revois ses yeux rouges. Chaque fois que je ferme les yeux, je plonge en enfer.

Malgré tout je parviens à m'endormir. En pleurant certes mais c'est déjà bien.

Je revois alors quelques images.
Je me souviens du métro, je me souviens avoir fini contre un mur et une personne qui m'a interpellée.

Est-ce que ça va ?

Marius...?

Vite ! Que quelqu'un appelle les secours !

Après avoir marmonné le prénom de Marius je me suis affalée sur le sol et ce type qui... je le crois ne ressemblait en rien à Marius a commencé un massage cardiaque.

Elle va mourir !

Je crois que des gens ont commencé à s'agglutiner autour de nous et j'ai perdu connaissance.

Je revois quelques flashs.

Chargez !

BOUM.

L'électrochoc du défibrillateur me fait gesticuler sur le brancard.

Chargez à nouveau...

Une sirène retentit. Celle d'une ambulance.

BOUM.

Un nouveau choc.
Et mon cœur repart. J'inspire profondément et me redresse sur la table. Mon électrocardiogramme se met à s'intensifier dans un son strident et deux personnes me plaquent sur le lit.

Calmez-vous mademoiselle.

Je pense qu'à cet instant, c'est surtout le loup car les grognements n'ont rien d'humain.
Les calmants et notamment la morphine m'ont permis de me rendormir.

Je peine à me rappeler du reste. Il est vrai que j'ai cru revoir Marius, dans ma chambre d'hôpital mais j'ai cru rêver comme dans le métro. Le reste est flou, trop droguée par leurs médicaments.

Marius... ?

Je suis là Monroe, je vais te sortir d'ici.

À mon réveil, je me lève difficilement et je boite jusqu'à la porte coulissante qui donne dans une salle de bain. Je me déshabille et retire mon bandage pour dévoiler ma poitrine. Elle est gonflée, bleue, violacée à certains endroit. Rien qu'au toucher, c'est douloureux. Mon visage est encore un petit peu marqué mais ça semble aller mieux et mon nez n'est plus cassé. Je pose ma main sur le miroir et je vois rouge un instant. Mes yeux sont ceux du loup, pour une fois, je peux les voir en face.

— Merci...

C'est ce même loup qui m'a sauvé la vie.

Je reste sous l'eau chaude de la douche de longues minutes. J'ai l'impression de laver mon corps et mon âme en même temps. J'ai vraiment l'impression que tout ce que j'ai pu endurer ces dernières semaines s'écoule avec l'eau qui disparaît dans le siphon. J'aime cette sensation et j'aimerais même qu'elle ne disparaisse jamais.

Une fois propre, je laisse mes cheveux goutter et enfile les vêtements qui étaient posés sur le lavabo. Un pantalon trop grand pour moi et un t-shirt d'homme.

Tout en boitant, car visiblement, ma jambe n'est clairement pas remise, j'ouvre la porte et m'aventure dans l'endroit dans lequel je suis. Le couloir est plutôt petit, je descends les escaliers et me retrouve dans un séjour illuminé par le lustre qui pend au plafond, la mezzanine est au dessus. C'est un endroit qui semble paisible. Il y a même le feu qui crépite dans la cheminée et la baie vitrée est ouverte, laissant passer l'air frais de cette soirée d'automne.

Je pousse cette dernière et avance sur le porche en bois. Il fait nuit, la lune éclaire plutôt bien le lac juste devant et le clapotis de l'eau est drôlement reposant. Je m'assois sur la chaise et je fixe les reflets de la lune tout en frottant mes bras. Il ne fait pas chaud mais cet environnement est terriblement paisible.

Je dois être morte pour me trouver dans un tel endroit. Je ne vois pas comment ce pourrait être possible. Je suis au beau milieu de nulle part, alors que j'habitais en ville.

— Tu as trouvé la douche.

Je relève la tête. Marius monte les trois marches et me rejoint sur le porche. Je le suis des yeux puis me concentre à nouveau sur le lac.

— Ça l'air magnifique ici...

— Ça l'est.

Il s'appuie contre la poutre en bois près des marches. Je le regard du coin de l'œil. Je ne sais pas pourquoi je n'ose pas affronter son regard ou sa personne.

— C'est... chez toi ?

— C'est un chalet que j'ai retapé, c'était plutôt moisi quand je suis arrivé mais ça m'a pas mal occupé.

— Tu... vis seul ?

— Ouais, à vrai dire la compagnie ne m'attire plus vraiment. Je vis bien mieux seul.

— Alors depuis presque quatre ans...

Son soupir me pousse à me taire. Il enfonce ses mains dans les poches de son jean et se mordille les lèvres.

— Je t'ai cru morte et j'étais tellement en colère... en fait, je suis toujours en colère, c'est un sentiment qui ne me quittera jamais. Après le soir de pleine lune où j'ai tué toute ma meute, j'ai juste décidé de quitter Hellbound. Les Chasseurs, mon frère... j'en ai assez d'être pourchassé et chaque personne qui se met en travers de mon chemin le paye de sa vie. Je me suis trouvé ce chalet, j'ai pris le temps et le plaisir d'en faire ma maison et ici, on ne m'a jamais retrouvé. En fait, pour me retrouver il faudrait soit traverser le lac, soit traverser les montagnes derrière, donc autant te dire que personne ne l'a fait jusqu'ici.

Un vrai coin paisible. C'est étonnant, mais à la fois je le comprends. Marius s'est isolé et je pense qu'il a bien fait. Lui qui est si incontrôlable, ici au moins, il ne blesse personne.

— Alors tu ne tues plus ?

Il grimace légèrement et lève la tête vers le ciel. Il est sombre, les nuages sont lourds.

— Sans vouloir paraître narcissique ou prétentieux, je sais que je plais aux femmes et à l'approche de la pleine lune, je m'en trouve une ou deux... ou trois pour me nourrir. Le reste du temps je me contente de chasser dans les bois à côté. Je reste un Alpha, le cœur encore chaud d'un être humain est ce qui me permet de garder du pouvoir et de la vitalité.

Je fixe un point droit devant moi. J'espère que ce mode de vie lui aura permis de se contrôler un petit peu plus, d'être moins sanguin également. Mais je peine à y croire en soi. Je suis partagée entre la joie et la peur. Je pense que cette peur qui ne me lâche pas est tout simplement dû au fait que j'ai été brisée, pas seulement physiquement mais psychologiquement et j'aimerais en parler à Marius, sauf que je sais très bien comment il réagirait.

— Tu devrais manger, ça te redonnera des forces.

Il dit cela en rentrant dans la maison.

— J'arrive...

Je fixe toujours les reflets de la lune sur le lac. Est-ce qu'ici je suis en sécurité ? Est-ce que je risque quelque chose ? Je sais que Marius serait capable de me protéger contre n'importe qui. Je sais que je peux me sentir en sécurité près de lui.

Mon cœur lui, en tout cas, se sent en sécurité près de lui.

Je vois que depuis toutes ces années, rien n'a changé. C'est pour lui que bat mon cœur. C'est pour lui que mon âme chavire.

Ce coin paisible me permettra de me remettre sur pieds.

Je me souviens de Max et sa vengeance contre son frère.
Marius et sa soif de vengeance contre toutes personne osant le trahir.

J'ai également cette soif de vengeance à présent.
J'ai cette irréprochable envie de venger le mal que l'on m'a fait et je crois comprendre enfin ce qui animait les deux frères.

J'inspire profondément et expire lentement par la bouche.

— Je suis mon propre Alpha... murmuré-je pour moi-même.

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