25. Brisée 🌒

Je n'ai pas compté mais je crois que ça fait presque deux semaines que je suis coincée dans mon propre appartement, clairement séquestrée par ce monstre de Gabriel. Il porte le nom d'un ange et pourtant, il a tout du Diable en personne.

Je ne connais toujours pas ses intentions ni même les raisons pour lesquelles il recherche Marius. D'ailleurs je me demande même comment il peut le connaître. Je suis dans une toute autre ville, loin de Hellbound, de tout ce passé mais il a tout de même fallu que je tombe sur cet homme qui me connaît sans que je ne sache comment.

On ne peut jamais échapper à ce qu'on est.

Je suis allongée sur le côté, la main sous la tête, l'autre le long de mon corps et je fixe la fenêtre en face de moi. Dehors il fait sombre, les nuages sont gris et alourdis d'une pluie qui nous menace. Le vent souffle je l'entends de la, également car il chantonne dans les canalisations. J'aimerais me laisser mourir.

Mes cheveux sont emmêlés, car je ne prends plus la peine de les coiffer. Je me douche et je erre dans mon propre appartement. Je suis là sans être là à vrai dire. Je ne suis plus que le reflet de moi-même, un fantôme, je traîne ma carcasse mais je ne sais plus vraiment si j'ai envie de continuer à lutter.

Le fait d'avoir été violée m'a retiré toute envie de me battre. Gabriel ne me mord pas pour voir mes souvenirs, non, il malmène mon corps, arrache ma dignité et la dévore, il la broie, la piétine, la brise...

J'essaie de me demander ce que ferait mon loup à ma place. Est-ce qu'il resterait captif ou ne tenterait il pas de s'enfuir ? Et Max ? Et Marius ? Que feraient ils ?

L'un fuirait...
L'autre se battrait.

Mais je n'ai pas la foi de Max pour fuir.
Ni même le courage de Marius pour me battre.

Pourtant je devrais.
J'y réfléchis.
Je cherche le moment opportun durant lequel je pourrais prendre la fuite. Il est certain que je ne fais pas le poids face à Gabriel. Il a des années de transformation derrière lui, il est peut-être même plus fort que Marius et Max réunis. C'est même une certitude.

Je suis assise à table à présent, face à mon repas. Du poulet cru, Gabriel lui se régale et moi je ne fais que fixer mon assiette, perdue dans mes pensées, mes rêveries.

— Tu ne t'alimentes plus. Le soir de la pleine lune, la transformation risque d'être très douloureuse.

— Plus douloureuse que ce que je subis depuis deux semaines ?

— S'il te plaît, n'en fais pas tout un plat.

— Évidemment que j'en fais tout un plat ! Je suis ton objet !

Je serre mes couverts dans mes mains et le fixe droit dans les yeux. Il pose les siens délicatement et avale le morceau de viande qu'il avait dans la bouche.

— Je suis ton Alpha.

— Je n'ai pas d'Alpha, pas de meute !

Il frappe du poing sur la table ce qui me fait sursauter.

— Évidemment que si !

— J'ai voué loyauté et allégeance à une seule personne dans ma misérable petite vie et c'est certain que ce n'était pas toi. Ce ne sera jamais toi !

— Tu tues un membre de ma meute, tu le remplaces.

— Je préfère que tu me tues !

— Certainement pas, tu es trop précieuse. Je sais qu'il finira par te retrouver.

Encore et toujours Marius. Je serre davantage mes couverts, les mâchoires crispées, le cœur palpitant.

— Marius me croit morte. Il a raison... je suis morte...

— Il est intelligent, ne t'en fais pas.

— Il a disparu, tu entends ? Je ne sais pas où il est ! Qu'est-ce que ça t'apportera de l'avoir avec toi ?

— J'ai vu dans tes souvenirs un Alpha puissant, c'était ce que je cherchais.

— Pourquoi ?

— Ça ne te regarde pas.

Je fais grincer mes dents.

— Bien-sûr que si ! C'est mon corps que tu utilises pour le retrouver !

— LAISSE-MOI RETROUVER MON FILS ! Hurle-t-il.

Sa voix est si forte que j'en frissonne. Son fils ?
Cette ressemblance que je trouvais troublante est donc tout à fait normal puisque le père de Marius se trouve face à moi. Je me souviens de ce que Max m'avait dit avant mon départ. Je me souviens très bien du fait qu'ils ne sont que demi frère. Je me rappelle que sa mère avait été violée. Les raisons, et toute l'histoire... je ne la connais pas.

— Pourquoi moi...?

— J'ai entendu parler de toi.

— Comment as-tu pu savoir que j'avais un lien avec lui ?

— Parce que j'ai appris ce qui est arrivé à Hellbound. On m'a dit qu'à partir du moment où une rouquine un peu maigrichonne est arrivée parmi les loups, le chaos s'est installé et la Lune a commencé à saigner. Tu as l'air de souhaiter la paix mais j'ai l'impression que tu es comme moi... tu déferles le chaos.

— Tu souhaites le chaos, ce qui n'est pas mon cas.

Il s'appuie sur le dossier de sa chaise et se pince les lèvres tout en me détaillant.

— Bien-sur que non, je souhaite le pouvoir absolu. Je souhaite qu'on rejoigne ma cause. Je souhaite que nous puissions vivre au grand jour sans nous cacher. Pourquoi se cacher Monroe ?

— Faire la guerre aux humains ?

— Et à tous les loups-garous qui se mettront en travers de mon chemin.

— En quoi Marius sera utile ?

— Une bombe à retardement... il m'aidera.

— J'espère que non...

Il est pourtant fort probable que oui. Avec toute la haine qui l'anime et si Marius découvre qu'il a un père qui semble fier de lui... il n'hésitera pas. Lui qui a tant manqué d'amour aura là l'opportunité de vivre l'alchimie que Max a eu avec son père quand lui était mis de côté.

C'est donc normal qu'à l'époque il y avait une guerre entre deux meutes. Christopher, lui, souhaitait la paix quand Gabriel souhaite le pouvoir et la reconnaissance. Chaque personne qui ne prend pas partie de ses actions se voit devenir son ennemi.

À quoi ça sert de s'entêter à chercher la paix ? Je suis incapable de permette la paix. Gabriel n'a pas tort sur ce point là. Le chaos me suit où que j'aille.

— La Lune a saigné quand je me suis transformée alors... soufflé-je.

Je garde toujours mes couverts dans les mains et j'ai envie de les lui jeter dessus. J'ai envie de le blesser, le ralentir et fuir. Plus j'y pense, plus mon rythme cardiaque s'accélère et j'ai peur qu'il s'en rende compte. Je pourrais avoir la foi de Max et le courage de Marius réunis.

— Tu n'es pas comme les autres toi et tes cheveux d'automne. Quel gâchis que de les avoir teint...

— Je ne voulais pas qu'on me traque.

— Je t'ai trouvé rien qu'en te croisant j'ai su qui tu étais. Tu ne seras jamais tranquille. C'est toi que tout le monde veut.

— Pourquoi ?

— Demande ça à ta mère.

— Elle est morte.

Il esquisse un faible sourire.

— J'ai soif... soufflé-je.

— Je vais te servir un verre.

Il se lève et me tourne le dos le temps de prendre un verre et de le remplir au robinet. Ma respiration s'accélère, mes mains deviennent moites et tremblent. Je décide néanmoins de me lancer. Je dois partir. Je ne peux pas me laisser faire. Plus maintenant.

Mon Alpha, ce sera moi.

Je jette alors le couteau qui frappe son épaule et s'y plante. Gabriel lâche le verre qui se brise, laisse couler l'eau et pousse un cri. Je me lève d'un bond et cours jusqu'à la porte d'entrée. Sous la panique je ne me rends pas compte que la porte est verrouillée et je ne parviens pas à la déverrouiller.

J'entends Gabriel qui jette le couteau sur le sol tout en poussant un grognement. Je me précipite vers la chambre et saute sur le lit pour me diriger vers la fenêtre, il attrape ma cheville et me tire. Je tombe sur le sol, mon menton frappe celui-ci et mes dents pincent ma langue. Il me retourne sur le dos mais cette fois je ne me laisse pas faire. Je lui griffe le visage, il me lâche alors je me relève et ouvre la fenêtre. Avant que je ne passe par celle-ci, il saisit mes cheveux et me tire brutalement en arrière, je me cogne contre la commode, mes lombaires ne me pardonneront pas cette fois vu la violence.

Sa main entoure à présent mon cou, il serre et m'étouffe tout en me regardant droit dans les yeux. Les siens sont rouges comme le sang.

— On ne désobéit pas à son Alpha.

— Je n'ai... pas d'Alpha !

Mon genou vient bousculer ses parties que j'aimerais lui arracher tant je le hais. Je le repousse mais il saisit mon poignet avant que je ne puisse m'enfuir. Il m'étreint ensuite la taille et me soulève. Il me jette littéralement contre le mur. Le cadre accroché se brise sur le sol en même temps que je roule sur celui-ci. Il frappe alors mes côtes avec son pied à deux reprises avant de me soulever en saisissant le col de mon t-shirt.

— Tu vas comprendre à qui tu as affaire.

Son poing s'abat contre mon visage, mon nez se bouche instantanément et le sang coule à flot. Je ne me laisse pas abattre. Je mords son poignet aussi fort que je le peux alors il pousse un cri de douleur et me lâche.

Je me relève tant bien que mal, quelques côtes brisées et me tourne vers lui. Son poignet saigne et sa chemise blanche est maintenant tachée de son propre sang. Le goût en a même imprégné ma bouche.

— Je vais te détruire, vocifère-t-il.

Il me saisit par la nuque, me retourne brusquement et passe tout mon buste par la fenêtre. J'habite au quatrième étage et je vois la rue déserte en contrebas avec la benne à ordure fermée. Si je tombe, je me ferais très mal.

— Pas ça ! Arrête ! Hurlé-je.

Sa main serre tellement ma nuque que ça me paralyse. Je grogne. Enfin, il grogne. Le loup. On risque tous les deux notre vie.

— C'est pas par là que tu voulais t'enfuir ? Tu renonces ?

Je le sens qui attrape la ceinture de mon jean.

— NON ! Arrête !

La peur me tiraille tellement le ventre que j'en oublie les côtes brisées. J'ai une terrible envie de vomir en voyant le vide en dessous de moi. Mes mains s'agrippent comme elles le peuvent aux rebords de la fenêtre.

— Allez Monroe, enfuis toi ! Gronde-t-il.

Il me fait basculer en avant. J'ai juste le temps de hurler mais tout se passe beaucoup trop vite.

Je heurte de tout mon poids la benne à ordure avant de glisser sur le béton froid et humide. J'ai entendu mes os se briser en atterrissant et la douleur que je ressens est indescriptible.

Ma joue est posée contre le sol froid, j'arrive à peine à avaler ma salive. Je sens juste une larme couler sur l'arête de mon nez et se mêler à l'humidité du béton.

Il m'a brisée.
Totalement brisée.

Allez Monroe, tu n'es pas ordinaire.
Vous êtes deux.

J'appuie mes mains sur le sol, difficilement je dois l'avouer. Cette action me vaut le craquement douloureux de mon épaule droite et de mon coude gauche. Je pousse un cri et me retourne sur le dos. Je fixe alors la fenêtre de mon appartement par laquelle le rideau vole. Je ne vois pas Gabriel. C'est sûr qu'il va venir me chercher.

Je n'ai pas d'Alpha.

— Je suis... mon propre... Alpha... balbutié-je.

Je m'accroche à la benne à ordures. Malgré mes gémissements, malgré la douleur, je me remets sur mes deux pieds. Le loup y est clairement pour quelque chose puisque je vois rouge, c'est grâce à lui que j'avance.

Tout en boitant, je quitte la ruelle. Quand je tourne la tête sur la gauche, je vois Gabriel qui sort tout juste du bâtiment. Je pars alors du côté opposé lorsqu'il croise mon regard.

Mon premier réflexe, c'est de descendre dans la bouche de métro, là où beaucoup de monde se promène. Je manque de tomber dans les escaliers puis je longe le couloir en m'aidant du mur. Je vois qu'on me regarde bizarrement mais je n'y fais pas attention.

— Monroe ! Entends-je derrière moi.

Ne te retourne pas.

Je vois toujours rouge. J'entends les lignes électriques, le cœur des gens, leur vitalité tandis que moi je perds la mienne.

Un métro est à l'arrêt mais pas pour longtemps, je passe le contrôle sans écouter le type de la sécurité qui souhaite m'interpeller. J'entre aussitôt dans le métro et me tient à la barre, serrée aux autres individus.

Gabriel se précipite également mais les portes se ferment au même moment. Je le regarde droit dans les yeux, les siens sont toujours aussi rouges et sa colère terriblement intense. Il frappe contre les portes et suit le métro qui démarre mais il est déjà trop tard.

Je reste accrochée à la barre, je crois que si je la lâche, je tombe à la renverse. Ma vue redevient la même, cependant le goût du sang ne quitte pas ma bouche, mon cœur bat trop lentement.

— Mademoiselle  ? Vous allez bien ?

Je tourne doucement la tête vers le gentil homme qui s'est inquiété de ma santé.

— Vous saignez...

Je suis son regard, en effet, des gouttelette de sang tachent le sol et je ne sais même pas d'où cela provient. Mon corps tout entier est une douleur.

Le métro s'arrête au même moment alors je sors sans lui répondre et je titube dans les couloirs. Je m'accroche à la rambarde de sécurité quand je manque de tomber. Quand je relève la tête, je suis face à la vitre du distributeur automatique. Mon visage est martelé de bleu, égratigné sur tout le côté droit et mon œil peine à rester ouvert.

Je trouve la force de continuer mon chemin et m'introduis dans un nouveau métro. Cette fois-ci je m'assois.

Je grelotte mais je ne parviens pas à croiser les bras pour me réchauffer, le gauche est clairement cassé. Je reste immobile à fixer mes pieds en attendant que le temps passe. Pourtant, mes paupières deviennent de plus en plus lourdes et je ne parviens pas à m'empêcher de sombrer.

Peut-être que je ne me réveillerai pas.

Et pourtant si, quand j'entends les roues crisser sinistrement sur les railles, je relève la tête brusquement. Le métro est quasiment vide. Les portes s'ouvrent alors je sors par celles-ci et je finis quelques mètres plus loin, contre un mur. Je reste les jambes tendues et la tête qui pend.

N'aie pas peur de te laisser aller...
C'est ce que souffle ma conscience.

Pour quoi je me bats au juste ?
La Lune.

— Hé... souffle quelqu'un.

Je n'ai pas la force de relever la tête. Je dois avoir l'air morte à vrai dire. Le nez cassé je ne peux même plus faire marcher mon odorat. Je ne suis plus qu'une carcasse ambulante.

— Est-ce que ça va ?

Je sens une main se poser sur mon épaule. Alors la sensation que je ressens est décuplée. Je ressens quelque chose. Un lien. Un lien que je ne peux briser.

Je relève difficilement la tête, les yeux mi-clos. Je vois trouble et je perds connaissance aussitôt. Pourtant, je parviens à murmurer.

— Marius...?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top