21 - Réveil difficile 🌘
J'ai de vagues souvenir de cette nuit. Alors que je dors encore. Alors que mes paupières sont toujours closes. C'était un voyage inquiétant. Un voyage. Mais pas solitaire.
Je me suis rendue chez lui.
Mon loup s'est rendu chez lui.
Mais il n'était pas là. C'était vide. Si ce n'est que cette odeur âcre de sang reste encore imprégnée dans mes narines.
Marie, allongée sur le sol, les yeux révulsés, la bouche ouverte et l'abdomen griffé de long en large a attiré mon attention.
Je crois.
Enfin je suis sûre que j'ai dévoré son cœur.
Je m'en veux encore. Alors que je ne suis pas certaine d'être consciente.
En le dévorant.
J'ai vu ses souvenirs.
Ça a commencé par son enfance. Ses rires joyeux et malicieux. Ses parents. Sa première transformation, la mort de ses parents, tués par des chasseurs. J'ai reconnu le père de Max et Marius. Je les ai reconnu eux également, encore jeunes.
J'ai vu son premier amour.
Sa première peine de cœur.
Ses joies, ses peines, ses malheurs et son bonheur...
— Je te dis qu'il est ici !
— C'est impossible. Il est tombé d'une falaise.
— Dickon, fais moi confiance s'il te plaît.
Ils avancent tous les deux dans la forêt près d'une vieille cabane en décomposition. Le toit n'est presque plus existant, le bois a moisi, les feuilles mortes font offices de sol et la mousse à recouvert les carreaux des vitres qui ne sont pas brisées.
Ils poussent la porte d'entrée qui était déjà entrouverte et avancent doucement jusqu'à ce qui ressemble le plus à un salon.
Le premier son qui parvient aux oreilles de Marie, ce sont le claquement des dents de la personne qu'elle cherchait. Derrière le canapé recouvert d'un drap, Marius est allongé sur le côté, recroquevillé, torse nu, une dague enfoncée entre les deux omoplates, un trou dans l'épaule, des griffures et des énormes bleus recouvrent son corps. Celui au niveau de ses côtes laisse clairement percevoir qu'elles sont cassées.
Ses bras sont tendus devant lui, ses mains tremblent, tout son corps tremble en fait et ses cheveux sont enduis de sueur.
Lorsque Dickon et Marie avancent , la voix rauque de Marius les arrête.
— N'approchez pas.
Il est dos à eux et pourtant il semble savoir qui se trouve ici. Marie s'accroupit non loin de lui alors qu'il tente, en se tordant et en gémissant, d'attraper le manche de la dague.
La peau autour de la lame enfoncée dans ses chairs est terriblement boursouflée, noircie, elle suinte, ses veines ressortent.
— Laisse-nous t'aider... souffle-t-elle.
— J'en... j'en ai assez des traîtres... laissez-moi.
— Si on ne fait rien tu vas mourir.
— Alors que... que je... que je meurs !
Il tremble tellement qu'il ne parvient pas à parler convenablement. Ses dents claquent si fort entre elles qu'on dirait qu'elles vont se briser.
Il laisse retomber ses bras sur le sol, abandonnant l'idée de retirer cette fichue dague de son dos.
— Trahi par tout le monde... souffle-t-il. Par ma meute... par mon grand frère encore... par... par le fantôme d'une vie passée...
Marie pose sa main sur le manche de la dague ce qui fait frissonner Marius. Elle jette un regard à Dickon qui lui fait un signe de la tête, approchant à son geste.
Alors sans prévenir, elle tire dessus, rapidement, sans ménagement. Marius s'arc-boute, il hurle, ses jambes se raidissent, ses veines saillent, et enfin, ses muscles se relâchent.
Marie s'empresse de poser ses mains sur sa plaie infectée qui ne cesse de saigner.
— Vite Dickon, apporte moi quelque chose pour arrêter le saignement !
— On doit soigner sa plaie.
Les souvenirs restent vagues et ne deviennent que des flashs. Marius semble avoir mis beaucoup de temps à se remettre. Peut-être même trop. Plusieurs pleines lunes ont été difficiles pour lui. En effet, son loup ne se montrait plus et les premières semaines furent les plus éprouvantes. Emmitouflé dans des draps, il ne cessait de grelotter, gouttant de sueur, les yeux cernés. Il semblait mourant.
Le fait qu'il s'en soit sorti est un miracle.
Marie a eu une courte aventure avec lui. Jusqu'à ce que je revienne dans sa vie à vrai dire. Les dernières images qui traversent ma tête. Ce sont les derniers instants de Marie.
— Marius, je t'en prie... par pitié ne fais pas ça ! Tu sais très bien que je n'y suis pour rien ! Dickon a merdé mais... mais souviens-toi comme je t'ai aidé ! Sans nous... sans moi... tu serais mort ! Max aurait pris ta place.
Elle dit tout cela en reculant jusqu'à se retrouver collée contre le comptoir.
— Je n'entends plus rien, grogne Marius.
Le plus étrange. Ce sont ses yeux. Ils ne sont plus bleus. Ils sont rouges comme le sang. Les grognements qui proviennent du fond de sa gorge laissent entendre que la bête féroce en lui ne se cache plus.
— Je t'en supplie...
Il s'arrête à quelques centimètres d'elle.
— C'est toi mon Alpha... poursuit-elle.
Il glisse le dos de sa main sur sa joue. Elle frissonne. Je crois ressentir la même chose. Son contact semble si fort.
— J'en suis heureux... marmonne-t-il en la regardant droit dans les yeux. Mais je ne peux plus faire confiance, tu comprends ?
Marie pleure toutes les larmes de son corps.
— À moi tu peux, je te le jure.
— Donner sa confiance, c'est laisser la possibilité de la briser. J'ai trop souvent fait cette erreur.
— M-Max a dit que Monroe...
— Ssshhh...
Il pose son doigt ensanglanté sur ses lèvres. Le goût du sang en avait imprégné ma bouche. Marie elle, tremble de tout son corps dans ce souvenir.
— Ne prononce pas son prénom. Ni celui de mon frère, ni le sien.
— Marius s'il te...
Trop tard. Au moment même où Marius plonge sa main dans son abdomen pour attraper son cœur, je sors de ma torpeur. Je souffre autant qu'elle.
— Monroe !
Je me redresse brusquement et pousse un hurlement de douleur. Je m'empresse de toucher mon buste, ma poitrine, mon ventre de mes mains tremblantes. Je me surprends à avoir le visage inondé de larmes.
— Monroe ?
Je relève la tête, les lèvres tremblotantes. C'est Sam. Quand je le vois, je m'accroche à son cou. Il m'aide à me relever et me serre dans ses bras. Cette étreinte semble éteindre la crainte qui venait de s'allumer en moi.
— Tu es là... soufflé-je.
Je m'accroche à son cou alors il m'aide à me relever. Il m'enlace, j'en ferme les yeux. Me retrouver blottie contre lui, sentir son odeur si familière et rassurante... tout cela me procure un sentiment de sécurité indescriptible qui semble apaiser ma crainte présente quelques secondes avant.
Lorsqu'il se détache de moi, il me couvre d'un manteau que je referme aussitôt. J'étais totalement nue. Mes mains sont couvertes de sang séché, j'imagine que mon visage et qu'une bonne partie de mon corps aussi.
J'ai droit à une chambre d'hôtel personnelle que Sam a payé. Je reste alors sous la douche de longues minutes. D'après lui, nous ne devons plus jamais nous approcher de la demeure de Marius et les cadavres de nos amis qui y gisent doivent y rester.
Sam m'a promis de garder le secret.
Celui du cœur de Marie dévoré.
Je suppose que le loup était affamé depuis le temps qu'il ne s'était pas montré. Les plaies sur mon ventre ont déjà commencé à cicatriser. Le fait d'avoir retrouvé des forces et d'avoir le ventre plein y est probablement pour quelque chose.
Je m'enroule dans la serviette et quitte la salle de bain embrumée par les vapeurs d'eau chaude. Je frotte mes cheveux, Sam lève la tête vers moi. Il est assis au bord du lit.
— Tu te sens mieux ? Demande-t-il.
— Oui... enfin je crois. Et Max ?
— Max va bien. Enfin... on peut dire ça. Il va lui falloir un peu de temps pour s'en remettre mais tu lui as clairement sauvé la vie.
Je souris légèrement. Je suis contente et soulagée de savoir qu'il est sain et sauf. Je m'assois alors à côté de Sam. D'une main je tiens la serviette et de l'autre j'attrape la sienne pour serrer ses doigts entre les miens. Je fixe sa main tout en me pinçant les lèvres.
— Tu... as tué tous ces gens ? Ces chasseurs...
— Oui... avec l'aide de Max et Jess.
— Comment tu te sens vis à vis de ça ?
— Je sais pour quoi je l'ai fait.
— Et ma mère ? Est-ce que tu as vu ma mère ?
— Non Monroe, je suis désolée.
Je hoche la tête et garde sa main près de moi.
— Si tu savais comme je suis désolée.
Je sens les larmes couler toutes seules sur mes joues.
— De quoi tu parles ?
— De tout ça, Sam... tout ce que tu vis depuis plus de trois ans. Mais... si tu t'es transformé, c'est que toi aussi tu es un hybride.
Il hausse les sourcils et esquisse un faible sourire qui disparaît bien rapidement.
— De quoi tu parles ?
— Ma mère m'a dit que j'étais un hybride , comme Christopher le père de Max et Marius... on a des gènes humains alors on naît humain mais si un loup nous mord, c'est le virus du lycanthrope qui prend le dessus. Parce que... forcément, l'un de nos deux parents a ce gène en lui.
— Tu dérailles.
— J'aimerais te dire que oui...
Je fixe un point devant moi et desserre sa main.
— Nous sommes en guerre... reprends-je.
— Monroe...
— Je pense que je ne mène pas la même guerre que vous. J'ai l'impression de ne pas être comme vous. Soit c'est la lune, soit c'est mon cœur qui me pousse à agir de la sorte. Je suis stupide. J'agis avec stupidité et surtout... tu ne mérites pas tout ce que je t'ai fait subir.
— Monroe, écoute, je te pardonne tout ok ? Mais par pitié, ne nous laisse pas tomber.
— Jamais je te laisserais tomber. J'aimerais tellement te savoir en sécurité.
— Et vice versa... souffle-t-il.
Je hoche la tête et lâche doucement sa main.
— Votre guerre n'est pas la mienne, déclaré-je. La guerre à moi n'a rien à voir avec la vengeance.
Je me lève et enfile le pantalon et la chemise que Sam m'a prêté. Des vêtements d'homme. Trop grands. Je serre la ceinture au maximum et retrousse les manches de la chemise.
Sam s'est levé pour me parler cette fois.
— C'est quoi ta guerre à toi ? Suivre un dégénéré ?
— Chercher la rédemption à tout prix.
— Pour qui ? Lui ou toi ?
Je lui jette un regard. Mes cheveux gouttent encore dans mon dos ce qui humidifie le tissu et me donne la chair de poule.
— Pour nous. Toi, moi, Max, Marius et Jess... pour Louis...
— Tu ne peux pas sauver tout le monde Monroe.
— Je ne suis pas comme vous.
— Non, c'est sûr... tu as quelque chose en plus...
— L'espoir ? L'interromps-je.
Sam se mord les lèvres. Il semble triste.
— Qu'est-ce que tu vas faire ? Demande-t-il les lèvres pincées.
Je m'approche de lui et pose ma main sur sa joue. Je l'observe un instant. Il est beau. Il le sera toujours. La pire erreur de ma vie aura été celle de le rejeter. Car il est certain que Sam a tout de l'homme qu'il me faut. Je l'aime. Je l'aimerais toujours. Mais la lune elle, elle m'empêche de lui donner ce dont il a besoin.
— Je vais retrouver ma mère pour commencer. Je vais lui pardonner ses mensonges. Je vais arrêter Louis, et je vais soigner Marius...
— Tu ne peux pas. Il est incontrôlable. Il est dangereux.
— Je sais.
Ce que j'ai vu reste ancré dans ma tête. Marius me terrifie autant qu'il me fascine. Et Louis s'en rapproche. Les deux sont animés par une colère dévastatrice.
— Te jette pas dans la gueule du loup. Il ne fera qu'une bouchée de toi.
— Il est hors de question que qui que ce soit prenne sa place. L'Alpha doit rester l'Alpha.
— Alors quoi ? Tu entres en guerre contre Max ? Contre moi ? Tu nous appelles à l'aide puis tu nous tournes le dos ?
Je laisse glisser ma main et pousse un profond soupir.
— Marius est incontrôlable, tu l'as dit toi-même. Je ne voulais pas risquer la vie de ma mère en appelant une tornade.
— Tu ne peux pas te servir de nous.
— Je sais. J'irai voir Max. J'espère qu'il m'écoutera.
— T'écouter pour quoi ?
— Il a un frère, un frère qui souffre et il ne se préoccupe que de son pouvoir et d'une paix qui n'arrivera jamais s'il s'allie à l'ennemi bêtement.
— Alors quelle est ta guerre ?
— La rédemption.
— Tu te perdras dans ta quête Monroe...
Je ne réponds pas.
— Je ne survivrai pas si je te perds... avoue Sam.
Il y a l'espoir d'une paix quelque part mais elle doit être différente.
C'est peut-être ça mon Lien Lunaire à moi.
Mon âme sœur n'est pas un être vivant.
Mon but n'est pas d'aimer et de recevoir.
Peut-être que mon Lien Lunaire est plus profond que ça.
Peut-être que la lune m'a choisi pour une autre mission.
J'ai vécu toute ma vie en méprisant le monde extérieur.
Terrée dans ma musique.
Ignorant la vie autour de moi.
Pas d'amis. Pas d'attaches. Juste moi. Moi et ma souffrance. Je souffrais parce qu'il me manquait quelque chose.
Aujourd'hui je l'accepte.
Le monstre en moi a été ma rédemption.
Je sais ce que j'ai gagné et ce que j'ai perdu.
Je sais qu'on peut tous espérer quelque chose de mieux.
Je sais que rien n'est impossible.
Le premier pas vers la rédemption c'est le pardon.
Et moi, je t'ai pardonné Max.
Tout comme j'ai su pardonner les erreurs de Marius.
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