— La pleine lune, c'est après demain, tu te sens prête ?

Marius est toujours trop proche de moi, dans ce tout petit placard. Je sens sa forte odeur dominante, son souffle sur le haut de mon crâne, sa chaleur qui émane de sa peau... il vient de m'embrasser sans motif et me parle soudainement de la pleine lune comme s'il s'était rien passé.

— Si je me sens prête ? Soufflé-je. Pour quoi au juste ?

— Il est temps que notre louveteau sorte de sa cage.

Je hausse les sourcils. Ce ne sera que ma troisième transformation et il veut déjà que j'aille gambader en pleine forêt avec eux ?

— Euh... je... j'avoue ne pas être certaine que ce soit une bonne idée, balbutié-je.

— Tu l'as parfaitement maîtrisé aujourd'hui.

— Je ne sais même pas comment j'ai fait !

— T'as accepté qu'il soit là, en toi, que ce soit toi et t'as su le gérer. C'est tout bête mais t'es trop cérébral comme fille, tu tentes toujours de te raisonner mais pour une fois, comprends-le Monroe, tu n'as d'autres choix que d'accepter ton sort aussi triste puisse-t-il être.

— Ça me fait peur, Marius.

J'aimerais également sortir de cet endroit confiné. Ce qui émane de Marius est bien différent de Max. Malgré ce fait, il est terriblement attirant et je pense peut-être cela parce que je suis tout près de lui. Je perçois son narcissisme et sa malveillance, chose que je n'ai jamais ressenti auprès de Max et pourtant, à ce jour il a tué deux de mes plus grands amis. En fait, c'étaient mes seuls amis.

— Ça ira, tu verras.

Il inspire profondément et relève son regard un instant.

— Tu m'excuses mais je dois aller calmer la meute. Je sens déjà les tensions qui se crées et depuis ton arrivée, j'ai du mal à les canaliser.

Quand il s'apprête à partir, j'attrape sa main brûlante pour le retenir. Il me jette un regard, les sourcils froncés. Je sais qu'il n'aime pas qu'on l'empêche de quelque chose, c'est lui l'alpha, lui qui a le pouvoir absolu et qui prend les décisions qu'il veut mais je m'en cogne.

— Pourquoi tu m'as embrassé ? demandé-je.

Il retire sa main de la mienne et me toise quelques secondes.

— Je voulais savoir ce que mon frère te trouvait de si spécial.

Il marque une pause et plisse les paupières.

— C'est clairement pas ta manière d'embrasser.

Il ouvre finalement la porte et sort du placard. Je reste un instant immobile, ce qu'il vient de me dire me vexe mais je suis persuadée que c'est ce qu'il veut. Je sors à mon tour et m'empresse de m'enfermer dans ma chambre. Je m'allonge sur mon lit, les jambes repliées, les bras qui reposent sur les côtés et mon regard fixe sur le plafond.

Ma porte grince sur ses gonds et je sens Lizzie qui entre dans la chambre. Elle s'assoit sur le lit alors je tourne la tête vers elle. Elle porte de jolies petites tresses et une robe rouge pourpre.

— Je suis triste que Max parte... souffle-t-elle en jouant avec ses doigts.

Je me redresse en m'appuyant sur mes coudes.

— Est-ce que tu en sais plus que les autres sur le bannissement ?

Elle hausse les épaules.

— Marie m'a raconté comment Marius a été banni quand ils étaient plus jeunes.

Marius avait été banni ? Alors là, j'apprends quelque chose. Je m'assois à mon tour en tailleur et me penche vers Lizzie pour sonder son regard triste.

— Qu'est-ce qu'elle t'a dit Marie ?

— Marius avait dix sept ans... et moi j'étais encore toute petite alors je me souviens pas mais l'alpha l'avait banni parce qu'il ne respectait pas les règles... le soir, tous les loups se mettent contre lui et il se bat pour regagner sa place dans la meute. C'est l'instinct du loup...

— Il a réussi ?

Lizzie secoue la tête.

— Marie dit qu'il a fini par fuir après qu'ils l'aient tous blessé et affaibli.

Mais il est finalement revenu. Comment a-t-il fait ? Il s'est vengé ? Il a tué son propre père pour se venger ? Marius est menteur, il me parlait de la survie de la meute mais c'était aussi un problème d'infériorité ! Je souris légèrement, embrasse Lizzie sur le haut du crâne et quitte ma chambre. J'ai de quoi faire chanter Marius, bien que ce soit minime, c'est suffisant !

Je le cherche dans toutes les pièces de la maison et le trouve près du bar à boire un verre, seul, perdu dans ses pensées. Je m'appuie contre l'encadrement de la porte et croise les bras tandis qu'il reste dos à moi à siroter son alcool.

— Arrête de m'observer comme ça Monroe et dis-moi ce que tu as, grommelle-t-il en se retournant vers moi.

— Alors comme ça, tu as été banni ?

Son visage demeure neutre mais pourtant j'arrive à desceller quelque chose dans son regard.

— Qui t'as dit ça ?

— Lizzie m'a raconté une histoire qu'elle a entendu.

— Ce n'est qu'une gamine bourrée d'imagination.

— Vraiment ?

Je me redresse et m'approche de lui, il reste immobile et me suit des yeux.

— Alors ton corps n'en porte aucune cicatrice... ?

Il serre les mâchoires et me fixe. Je m'arrête plus qu'à quelques centimètres de lui, défiant son regard.

— Pourquoi tu m'as écouté ? soufflé-je.

— Tu as demandé à ce que Max soit banni. Il le sera.

— C'est ton frère, Marius.

— J'ai pas eu de mal à me débarrasser de mon père, je saurai le faire pour mon frère.

J'esquisse un faible sourire. Marius finit son verre qu'il pose derrière lui puis sonde à nouveau mon regard. Le sien est sombre malgré ce bleu qui pourrait l'adoucir.

— Tout ça n'est qu'une histoire de vengeance alors ?

Il ne répond pas mais ses mâchoires se contractent.

— Soit tu te venges de Max... soit tu reproduis le même schéma, la même chose que tu as vécu...

— Mêle-toi de ce qui te regarde, grogne-t-il.

Je sens déjà qu'il perd patience.

— Tu pourrais le raisonner, lui apprendre à te suivre ? Comme ça, il n'aurait pas à vivre ce que tu as vécu. Il est simplement comme toi... indépendant.

Marius relève le menton et inspire profondément, il détourne les yeux un instant et fait claquer sa langue contre son palais.

— Tu ne nous connais pas, peste-t-il.

— De quoi tu as peur ? C'est toi l'alpha, dis-je en penchant la tête sur le côté.

Alors ses yeux se posent à nouveau sur moi, ses lèvres sont pincées, ses mâchoires crispées... Je l'énerve et ce depuis mon arrivée.

— Max ne peut pas me suivre, du moins, il essaye mais n'y parviens pas, avoue-t-il enfin.

Je croirais presque deviner une légère sensibilité en lui.

— Pourquoi ? m'enquis-je.

— Tout simplement parce que j'ai tué notre père.

— Pourquoi... ? Je veux la vraie réponse.

Je m'approche encore un peu, quitte à me coller à lui. Il recule d'un pas, se cogne dans le bar derrière lui et passe une main dans ses cheveux pour les plaquer de nouveau en arrière.

— Ce que j'ai dit était vrai, mon père était aussi avide de pouvoir que moi sauf qu'il ne faisait pas attention aux petits détails autour de lui. Il mettait en danger notre meute et j'étais sans arrêt contre ses ordres. Un jour, il n'a pas apprécié que je me rebelle et a décidé de me bannir la pleine lune suivante. J'ai appris à me contrôler seul, terré dans la forêt à Hellbound, j'ai dû apprendre à canaliser mes pulsions, à digérer ce que ma propre famille m'avait fait. Quand je suis revenu, c'est parce que j'ai décidé de sauver notre meute et pour ça, il n'y avait pas d'autres moyens que de tuer l'alpha et prendre sa place. Ne me pense pas inhumain Monroe, tuer son propre père, il n'y a rien de facile et tu le comprendras bien assez tôt, quand ton papa et ta maman viendront, armés jusqu'aux dents, pour tous nous tuer. Il te faudra faire un choix, eux... ou toi ?

Je déglutis, tout en le regardant. Ce sont deux frères torturés, deux frères brisés, qui probablement, ne s'aimeront jamais. Il s'approche de moi, ses mains saisissent mes bras et il approche son visage du mien.

— Eux... ou toi ? répète-t-il.

Mon cœur se serre, ce choix me semble impossible. Il faut que je me ressaisisse et que je répare mon erreur avant toute chose.

— Épargne Max... Un loup sans meute ne survit pas, pas vrai ?

— Je n'épargnerai pas Max.

— Marius... je t'en prie.

— Te transformer, c'est une trahison, tu comprends ? Ta demande n'était rien d'autre qu'un feu vert pour moi mais depuis qu'il a fait de toi ce que tu es, j'ai envie qu'il disparaisse. Mes règles sont claires et il ne les a pas respecté.

— Mais tout ça ne se reproduira pas... laisse-lui le choix ?

— Le choix ? répète-t-il.

Je hoche la tête tandis qu'il serre un petit peu plus mes bras.

— S'il veut partir, il partira et s'il veut rester... il restera.

— Et Marie dans tout ça ? grommelle-t-il.

Je pousse un profond soupir.

— Monroe, il n'y a pas que Marie de fautive dans la mort de ton ami, je suis fautif, Dickon est fautif, toute la meute est fautive et toi aussi. On ne peut pas bannir tout le monde. Alors Marie restera.

— Et Max ? demandé-je.

Il est si proche de moi, encore une fois. La façon dont il me parle cette fois est bien plus douce, plus rassurante et c'est même bien trop surprenant venant de lui et son ego surdimensionné.

— Jure-moi fidélité, ordonne-t-il.

Je crois qu'il ne rate pas l'expression de surprise qui traverse mon visage.

— Pardon ?

— Jure-moi fidélité, jure-moi que tu ne t'opposeras plus à mes ordres et je laisserai libre choix à mon frère de rester ou de partir, sans bannissement, sans souffrance.

C'est une blague. Suivre Marius ? Lui être fidèle et loyale ? Comme un parfait petit chen docile ? C'est tellement inenvisageable pour moi ! Et pourtant... je n'ai d'autres choix que d'accepter. Que de lui faire croire que je serai à présent toujours de son côté alors qu'en réalité... je ne ferai jamais partie de cette meute.

— D'accord, soufflé-je.

— Dis-le, ordonne-t-il à nouveau.

Je me pince les lèvres et pousse un profond soupir.

— Je te jure fidélité, Marius, assuré-je en le regardant droit dans les yeux.

Il relève le menton, me regarde de haut.

— Ne brise pas ta promesse, tu sauras ce qui t'attends sinon.

Je hoche la tête. Il finit par lâcher mes bras et me tourner le dos pour se resservir un verre. Je m'apprête à partir puis me résigne au dernier moment. Je passe une mèche de cheveux derrière mon oreille et me tourne vers lui.

— Est-ce que j'ai le droit d'en boire un, moi aussi ?

Il me jette un regard par dessus son épaule et je lui adresse mon plus beau sourire.
Après tout, je suis fidèle à présent ?
J'ai mérité ce verre, car mon erreur est rattrapée... et peut-être aurais-je la chance de retrouver Max, et d'oublier toute cette histoire. Peut-être que notre lien sera de nouveau puissant.

Je vous remercie d'avoir lu !