2. Symptômes 🌖

Je me réveille en sursaut, le cœur qui tambourine contre ma poitrine, de la sueur qui coule dans mon cou. J'ai rêvé d'Alice et de sa mort, j'étais présente, j'ai tout vu et je ne pouvais rien faire, je ne pouvais même pas me réveiller alors que je le souhaitais tellement fort.

Je me redresse sur mes coudes et je suis prise d'une violente nausée. Je me lève en catastrophe et cours aux toilettes dans lesquelles je me laisse tomber à genoux, la tête dans la cuvette, je vomis absolument tout ce que j'ai dans le ventre, c'est-à-dire : rien hormis de l'alcool.

Cette torture dure plus de dix minutes et enfin, les spasmes se calment. Je saute dans ma douche, laissant mes vêtements sur le sol. L'eau chaude coule sur mon visage et réveille ma blessure. Je serre les dents, baisse la tête et tire doucement sur mon pansement imbibé de sang. Je jette la compresse sur le sol de la salle de bain, bloque ma respiration et fixe mes pieds, entre mes orteils, l'eau se mêle à mon sang pourpre. La douleur palpite dans tout mon bras. Je relève la tête, tout en plaquant mes cheveux en arrière.

J'ai mal au ventre, au crâne, au bras et même dans tout mon corps. J'ai l'habitude d'avoir la gueule de bois mais jamais aussi brutale. Là, j'ai l'impression d'être malade. Le matin, je commence toujours par mon café et ma tartine de confiture, jamais par vomir et une douche. Visiblement, la soirée d'hier m'a beaucoup trop déboussolée. Certes, se noyer dans l'alcool n'est pas une bonne solution mais sur le coup je n'ai rien trouvé d'autre pour oublier la douleur. De toutes façons, je suis ce genre de personne qui peine à accepter ses émotions ou même à les extérioriser. Au lieu de me lamenter sur mon sort et pleurer toutes les larmes de mon corps, je bois jusqu'à tombée de sommeil. D'autres s'entourent des gens qu'ils aiment. Pour ma part, la solitude me convient.

Je m'essuie, refais un pansement propre sur ma morsure étonnamment boursoufflée et j'enfile mon plus beau jogging, un t-shirt de Guns and Roses et je m'aventure dans mon salon. Il y a encore la bouteille sur la table basse et un paquet de bonbons vide sur le fauteuil.

Un voyant rouge clignote sur mon téléphone alors je met en marche la messagerie. Je suis l'une des rare habitante de cette ville à ne pas être intéressée par la technologie. J'ai donc gardé le téléphone fixe de l'appartement et n'ai jamais perdu mon argent dans un smartphone dernier cri.

— Vous avez trois nouveaux messages. Message un : Monroe, c'est moi, répond s'il te plaît, je m'inquiète pour toi. Est-ce que ça va ? Il faut que tu ailles chez le médecin, les loups sont porteurs de maladie, tu le sais... Message deux : Monroe, c'est encore moi... je t'en prie, réponds. Je sais que t'es vexée et que t'as eu peur, je m'excuse, je m'en veux je te jure... j'arrive pas à dormir. Réponds et je passerai te voir... Message trois : Monroe, c'est toujours moi, j'ai pas dormi de la nuit, donne moi de tes nouvelles... non tu sais quoi ? Je passe te voir t'auras pas le choix de me faire face. Pour réécouter les messages tapez...

J'efface tous les messages et pousse un profond soupir. J'apprécie Samuel mais j'ai parfois l'impression qu'il s'attache trop à moi. Il sait comment je fonctionne, il sait ce que je veux. M'engager dans une relation, ce n'est pas moi. Je n'ai pas envie d'avoir des contraintes, de devoir faire des sorties avec lui, de le présenter à ma famille et de connaître à sienne... On dit que je suis insensible, sans cœur ou encore que j'ai un cœur de pierre. Je dirais plutôt que je me protège des autres et que ce mode de vie me convient.

On frappe à ma porte, j'ouvre sans enlever la chaîne qui ne laisse qu'un entrebâillement assez large pour que j'y passe la tête.  Samuel est là, des cernes sous les yeux, en survêtement et absolument pas coiffé.

— Est-ce que tu vas bien ?

Je le regarde un instant sans rien dire.

— Ouais.

Samuel baisse ses yeux pour regarder mon bras, il louche sur le bleu qui colore ma peau au niveau de mon pansement.

— Monroe, c'est en train de s'infecter.

Alors qu'il me parle, une migraine atroce pointe le bout de son nez accompagnée par des sifflements dans mes oreilles. Je masse mes tempes tout en tentant de relever les yeux vers lui mais les néons dans le couloir derrière m'éblouissent.

— Laisse moi te conduire à l'hôpital.

Sa voix est soudainement forte dans ma tête, comme s'il criait ou parlait a côté de mon oreille. Je cligne plusieurs fois des paupières, je sens déjà mon rythme cardiaque accélérer.

— Non... je marmonne.

— Tu peux pas rester comme ça ! Ouvre-moi, tu dois voir un médecin.

— Je t'ai dit non ! Crié-je en relevant mes yeux lourds vers lui. On est pas en couple, t'as compris ? Alors arrête de t'inquiéter pour moi, putain. Je peux me débrouiller seule !

Il ouvre la bouche pour parler mais je claque la porte contre laquelle je me laisse glisser, j'attrape mes cheveux, je sue, j'ai mal partout et ces bourdonnements, ces sifflements... c'est insupportable. J'ai même l'impression d'entendre Samuel de l'autre côté de la porte. Il est posté la, devant, en espérant que je rouvre et que j'accepte son aide. C'est comme si je pouvais entendre les battements de son cœur, ressentir sa frustration. Il finit par tourner les talons et partir, c'est alors un grand soulagement pour moi.

Malheureusement, les nausées sont encore là et me poussent à me rendre aux toilettes à nouveau, je vomis encore et encore. C'est comme si je me vidais totalement, j'en ai mal au ventre et mes gargouillis sont décuplés, résonnent dans mes oreilles.

Je décide, en me levant difficilement, d'appeler le médecin. Je me traîne jusqu'au téléphone et d'un doigt tremblant, je compose le numéro. Je suis rarement malade, c'est possible que je me sois enrhumée hier soir ou alors, cette morsure s'infecte et je risque gros. Néanmoins, je n'ai pas besoin qu'on m'accompagne. J'ai souvent entendu parler des infections dues aux morsures des loups. Les chanceux en réchappent mais finissent hospitalisés pour infection grave, la plupart ne survivent pas. Cette peur de subir le même sort commence peu à peu à s'ancrer en moi.

🌖

Dans la salle d'attente de l'hôpital, je lis les multiples revues qu'ils proposent. Des mannequins, au corps de rêve, au visage ciselé et sans aucune imperfection, j'esquisse un sourire en coin. Je trouve les magazines ridicules à cause de toutes ces photos irréelles, ces rêves que l'on nous vend. Même les vêtements qu'ils tentent de faire acheter ne ressemblent pas à cela en réalité. Son joli pull gris est certainement tout effiloché mais sur la photo du magazine, il semble parfait, on dirait même qu'il ne gratte pas !

— Mademoiselle Greyson ?

Je me lève, laisse tomber la revue sur la petite table et suis l'homme d'une cinquantaine d'années qui me conduit jusque dans sa pièce où il compte m'ausculter. Un lit m'attend au milieu, un bureau sur la droite et une étagère pleine d'ustensiles sur la gauche.

— Alors, qu'est-ce qui vous amène ici ? Me demande-t-il en accrochant ses lunettes au col de son polo marron.

— J'ai été attaquée par un loup hier soir, il m'a mordu à l'épaule. J'ai désinfecté mais depuis ce matin, je ne fais que vomir, j'ai mal au crâne et les oreilles qui sifflent.

Je retire ma veste tout en lui parlant et lui dévoile mon épaule. Il retire mon pansement, pose ses lunettes sur son nez et observe ma blessure. Il la palpe , ce qui me fait terriblement mal, touche le tour. Ensuite, il écoute mon cœur, ausculte mes yeux, mes dents et regarde dans mes oreilles.

— Bon, et bien, je ne pense que ce soit infecté. Nous avons l'habitude de recevoir des victimes qui présentent des morsures bien pires que celle-ci, au point de ne plus pouvoir bouger le membre touché. Vous avez eu beaucoup de chance, la morsure est profonde mais ne présente pas d'inflammation.

Il s'appuie sur son bureau et me regarde.

— Vous savez, il est fréquent que la fièvre et les nausées apparaissent après une morsure de loup. D'ici un ou deux jours, ce sera terminé. Je vais vous prescrire ce qu'il vous faut et surtout, ne sortez pas à la prochaine pleine lune, il risquerait de vous pousser des poils et des crocs.

Je le regarde, impassible alors qu'il sourit visiblement fier de sa blague pourrie.

— Simple blague, reprend-il. Je vais vous faire l'ordonnance.

Je hoche la tête et pousse un profond soupir lorsqu'il quitte la pièce. En quelques secondes seulement, ma migraine reprend, des fourmillements engourdissent mon bras. Je ferme les yeux et me tient la tête mais des flashs apparaissent sous mes yeux, comme si je regardais un film mais que j'y voyais flou. J'ai la sensation de voir à travers les yeux... d'un animal. Il voit en noir et blanc, j'entends son grognement et vois ses pattes s'enfoncer dans les feuilles mortes de l'automne, en pleine forêt. Il se poste dans une fourrée épaisse, à travers les feuillages, je me vois moi, en train de me balader, moi qui m'arrête à l'entente d'un bruit suspect. Je vois littéralement à travers les yeux du loup qui m'a attaqué.

— Mademoiselle Greyson ?

Je rouvre les yeux et reviens à moi, le médecin se tient là, l'ordonnance tendue vers moi. Je l'attrape rapidement, ne prend pas la peine de lui dire au revoir et quitte l'endroit à la hâte. Je sors à l'extérieur et inspire une grande bouffée d'air frais. Le camion benne passe au même moment, quand je baisse la tête, un homme se tient de l'autre côté de la route, sur le trottoir. Ses mains sont enfoncées dans ses poches, il est vêtu de noir, d'ici on dirait qu'il a une barbe de quelques jours...

— Mademoiselle Greyson ! Attendez !

Je me retourne, le médecin s'arrête devant moi,  trop essoufflé pour la faible course qu'il a entrepris pour me rattraper.

— Si vous le souhaitez, tous les jeudis soirs, nous organisons des réunions pour les victimes d'attaques animales. Ce pourrait être interessant. Rare sont ceux qui n'en ressortent pas traumatisés...

— Euh... je vais y réfléchir.

Il me sourit.

— Réfléchissez bien,  c'est un bon moyen de guérir.

Je hoche la tête puis me retourne face au trottoir. L'individu n'est plus là, disparu comme un fantôme...

Dans le bus pour rentrer, je ne cesse de penser à cet inconnu. C'est étrange, quand je l'ai vu, j'ai eu la sensation de le connaître ou plutôt, d'être liée à lui.
Je suppose que ces réunions sont une bonne idée. Aujourd'hui, j'ai l'impression de devenir folle.

Je vous remercie d'avoir lu !

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