19. La proie 🌘

Samuel est accueilli comme une personne d'exception à notre arrivée au manoir. Marius est aux premières loges et prend plaisir à se présenter à lui, à en faire des tonnes tandis que je vois peu à peu mon ami se sentir mal à l'aise. Mes mains sont enfoncées dans les poches de ma veste, mes ongles entrent dans ma chair tant je serre les poings. Cette Marie est une vraie garce !

— Maximilien ! Viens donc te présenter à notre nouveau convive, cri Marius du bas de l'escalier.

Samuel me jette un regard, comme s'il avait compris que c'était bien mon Max. Je lis dans ses yeux le questionnement. Je me doute qu'il se demande ce que je fais ici, avec tous ces gens. J'aimerais tout lui avouer mais à la foi, je préfère le préserver. Une personne normale parmi des loups ? Ça n'annonce rien de bon.

Max descend les escaliers, attachant sa chemise à carreaux rouge et noire puis il s'arrête sur la dernière marche. Il me regarde, les sourcils froncés puis regarde Samuel. Mon ami fait de même et lui adresse un signe courtois de la main.

— Je te présente Samuel, l'ami de Monroe, reprend Marius.

— Qu'est-ce qu'il fait là ? grogne Max.

Je détourne le regard et croise les bras.

— Je l'ai invité, nous l'avons croisé en nous promenant, déclare Marie.

Elle avait l'air d'un ange mais il s'avère que c'est un véritable démon.

— Le dîner est prêt, joins toi à nous, Samuel, souffle Rebecca.

— Oh euh... appelez-moi Sam.

Nous nous installons à table, avant même que je passe la porte de la salle à manger, Max saisit fermement mon bras, si fort que j'en pousse un cri de surprise. Je me retourne vers lui, il est si proche de moi que mon cœur s'emballe. J'aimerais sentir de nouveau ses baisers, la chaleur de sa peau, l'ardeur de ses caresses...

— À quoi tu joues ?

— Ce n'était pas prévu...

— Tu sais ce qu'ils vont faire de lui ?

Je relève mes yeux vers lui, je sens déjà la peur nouer mes tripes.

— Pitié aide-moi...

— T'aider ?

Il lâche mon bras alors je le frotte sans le lâcher du regard, je veux le mien suppliant. Je ne sais pas comment le sortir de là.

— Tu me bannis et tu veux que je t'aide ? Dans quelques jours, je serai seul, t'en as conscience ?

— Je peux arranger ça, Max...

— Non, s'empresse-t-il de répondre, tu ne peux pas et tu ne le veux pas. En réalité, tu me prends pour un monstre, pas vrai ?

— Alice était...

— Ouais, tu comprendras le jour où tu seras lâchée, que ton loup aura le contrôle sur toi et que la faim te tiraillera les entrailles.

— C'était une enfant...

— Débrouille-toi.

Il passe à côté de moi mais j'attrape sa main, fixant un point droit devant moi tandis que tout le monde discute derrière.

— Max, je t'en prie... Sam n'a rien fait à personne...

— Lâche-moi, Monroe.

Je le lâche à contrecœur et il part s'asseoir avec tout le monde. J'inspire profondément, essuie les larmes qui perlent au coin de mes yeux et je rejoins la meute. Je suis assise face à Samuel, il rigole aux blagues de Marius, parle avec tout le monde comme si c'était des personnes ordinaires alors qu'ils le regardent tous comme un morceau de viande. Rebecca nous sert tous, nous avons droit à du steak bien saignant et Samuel a un morceau bien cuit. Il regarde nos assiettes, une expression étrange traverse son visage. Je n'y touche pas, je n'y parviens pas.

— Alors, Sam, t'as une petite amie ? T'es plutôt beau gosse, sportif... lance Darius en avalant une bouchée de sa viande.

— Euh... non, je suis seul, je suis étudiant, fauché alors... ça n'attire pas grand monde.

C'est tout de même un bon coup au lit, il faut le reconnaître, il rendrait milles et une femmes heureuses. 

— Sam est très intelligent, il est en licence de droit et c'est l'un des meilleurs élèves de sa classe, interviens-je.

Il me regarde et esquisse un faible sourire.

— Et tu deviendras avocat, Sam ? demande Max.

Il est en bout de table, face à Marius. Je lui jette un regard, lui non plus n'a pas touché sa viande et il m'ignore totalement.

— Je l'espère...

— J'ai toujours rêvé d'être avocat, poursuit Max, ce serait sympa qu'on en parle tous les deux, tu crois pas ?

À quoi il joue ? C'est une blague ?

— Je préférerai lui faire visiter la propriété, déclare Marius.

— Et moi, lui montrer ma chambre... souffle Marie.

Je me décompose, je me liquéfie sur ma chaise. J'ai la sensation que ce sera la dernière soirée de Sam en ce monde et que demain, on retrouvera ses restes en pleine forêt. Je suis incapable de parler, incapable de le défendre, je suis tétanisée et déjà en train de m'imaginer le pire des scénarios. Sam sourit mais n'est pas à l'aise, il mange très probablement sans faim et il est intelligent, il se pose très certainement des tonnes de questions. Il me jette certains regards d'appel à l'aide et mes seules réponses sont des sourires d'empathie. Je suis une idiote.

— J'ai dit que j'irai me balader avec Samuel, grogne Max.

Il fixe son frère qui ne détourne pas le regard.

— Est-ce que j'ai au moins le droit à ça avant mon départ ?

Un silence s'installe dans la pièce, un silence qui nous met tous très mal à l'aise.

— Bien-sûr, grommelle Marius le regard sombre.

Pourtant ses yeux bleus sont plutôt clairs habituellement mais pas cette fois. Max se lève, les pieds de sa chaise ripe sur le sol, sous le regard de tous.

— Allons manger ailleurs, Sam.

Je ferme les yeux, la gorge nouée, les yeux brûlant de larmes.

— Rebecca n'est pas très douée en cuisine, reprend-il.

Sam se lève et me regarde.

— Tu veux pas venir Monroe ?

— Non, l'interrompt Max.

Je lui souris, alors que mon menton tremble et que je tente d'avaler mes émotions.

— Vas-y, on se voit plus tard.

C'est faux, on ne se reverra pas. J'avais dit que je jouerai le jeu, que Sam serait ma proie et au lieu de cela, je l'ai laissé aux autres, comme une  lâche. Je suis faible. Ils partent tous les deux et lorsque j'entends la porte d'entrée claquer, je m'effondre. Je me mets à pleurer, la tête entre mes mains, sous le regard de tous. Je ne parviens pas à m'arrêter, je suis une erreur de la nature et ils ont tous raison, je ne mérite pas d'être ce que je suis aujourd'hui.

— Bienvenu dans la meute, lance Marie.

Elle se trouve juste à côté de moi et sans me contrôler, je me redresse, ma main heurte alors sa joue avec violence. Sa tête valse sur le côté, sa main sur sa joue elle me regarde les yeux écarquillés.

— Vas te faire voir espèce de...

— STOP ! gronde Marius.

Je le regarde lui alors, avec l'air le plus dédaigneux que je puisse trouver.

— Vous êtes des monstres, soufflé-je.

— Toi aussi, Monroe, rétorque-t-il. Accepte-le.

🌘

Je passe le reste de la soirée, assise au piano, à jouer quelques notes, les yeux dans le vague, absente et le cœur lourd. Je ne sais plus comment agir, j'aimerais m'enfuir d'ici mais je suis tout bonnement incapable de m'éloigner de Max ou bien de survivre seule avec ce gêne. Je sens une main sur mon épaule, une main chaude et je reconnais l'odeur de Marius.

— On passe tous par des étapes compliquées lorsqu'on est un loup.

— Vous êtes né comme ça.

— Et on apprend à devenir des prédateurs.

Il presse mon épaule, j'arrête de jouer, fixe un point droit devant moi.

— Tu apprendras Monroe, tu n'auras pas le choix.

— C'est ce que tu as fait ?

Je me retourne, alors il lâche mon épaule et je sonde son regard.

— Tu as appris à devenir un monstre ? Tout cela pour devenir l'Alpha ?

— Je n'avais pas le choix.

— Vraiment ? On a toujours le choix.

— Notre meute était en danger et mon père...

Il ne termine pas sa phrase, détourne le regard. Je croix bien desceller une faille en lui, pour la première fois. Il serre les mâchoires et fait craquer ses doigts.

— Comment devient-on un Alpha ? m'enquis-je.

Ses yeux bleus se reposent sur moi.

— Il faut le défier et gagner le combat pour le devenir.

— C'est ce que tu as fait ? À ton propre père ?

— C'était une vie contre celle de notre meute, à choisir, j'ai sacrifié mon père. Il était fatigué, sa morale n'était plus la bonne, nous étions en pleine guerre.

— Tu détruits ta propre famille...

— Penses-tu que tu es mieux ?  Tes parents sont des chasseurs.

Je me mords les lèvres et me relève, pour pouvoir me trouver dans une posture moins vulnérable.

— Tu te trompes sur eux.

— Je sais les reconnaître à des kilomètres et je peux t'assurer que si tu t'es transformée en loup-garous, c'est parce que ce ne sont pas tes vrais parents.

Mon cœur saute un battement, je le regarde et lève ma main, prête à le frapper. Or, il saisit mon poignet fermement, défie mon regard.

— Espèce de...

— Je ne me trompe jamais, m'interrompt-il.

— Tu n'as pas le droit de dire ça ! Ce sont mes parents, je suis leur fille !

— C'est techniquement impossible.

Je m'apprête à parler mais la porte d'entrée s'ouvre brusquement. Je me retourne, Marius me lâche et Max rentre dans la maison. Ses mains sont couvertes de sang séché, son visage en arbore aussi, sa barbe en est tâché. Il me regarde, immobile un instant puis monte les escaliers, sans un mot. Je sens mes jambes se dérober sous mon corps, quand je pense m'écrouler, Marius me rattrape, s'accroupit et me tient contre lui. Je sanglote, sans pouvoir m'arrêter.

Max m'a tout pris.
Alice...
Samuel...
Ma vie...

Et peut-être bien que j'ai vécu dans le déni toute ma vie. Peut-être bien que mon existence toute entière n'est qu'un tissu de mensonge.








Je vous remercie d'avoir lu !

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