18 - Chantage 🌔
J'ouvre doucement les yeux, les paupières lourdes, la bouche pâteuse, la jambe totalement endormie. Ma cuisse, là où je me suis pris cette flèche, elle est douloureuse et en même temps totalement engourdie. Mes bras sont en l'air, mes poignets ligotés, je peux sentir les cordes les serrer beaucoup trop fort. Ma tête pend, ma nuque est raide. Je la relève difficilement tout en grimaçant et gémissant.
Je cligne plusieurs fois des paupières pour que ma vue soit plus nette et je distingue alors la pièce dans laquelle je me trouve. Il n'y a rien, elle est vide. On dirait une grange ou un vieux hangar, le sol est poussiéreux, mes pointes de pieds le frôlent et la pièce est dépourvue de mobilier.
Quelqu'un entre, tandis que mes mains ne sont plus irriguées par mon sang. Ma mère est là, elle me regarde, d'un air de regret, ses yeux sont si expressifs que j'arrive à lire en elle. Le fameux Louis est là lui aussi mais pour le moment, je ne regarde que ma mère.
— Maman... pitié, soufflé-je.
Je déglutis difficilement, les bras au dessus de ma tête, le bout des doigts froids.
— Il n'y a pas de pitié, rétorque Louis alors que ma mère détourne son regard.
Je m'attarde sur lui, ses cheveux bruns cachés sous un bonnet, ses yeux aussi noirs que l'ébène, sa petite barbe de quelques jours. Il a quelques traits que je reconnais mais cela reste de vagues souvenirs.
— Non, c'est vrai... grogné-je, aucune pitié, notamment envers les enfants.
Je dis cela, la gorge nouée, en pensant à Lizzie, à son visage lors de ses derniers instants. Je ne me remettrai jamais de sa mort et me sentirai toujours coupable de cela.
— Un loup n'est pas un enfant, c'est un animal, un monstre qui ne sait pas se contrôler.
— Elle n'avait rien à voir là dedans !
— Dans quoi, Monroe ?
Louis penche la tête sur le côté et me fixe sans ciller.
— La mort de ta sœur n'est pas de la faute d'une enfant de dix ans, ni même la faute de tous ces autres loups. J'ai l'impression que tout n'est toujours qu'une histoire de vengeance alors que... la vengeance ne ramène pas ce qu'on a perdu.
Louis se redresse et inspire profondément. Il fait alors quelques pas devant moi tout en croisant ses mains dans son dos.
— Tu as peut-être raison, ma vengeance est bien loin maintenant, je suis simplement conditionné à quelque chose et tu pourras me sortir tes plus belles paroles, tes plus grosses larmes, comme je l'ai dit, il n'y a pas de pitié ici. Alors tu vas répondre à mes questions et ensuite, je te promets que ta mort sera rapide.
— Louis, on avait dit que...
Louis lève la main, empêchant ma mère de continuer sa phrase. Il lève ses yeux vers moi, je ne sens plus mes doigts, les cordes empêchent mon sang de circuler et les bras levés de cette façon, il n'y a pas moyen qu'ils soient irrigués, sans parler de la douleur au niveau de l'articulation de mes épaules, cette position est la pire, mes bras soutiennent presque la totalité du poids de mon corps.
— Maximilien est un traître... en effet, j'avais prévenu mes amis mais ils n'ont pas voulu me croire. Alors voici ma première question : Max s'est-il lié à la meute de l'Alpha ?
— Ce n'est pas lui qui m'a balancé ? Ce n'est pas lui qui m'a trahie ?
— Visiblement non, puisque nous ne l'avons pas vu depuis bien des mois si ce n'est des années, j'ai cessé de compter. Alors ? Réponds à ma question.
— Non.
Louis hoche la tête et fait claquer sa langue contre son palais.
— L'Alpha, où est-il ?
— Comment je pourrais le savoir ?
— Ne mens pas, nous avons tous vu comment tu as réagi quand il est tombé de cette falaise.
Je me pince les lèvres, le toise intensément et ne dis pas un mot. Alors il serre le poing et le frappe contre mon estomac. Mes abdominaux se contractent, ma respiration se coupe un instant et je me balance sur la pointe de mes pieds, tentant de retrouver un équilibre stable pour limiter la pression sur mes épaules.
— Je t'ai dit que je n'aurai aucune pitié.
— Frappe-moi... vociféré-je, ça ne changera rien.
— Tu fais partie de sa meute alors... vous êtes tous comme des petits toutous, prêts à tout pour protéger un individu que vous considérez comme Dieu alors que ce n'est rien d'autre qu'un monstre.
— Le monstre c'est toi !
Son poing frappe à nouveau mon ventre, au même endroit. Je pousse un grognement, me balance à nouveau et je peine à rester stable. Il se tourne dos à moi et détend ses doigts, finalement il sort de sa poche un petit opinel qu'il déplie, de l'argent évidemment. Mon cœur s'emballe, je connais très bien la douleur que crée l'argent et je ne souhaite pas la ressentir à nouveau. Sentir sa chair et ses tissus se déchirer, brûler et ne rien pouvoir faire, c'est un calvaire.
— Comment s'appelle-t-il déjà ? reprend Louis tout en découpant mon t-shirt pour dévoiler mon ventre.
— Louis, tu n'es pas obligé d'en arriver là, gronde ma mère.
— Laisse-moi faire, nous perdons assez de temps comme ça.
Instinctivement, je rentre mon ventre et coupe ma respiration, notamment quand je sens sa lame froide frôler ma peau.
— Marius, c'est bien ça ?
Louis relève sa tête vers moi. Quand je le regarde, je revois le jeune garçon casse-cou qui adorait nous faire peur à Alice et moi. Il a tellement changé, dans ses yeux, il n'y a plus de malice, il n'y a que de la rancœur, que de la détermination, une sorte d'humanité perdue.
— Marius porte un nom, oui... pourtant, c'est un monstre, un vrai, commence-t-il. Je devrais t'énumérer toutes les personnes qu'il a tué, en commençant par ma petite amie un soir de chasse. Je me souviens encore de ses hurlements, de ses supplications et de ses larmes. Tu sais, Marius était là, ton Alpha, il était là, face à moi, il me regardait droit dans les yeux. Il était mi homme mi loup à ce moment là, ses griffes étaient acérées, ses yeux rouges comme le sang, ses dents aiguisées, tous ses muscles étaient bandés et de sa gorge résonnaient des grognements bestiaux terrifiants. Il la tenait contre lui et moi, armé de mon arbalète, je ne savais plus quoi faire.... j'ai posé mon arme au sol, j'ai supplié qu'il la laisse s'enfuir et que l'on règle cela entre nous. Ouais... j'étais à deux doigts de tuer un Alpha.
Louis raconte cela, les dents serrées, tout en tournant le couteau entre ses doigts.
— Mais j'ai flanché, j'ai posé mon arme, j'ai cru pouvoir trouver une part d'humanité en lui, je me suis dit... merde, il ressemble à un homme, et chaque homme a une faiblesse, chaque homme connaît l'amour, connaît le doute... chaque homme est capable de faire preuve d'humanité, d'humilité... mais tu sais quoi, Monroe ?
Je ne dis rien, les mâchoires serrées, j'ai encore l'estomac tout retourné.
— Il lui a tranché la gorge avec ses griffes, juste sous mes yeux, alors que j'étais désarmé et qu'il avait l'avantage. Il aurait pu s'enfuir tout de suite mais il m'a regardé et il a tranché la gorge de ma fiancée et future mère.
Je n'ai pas de mal à imaginer Marius agir de la sorte, je me souviens des images que j'avais dans ma tête lorsque Max m'a montré ses souvenirs, je me souviens de lui, arrachant le cœur de son père. Je me souviens des coups qu'il m'a donné, de sa rage qui émanait de lui. Je sais de quoi est capable Marius. Je sais que c'est un monstre. Je sais également que tout ne peut excuser ses actes. Mais à ce stade, nous avons tous fait des choses terribles. Je le sais Marius ne connaît pas l'amour mais j'ai foi en la rédemption.
— Je suis désolée... marmonné-je.
— Si tu l'es vraiment, dis-moi où il est.
— Tuer l'Alpha apportera quoi ? Ta petite amie est morte et ne reviendra pas.
— Elle apporterait la fin d'une meute, un pouvoir en moins, des loups décimés et apeurés. Il nous suffirait de tous vous faire disparaître et enfin... la forêt de Hellbound serait sûre. Tu sais, il en existe peu et la plupart se terrent ici, là où la lune brille le plus.
— Et la cohabitation ?
— Impossible, vous ne pourrez trouver la rédemption, vous tuez des êtres humains, des enfants, des femmes, des personnes innocentes.
— Comme vous...
Sa lame ne me frôle plus, elle lèche ma peau, je serre les dents, je sens déjà des gouttes de sueurs perler sur mon front à cause de la douleur. Il brûle ma peau, il redessine ma cicatrice, celle qu'il m'a faite. Mes gémissements se transforment en grognement bien rapidement. Je sens mon sang chaud couler sur ma peau, je sens la fièvre qui monte, ma vue qui devient rouge.
— Je ne peux pas vous le dire ! Hurlé-je ma voix mêlée à mes grognements bestiaux.
— Louis ça suffit ! Crie ma mère.
— Qu'on la fasse sortir d'ici ! Rétorque ce dernier.
Deux hommes entrent dans la pièce aussitôt et l'emmènent avec eux alors qu'elle se débat. Quand la porte claque, ma tête pend car l'argent m'a littéralement brûlé et que le loup en moi tente de sortir alors qu'il est terriblement affaibli. C'est une lutte intérieure, un combat invisible contre deux facettes de ma personne. Le loup se meurt et s'il ne fait rien, alors moi aussi.
— C'est bientôt la pleine lune et ton monstre n'arrive même plus à se montrer.
— Tue moi qu'on en finisse.
— Tu donnes ta vie pour quelqu'un qui ne le mérite pas.
— Je mourrai quoi qu'il arrive.
— Dernière chance, Monroe.
Je l'entends qui quitte la pièce mais ne relève pas la tête. Le silence m'assaille, je fixe le sol, mes bras dépourvus de circulation sanguine. Je ferme les yeux, me mordille les lèvres et pousse un profond soupir.
— Pitié... reviens...
Jamais je n'aurais cru dire ça un jour.
Mais reviens.
— T'es pas mort. T'es là, je te sens, je sens ta puissance. Reviens...
Toi le monstre en moi.
Montre toi pour une fois.
Pour une fois que je le demande.
Alors que je sens mon pouls s'accélérer, la porte s'ouvre de nouveau. Je ne regarde pas Louis mais lorsque je detecte une odeur que je reconnais, je suis obligée de les regarder. Ma mère est là, maintenue par deux chasseurs. L'un tient ses bras derrière son dos, l'autre une lame d'argent contre sa gorge.
Cette fois je ne prends pas la peine de me controler. Je tire sur les chaînes et grogne, je vois de nouveau rouge, je sens mes dents plus longues, plus pointues, je sens la puissance du loup, aussi faible peut-elle l'être, tel un paradoxe douloureux.
— Non ! Laissez la , laissez la !
— Si tu ne revois pas ta loyauté envers le monstre qui te sert d'Alpha, alors je tue ta mere.
— Comment as-tu pu en arriver la ? Souviens toi de notre enfance !
— Je me souviens uniquement du fait que ma soeur est morte car tes parents ont eu la bete idée d'épargner un monstre.
— Louis pitié...
— Je te donne dix secondes, Monroe.
Je tire sur mes chaînes au point de sentir mes poignets se lacérer, je sens le sang qui en coule, la douleur qui en émane pendant que Louis continue son décompte...
— Six... Sept...
Je sais ce que je ressens, je sais que j'aime Marius mais je sais aussi que j'aime un monstre. Ma mère elle... elle n'a rien d'un monstre. Et moi a l'heure actuelle, je ressemble à un monstre aussi, mon corps ne répond plus de moi.
— Huit... Neuf...
— Louis, pitié, je sais que tu ne le veux pas vraiment !
Je grogne comme un animal sauvage, je vois rouge comme les soirs de pleine lune, mon sang est bouillant et ma lutte entre l'humanité et la bestialité me tiraille. Celle entre l'amour maternelle et l'amour Lunaire est encore pire.
— Dix.
L'homme qui tient le couteau tire la tête de ma mère en arrière et glisse la lame contre son cou.
— Non stop ! hurlé-je. Je sais où il est...
Le type s'arrête au moment même où Louis lui fait signe. Il relève aussitot ses yeux vers moi.
— Où ?
Tout le monde souhaite tuer Marius, et je commence à comprendre pourquoi. Pourtant je ne parviens pas à lui en vouloir mais lui... lui m'en voudra pour ce que je m'apprête à faire.
Marius ne survivra pas à une nouvelle trahison.
Il explosera.
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