15 - Le rythme de mon coeur 🌓
C'est une habitude, lorsque nous sommes vivants.
C'est une habitude que nous prenons à la minute où nous respirons pour la première fois.
Celle de sentir son cœur qui bat, sans vraiment y faire attention. Cette même habitude qui est celle de se sentir vivant même lorsqu'on se sent vide de toute trace de vie. Si le cœur bat, inconsciemment nous le sentons et inconsciemment, nous l'entendons, dans nos oreilles, sous l'afflux sanguin qui coule dans nos veines.
C'est inévitable.
Tout en tenant ses poignets, je le traîne sur le sol, mais je me sens terriblement faible. Je suis un loup-garou, j'ai une force surhumaine. Je suis un alpha, rien ne peut me résister. Et pourtant, alors que je traîne son corps inerte dans la poussière, ma force me quitte petit à petit. J'entends mon cœur, le rythme de ses battements et je les sens de plus en plus lents, me provoquant des vertiges incontrôlables.
Je pousse la porte avec mon pied, la retient avec mon dos et je tire son corps à l'extérieur, le trainant à présent dans la terre humide sous les yeux de quelques curieux.
— Marius ! Entends-je dans mon dos.
Je ne me retourne pas, je continue de traîner le corps de mon grand frère. Gabriel, mon père, s'arrête près de moi mais je lui passe devant, si je m'arrête, je crois bien que je m'écroulerai.
— Il est mort, déclaré-je.
Je relève rapidement les yeux et croise ceux de mon impitoyable paternel. J'y perçois une lueur d'excitation et de fierté.
— Tu as tué ton propre frère... constate-t-il.
— Oui. Et j'irai l'enterrer dans la forêt.
— Je t'accompagne. On dirait bien qu'il pesait plus lourd qu'il ne le paraissait. Tu as l'air d'avoir du mal à le transporter.
Je m'arrête et me redresse tout en faisant craquer mes épaules. Mais une douleur assaille mon flanc gauche et tétanise mon bras gauche. Je ne cille pas et ne montre rien à mon père.
— Non ! M'empressé-je de grogner étrangement essoufflé. C'était mon frère. Peut-être que ce n'était pas ton fils mais... j'aimerais l'enterrer, seul.
Gabriel inspire profondément et hoche la tête.
— J'accepte ce choix Marius. Quand tu reviendras, nous retournerons à Hellbound. Nous écraserons la meute de Max, tuerons sa putain et récupérerons ton enfant. Nous règnerons sur la forêt de Hellbound et nous décimerons les chasseurs ainsi que tout ceux qui oseront s'interposer. Nous ferons savoir aux Hommes qui nous sommes et ce que nous valons.
Je serre les mâchoires et hoche la tête.
— Nous le ferons, rétorqué-je.
Je me baisse, serre les dents et me mord la langue. J'attrape le corps inerte de mon frère et je le hisse sur mes épaules tout en poussant un grognement. Je me redresse, les jambes fébriles et sans un regard pour Gabriel, j'entre dans la forêt non loin de là.
Au début, je trottinais, mais plus les secondes passent, plus la douleur dans ma poitrine est intense. Je tombe à genoux quand mon cœur rate un battement, lâche mon frère et presse mon pectoral gauche tout en grognant, recroquevillé, les genoux enfoncés dans la terre.
Je respire à la vitesse des battements de mon cœur, c'est-à-dire, de façon irrégulière et de moins en moins. De ma main libre, je me tiens au tronc d'arbre face à moi et je serre le poing, enfonçant dans morceaux d'écorces sous mes ongles.
Je regarde ma montre.
Six minutes.
Ça fait six minutes de Max ne respire plus.
Six minutes que j'ai tué mon frère.
Je me tourne difficilement vers son corps inerte que je retourne sur le dos. Ses yeux sont ouverts et fixes, sur le ciel gris et caché par les feuillages. Je place la paume de mes mains sur son thorax et lui jette un regard.
— Si tu meurs...
Je commence le massage cardiaque, ce qui semble, étrangement, faire battre mon cœur davantage et me redonner du souffle. Soulageant mes douleurs qui s'apparentaient à une crise cardiaque.
— Je meurs...
Alors je ne m'arrête pas, je continue de plus en plus fort et de plus en plus vite. Me permettant de respirer à nouveau, comme si son cœur, c'était aussi le mien. Comme si nous n'étions qu'un.
J'y mets toute ma volonté et toute ma force. Mais il semblerait que ce ne soit pas suffisant pour que son cœur reparte et le fasse revenir à lui.
— Allez, arrête de faire la tête va !
Max s'était exclamé cela tout en ébouriffant mes cheveux. Je m'étais recoiffé rapidement tout en esquissant un faible sourire. Nous étions au bord du lac, et Max faisait des ricochets avec les galets.
— Pourquoi t'es toujours meilleur que moi ? Avais-je demandé de ma voix juvénile.
Il m'avait jeté un bref regard. Il avait treize ans.
— C'est faux tu sais. Toi et moi, on est juste différent.
— Tu contrôles mieux tes émotions... moi... je m'énerve contre papa et après...
— Marius... m'avait-il interrompu.
Il avait saisi mes deux épaules frêles et avait plongé son regard brun dans le mien.
— Tu apprendras.
— Je n'en suis pas certain. Je crois qu'il ne m'aime pas...
— Mais maman t'aime ! Et puis... moi aussi je t'aime, petit frère !
J'avais haussé les épaules. Je me souviens que j'arborais un joli œil au beurre noir.
— Tu dis ça pour me faire plaisir, avais-je marmonné.
— Je te dis la vérité.
Il avait alors passé son bras sur mes épaules et nous avions avancé entre les arbres de la forêt.
— Tu sais Marius, j'admire notre père et je rêve de devenir comme lui, je deviendrai comme lui mais il y a une chose que je peux te promettre : c'est qu'un jour, ce ne sera plus que toi et moi contre le reste du monde.
— Tu penses ?
— Je pense que rien ne pourra jamais briser un lien fraternel. Pas même la lune.
— Allez, Max ! Respire !
Je serre le poing, sentant mes yeux devenir lourds. Et je le frappe violemment contre sa poitrine. Ce qui me vaut un pincement au cœur intense qui me fait pousser un cri non maitrisé.
Boum...
Boum...
De plus en plus lent.
On se sent vivant, et c'est une habitude.
Mais on se sent mourir également.
Et la sensation que la vie nous échappe est douloureuse pour l'âme.
Je lève mes deux poings, grogne et les abat contre sa poitrine. Finalement, il ouvre la bouche, ferme les yeux et inspire difficilement, la tuméfaction violette autour de son cou commence alors à s'estomper. Concernant toutes les marques sur son visage causées par mes poings, elles s'atténuent difficilement.
Je laisse retomber mollement mes bras le long de mon corps puis m'affale dans les feuilles mortes à côté de mon frère ressuscité tout en poussant un profond soupir.
— J'ai failli y rester à cause de toi, grommelé-je.
Je l'entend déglutir difficilement, il faut dire que je lui ai totalement écrasé la trachée. Je tourne simplement la tête vers lui, et lui vers moi, son œil droit gonflé et à moitié ferme.
— T'es un bel... enfoiré... balbutie-t-il.
— Je t'ai sauvé uniquement parce que j'allais mourrir, me defends-je en détournant le regard.
Et je sais déjà que je ne pourrai jamais retourner auprès de mon père. Je me suis laissé emporter par mes émotions, j'avais cette horrible envie de tuer Max, la sensation qu'il m'avait tout pris... Monroe, mon enfant, mon humanité... quand j'ai entendu son cou craquer sous la force de mon bras, quand j'ai vu son corps redevenir mou dans sa toute petite cage, j'ai repris conscience. Exactement comme ce jour là sur la falaise, alors que j'étais à deux doigts de le tuer, juste avant que Jessica ne me poignarde dans le dos. Mais j'en ai été incapable. Et ce sera ainsi jusqu'à la fin de mes jours. Je comprends pourquoi à présent. Nous sommes liés, qu'on le veuille ou non. Il ne pourra donc jamais voler mon pouvoir.
— Pourquoi t'as fait ça, Marius...? Marmonne mon frère.
Je me pince les lèvres et fixe les feuillages qui bruissent sous la faible brise au dessus de nous.
— Parce que rien ne pourra jamais briser un amour fraternel...
Je marque une pause, songeant à l'humanité que j'étais sur le point de perdre.
— ... pas même cette salope de lune...
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