12 - Deux frères 🌖

— Pourquoi tu pleures ?

Je m'étais assis à côté de mon petit frère. Lui, restait au bord de son lit et pleurait, la tête entre ses mains, ses cheveux bruns entremêlés dans ses bras.

— Laisse-moi...

— Marius, dis-moi pourquoi tu pleures.

Je n'avais que onze ans et lui seulement dix ans, nous étions jeunes, en plein apprentissage. Deux loups, terrifiés à chaque pleine lune. Ce qui me faisait le plus peur à moi, c'était la douleur des transformations. Marius lui, parvenait à se taire, il endurait la douleur physique bien mieux que moi. Mais à l'inverse, les douleurs psychologiques le torturaient quand de mon côté, elles glissaient sans faire de ravage.

Il avait alors commencé à calmer ses sanglots puis avait relevé la tête pour regarder droit devant lui. Il avait reniflé puis essuyé son visage humide avec ses manches avant de tourner la tête vers moi. Son nez était cassé, une balafre le découpait en deux et son oeil droit était gonflé, un coquart l'entourant d'un mélange de noir et de violet.

— Mince... Marius... qu'est-ce que...

— Papa m'a dit qu'il voulait m'entraîner à me battre, mais il n'a fait que me frapper.

Une larme roulait sur sa joue abîmée et son menton tremblait. Dix ans... aucun enfant ne méritait d'être frappé mais à cette époque, je ne parvenais pas vraiment à le comprendre. Je n'étais qu'un gosse avec un rêve : celui d'être comme son père.

— C'est que tu n'as pas dû écouter ses conseils et que...

—Il m'a frappé ! m'avait interrompu Marius en me fusillant du regard. Il ne fait que ça ! Pourquoi toi tu n'y as pas le droit... pourquoi tu n'y as pas le droit...

Il s'était remis à sangloter, avait tiré la couverture et s'était enroulé dedans. Couché, il s'était tourné dos à moi et restait recroquevillé ainsi, sans me regarder.

— J'te déteste Max... avait-il soufflé dans un sanglot.

— Tu arriveras à le satisfaire bientôt, tu verras.

J'avais posé ma main sur son bras un instant, sans réaction de sa part, j'avais décidé de le laisser seul.


— Mar... Marius... balbutié-je.

J'ouvre difficilement les paupières. L'une d'elle reste fermée, j'ai comme la sensation que mon œil gauche est gonflé, ce qui l'empêche de l'ouvrir. Mon corps tout entier n'est que douleur. De la bave ou du sang coule sur mon menton, dans ma barbe et mon cou. Je bouge légèrement les jambes, allongé sur un sol froid.

— Marius... répété-je.

Je crois avoir que très rarement ressenti de telles douleurs localisées un petit peu partout sur le corps. Évidemment les transformations sont douloureuses mais recevoir des coups est tout autre chose. La balle que Louis m'avait tiré dessus avait été une torture, la douleur que je ressens présentement me semble identique à quelques détails près ; Marius m'a infligé tout ça avec la seule force de ses mains.

Je relève difficilement la tête et je remarque que je suis enfermé dans une cage. Cette cage n'est pas très grande, je ne peux même pas me tenir debout dedans de part mon mètre quatre vingt dix. J'enroule mes mains écorchées autour des barreaux de la porte et la secoue dans un fracas métallique, rassemblant le peu de force qu'il me reste.

— Pitié...

Je crois bien qu'il me manque des dents et que mes organes internes saignent. Si je n'étais pas un loup, Marius m'aurait tué rien qu'avec ses coups.

Pitié... répète Marius qui s'avance vers ma cage.

Il s'accroupit pour se trouver à ma hauteur. Il fait propre sur lui, ses cheveux courts ne lui vont pas si mal et le rajeunissent bien que le voir sans ses cheveux plaqués en arrière me perturbe quelque peu, les marques de mes poings sur son visage ont déjà disparus, je suppose que lui a eu la chance de se transformer cette nuit.

Je sonde son regard glacial et tente de me redresser comme je le peux. Mes côtes, mon dos, mes bras... mon corps n'est que souffrance.

— C'est un mot que je connais bien, reprend-il de sa lourde voix. Tu te souviens, Max ?

— Sors-moi de là... marmonné-je.

— Est-ce que tu te souviens de la dernière fois que je t'ai supplié ? Insiste-t-il.

Je m'en souviens.

— Max, pitié m'oblige pas à le suivre. Pitié, fais-moi tout ce que tu veux mais ne m'oblige pas à faire ça...

Je le maintenais contre le mur, mon bras sur sa gorge, je venais de l'empêcher de se jeter bêtement sur Gabriel qui maintenait Monroe contre lui, les griffes de ses mains menaçant de lui trancher la gorge sur le champ. Il avait mordu Monroe si fort qu'elle semblait en transe, ses yeux étaient ouverts mais elle était comme absente et sa jambe saignait abondamment, il n'avait pas manqué de lui arracher un bout de chair.

Marius avait tenté de me repousser mais j'avais appuyé davantage mon avant bras sur sa gorge.

— Marius ! Réfléchis ! Soit je te libère et je te laisse te jeter sur Gabriel mais il aura eu le temps de trancher la gorge de Monroe, soit tu disparais et tu ne reviens plus jamais dans sa vie ! Elle sera enfin saine et sauve ! Vous êtes un poison l'un pour l'autre.

— Je ne peux pas... je ne peux pas, je dois tuer cet enfoiré pour ce qu'il a fait !

— Tue-moi, Marius, était intervenu Gabriel. Mais tu tueras Monroe.

J'avais fini par sonder le regard inondé de larmes de mon frère. Mon cœur battait si fort et le sien également.

— Si tu pars, je renonce à ton pouvoir, je renonce à la guerre. Si tu pars, si tu disparais, je prendrai soin de Monroe.

— Elle voudra me retrouver.

— Mais il ne le faudra pas !

— Max pitié... je ne peux pas... je ne peux pas l'abandonner encore une fois.

— Tu es nocif pour elle, pour tout le monde, avais-je commencé. Sauve-le en suivant ton père et ne reviens plus jamais dans nos vies.

Il m'avait fixé un moment avant que je ne le lâche avec l'appréhension qu'il ne m'écoute pas mais étrangement, malgré les battements irréguliers de son cœur, il ne s'était pas jeté sur Gabriel.

— Laisse-la vivre... avait-il soufflé. Je... j'abandonne.

Gabriel avait affiché un sourire victorieux et avait finalement lâché Monroe qui, mollement, était retombée sur le sol. Tout ce qu'il souhaitait, c'était que son fils le suive. Il n'avait que faire de Monroe, de moi ou des autres.




— J'ai dû te le dire tellement de fois dans ma vie... poursuit Marius. Et enfin... oui enfin, les rôles s'inversent, mon frère.

Quand je suis arrivé, Marius m'a accueilli accompagné de son diabolique de père. Monroe continue de croire que je suis aussi son fils mais je n'y crois pas une seule seconde. Il n'a rien voulu entendre, sa rage a parlé plus que sa raison et nous avons dû nous battre. Je ne faisais pas le poids face à lui, encore moins alors que la lune était déjà pleine et haute dans le ciel. Marius semble beaucoup plus vif que dans mes souvenirs, le fait d'être loin de Monroe et la colère qui l'animent font de lui un adversaire de taille. Je sais que j'échouerai chaque fois que je m'opposerai à lui, je le sais car j'ai toujours perdu face à lui. Je le sais car je n'ai et je n'aurai jamais son pouvoir.

— J'ai un petit quelque chose pour toi, Max.

Marius se relève et quitte la pièce. Je crois me trouver dans la grange de cette grande propriété où ils vivent tous. Une sorte de ferme qu'ils ont utilisé pour en faire leur repère. J'ai réussi à le retrouver par mon instinct, c'était étrange, j'avançais sur la route, sans vraiment me guider, je laissais juste mon âme me guider jusqu'à lui comme si... finalement, nous étions liés.

Il revient peu de temps après et me jette un morceau de viande crue dans la cage. Je l'attrape aussitôt et lui jette un regard tandis qu'il s'accroupit à nouveau et arbore son rictus fourbe au coin des lèvres.

— Ça te permettra de te remettre de tes blessures. Je sais que tu n'as pas tout donné hier, je me trompe ?

— Je suis venu dans l'intention de parler et non me battre.

— Oui mais je ne veux pas parler. Je veux qu'on règle nos comptes et je veux que ce soit équitable.

— Je renonce, Marius. Je te l'ai dit, on avait fait un marché.

Il me fixe un instant, et se pince les lèvres.

— Tu renonces à mon pouvoir ? Ne serait-ce pas une ruse pour me la faire à l'envers ? Toi et Jess, vous êtes si forts pour ça.

— Si tu m'écoutais, tu saurais que non...

Je croque dans le morceau de viande encore saignant et avale goulûment cette chair tendre.

— Mais tu ne m'as pas laissé te parler... reprends-je.

Remplir mon estomac me fait un bien fou.

— Comme avec Jess, tu m'as pris Monroe et comme Christopher a fait, tu m'as enlevé mon enfant.

Je continue de manger mon morceau de viande tout en secouant la tête. Je relève alors les yeux vers mon frère et quand je le regarde, je vois encore ce jeune garçon terrifié, abattu, en souffrance et en détresse. Ce jeune garçon que je n'ai jamais sauvé.

— Je suis désolé, Marius...

Je sens les larmes noyer mes yeux, je sens mon coeur lourd et tous ces souvenirs qui me reviennent en mémoire. Je n'ai jamais sauvé mon ami, mon frère, mon âme soeur. Je l'ai laissé périr toutes ces années.





— Battez-vous ! avait ordonné mon père.

Nous avions quinze ans, Marius se trouvait en face de moi, les bras ballants, son visage arborait encore les marques des coups que mon père lui avait infligé plus tôt dans la journée tandis que moi... moi j'étais déjà en position.

Marius, tu fous quoi ? avais-je grogné.

Je suis fatigué de me battre...

Battez-vous ! avait répété mon père.

Je suis fatigué de me battre ! avait hurlé Marius en le fusillant du regard.

Alors d'un pas lourd, les poings serrés, mon père s'était approché de lui, avait saisi un poignée de ses cheveux et l'avait secoué tout en le regardant droit dans les yeux.

— Ose me parler ainsi en me regardant droit dans les yeux sale vaux rien.

Marius avait levé le regard vers notre père.

Marius, tais-toi ! avais-je alors ordonné.

Marius n'avait rien trouvé de mieux que de sourire, puis de rire, écartant la plaie qui fendait sa lèvre en deux.

Je ne me battrai pas, avait-il articulé.

Cette simple phrase lui avait valu un coup de poing en plein visage. Marius s'était écroulé sur le sol sous la force des bras de notre père et ce dernier s'était tourné vers moi.

Bats-toi, m'avait-il dit.

— Il est à terre, papa...

Bats-toi ! Un Alpha ne doit avoir aucune pitié.

Marius s'appuyait sur ses mains pour se relever mais je m'étais approché de lui. À quatre pattes, il avait simplement tourné la tête pour me regarder.

Je suis désolé, lui avais-je murmuré.

Mon pied avait alors heurté ses côtes avec violence. Tandis que mon père ne cessait de répéter que ce n'était qu'une erreur de la nature et que ce que nous lui infligions était amplement mérité et me permettrait de gagner en pouvoir.


Aujourd'hui je comprends pourquoi il disait cela mais je ne comprends pas comment j'ai pu être si idiot et ne pas le sauver. Je l'ai enterré, avec tous les autres, car personne n'a jamais su voir sa véritable valeur. Avant, Marius était un être humain avec un coeur, une sensibilité que peu d'hommes avaient, du courage pour tenir tête à notre père quand j'en étais incapable.

— Je t'ai laissé... continué-je. Je t'ai laissé alors que t'avais besoin de moi.

Je le vois qui fronce les sourcils et me fixe l'air dédaigneux.

— J'aurais jamais dû te laisser...

Je tiens les barreaux et me retrouve à genoux pour le regarder droit dans les yeux tandis qu'il reste immobile.

— Pardonne-moi, dis-je dans un soupir.

Je ne sais pas ce que je lis dans son regard, je crois y voir une certaine tristesse, je crois desceller de la douleur mais il semble si bien ravaler ses émotions, il sait paraître impassible. Il semble vide, mort à l'intérieur, plus qu'il ne l'a jamais été de toute notre vie.

— Te pardonner ? répète-t-il d'une faible voix.

Je hoche simplement la tête.

— J'ai compris, déclaré-je en esquissant un faible sourire. J'ai compris aujourd'hui que toi et moi... on est deux âmes soeurs. C'est ce fichu Lien Lunaire qui fait qu'on ne pourra jamais s'entre-tuer toi et moi.

— T'es devenu complètement fou, vocifère-t-il.

— Non, cette rivalité entre nous a été installée à cause de notre père mais... Marius, je te dis que je jette l'éponge. J'abandonne le pouvoir, j'abandonne mon rêve de ressembler à papa, je... je veux juste que tout ce cauchemar s'arrête. J'ai tout gâché, absolument tout.

Il m'aura fallu sept années, il m'aura fallu perdre Monroe pour me rendre compte de mes erreurs, il m'aura fallu regarder mon frère en face, lire dans son regard torturé, pour comprendre que c'était moi le méchant dans l'histoire.

Marius demeure muet, immobile comme une statue. Et moi, je sens mes larmes rouler sur mes joues abîmées par ses coups, je sens mon coeur qui souffre, j'ai l'impression qu'un poids énorme vient de s'envoler mais qu'il pend au dessus de ma tête et que tout le poids de mes erreurs va me retomber dessus, m'écraser, m'étouffer, me tuer...

— J'aurais dû te sauver quand on était encore que des gosses... marmonné-je.

— Mais tu ne l'as pas fait, grommelle Marius sans une once d'émotions.

— Je ne l'ai pas fait...

— Et maintenant il est trop tard, Max.

— La rédemption, Marius...

— Non, s'empresse-t-il de répondre d'un ton cinglant. J'ai voulu la trouver la rédemption, en fait, je l'avais trouvée, la rédemption. Putain oui, je crois n'avoir jamais été aussi léger que ces quelques mois en présence de Monroe, dans ce foutu chalet. Mais mon père a tout gâché et toi encore plus en appelant Monroe à l'aide. Si nous étions resté dans ce chalet...

— Il menaçait ma meute, je suis un alpha avant tout et...

— Tu n'es plus rien, Max, m'interrompt Marius.

Je ne veux pas y croire. Cependant, Marius m'attrape brusquement et me colle dos aux barreaux, je grogne, mes pieds glissent sur le sol et je m'accroche à son bras qui se resserre autour de mon cou. Je lève le menton, l'air me manque déjà tant il force et je sens son souffle près de mon oreille.

— La seule personne qui a su m'aimer pour ce que j'étais, la seule personne qui avait su éteindre le feu en moi, m'a été retirée et... tu as voulu me voler mon enfant... tu le paieras. Tu paieras pour toutes tes trahisons.

— Marius... tenté-je la gorge nouée. Il faut que tu... rentres... à Hellbound...

— Oh oui, Max... j'y retournerai, ne t'en fais pas.

Il serre davantage, ma tête, mon dos, mon corps sont collés aux barreaux froids, ma gorge est maintenue par l'avant bras de Marius qui fait pression sur ma trachée, s'il force un peu trop, il me brise la nuque. Je sens la veine de mon front gonfler, je sens mes yeux se gorger de sang, car je manque d'oxygène.

— J'y retournerai et je les tuerai tous... jusqu'au dernier.

— Si... si tu me tues...

Je peine à articuler, à parler, j'étouffe, je suis en train de mourir.

— ... tu mourras...

Peut-être que c'est ainsi que mon histoire doit se terminer. Que dis-je, c'est peut-être de cette manière que notre histoire et notre Lien Lunaire, doivent prendre fin.

Mais je l'ai trouvée, ma rédemption.


Info pour les intéressés :
Demain, je dévoile la couverture de mon histoire Jeu de Mains qui sort sur papier, avec ceci, j'indiquerai la date de sortie et évidemment des précommandes (LIMITÉES) sont possibles avec un petit mot d'amour qui se glissera sur la première page du livre...

Si ça vous intéresse et que vous souhaitez soutenir mon travail, n'hésitez pas à me suivre sur Instagram (LeaMgt_Auteur) ou sur Facebook (Lea Mouget - Auteure)

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