11 - Lien maternel 🌕

Max est parti depuis plus de vingt quatre heures maintenant et sa meute commence à se dissiper. Chacun lance ses pronostiques et la plupart d'entre eux ne semblent pas rassurés à l'idée de ne pas avoir d'Alpha. Je reste dans la chambre où ils m'avaient installé après mon malaise, avec ma fille qui dort à poings fermés mais je ne peux m'empêcher de les écouter déblatérer. Je fais les cents pas, me ronge les ongles et tend l'oreille. Ma curiosité n'a jamais été une qualité et à chaque fois, elle m'a porté défaut.

— Il est parti et nous a complètement abandonné et tout ça pour quoi ? Pour une fille ? grogne Serge le plus ancien de la bande.

Je parviens à reconnaître leur voix, leur intonation.

— Ouais mais y'avait peut-être une raison papy, grommelle Théo.

— La raison ? C'est qu'en quatre ans, jamais notre Alpha ne nous avait abandonné et il a fallu que cette fille apparaisse pour qu'il nous laisse en plan. Ce soir c'est la pleine lune, et nous sommes sans repères. Si l'un de nous faute et tue un être humain, les chasseurs sauront retrouver notre trace, vous en avez conscience ?

La maturité de Serge lui permet de réfléchir un petit peu plus loin et je ne peux m'empêcher de me dire qu'il a totalement raison. Si un seul d'entre eux fait un faux pas, nous courrons à notre perte à tous et ma fille sera entraînée là-dedans.

— Tout va bien se passer, nous savons nous contrôler, tente Sam pour calmer les tensions.

— Sans notre alpha, nous n'avons plus le contrôle, déclare Martha.

— Oui, je sais mais... il y a Jess, il y a moi, Serge, nous saurons nous aider mutuellement. Nous sommes une famille.

J'esquisse un faible sourire, Sam est clairement la voix de la sagesse.

— Cette Alice et cette Monroe doivent être bannies, annonce Serge.

Mon sourire disparaît et je me pince les lèvres.

— On ne les bannira pas ! s'oppose Sam en haussant le ton.

— Serge a raison, c'est trop risqué de les garder avec nous. Voilà qu'elles arrivent et on se retrouve livré à nous-même, intervient Tristan.

— Elles n'y sont pour rien ! s'offusque Sam.

— Samuel... je pense que la meute a raison... interrompt une voix qui m'est particulièrement familière.

Evidemment qu'elle m'est familière puisque c'est Jess qui s'immisce dans la conversation.

— Non, ils n'ont pas raison, Monroe a un bébé, on ne peut pas la mettre dehors et Max reviendra bien assez vite.

— Peut-être mais tu as bien vu depuis toutes ces années... chaque fois que Monroe est dans les parages, des drames s'enchaînent et cette Alice... nous ne la connaissons pas.

— Alors bannissons Alice ! s'exclame mon ami. Je n'ai pas confiance en elle mais Monroe... non, Monroe doit rester. Max reviendra avec Marius et...

— Mon amour, l'interrompt Jess. Est-ce que tu te rends compte que Max cherche son plus grand rival et qu'il risque de ne jamais revenir tout ça pour une promesse qu'il a faite à Monroe ? Est-ce que tu te rends compte que nous n'avons plus d'Alpha ?

Je relève le menton, je sens mon coeur qui se serre, mes yeux qui me brûlent et une adrénaline monter en moi. Cette Jess me déteste et elle a bien raison, car je ne la porte pas dans mon coeur non plus.

— Tu pars sur une défaite alors que ça ne fait qu'un jour que Max est parti ? s'étonne Sam.

— Oui, parce que nous sommes en guerre contre les chasseurs à cause de Monroe, parce qu'elle n'a pas su faire ce qui était juste, alors que nous avions une alliance et maintenant... Max est quelque part dans la nature et peut-être même que Marius l'a déjà tué.

— Comment allons-nous faire sans Alpha ? couine Rosalie.

— Il est parti où Max ? demande Daniela de sa petite voix fluette d'enfant.

Je ferme les yeux et pousse un profond soupir tout en me mordillant les lèvres. Les offuscations ne cessent, ils commencent à tous parler en même temps, à s'énerver et Sam ne parvient plus à contrôler la situation. Je décide de descendre. Je décide de les affronter.

Ne suis-je pas mon propre Alpha ?

Lorsque j'avance dans le salon, les regards se braquent sur moi et les protestations s'arrêtent, nous plongeant dans un profond silence. Je les regarde tous un à un, je tente de garder le menton levé, l'air digne et fière, bien que les battements irréguliers de mon coeur ne me trahissent.

— Certes, votre Alpha est parti et ce soir c'est la pleine lune, commencé-je.

Je ne suis pas douée pour parler aux gens comme ça mais je le dois, pour Max et pour Sam, ainsi que pour mon honneur et celui d'Alice.

— Personne ne sera banni, ni ce soir, ni jamais. Alice est venue ici pour me mettre en garde et le seul moyen qu'elle a trouvé, c'était de retrouver le loup qui l'avait mordue, j'aurais fait exactement la même chose. Si je suis là... c'est parce que Max me l'a demandé, sinon croyez-moi, je me serais bien passé d'une meute et encore plus de la votre, quand j'entends tout ce que vous pouvez dire.

Aucun d'eux ne parlent et leur regard sont comme des petits couteaux qui me transpercent.

— Là-haut, il y a un bébé de quelques mois qui dort, un bébé qui n'a jamais rien demandé à personne. Vous seriez prêt à me bannir, moi et mon enfant ? Mais quel genre de personne êtes-vous ? Je ne suis pas certaine que c'est ce que Max vous enseigne.

— Monroe, tu...

Je lève ma main pour faire taire Jess, je la vois qui, les bras croisés, se mord les lèvres.

— Je t'interdis de m'adresser ma parole, déclaré-je.

Alors je reporte mon attention sur les autres.

— Ce sera moi votre Alpha le temps de l'absence de Max, annoncé-je.

Je dis cela, et mes yeux deviennent aussi rouges que ma vue, pour qu'ils comprennent que je ne mens pas. Je vois dans leur regard que cela ne leur plait pas mais qu'à la fois, ils n'ont pas d'autres choix que de se soumettre à mon pouvoir. Je cligne plusieurs fois des paupières, pour retrouver ma vue humaine.

— Alors qu'on soit clair vous et moi, si vous tentez quoi que ce soit contre Alice, mon enfant ou moi, il faudra me passer sur le corps et je n'hésiterai pas un instant à vous arracher le coeur si c'est pour protéger ceux qui me sont chers.

Après leur avoir dit cela, je leur tourne le dos, j'expire tout l'air qui semblait être resté coincé dans ma gorge tant ce fut difficile pour moi de faire preuve d'une telle confiance. Je remonte à l'étage alors que les rayons de la lune éclairent déjà le couloir. Je pose ma main sur le mur, non loin de la porte de la chambre où repose ma fille.

Tout semble tourner autour de moi, mon coeur bat fort, des fourmillements chaotuillent le bout de mes doigts. J'ai l'impression que cela fait une décennie que je ne me suis pas transformée et je crains que ce moment ne soit arrivé.

— Pas maintenant, s'il te plait... soufflé-je.

Je ne peux pas laisser ma fille seule, sans surveillance, avec une meute sans contrôle.

Je fais un pas en avant, comme si ma jambe pesait une tonne, puis un autre, je pousse des gémissements de douleur, de colère et de frustration. Alors que j'entre dans la pièce, je tombe à genoux, je sens ma colonne vertébrale qui ressort et qui craque, mes doigts se rétractent, se tordent, se brisent, puis mes coudes ne font même plus partie de l'axe de mes bras. Je tente de ne pas faire de bruit, la joue collée contre la moquette, mes larmes ne cessent de couler.

Je tente de me relever quand j'entends ma fille qui commence à pleurer. Je veux m'approcher de son berceau mais c'est mes jambes qui prennent le relais.

— Pitié... pourquoi tu me fais ça...

Je ne vois même plus clairement, je vois rouge, comme le loup. Petit à petit, ce n'est plus une mère que je suis, c'est la bête qui est en moi qui prend place et ce jusqu'à ce que les derniers rayons de la lune n'étincellent.

Elle hurle, pleure si fort et je ne peux rien faire, puisque je me transforme. Je n'ai d'autres choix que de me libérer de mes vêtements, pour ne pas étouffer, m'étrangler ou que sais-je encore. Je respire fort, je transpire, je souffre. Les douleurs sont identiques à ma première transformation, comme si mon corps avait oublié ce que c'était que de se démembrer, ce que c'était que de sentir ses os se rallonger, raccourcir, changer de place... Cette douleur est la pire de toute, celle qui me fait fusionner avec l'être qui pourtant, me semble être celui qui m'est le plus proche, le plus précieux : le loup.

— Maman est là... grogné-je. Je suis...

Je ne peux terminer ma phrase.
Non je ne suis plus là.
Je ne suis plus qu'une bête sauvage, dans une petite chambre où un bébé pleure les bras de sa mère.

Il y a cette fusion si intense avec le loup.

Mais il y a cet amour si puissant avec mon enfant.

Maman est là mon amour, ne t'en fais pas.


Je ne bougerai pas de la nuit. Je ne me nourrirai pas, je n'irai pas affronter la meute, moi qui suis pourtant un alpha. Je demeurerai couchée sur la moquette, les yeux rivés sur le berceau de mon bébé. Parce que c'est ce qu'une mère doit faire, c'est ce qu'un alpha doit faire : protéger son louveteau.

Et je te protégerai jusqu'à mon dernier souffle.


J'ai pourtant l'impression, en voyant à travers les yeux de Max que ce ne sera pas moi qui rendra mon dernier souffle en premier.

Je vois Marius, qui le tient par le col de sa chemise et le regarde droit dans les yeux. Je lis une telle détresse, une telle colère et ses yeux sont d'un rouge pourpre, la pleine lune a un effet sur eux aussi et plus particulièrement sur l'homme que j'aime le plus au monde.

— Tu ne ressortiras jamais d'ici, mon frère, a-t-il dit.

Avant que Max ne perde connaissance.


Et moi je demeure louve ce soir, malgré mon âme qui ne cesse de s'inquiéter pour les personnes que j'aime.

Et si Alice avait raison ?

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