1. Soirée forcée 🌕

Tic tac, tic tac...

Allongée sur le dos, les mains le long de mon corps, je fixe le plafond de mon petit appartement. Les cheveux éparpillés autour de moi, bercée par le chant de l'horloge. À côté de moi, un homme ronfle, plongé dans un sommeil profond alors que le soleil vient de se lever. Ses rayons parviennent à passer à travers les rideaux et illuminent faiblement la pièce.

Tous les samedis matins, c'est la même chose. Le vendredi soir, j'invite Samuel, mon seul et unique ami à boire un verre chez moi. Nous buvons, mangeons, discutons et nous finissons nus dans mon lit. Évidemment, Samuel est au courant que je ne cherche pas de relation amoureuse, il me connaît par cœur, au sens propre comme au sens figuré. Néanmoins, tous les samedis matins, je suis allongée dans mon lit à fixer le plafond en écoutant l'horloge chanter.

— Hmm...

Samuel gémit puis se tourne, sa jambe grimpe sur les miennes et son bras m'entoure pour me serrer contre lui. Je hausse les sourcils, sans bouger. Je n'ai jamais apprécié la tendresse, les câlins, les mots doux. En fait, la compagnie des gens me désespère, hormis Samuel que j'apprécie car il est beau garçon mais surtout très drôle, nous sommes fusionnel, on s'embête comme chien et chat, et notre humour colle parfaitement. Physiquement, je lui plais, il me plait alors nous avons passé un pacte ; coucher ensemble sans s'engager dans une relation barbante et jusqu'à présent, ça fonctionne.

— Tu m'écrase, soufflé-je en grimaçant.

Samuel se redresse légèrement, bras sous la tête, il ouvre enfin les yeux pour me contempler. Je me suis contentée de tourner la tête vers lui. Au réveil aussi, il est bel homme ; châtain, les yeux clairs, intelligent... tout ce que j'ai toujours rêvé mais aussi tout ce qui me rebute.

— Bien dormi ? Demande-t-il la voix enrouée.

— Ouais... on se lève ?

— Attends, on vient de se réveiller.

Il m'attrape et me serre contre lui. Je me redresse aussitôt, le repousse et sors du lit à la hâte. J'enfile ma culotte laissée la veille par terre, mon t-shirt taché de peinture que je garde depuis mes dix ans et m'empresse de me rendre dans la cuisine à quelques mètres du lit. Samuel s'appuie sur ses coudes et me suit du regard.

— Joli cul, lance-t-il en souriant niaisement pour m'embêter.

Tout en me servant un café, je lui jette un regard assassin puis secoue la tête en souriant.

— Habille toi et rentre chez toi, dis-je en enfonçant une tartine de confiture dans ma bouche.

Samuel sort du lit, complètement nu, il s'exhibe face à moi tout en me regardant.

— Tu veux pas profiter encore quelques minutes de mon corps d'apollon ?

— Je m'en passerais, merci, lui réponds-je la bouche pleine.

Samuel rigole et se rhabille rapidement. Il se jette un rapide regard dans le miroir sur pieds à sa droite, histoire de se recoiffer légèrement puis me rejoint  dans la cuisine. L'appartement est peu spacieux, principalement décoré par des instruments dont un piano à queue qui prend de la place. Samuel appuie ses bras sur le bar et me fixe droit dans les yeux. Je ne détournerai pas le regard, il aime jouer à ce jeu et au final, il perd constamment.

— T'as de la confiture sur la joue, remarque-t-il.

— T'as pas de maison ?

Il sourit puis se redresse tandis que je m'essuie la joue.

— Ce soir, je vais boire un verre avec des copains au bar où on s'est rencontré, ça te dit de venir ?

Je mime la pendaison, la langue qui pend puis bois une gorgée de mon café.

— Tu m'as bien regardé ? Grogné-je.

— Oui, t'es sexy et puis t'es cool, mes amis t'aimeraient bien.

— J'ai pas besoin de me faire des amis, Sam.

— Non mais t'as besoin de sortir de chez toi.

— Qu'est-ce que t'en sais ?

— T'es aussi hargneuse qu'un chaton.

— Ha ha... t'es si drôle...

Je lève les yeux au ciel, termine mon café puis pose la tasse dans l'évier. J'attrape ensuite mes cheveux roux emmêlés pour les attacher en un chignon mal structuré.

Depuis mon plus jeune âge, je n'ai jamais eu d'amis. J'ai toujours été solitaire et je préfère l'être quand je vois toutes ces personnes qui souffrent à force de donner leur confiance à tort et à travers. Au conservatoire, j'avais rencontré une fille très gentille, Alice. Nous nous étions  très bien entendues toutes les deux mais Alice avait été attaquée par un loup en pleine nuit alors âgée de douze ans, elle y avait malheureusement laissé sa vie. Depuis, je n'ai pas cherché à me refaire d'amis. Samuel est le dernier.

— Allez, ça va pas te tuer, insiste Samuel.

— Si au contraire, les gens meurent quand ils sortent le soir. Hellbound c'est une ville maudite. On se fait bouffer quand on va se promener !

— Il y a les gardes forestiers et tu seras avec moi.

— Avec toi et d'autres personnes que je ne connais pas et que je n'ai pas envie de connaître.

Samuel soupire puis tapote sur le comptoir avec ses doigts.

— Juste un soir, faut que tu prennes l'air un petit peu. Vendredi prochain, je ramène des pizzas.

J'esquisse un sourire timide, non pas car je le suis, mais parce que je suis agacée d'être forcée, néanmoins, il me fait rire et difficile parfois de se contenir.  J'hésite longuement, je pèse le pour et le contre. Ce soir, il y aura de l'alcool et de la musique, possibilité d'observer les étoiles si le ciel est dégagé... au final, ce pourrait être bien et puis si en plus de cela j'ai droit à des pizzas gratuites la semaine qui suit, autant dire oui. 

— D'accord... grommelé-je.

Les lèvres de Samuel s'élargissent jusqu'à ses oreilles, un grand sourire illumine son visage encore légèrement endormi. Je n'ai jamais eu pour habitude de côtoyer des hommes aussi séduisant que lui. Néanmoins, je n'ai jamais craqué pour un physique. Il est grand, ses cheveux sont courts et en bataille le matin, cela le rend encore plus mignon, ses yeux bleus sont perçants et pourraient intimider n'importe quelle fille. Sauf moi.

— Je t'aime toi, tu sais ? Déclare-t-il.

— Moi je te hais.

Samuel se redresse, il attrape sa veste et son portefeuille laissés sur le fauteuil la veille au soir. Tout en enfilant son blouson, il se retourne vers moi.

— Ce soir vingt heures.

Il me sourit avant de partir et de me laisser enfin seule. Je m'affale sur mon fauteuil, face à ma fenêtre qui donne sur la ville. J'habite dans un petit appartement de deux pièces, au dernier étage. Mon immeuble surplombe une partie de la ville, le matin j'apprécie m'asseoir et regarder l'environnement se réveiller petit à petit. Terrée dans ma musique, je n'ai pas les moyens de payer mon loyer, ce sont mes parents qui s'en occupent et pourtant, je n'ai plus contact avec eux depuis plusieurs années déjà. Malgré cela, ils continuent de m'aider financièrement, mon père tout particulièrement, a toujours cru en moi et ma musique. Je sais toucher à tout, piano, violon, guitare... tout instrument à cordes, rien n'échappe à mes doigts et mon oreille.

🌕

Je passe la journée à jouer de la musique, donner un cours de piano à un adolescent et à traîner dans mon appartement. Le soir venu, je ne prends pas le temps de m'apprêter comme l'aurait fait toute personne normalement conçue pour se rendre à une soirée, du moins pour la société. Je me contente de détacher mes cheveux, j'enfile ma veste en cuir et rejoins Samuel au bar. C'est ici que nous nous sommes rencontrés, un bar face à la forêt. Car oui, à Hellbound, une grande forêt traverse la ville, c'est en partie pour cela que c'est un lieu particulièrement touristique.

La verdure y est omniprésente au printemps et en été, quand en hiver, les arbres morts laissent un sentiment monotone. L'automne est la plus belle des saisons pour moi, ces couleurs orangées, cuivrées, jaunes sont aussi rayonnantes que le soleil, j'adore pouvoir marcher dans les feuilles sèches qui crépitent sous mes pieds, voir mes cheveux s'allier à la perfection aux couleurs automnales. D'ailleurs, le mois d'octobre se termine, c'est Halloween et je l'avais complètement oublié.

Je rentre dans le bar où la plupart des clients sont costumés. Samuel est le seul dans le groupe de ses amis à ne pas porter de costume, ce qui me fait automatiquement sourire. Il est comme moi et ça me fait plaisir. Les mains dans les poches de ma veste, je m'avance vers lui. Il me remarque aussitôt et s'empresse de me présenter à ses quatre amis présents, chacun déguisé. L'ambiance est bonne ici, d'autant plus lorsque c'est Halloween. Hellbound est l'endroit parfait pour se faire peur et célébrer la fête des morts.
Un endroit parfaitement ironique.

Je m'assois à côté de Samuel, commande mon verre de bière puis les écoute parler. Samuel étudie le droit depuis déjà quatre ans et ses amis aussi, alors leur conversation ne m'intéresse que peu , et je n'y comprends rien. Les soirées entre amis, cela n'a jamais été mon fort.

— Alors, Monroe, vous êtes en couple tous les deux ? Demande une blonde aux formes généreuses.

Elle est déguisée en vampire, les cheveux crépus, du faux sang sur le menton. Son déguisement est assorti à celui de son petit ami, un blondinet aux joues toutes rouges tant il a bu.

— Non, réponds-je en même temps que Samuel.

Nous nous jetons alors un regard complice.

— Mais vous vous voyez souvent, non ?

— Nous sommes amis, affirmé-je.

La soirée se passe, je les écoute parler et bois les quelques verres que je me suis commandés. L'ambiance est bonne, c'est vrai, tous déguisés à rigoler, boire, danser. Halloween à Hellbound c'est la fête la plus grande, avec la forêt et toutes les histoires qui tournent autour de la ville, il y a de quoi se faire de bonnes frayeurs. Je  l'avais déjà fêté une fois avec Alice, et cette dernière m'avait raconté tout un tas d'histoires terrifiantes que j'avais pris à la rigolade.

Alors que les minuits approchent, je pose ma main sur l'épaule de Samuel en train de parler avec deux zombies au bar. Il se retourne et me sourit.

— Je vais faire un tour dehors, annoncé-je.

— Promets-moi de revenir.

— Je reviendrai, lui dis-je d'une grosse voix.

Il rigole et me laisse partir. Il n'y a que nous deux pour comprendre nos blagues, c'est ce qui fait de notre amitié, un lien unique. Je sors pour enfin respirer l'air frais. J'enfonce mes mains dans les poches de ma veste en cuir, avançant lentement vers l'orée de la forêt où un couple de clowns se bécote contre un arbre. Je n'ai jamais détesté Hellbound, ici tout est beau et chaque saison a sa particularité, mais difficile d'accepter cette ville où les morts s'empilent et les blessés se bousculent.

Je m'engage alors dans le petit chemin creusé là avec le temps, la terre est humide, les arbres presque nus et l'endroit est silencieux. Dans le ciel légèrement nuageux, la lune le domine et l'illumine, elle est pleine, parfaitement ronde, argentée. Un bel astre que je contemple de longues minutes.

L'ambiance de la forêt était apaisante jusqu'alors. Mais l'endroit devient de plus en plus lugubre à mesure que je m'y aventure. Je m'arrête, regarde autour de moi. La lune est ma seule lumière, ma seule alliée et heureusement qu'elle est là, sinon, je ne saurais pas où je mets les pieds. Les longues balades en forêt, j'adore cela, la nuit comme le jour, mais un soir d'Halloween, tard, quand il fait noir et qu'il n'y a personne avec soi... il y a de quoi se sentir mal à l'aise. D'autant plus quand l'atmosphère devient plus pesant.

Lorsqu'un craquement de bois retentit derrière moi, je me retourne brusquement. L'air est frais ce soir et je me sens soudainement en danger. L'impression d'être observée ne me quitte plus et commence à faire battre mon cœur de plus en plus vite.
Il ne me suffit que d'un son.
Un grognement.

Je tourne les talons et fais l'erreur de presser le pas. Je ne cours pas, parce qu'on  m'a toujours dit de ne pas courir. Normalement, on ne doit pas tourner le dos à l'animal et surtout, faire du bruit pour l'impressionner, en espérant le dissuader. Je me mets alors à chanter à tue-tête, ma voix est forte, tremblotante et je chante, chante, chante...

Alors que j'approche de la sortie, la musique du bar qui résonne, je m'arrête de chanter mais aussitôt, la bête bondit sur mon dos. Je m'affale tête la première sur le sol, mon menton le heurte et je me mords la langue. Quand je sens les crocs de l'animal perforer ma veste en cuir et atteindre rapidement la chair de mon épaule, je hurle et me cambre. Juste après cela, Samuel et les autres arrivent en courant. Le prédateur s'est déjà dissimulé dans les feuillages pour disparaître.

Samuel attrape mes bras et me relève rapidement. Il pose ses deux mains sur mon visage et me regarde droit dans les yeux. Dans les miens, des larmes s'y perdent.

— Dis-moi que ça va ! S'exclame-t-il horrifié.

Je sens le sang couler le long de mon bras, sous ma veste, il imprègne mon pull, glisse sur mes doigts et vient tâcher la terre. Je reprends rapidement mes esprits alors qu'un groupe de curieux s'agglutine autour de nous.

— Tu saignes... il faut qu'on t'emmène à l'hôpital !

Samuel attrape ma main mais je le repousse brusquement.

— Lâche moi ! Hurlé-je. À suivre tes idées à la con, je me fais attaquer ! Je te l'avais dit !

Samuel s'apprête à parler mais je passe entre les gens qui me dévisagent sans les ménager. Je les bouscule et remonte d'un pas rapide la rue. La douleur palpite dans tout mon bras, la peur fait trembler tous mes membres. Samuel m'appelle mais je ne me retourne pas, ma respiration est forte et rapide. Je revois tout, absolument tout. Mon amie, ma si jeune amie... attaquée, tuée... Voilà pourquoi Hellbound est maudite, les animaux attaquent n'importe qui, ils n'ont pas peur de nous.

J'essuie d'un revers de la main la larme qui coule sur ma joue et regagne mon appartement où je désinfecte moi-même ma plaie, je la protège d'un pansement et me noie dans l'alcool pour oublier la douleur terrible qui paralyse mon membre.

Je finis par m'endormir face à la fenêtre, les rideaux ouverts, la lune pleine juste face à moi, son halo lumineux n'illumine plus que mon corps et c'est comme si elle m'avait apaisée.

Les nuits de pleines lune à Hellbound, sont les nuits les plus tourmentées pour ses habitants et celles où l'hôpital se remplit en quelques heures.



Je vous remercie d'avoir pris le temps de lire ce premier jet.
A noter que ce n'est qu'une première version.

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