Partie 4 : Chapitre 4
— Qu'est-ce que ça dit ?
Se tenant en avant, accoudé à la table, Hans parcourait la lettre. Ses yeux chassaient férocement les lignes, les traits tirés et l'œil vide.
— Il se vante de cette fausse gare qu'ils ont construite à l'entrée du camp. Il dit qu'une horloge factice marque la même heure, mais que personne ne s'en rend compte. Il parle des panneaux indiquant les correspondances, des rails prolongés pour nulle part, et d'une infirmerie ; une fausse infirmerie qui porte un drapeau de la Croix-Rouge. Les déportés les plus faibles s'y rendent d'eux-mêmes. Ils sont exécutés d'une balle dans la nuque.
Comme moi, Ralph écoutait ce récit. Une émotion paralysait son visage, ses traits aux prises avec l'impensable. C'était incompréhensible, un peuple dit « civilisé »avait décidé d'en exterminer un autre ; comme ça, juste comme ça.
— Non ! réfuta Ralph, pas juste comme ça. Nous étions bien contents au début,tout le monde le voulait, tout le monde voulait que ça arrive. On voulait se débarrasser des Juifs, ne dis pas le contraire, Hans, ce serait hypocrite.
Mais la tête baissée, Hans n'osa répondre, et son silence fut équivoque.
Moi, je ne supportais plus ces visages sur la photo, le regard implorant de ces hommes, tondus, émaciés ; ils tiraient à la corde avec leurs dents.
Quelle équipe perdrait ? Qui s'en irait mourir entre les griffes de l'ennemi ? On regardait les corps à ses pieds, puis l'on se disait qu'il valait mieux tirer encore un peu pour ne pas finir là-haut, dans la machine à nuages.
Je retournai la photographie.
— Ce que nous faisons, reprit Ralph, ce n'est pas digne de nous, ni de l'armée ;ce n'est pas digne de l'Allemagne, ça me fait honte.
— C'est inhumain, rien ne peut justifier...
— Tu ne sais pas, m'interrompit-il, tu n'es pas Allemande, toi. Tu ne sais pas comment c'était après la guerre et votre traité de voleurs. Eux, déclara-t-il avec beaucoup de rancœur, ils étaient là, avec leurs boutiques, leur argent et leur étalage..! Ma mère, elle, elle se brisait le dos pour nous faire vivre avec de la merde.
Il tapa du poing sur la table, puis se leva, le regard noir et le visage exsangue.
— Entspann Dich! (Du calme !) s'écria Hans. Il n'est pas temps de se quereller.
L'œil brillant, d'un bleu laiteux comme une cataracte, Ralph détourna le visage, très fier cependant. Il regardait par la fenêtre afin de meubler le silence, et je voulus ceindre son front, adoucir ses tourments et la honte qui le martyrisait.
Il ressemblait à un enfant à qui l'on dévoile l'horreur du Monde, un enfant qui découvre qu'on lui a menti. Il expira, un son vif, plein d'amertume. Il fronça les sourcils ; sa bouche tremblait. Ses yeux se remplirent de larmes, il grimaça afin de les retenir, alluma une cigarette. Une allumette se brisa, puis une deuxième, une troisième. Il jeta rageusement la petite boite contre le mur.
Hans lui offrit son briquet.
Après une première bouffée de tabac, Ralph nous observa d'un air déterminé.
— Vous avez raison, dit-il dans un nuage de fumée. Dîtes-moi ce qu'il faut faire.
* * *
Cette nuit là, ce fut comme si je me réveillais dans un rêve. Avec d'autres femmes, nous logions dans une baraque comme l'on parque des poules.
Le bâtiment est insalubre, à travers le bois suinte l'humidité, perce le froid, ce vent qui siffle et qui nous fait peur, nous décourage et nous glace les os.
Quelques minutes plus tard, dans l'espace blanc d'une cour, on trie un monticule qui occupe le centre du pavé ; garder, jeter, toujours plus rapidement.
« Vite ! Vite ! Vite ! » — « Ils ne parlent pas » dit une femme dont le regard disparaît sous un fichu rayé — « Ils aboient. »
Ils viennent nous chercher, trois d'entre nous dont je fais partie. Les hommes rient, puis ils crient. Leur haleine dégage un fort relent d'alcool et de tabac qui me retourne l'estomac. D'ailleurs, j'ai faim, j'ai très faim.
On nous tire par le bras, on nous fait entrer dans une baraque, plus belle et petite, plus chaude surtout. À l'intérieur, des hommes boivent et mangent — ils mangent. Je regarde les trésors de la table, mais je suis interrompue.
On nous dit : « Chante ! Chante ! »
C'est l'anniversaire de l'un d'entre eux ; je le sais, parce qu'il est assis au centre, et que les autres le tiennent, le poussent et rigolent. C'est un brun au visage banal, ni beau, ni laid, rien qu'un homme ordinaire, un jeune homme.
Ils entonnent grossièrement : « Zum Geburtstag viel Glück! Zum Geburtstag viel Glück! » Enfin vient notre tour, alors, nous chantons, nous essayons ; mais ma voix tient à un fil, celle de mes camarades n'est guère plus assurée.
Devant eux, je ferme les yeux et je chante.
Lorsque je les ouvre, le rêve m'a transporté dans la sale baraque : les femmes se couchent sur la paillasse, la bouche ouverte sur un souffle de mort. Je trouve une note, un papier sur lequel est écrit : « Votre voix ne me quitte plus, je vous aime. »
Nous nous revoyons, je ne lui résiste pas. Je lui demande de sauver ma sœur ?
Oui, ma sœur et ses enfants. Il dit : « Pour votre sœur, je peux, mais pas pour les enfants. Il n'y a pas d'enfants ici, ils devront mourir avec les autres. »
Ma sœur m'en veut, elle aurait préféré mourir avec eux.
Le SS ordinaire et moi, nous voyons. M'arrivent des bribes d'images : une chambre orangée et chaude, un feu de cheminée, peut-être. Il dit m'aimer comme il n'a jamais aimé. Moi, je ne l'aime pas, mais je sais qu'il me protège. Au moins connais-je un peu de douceur. C'est comme si deux hommes revêtaient son visage, si tendre la nuit, terrible le jour. Dans la cour, il s'amuse à battre les hommes qui ne tiennent pas debout, les femmes qui ne vont pas assez vite. Il rit d'une épaule déboîtée, d'une jambe qui traîne, d'un visage décharné. La nuit venue, il babille contre mon sein, comme un enfant implorant votre présence, votre pardon.
Pourtant, je suis comme ceux qu'il frappe.
Je ne l'aime pas. Non, je ne l'aime pas ! Comment peut-on les aimer ?
Comment peux-tu ? Haïr — puis aimer comme cela ?
Je sortis de ce rêve comme l'on quitte une vie pour une autre, un homme pour un autre. Ce n'était pas le SS ordinaire qui dormait à mes côtés, mais Hans.
Je me redressai sur le lit, avec le sentiment d'avoir trompé le Bien. Hans se réveilla à son tour ; sans doute fis-je trop de bruit. Comme il était doux et attentif, il me demanda si j'avais fait un mauvais rêve. Je m'allongeai, ma tête contre son torse,son cœur qui battait comme un subtil tambour.
Je l'écoutais respirer, les yeux ouverts, comme lui. Alors, sa voix vint colorer la pénombre lorsque nos regards se croisèrent, et qu'il lut en moi cette interrogation.
— À quoi penses-tu ?
Je ne répondis pas, avec mon nez, traçai une ligne contre sa peau.
— Si tu ne dis rien, reprit-il, cela va me turtupiner toute la nuit.
— C'est turlupiner, répondis-je.
Il attrapa mes bras avec force, me fit rouler sous son poids.
— Est-ce que je te reprends, demanda-t-il, à chaque faute d'allemand ?
Je ris contre son nez que j'embrassais.
L'aurais-je aimé autant, s'il avait été l'homme du rêve ? Le SS ordinaire — mon agneau, loup pour les autres. J'avais peur de répondre.
* * *
Tout se mit en marche lorsque Hans et les autres rencontrèrent mon frère.D'abord, Hans et Ralph ; et Dieu sait que c'était déjà bien assez. Comme Hans souhaitait gagner la confiance des membres du maquis, mais que ceux-ci ne souhaitaient pas le rencontrer, il décida de transmettre la lettre et les photographies à condition de les donner en main propre à Gaspard. On organisa une entrevue par le biais de certains hommes qui venaient au café en se faisant passer pour des livreurs.
La petite réunion se tint à l'arrière de la ferme, dans cette grange en lisière du bois, où les maquisards, quelques gaillards venus accompagner mon frère, braquèrent leurs fusils sur eux sans autre forme de procès.
Le ton monta, on se toisait, homme contre homme, pays contre pays.
« Allez-vous ENFIN nous faire confiance ? » s'exclamait Hans.
« Ah ! » s'écria l'un d'eux, « faire confiance à un boche ? Vous entendez ça,vous-autres ? Elle est bien bonne ! »
Tout cela distrayait mon frère, qui campé sur ses positions, ou plutôt, derrière ses camarades, admirait la scène d'un œil amusé. Ces garçons qui avaient grossi les rangs du maquis afin de fuir le STO (Service du Travail Obligatoire) baissèrent bientôt leurs armes. On se regardait en coin ; on n'était jamais tranquille « lorsqu'un boche vous scrutait d'aussi près. »
« Ils ne sont pas comme nous, c'est vraiment une autre race » — « Ils sont mauvais » — « C'est le peuple qui est pourri, pourri jusqu'à la moelle ! » — et toutes ces expressions, dénominations, qui suivraient dans les décennies à venir. C'est qu'on allait bien rire après la guerre, pour longtemps encore.
« Quoi, tu vas les plaindre après ce qu'ils ont fait ? »
Moi, je plaignais ceux qui n'avaient rien fait, ceux qui se retrouvèrent dans lamasse fautive parce qu'allemande. Un instant, j'imaginai : si cela avait été mon pays ?Et puis, je pensai : mon pays, la France... Toi aussi, douce France, tu as été exécrable avec tes Juifs ; c'est étrange, comme la Libération a retourné ta veste.
« À MORT LES BOCHES ! VIVE LA FRANCE ! VIVE DE GAULLE ! »
Je viens d'un pays qui a accueilli la barbarie ; obligé, peut-être, mais qui a habilement changé de camp lorsque le vent tournait. On se mit à désigner les fautifs dont on faisait souvent partie. Écartelons ! Lapidons ! Rasons la tête des poules quand d'autres caquettent pour mieux sauver leurs miches. Anciennes victimes devenues bourreaux comme un troupeau d'ânes. Ne critique pas ce que tu t'apprêtes à faire,politique exécrable, toi qui donnais tes civils en offrande pour un peu de pouvoir.
— Bouge pas, sale Fritz !
— Gaspard, intervins-je, dis à tes hommes de baisser leurs armes.
— C'est qu'elle les protège, entendis-je, ses petits Allemands...
Survint un rire, quelques mauvais regards. Assis sur une souche, une cigarette mâchouillée au coin des lèvres, Gaspard considérait Hans avec le recul d'une vipère.
— Cette lettre dont tu parles, fit-il, tu pourrais nous la traduire ?
— C'est fait, répondit Hans d'un ton sec. Vous devez les faire passer à Londres,la lettre et les photos ; tenez.
Mon frère jeta sa cigarette au loin, puis se leva afin de découvrir les clichés.
— Comme ça, fit-il cynique, on ne se tutoie pas ?
— Regardez les photos, répliqua Hans.
Le sourire goguenard de mon frère abandonna son visage amaigri lorsque ses yeux rencontrèrent les photographies. Il les prit entre ses mains, pâle comme un linge malgré la terre qui maculait sa figure. Autour d'eux, parenthèse silencieuse et grave,les jeunes maquisards raillaient toujours ce pauvre Ralph.
— Taisez-vous ! s'écria mon frère. Taisez-vous... répéta-t-il d'une voix éteinte.
Son pouce caressa l'angle corné d'une photo où le visage émacié d'une femme semblait ahuri par la faim. Sa peau était un papyrus ; elle fixait l'objectif d'un air accablé, avec de grands yeux noirs et caves qui lui dévoraient la tête. Ses jambes maigres paraissaient céder sous son poids, les genoux cagneux comme elle se tenait à un homme qui marchait à quatre pattes dans la neige.
Découvrant ce cliché pour la première fois, j'avais imaginé les rires qu'avait pu déclencher une telle scène. Rien qu'une anecdote de plus entre gardes et auxiliaires,une fois reposé dans les bains de soleil d'un camp de vacances pour « employés d'Auschwitz » appelé Sola hütte. (Ou SS-Hütte Soletal, comme indiqué à l'époque sur certaines photographies.)
Près d'un lac où se reflète le ciel bleu de Pologne, la rivière Sola, surgit d'entre les sapins une belle demeure rustique, une cabane de bois comme on en trouve au ski. Là, à seulement trente kilomètres au sud du camp de la mort et de ses douches au Zyklon B, les officiers SS organisent des pique-niques avec leurs femmes ou leurs collègues, s'entraînent au tir, ou bien chantent, pour « échapper au stress ».
Bientôt, les quelques hommes qui se trouvaient avec nous se pressèrent autour de Gaspard. Ils étudièrent les photos, et je les vis, tous, changer d'expression à mesure que les clichés circulaient de main en mains. L'un d'eux s'écarta du groupe,le regard sombre et vide, convoqué par un gouffre intérieur.
Plus tard, après avoir convaincu mon frère d'aller rassurer maman avant de partir, Gaspard trouva Stella dans les bras de celle-ci. Il ne dit rien, me regarda sans que je puisse lire une quelconque réaction sur son visage. Tout fut affaire de silence,puis il se remit à parler de ce qui lui importait le plus — la résistance.
Devant les deux Allemands, il annonça l'air de rien qu'un pont serait dynamité le lendemain au passage d'une division de Panzer (une division blindée). Pas dupe, Hans devina qu'ils'agissait d'un moyen de tester leur loyauté. Il avait compris que mon frère n'était pas du genre à se livrer à des confidences aussi inconsidérées.
Bien sûr, aucun pont ne sauta le lendemain, mais la division allemande, elle,traversa notre petit village. Tout le monde resta tranquillement chez lui. On ferma les commerces. À travers la campagne résonnait le crissement des insectes. On avait entendu de vilaines choses, des rumeurs à propos de villages incendiés. Les heures s'écoulaient dans l'attente et l'appréhension, dans la peur, dans le silence de nos maisons, comme des étuves sous le soleil de juillet 1943.
Je me mis à faire des rêves, à cause des photos, des rêves terribles qui me renvoyaient une image que je craignais : je courais, et derrière moi, les Allemands réunissaient des villageois sur la place. Les femmes avec les enfants, les hommes, de l'autre côté. « Pourquoi faut-il qu'ils nous séparent ? » s'exclame un vieillard. Des petits vont en tous sens, trois soldats leur courent après. On les entend rire, puis plus de rire. « Bleiben! PAS BOUGER ! » Je cours, je cours. Ceux qu'ils attrapent ont les mains collées ensemble ; ils pleurent. Un couple se retrouve — ils leur collent la bouche pour mieux les humilier, puis les forcent à danser. « Arrêtez de gémir !N'ÊTES VOUS PAS DES HOMMES ? » Je cours. Comme moi, d'autres fuient. On se rentre dedans, je heurte les devantures. À mes pieds, des pommes roulent. Je cours,rencontre une petite fille ; elle tombe. Là, sur le trottoir, elle s'écrie : « À l'aide ! »Elle me tend la main. Je cours, l'évite ; je la pousse violemment — je cours — la terreur égoïste. Des soldats derrière moi. Je cours et je crie. IL FAUT FUIR ! Et, mon Dieu... Il faut fuir ! Tous ces bruits, ces cris, ces hurlements. La douleur, les grincements — il me semble que je hurle moi aussi. Je suis hystérique ; la petite fille !PETITE FILLE ! Mon corps s'échappe entre les champs, couvert de honte, tué lentement. Je pleure. Devant mes yeux, l'image d'un homme ; il fuit, aveugle, il rampe, les ongles arrachés.
Je pleure et je me traîne.
— Petite fille, m'écriai-je, petite fille !
Je me réveillai en larmes, avec l'impression d'avoir tué quelqu'un.
Je me souviens, Hans dit : « Il n'y a pas de petite fille ! Plus de petite fille ! »
Il me serra entre ses bras où je tombais ; mais contre son épaule, je pleurais davantage. Petite fille, me pardonnera-t-on de t'avoir laissée mourir en rêve ?
Je demeurai plusieurs jours avec le souvenir de son visage suppliant. L'enfant irréelle vint me tourmenter ; elle apparaissait à toute heure du jour et de la nuit,venue pour me hanter, se venger de ce que je lui avais fait.
Heureusement, peu à peu, elle finit par disparaître.
Un soir où j'abandonnai mon livre pour rejoindre Hans, je le trouvai assis au bureau. Il recopiait de mémoire un plan que mon frère sollicitait.
— Qu'est-ce que c'est ?
À moitié courbé au-dessus des cartes, Hans se redressa au son de ma voix.
— Le mur de l'Atlantique, répondit-il.
Il pencha la nuque, prit mes mains sur ses épaules, et le bleu tendre de son regard apparut comme une lueur.
— Comment fais-tu pour tout retenir ?
Mes doigts dans ses cheveux, je massais délicatement ses tempes.
— Je regarde, souffla-t-il en fermant les yeux, puis j'ajoute.
Il mena ma main à ses lèvres. Je ne peux pas sortir les plans du bunker, quelqu'un s'en rendrait compte.Je me penchai pour mieux l'entourer, ma joue contre la sienne.
— Tu es brûlant, m'exclamai-je.
— La fatigue, c'est tout.
Il se leva afin de cacher les croquis sous le plancher.
— Tu es sûr ? Montre-moi ton visage, tu as les yeux brillants.
Doucement, il repoussa ma main.
— Béate, je ne suis pas un petit garçon... Tout va bien.
— Bon.., murmurai-je en baissant les yeux, tant mieux.
Il souleva mon menton avec un demi-sourire.
— Cesse donc de t'en faire pour moi...
— Je ne m'en fais pas pour les idiots, rétorquai-je, sois sans crainte.
Il me regarda sans broncher, très sérieux, puis il se pencha sur moi.
— Qu'est-ce que tu fais ? m'exclamai-je comme il se mit à me humer.
— Wie essen besser, mein Lieber...
Je reculai d'un pas.
— Tu me fais peur quand tu prends cet air-là...
— C'est pour mieux te manger, mon enfant !
Il se jeta sur moi, encerclant mes jambes pour me jeter sur son dos.
— C'est ça que ça veut dire ? dis-je une fois retombée sur le lit.
— Mais oui, s'indigna-t-il. Voilà bien les Français ! Des incultes. Vous êtes si chauvins avec votre langue qu'aucune autre ne compte.
— Oh, pardonnez-nous... La pauvre France s'incline devant les fils de Dieu ! Si bêtes ; de vrais idiots, c'est vrai.
— Quel désolant pays, n'est-ce pas ?
Il se mit à rire comme je mordais son oreille.
— Ton pays... murmura-t-il. Ton pays est le plus merveilleux du Monde...
Je le regardais sourire de ce sourire tranquille qui porte en lui l'inexprimable,caressais son visage, allongée près de lui.
— Parfois, chuchotai-je, je songe à cet instant où tu es entré au café pour la première fois. J'ai l'impression que c'était.., une autre vie, tu sais ?
Ses lèvres tendues vinrent frôler les miennes.
— C'est le temps, déclara-t-il, il provoque ce genre d'impression.
— Tu es si terre-à-terre ! Ça n'est pas ce que je veux dire.
— Je sais ce que tu veux dire, railla-t-il, je dis ça pour que tu t'énerves. Tu es si belle quand tu t'énerves... (Il me pinça la joue.) Avec ce petit air renfrogné et dédaigneux... On pourrait tuer avec un regard pareil.
— C'est toi que je vais tuer, répliquai-je, en faisant chambre à part.
Il partit d'un petit rire inquiet, le nez plongé dans mes cheveux.
— J'ai traversé la moitié du continent, je ne vais pas être arrêté par une porte.
— Bien sûr que si ; tu seras la risée de l'Allemagne.
— Dans ce cas, fit-il en levant les mains, brav wie ein Engel. (Sage comme un ange.)
Je lui pinçai le ventre, le vis tressaillir.
— Tu m'emmèneras à Berlin ?
— Tu souhaites toujours aller là-bas ? demanda-t-il étonné.
— Je veux voir où tu es né, où tu as grandi. Je veux voir le marchand de glaces où tu allais, les parcs où tu jouais, ton école...
— Quoi d'autre ?
— Un enfant, je veux un autre enfant.
— Voyez-vous ça ! s'exclama-t-il.
— Mais débrouille toi, je veux un garçon cette fois-ci.
— Oui, Madame. Vous avez la recette, peut-être ?
— Ma mère dit qu'il faut manger acide ou épicé — des cornichons par exemple.
— Des cornichons !
Il éclata d'un rire guttural, plus sonore que les autres. Je dus couvrir sa bouche.
— C'est insensé, dis-je, n'est-ce pas ? Vouloir un enfant maintenant.
— Liebchen, murmura-t-il, c'est la seule chose qui a du sens. Je vais te faire tous les garçons du monde...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top