• Obsessions •
C'était avec une migraine que Jeonghan se réveilla. Pleurer sous la douche n'avait pas empêché ses yeux de gonfler. Alors qu'il se fixa dans le miroir de sa salle de bain, il détesta le visage qu'il y vit.
Il avait honte.
Il avait terriblement honte de ce qu'il avait hier soir. Sa rencontre avec Hyungwon l'avait mis dans un état si pitoyable qu'il arrivait à peine à regarder son reflet. Il essaya du mieux qu'il put de se laver et de se raser pour avoir une mine relativement potable mais ses efforts n'eurent pas de grande utilité: il avait l'air toujours aussi épuisé, il était seulement plus propre.
La plus grande ironie dans cette situation était qu'il avait affirmé à Irene qu'il n'allait jamais retourner avec un ex-partenaire quelques heures seulement avant d'avoir commis son acte. Il ne l'avait même pas apprécié, ce moment. Il s'était dit que ça allait être un bon échappatoire mais il n'avait pas vu le piège qui s'était tendu devant lui. Il contemplait le numéro de Hyungwon dans son téléphone avec dédain. Il se demandait combien de temps il allait mettre pour lui envoyer le message, comme si sa mauvaise foi avait fait un pari avec son bon sens.
Le bon sens gagnait rarement dans des jeux comme ceux-là.
C'est de manière robotique que Jeonghan quitta son appartement à sept heures et demi tapante. Le geste pour rentrer dans sa voiture était le même que celui qu'il faisait tous les jours, de même que celui de tourner la clé pour allumer le contact. Jeonghan était en pilote automatique et ce depuis beaucoup trop longtemps. Parfois il lui arrivait de se demander quand est-ce qu'il était sorti de sa routine pour la dernière fois, quand est-ce qu'il avait réellement fait quelque chose de spontané pour rendre sa vie monotone un peu plus excitante.
Un baiser, sur un balcon au huitième étage d'un bâtiment plutôt luxueux du centre ville, un six avril au soir, à l'ombre des regards.
C'était il y a dix ans.
Jeonghan soupira au volant de sa voiture. Il ne voyait pas la nécessité de briser sa routine, même si elle était devenue plus mécanique qu'autre chose. C'est lui qui avait choisi de vivre cette vie là et il l'assumait complètement. Elle lui permettait d'exercer son métier convenablement et efficacement. Au cours de sa carrière, il avait résolu un grand nombre d'enquêtes grâce à sa manière de fonctionner. Les seules fois où il n'avait pas réussi ont été les fois où il était justement sorti de sa routine, pour la majorité de manière involontaire. Elles avaient étés trois:
L'arrestation du dealer de sa tante.
La décapitation de Minhyuk.
Le douze octobre.
Trois enquêtes qui le hantaient encore à ce jour. Elles se laissaient dissoudre tous les jours avec les petites pilules de prozac puis revenaient le lendemain, généralement pendant la nuit, attendant de se faire dissoudre de nouveau. Un cycle infini que Jeonghan détestait mais dont il ne pouvait pas voir le bout. Peu importe le nombre de pilules, le nombre de rendez-vous chez Irène ou son psychiatre, le nombre de cigarettes fumées, il allait s'en souvenir jusqu'au jour où il allait mourir. C'était une certitude. Il espérait seulement que cette nouvelle enquête n'allait pas s'ajouter aux trois autres.
Durant une fraction de secondes il se demanda si prendre sa retraite de son métier et rentrer aux ressources humaines n'allait pas arranger son cas, mais il se rendit rapidement compte que ça n'allait pas être possible.
Les seules choses qui gardaient Jeonghan encore fonctionnel était son cousin Chan et son métier. Le reste ne l'importait quasiment pas. Jisoo aurait pu en faire partie mais depuis qu'il s'en était allé à Busan, ils s'étaient éloignés l'un de l'autre et quand bien même il voulait se convaincre que ça n'avait pas grande importance, ça l'affectait énormément.
Jisoo l'avait aidé à rester stable pendant de nombreuses années. Au lycée il était resté de son côté lorsque le harcèlement devenait trop sévère. Lorsqu'il s'était mis en couple avec Hyungwon, il avait été le premier à lui notifier son comportement douteux et manipulateur. Jeonghan lui avait toujours reproché de vouloir l'éloigner de son copain et d'être jaloux de leur relation mais qu'est-ce qu'il avait bien eu raison au final. Le jour où il avait enfin réussi à se séparer de lui, parce que ça lui avait pris de nombreuses tentatives, bien trop nombreuses, la première personne chez qui il s'était réfugié avait été Jisoo. Ils s'étaient éloignés l'un de l'autre lorsque Hyungwon avait convaincu Jeonghan que Jisoo était une mauvaise influence, mais malgré ça, Jisoo l'avait accueilli à bras ouverts et tout était redevenu comme avant. Ils avaient recommencé à se voir souvent, à sortir boire un coup de temps en temps, à se raconter des histoires aux pauses café et surtout à reprendre leur relation là où ils l'avaient laissée.
Mais est-ce qu'aujourd'hui il allait réussir à en faire de même?
C'est sur cette question que Jeonghan arriva devant le commissariat et ce qu'il vit ne l'enchanta pas du tout. Devant le bâtiment se dressaient des journalistes et des reporters de chaînes différentes. Jeonghan les avait comptés à la vitesse de la lumière, ils étaient vingt-cinq et ils étaient accompagnés d'une foule de gens avec des bannières. De là où il était, Jeonghan n'arrivait pas à voir ce qu'il y avait écrit dessus, mais en avançant de cinq mètres, il arriva à distinguer un nom et un visage imprimé sur les affiches.
Min Jaehwan.
- C'est une blague...
Ce genre de chose n'arrivait que très rarement chez eux. C'était arrivé à d'autres commissariats dans le pays, mais la dernière fois qu'une horde de journalistes s'étaient attardés devant les portes du bâtiment, ce fut lors de la semaine qui suivit le douze octobre. Jeonghan eu comme un flash dans son esprit.
Une annonce. Une chambre d'hôpital. La morgue. Un enterrement. Une baignoire remplie de flacons vide. Une marche blanche. Des journalistes à n'en plus finir. Une poursuite judiciaire interminable. Des disputes. Un deuxième enterrement. Un tribunal. Le divorce.
Jeonghan fut pris d'une bouffée de chaleur. Il n'allait pas du tout apprécier ce qui était sur le point de se passer. Il hésita à appeler quelqu'un depuis le commissariat pour venir le chercher mais il se rendit compte que c'était totalement inutile. Ceux qui étaient déjà à l'intérieur devaient être bien contents d'y être et ils n'allaient sûrement pas en ressortir. Un seul choix se présentait à lui: essayer de rentrer dans le commissariat en ayant le moins d'interactions possibles.
L'idée était simple, l'exécution le fut moins.
À peine commença-t-il à se faufiler entre les gens qu'il fut directement interpellé.
- Est-ce que vous travaillez sur l'enquête concernant la mort de Min Jaehwan?
- Je suis désolé, j'essaye juste de rentrer à l'intérieur.
- Est-ce que vous avez quelque chose à dire sur l'enquête?
- Non, j'aimerais juste passer s'il vous plaît.
Des flashs de caméras. Le brouhaha devient de plus en plus conséquent. Jeonghan n'arrive plus à compter les gens autour de lui.
- Est-ce que vous avez au moins un suspect?
- Je-
- Pensez-vous que la police aurait besoin de plus de moyens pour résoudre les enquêtes comme celles-ci?
- Non je-
- L'assassin est-il toujours en liberté?
Les bruits des personnes autour de lui ne font qu'augmenter. Les flashs des caméras l'éblouissent, il n'est même plus sûr d'aller dans la bonne direction.
- Le pays est en deuil suite à cette perte, est-ce que vous avez un message à faire passer pour rassurer les foules?
- Je veux juste-
- Pourquoi est-ce que l'enquête prend autant de temps selon vous? Qu'est-ce qui vous empêche d'avancer?
Le monde commence à tourner autour de lui. Il n'a plus d'équilibre. Il ne sait plus où il est. Jeonghan est au bord de la crise. Puis au moment où il sentit le malaise arriver, une main attrapa son bras et le fit entrer à l'intérieur.
Et le silence fut de retour.
Jeonghan ne se reconnecta que lorsqu'il fut assis dans un fauteuil à l'accueil, un verre d'eau à la main. Il y avait trois personnes devant lui: Seungkwan qui bien évidemment tenait l'accueil, Wonwoo qui lui avait apporté un verre d'eau depuis le distributeur et son sauveur de la matinée, Soonyoung.
- Ça va? T'es avec nous?
- Je... Oui... Oui, non ça va... Balbutia-t-il.
- Sûr? Demanda Soonyoung.
- Oui. Merci de m'avoir tiré de là.
- Y a pas de quoi.
Jeonghan termina son verre d'eau et se redressa un peu. Il avait comme des picotements dans les joues et dans les mains. Une seconde de plus passée dans cette foule et il se serait écrasé au sol.
Il compta neuf secondes dans sa tête avant de prendre la parole.
- Comment ça se fait qu'il y ait tout ce bordel là? Il est même pas huit heures...
- Mingyu a fait un discours médiatique de merde hier soir et maintenant on en subit les conséquences.
Le ton de Soonyoung était aigre. Jeonghan ignorait si sa phrase était réellement fondée sur la vérité ou si ce n'était que le fruit de son mépris pour Mingyu, mais dans tous les cas ça ne le surprit pas. Quand bien même Mingyu avait été majeur de promo, la communication n'avait jamais réellement été sa tasse de thé. Il était compétent, il ne voulait juste pas mettre d'effort dedans.
Et aujourd'hui Jeonghan avait bien envie de lui faire bouffer sa nonchalance.
- Ah... Bon. Ça va durer combien de temps cette affaire?
- On a appelé du renfort de la gendarmerie, ça devrait être réglé d'ici quelques heures. En tout cas on pourra aller fumer nos clopes tranquilles à midi.
- Hm. En parlant de clope j'ai besoin d'en fumer une. C'est toujours ouvert la sortie vers le local poubelle?
- Oui, je t'accompagne. Répliqua Wonwoo.
Jeonghan se releva, remercia Soonyoung une dernière fois pour son sauvetage et Seungkwan pour sa compagnie et il marcha jusqu'au local accompagné de Wonwoo. Voilà longtemps qu'ils n'avaient pas fumé de cigarettes ensemble.
Wonwoo est arrivé au commissariat environ deux ans après Jeonghan. C'était un gamin compétant, d'un sérieux bluffant et d'une assiduité comme rarement ils avaient vu à son âge. Jeonghan n'avait jamais compris comment est-ce qu'il avait réussi à rester inchangé après toutes ses années. Il le jalousait sur ce coup-là.
- Je peux t'emprunter ton briquet? Demanda Wonwoo.
- Oui, tiens. Tu n'as pas le tien?
- Non, j'essaie d'arrêter.
Jeonghan regarda Wonwoo s'allumer sa cigarette et inspirer lentement la fumée. Il n'avait pas l'air de se raccrocher à cette fumée comme Jeonghan le faisait avec ses cigarettes. Pour lui c'était comme une bouée de sauvetage qui l'empêchait de se noyer; pour Wonwoo ça semblait être seulement un effet d'habitude.
- C'est à cause de ta copine?
- Sana? Oui et non. Comme elle est dentiste je me bouffe le même discours à chaque fois que j'en allume une sur comment mes dents vont finir en mauvais état mais ça ne la dérange pas tant que ça. C'est plus parce que ça ne me sert plus trop à rien. J'ai commencé à fumer un peu par pression sociale, pour voir ce que ça faisait. Puis après quand j'ai eu le job ici, c'est juste devenu une habitude pour décompresser, même si c'était plus une excuse pour prendre des pauses et discuter avec mes collègues. Maintenant je le fais par automatisme mais ça ne m'apporte rien en plus. C'est juste compliqué d'arrêter du jour au lendemain.
- Mh. Je le sais bien...
Jeonghan n'avait jamais vraiment arrêté. Il avait fait une pause, pendant plusieurs années, puis après les premiers décès il avait recommencé à en fumer de temps en temps. Au final, le stress qui avait suivi le douze octobre l'avait bizarrement fait arrêter. Son corps avait développé une réaction presque allergique aux cigarettes après le décès de son père: il était pris de violentes nausées à chaque fois qu'il sentait l'odeur du tabac et bien souvent il finissait par vomir par terre lorsqu'elle était trop puissante. Irene lui avait dit que c'était un réflexe traumatique parce que Jeonghan fumait souvent avec son père et ça lui rappelait sa mort à chaque fois. Jeonghan aurait bien voulu lui dire que c'était de la merde parce qu'aujourd'hui il fumait normalement et son corps réagissait comme d'habitude.
- Pourquoi t'as commencé toi, déjà?
Hyungwon.
- Même chose. Pression sociale.
La pression sociale était venue d'une seule personne. Hyungwon fumait tous les jours dans leur appartement et comme Jeonghan ne pouvait pas le convaincre d'arrêter, il s'était convaincu de commencer pour que ça le dérange moins. Sa santé s'était dégradée très rapidement mais il avait fait l'aveugle, il s'était dit qu'il le faisait par amour.
Jamais quelqu'un dans un bon état d'esprit ne choisirai de se tuer par amour.
Mais il avait été obsédé par un besoin de validation constant de la part de Hyungwon. Il aurait fait n'importe quoi pour lui. Il y eu une période où si Hyungwon lui avait demandé de se jeter par la fenêtre, Jeonghan l'aurait fait.
- Bref tu as des nouvelles pour-
- Oh tiens, vous êtes là vous?
La phrase de Jeonghan avait été interrompue par l'arrivée impromptue de Seokmin par la porte du local. Ils se croisaient plus souvent sur cette enquête que sur les précédentes mais au final ça ne dérangeait pas Jeonghan. Seokmin était un gars compétent dans son domaine et parfois Jeonghan s'étonnait de le voir affilié à leur commissariat alors qu'il aurait très bien pu travailler pour les services secrets en vue de son niveau.
- Ça vous dérange si je me joins à vous? Demanda-t-il.
- Non, pas du tout. T'as besoin de feu?
- Non merci, j'ai ce qu'il me faut. C'est le bordel dehors hein?
- Hm. Faute de Mingyu apparemment. Ils devraient être partis d'ici la pause midi selon Soonyoung mais on verra bien.
- Je vois.
Une minute et trente-six secondes se déroulèrent dans le plus grand des silences. Ils profitaient tous de cette pause matinale avant de réellement commencer leur journée. Et leurs journées étaient de loin reposantes. La fouille interminable des documents et les appels peu fructueux leur donnaient l'impression de patauger dans la boue mais ils gardaient espoir.
- On parlait de comment on a commencé à fumer. D'ailleurs je savais pas que tu fumais toi aussi. S'adressa Wonwoo à Seokmin.
Jeonghan le savait. Il l'avait vu à plusieurs reprises avec une cigarette à la main, même si Seokmin était toujours discret quand il fumait. La raison pour laquelle il faisait ça restait inconnue à ce jour mais Jeonghan l'avait remarqué. Il remarquait tout.
Parfois ça lui faisait mal au crâne.
- J'ai commencé assez jeune, mon frère passait ses journées à fumer.
Jeonghan fronça ses sourcils. Ça, c'était une nouvelle information pour lui.
- Je ne savais pas que tu avais un frère.
- Ah ça... J'ai du mal à parler de lui depuis qu'il est décédé.
Le souffle de Jeonghan se retint.
Il venait de merder.
- Je suis désolé, je ne voulais pas-
- Non, non ne t'excuse pas, c'était pas intentionnel... Il est tombé dans la drogue assez jeune, c'est à cause de ça qu'il est décédé. J'étais très proche de lui mais je n'ai pas réussi à le sauver... C'est en partie pour ça que j'ai rejoint la police, pour que je puisse empêcher ce genre de chose d'arriver à d'autres personnes...
Tout d'un coup, le visage de Jeonghan se crispa. Il se rendit compte qu'il avait un peu trop cherché à analyser cette fois. Ça lui arrivait de temps en temps, de vouloir avoir réponse à tout, quitte à mettre les gens mal à l'aise. Son cerveau avait besoin d'aller au bout de ses réflexions, de connaître chaque détail, chaque petite information qu'il pouvait obtenir.
Une obsession.
- C'est admirable de ta part. Mes condoléances...
- Ça fait des années maintenant, mais je t'en remercie. Bon, j'ai un peu plombé l'ambiance, pas vrai?
- Ne t'en fais pas, elle est toujours plombée. De toute façon quand tu bosses ici tu ne peux pas rayonner de positivité, c'est un fait. Enfin bref, je vais remonter. Bonne journée à vous.
Ses collègues le saluèrent et Jeonghan se rendit à son bureau avec un poids sur son cœur. Il détestait la manière dont son cerveau marchait; toujours en constante ébullition. Il ne s'arrêtait jamais de penser. Il comptait tout, observait tout, apprenait tout ce qu'il pouvait. Mais il détestait ça. Jamais il n'arrivait à réellement se reposer. Même lorsqu'il était calme ou qu'il ne faisait pas grand chose, son cerveau trouvait toujours une occupation, un peu comme s'il était une entité à part.
Parfois Jeonghan avait envie de tuer cette entité.
Il voulait ouvrir sa tête comme on ouvrirait une conserve, prendre son cerveau dans ses mains, mettre un coup de pied dedans comme on frappe un ballon de football, puis hurler de toutes ses forces et n'entendre que le silence en retour.
Mais faute de moyens il se contentait de fumer des cigarettes chaque jour et de prendre ses cachets de prozac. Actuellement il venait d'en avaler un avec le café qu'il venait de récupérer à la machine présente dans le couloir en prévention à la longue journée qui allait se présenter à lui. Il voulait absolument décortiquer tous les dossiers traitant de l'affaire de Minhyuk, même si ça voulait dire y passer des heures. Alors il prit place à son bureau et commença son travail.
Jisoo lui avait envoyé toutes les archives électroniques qu'il possédait et Jeonghan avait récupéré les versions papiers de certains documents dans la matinée. Il détestait le faire, mais c'était une nécessité pour comprendre le motif du tueur.
Pourquoi est-ce qu'il en avait après lui en particulier? Pourquoi avoir choisi Minhyuk comme première victime?
Minhyuk était un ami d'enfance que Jeonghan avait perdu de vue après le collège. C'est pendant ses années désastreuses avec Hyungwon qu'ils avaient repris contact. Pendant ses études de droit, Jeonghan vivait toujours avec Hyungwon mais parfois leurs disputes devenaient trop importantes et Jeonghan partait pendant plusieurs jours se réfugier chez Minhyuk. D'habitude il allait chez Jisoo, mais à cette époque son meilleur ami n'avait qu'une petite chambre étudiante et il n'y avait pas beaucoup de place. Minhyuk en revanche avait un bien plus grand appartement alors il était devenu son colocataire non-officiel. Leur situation avait duré plusieurs années jusqu'à ce que Jeonghan entre dans la police et quitte définitivement Hyungwon, suite à quoi il s'était enfin trouvé un appartement à lui.
Hyungwon.
Bizarrement, son nom ne faisait que revenir dans sa tête. Mais pas parce qu'il pensait à lui, plutôt parce que Hyungwon connaissait Minhyuk. Il savait que Jeonghan allait toujours chez lui lorsqu'ils se disputaient. Pourtant entre leur rupture et le meurtre, il s'était écoulé huit ans; c'était un trop gros délai pour faire de lui un suspect.
Mais il ne pouvait jamais être trop sûr.
Minhyuk s'était fait assassiner chez lui. Selon les estimations de la police scientifique et des enquêteurs, le tueur serait rentré par la porte du garage après le passage d'une voiture et aurait tout simplement pris l'ascenseur depuis l'intérieur; une procédure qui ne lui a pas nécessité d'être en possession d'une clé. De là, il aurait sonné à la porte puis, dès que Minhyuk aurait ouvert, il l'aurait endormi au chloroforme dont ils avaient retrouvé des traces sur son visage. Le tueur aurait ensuite pris les clés de Minhyuk, aurait fermé la porte, serait redescendu dans le garage, lieu où il l'a décapité avec un couteau de boucher d'un geste sec, sans aucune hésitation visible.
Un acte inhumain.
Le corps de Minhyuk avait été retrouvé dans son garage trois jours après sa mort. Sa tête, livrée sur le palier de Jeonghan et Seungcheol, avait été conservée dans un congélateur pendant ces trois jours selon les rapports d'autopsie. Elle était encore fraîche lorsque Jeonghan avait ouvert la boite. Mais le pire dans cette histoire était que la tête de Minhyuk avait été livrée avec un sourire toujours présent sur son visage. Le tueur avait étiré les coins de sa bouche et était resté au moins une heure dans la même position afin que les muscles du défunt restent figés.
Parfois Jeonghan voyait encore ce sourire dans ses cauchemars.
Minhyuk n'avait rien fait pour mériter un sort aussi affreux et Jeonghan s'en voulait tous les jours. C'était de sa faute si Minhyuk était mort et il ne savait toujours pas pourquoi le tueur en était venu à des tels actes pour attirer son attention. Ce meurtre était clairement une menace envers lui, comme tous les autres meurtres qui ont suivis, mais dans quel but est-ce que le tueur agissait si ce n'était pas pour le tuer lui? Si c'était le cas, il l'aurait fait depuis longtemps, les opportunités étaient infinies. Mais là, il s'agissait très clairement d'autre chose: d'une vengeance, d'une menace, d'un jeu.
Jeonghan ne savait pas s'il était prêt à jouer, mais il était déterminé à trouver l'identité du maître caché derrière.
Il passa sa journée entière à décortiquer les rapports, à analyser chaque mot, chaque élément qui pouvait lui donner une potentielle piste jusqu'à se rendre compte qu'il était déjà bien tard.
Il était presque vingt-et-une heures lorsque Jeonghan s'arrêta enfin de travailler. C'était son appétit qui l'avait ramené à ses esprits lorsque son ventre gargouilla avec insistance. Il rassembla alors ses affaires et descendit à l'accueil où il croisa Seungkwan.
- T'es encore là à cette heure-ci toi? Je pensais que Seungcheol était le dernier. S'étonna son collègue.
- Seungcheol? Demanda-t-il, soudain curieux d'entendre son nom.
- Oui, il vient de partir à l'instant. Mais lui c'est normal, il fait ça tous les mardis quand il va à l'autre appart'.
Les sourcils de Jeonghan se froncèrent légèrement. Seungcheol voyait-il quelqu'un d'autre depuis leur rupture? Il eut comme un pincement inconscient au coeur.
- Quel appart'?
- Votre... Ancien appartement?
Cette fois-ci, Jeonghan fronça davantage les sourcils. L'atmosphère se tendit d'un coup. Quelque chose n'allait pas, Jeonghan sentait venir la chose et il n'était pas certain d'en apprécier le résultat.
- Comment ça notre ancien appartement?
- Celui dans lequel vous viviez tous les deux, celui devant la banque. Seungcheol y va tous les mardis soir.
- Seungkwan c'est impossible, on l'a vendu et j'ai touché la somme qui m'était due, c'était dans notre contrat de divorce.
- Ah bon? Bah pourquoi il-
Seungkwan s'interrompit tout seul. Il plaqua sa main sur sa bouche comme un enfant qui venait d'avouer un secret par accident. Sa respiration resta en suspens pendant trois secondes et pendant ses trois secondes, le cerveau de Jeonghan fit le calcul dans sa tête. Lorsqu'il comprit enfin, il se tourna vers son collègue et s'approcha de lui très lentement, le regard fixe. Seungkwan se sentit presque en danger à ce moment-là. Parce que lorsque Jeonghan était énervé contre Seungcheol, ce n'était pas pareil que lorsqu'il était simplement énervé, non. Jeonghan n'avait aucune limite dans ce genre de moment.
- Putain, je crois que j'ai fait une connerie... Murmura Seungkwan.
- Seungkwan. Tu vas être très honnête avec moi d'accord? Depuis quand est-ce que t'es au courant ?
- Euh... C'est Seokmin qui l'a remarqué par accident l'année dernière parce que l'adresse était dans sa base de données et il a cru que c'était une erreur du coup il en a parlé à table de manière normale sauf que Seungcheol a très bizarrement réagi et on a compris que c'était pas une erreur... Je pensais pas vraiment que c'était quelque chose de secret parce que j'ai juste pensé qu'il t'avait remboursé une partie de l'argent mais qu'il gardait l'appart' pour... Je sais pas, le louer ou quelque chose du genre, c'est pour ça que j'ai pas pensé à te le dire mais je te jure que si j'avais-
- Il vient de partir tu as dit?
- Il est littéralement parti avec sa voiture au moment où tu es sorti de l'ascenseur... Mais Jeonghan je-
- Je vais péter un câble. Bonne soirée Seungkwan.
Le trajet se déroula en un clin d'œil. Du moment où il partit au commissariat au moment où il arriva devant son ancien immeuble, ce fut le blanc total, comme un claquement de doigts. Il n'avait pas eu besoin de taper l'adresse dans son GPS, il avait fait ce trajet des centaines de fois pendant des années et lorsqu'il était revenu s'installer à Séoul pour l'enquête il avait hésité à y aller, juste pour voir ce que l'immeuble était devenu. Mais voilà que les circonstances l'avaient ramené ici aujourd'hui.
Il était allé tellement vite sur la route qu'il avait réussi à entrevoir la silhouette de Seungcheol dans l'ascenseur de l'immeuble avant que les portes ne se referment. Par un coup de chance, une voisine sortait au même moment et Jeonghan pu rentrer et se précipiter dans les escaliers pour essayer d'arriver au sixième étage avant l'ascenseur. Il n'était pas quelqu'un d'athlétique pourtant lorsqu'il atteint le sixième palier, il tomba nez à nez avec Seungcheol qui était sur le point de rentrer sa clé dans la serrure de la porte.
- Jeonghan? Qu'est-ce que tu fais là?
Blanc.
Jeonghan se rendit compte qu'il n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il se trouvait là, en ce moment précis, face à Seungcheol. Il ne savait pas pourquoi il était énervé, ni pourquoi il avait couru jusque-là, quitte à être au bord de la crise d'asthme juste pour arriver en même temps que lui.
Seungcheol avait racheté l'appartement.
Et?
Qu'est-ce que ça voulait dire? Qu'elle raison est-ce que ça lui donnait d'aller le voir pour lui exiger des explications?
Maintenant il était trop tard pour s'en aller, Seungcheol avait les yeux rivés sur lui, une expression de surprise sur son visage. Il devait assumer ses actes. Et pour ne pas être le plus stupide des deux, il allait faire de tout son possible pour au moins paraître comme étant le plus raisonnable d'entre eux. Peut-être que s'il arrivait à convaincre Seungcheol que son comportement à lui était plus étrange que le sien, il allait pouvoir dormir avec une conscience plus légère.
- Pourquoi est-ce que t'as encore cet appart'?
La bouche de Seungcheol s'ouvrit et se referma plusieurs fois. Il ressemblait à un poisson. Le bras de Jeonghan se mit à le gratter de manière insupportable, son esprit commença à faire du bruit.
- Je...
- On s'était mis d'accord pour le vendre, j'ai récupéré l'argent, comment est-ce que t'as pu le racheter? On l'a vendu à trois fois la somme avec laquelle on l'avait acheté et à moins que t'ai fait un prêt monstrueux à la banque, y a aucun moyen que t'ai pu le récupérer.
Seungcheol fixait Jeonghan comme s'il était complètement cinglé.
Ahurissant.
- Pourquoi est-ce que t'as besoin de savoir? Comme tu as dit, l'appartement à été vendu et tu as touché l'argent, en quoi ça te regarde si je l'ai racheté ou pas?
Seungcheol avait toujours une longueur d'avance quand il s'agissait de comprendre Jeonghan. Parfois Jeonghan se demandait même s'il ne le comprenait pas mieux que lui se comprenait lui-même. Parce qu'à cet instant, Seungcheol avait compris où Jeonghan voulait en venir, pourquoi il agissait comme ça. Il avait compris que Jeonghan voulait rejeter la faute sur lui, le rendre le plus mesquin, le plus toxique, le plus détestable des deux.
- C'était notre appart'. Je voulais savoir ce qu'il était devenu et quelles raisons t'ont poussé à faire ça. T'as déjà un appart' et avec ton salaire actuel tu viens de t'endetter jusqu'au cou pour quoi? Qu'est-ce que tu viens y faire tous les mardis? Tu t'envoies en l'air avec quelqu'un? Tu te drogues? Tu pleures?
- J'arrose les plantes.
Le silence qui suivit sa phrase fut atrocement bruyant.
- Tu te fous de ma gueule.
- Jeonghan-
- Tu t'es endetté en rachetant notre ancien appartement je ne sais comment pour arroser des fleurs chaque semaine?
Seungcheol soutenait son regard et ce n'était pas une bonne chose. Parce qu'à chaque seconde qui s'écoulait, Seungcheol s'immisçait un peu plus dans son subconscient et brisait petit à petit sa coquille. Et Jeonghan refusait catégoriquement que ça arrive.
- Oui.
Et Seungcheol tourna ses clés et poussa la porte d'entrée. Cette seule action dévora Jeonghan de l'intérieur. Seungcheol allait le laisser là, sans réponses, sans matière à donner à son obsession. Mais il voulait savoir, il devait savoir. Il voulait savoir pourquoi Seungcheol s'accrochait à cet appartement, pourquoi depuis son retour à Séoul il cherchait à lui parler et à prendre de ses nouvelles comme si de rien n'était, comme s'ils ne s'étaient pas mutuellement détruits pendant une année entière.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, Jeonghan se senti vulnérable.
- Dis moi Jeonghan, pourquoi est-ce que tu cherches tant à ce que je te déteste?
Le temps semblait s'être arrêté alors que la phrase de Seungcheol résonna dans la cage d'escaliers. La porte était entrouverte, Seungcheol était tourné vers lui et Jeonghan se sentit tout d'un coup très con. Seungcheol avait dit tout haut ce qu'il ne voulait pas entendre.
Parce qu'en réalité, engueuler Seungcheol pour l'appartement n'était qu'une excuse pour cacher la véritable raison de ses actions.
Il voulait que Seungcheol le déteste.
Il voulait qu'il le prenne pour un fou, qu'il ne puisse plus supporter d'être dans la même pièce que lui, de regarder dans sa direction ou même de penser à sa personne. Il voulait que Seungcheol l'oublie, qu'il enterre tous les souvenirs qu'ils avaient partagé ensemble et qu'il ne prononce plus jamais son nom. Et la seule raison de cette décision?
Il ne voulait plus que Seungcheol lui donne une raison de l'aimer à nouveau.
Une larme dévala silencieusement la joue de Jeonghan, tandis que sa bouche s'ouvrit pour parler. C'était le brouhaha dans son cerveau, il n'arrivait plus à penser à quoi que ce soit de cohérent à par un seul nom.
- Seungcheol je-
Le fin de la phrase de Jeonghan resta en suspens à tout jamais.
Car l'appartement de Seungcheol explosa.
***
Boo. :)
Bon bah la fin était plutôt explosive, hein? (je me tape une barre vous avez pas idée) mais bref, pas de panique, c'est pas la fin de l'histoire parce que ça serait hyper bâtard de faire ça et que ça n'a aucun interêt, woo!
Sinon blague à part, le chapitre a prit une tournure totalement différente de ce que j'avais imaginé à la base pour cette scène de fin mais je suis plutôt contente de la manière dont elle s'est terminée (pas l'explosion hein, je parle des réalisations de Jeonghan) parce que ça permet de donner un peu plus de contexte (c'est faux) à leur relation et à la manière dont ils se perçoivent trois ans après le divorce. :) Encore et toujours des flashbacks pour mieux comprendre la relation entre Hyungwon et Jeonghan et aussi la mort de Minhyuk parce que c'est nécéssaire, j'espère que ça vous perd pas trop, j'essaie de faire au mieux pour que ça soit compréhensible tout en laissant intentionnellement des parties de flou pour pas tout dévoiler d'un coup hehehehehe
Bon je m'excuse de la fin mais vous allez tout comprendre au chapitre suivant, ne vous en faites pas! J'espère quand même que ce chapitre vous a plu et qu'il n'a pas été trop lourd (même si celui d'avant l'était bien plus eurk ://)
En attendant le prochain chapitre prenez soin de vous et couvrez-vous parce qu'il commence à faire bien froid!
- Dru :)
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