• Graves •

9 heures, l'alarme sonna.

On était samedi et le samedi, Jeonghan pouvait s'accorder deux heures de sommeil supplémentaires par rapport à ses horaires habituels. De toute manière, son réveil naturel se faisait aux alentours de cette heure-là, qu'il mette une alarme ou non. Être en weekend aurait pu être synonyme de rester au repos, mais pas pour Jeonghan. Il avait toujours quelque chose à faire et si ce n'était pas le cas, il trouvait quelque chose à faire de nouveau. Il détestait ne rien faire. Le bruit de télévision statique dans son esprit ne faisait que monter en volume s'il ne faisait rien alors c'était un besoin vital de faire quelque chose. Il était comme un robot, programmé automatiquement à réaliser des tâches qu'il n'avait même plus la foi d'accomplir.

C'est pourquoi contrairement à une grande majorité de la population qui était actuellement en train de manger son petit déjeuner devant le téléshopping ou qui en profitait pour dormir un peu plus que d'habitude, Jeonghan se servit son éternelle tasse de café avec un quartier de pomme et une pilule de Prozac, puis il se posa à sa table, dossiers en main.

Il relut chaque mot présent dans le document avec minutie, cherchant à lire entre les lignes. Depuis son arrivée, l'enquête n'avait pas bien avancé. Ils avaient fait des mandats, avaient reçu les autorisations, avaient lancé des appels à témoins, mais ils n'avaient pas obtenu grand chose en retour.

- Tétrodotoxine... Pourquoi dans des gâteaux..?

Jeonghan s'était renseigné plus en détail sur le poison qui avait été retrouvé dans le corps des victimes. La tétrodotoxine était si puissante qu'il n'en fallait qu'une très faible dose pour paralyser totalement une personne adulte en moins d'une heure et pouvait tuer en tout autant de temps si un antidote n'était pas administré dans les plus brefs délais.

Les victimes s'étaient toutes les deux éteintes environ une heure après la présumée ingestion du poison selon les estimations du légiste. Ce qui voulait dire que le tueur avait calculé avec une sacré bonne minutie l'instant exact pendant lequel les cibles allaient manger les gâteaux empoisonnés. Pour la plus vieille des victimes, il avait sûrement dû noter l'heure à laquelle son infirmière à domicile s'en allait de chez elle pour profiter complètement de la retraitée sans être dérangé et avant qu'elle ne soit endormie. Il avait fait preuve d'encore plus d'assiduité avec l'autre victime. Il avait dû calculer le temps exact que la victime mettrait pour rentrer chez elle de sa course et estimer l'endroit où il allait lui proposer une part de gâteau pour que la paralysie pénètre dans son corps seulement une fois rentrée chez elle.

Quelqu'un avait sûrement dû voir quelque chose. Une silhouette placée devant l'immeuble de la retraitée tous les jours, où qui par coïncidence empruntait le même chemin que la coureuse qui traversait le parc tous les dimanches en fin d'après-midi.

Jeonghan n'aimait pas les appels à témoins parce qu'ils étaient terriblement frustrants pour lui. Il ne comprenait pas comme les gens ne pouvaient pas prêter autant attention à ce qui les entourait. Jisoo lui répétait souvent que c'était sûrement à cause de la nature de son travail que Jeonghan était devenu hyper-focalisé sur tout ce qu'il y avait autour de lui, mais Jeonghan était positif sur le fait qu'il faisait ça depuis son plus jeune âge.

Il s'étira et prit une gorgée de son café.

Dans le rapport du légiste, la toxine avait en effet pu être déterminée comme étant la cause des morts une fois découverte mais si l'hypothèse n'était jamais ressortie, ils auraient considéré ça comme un effet d'une pathologie neurologique non diagnostiquée. Il restait tout de même ses initiales sur le Tupperware qui reliait cette affaire à celle de Minhyuk alors d'une manière ou d'une autre, ils auraient tout de même éloigné la possibilité d'une pathologie pour se tourner vers la voie criminelle.

Jeonghan dû fermer les yeux pour se concentrer de nouveau. Maintenant qu'il avait pensé à Minhyuk, les images de l'affaire lui remontèrent à l'esprit.

Personne n'avait sonné à la porte ce jour-là. Le criminel avait déposé la boite sur son palier à un moment donné et avait patiemment attendu que Jeonghan aille descendre les poubelles pour qu'il découvre son cadeau si gentiment emballé.

La première chose qui l'avait interpellé était l'odeur. Au début, il avait cru que ça venait du sac poubelle qu'il tenait dans sa main, mais il ne lui avait fallu que trois secondes pour se rendre compte que ce n'était pas le cas. Il connaissait très bien cette odeur.

C'était celle de la mort.

Il l'avait reconnue et pourtant il avait quand même ouvert le carton. Parce qu'au fond de lui quelque chose s'était allumé: une curiosité morbide qui le poussait au plus profond de ses entrailles à ouvrir cette boîte. Il était conscient qu'il allait le regretter. Il l'avait quand même fait.

Jeonghan se souvenait encore de la manière dont il s'était reculé en soulevant les pans de la boîte. Il se souvenait des centaines de mouches qui s'étaient envolées autour de lui. Jeonghan n'avait jamais apprécié les mouches. Il les avait viré d'un geste vif, puis il avait posé son regard sur le contenu de la boîte.

Le hurlement qu'il avait lâché à ce moment-là avait glacé le sang de l'immeuble entier.

Jeonghan avala sèchement et termina son café en une seule gorgée. Il fallait qu'il efface ces images de son esprit. Il reprit une seconde pilule de Prozac pour la route et se replongea dans ses documents.

Deux heures passèrent sans qu'il ne s'en rende compte. C'est seulement quand l'interphone sonna qu'il releva la tête de ses dossiers. Sur le petit écran, il reconnut la silhouette de Jisoo et lui indiqua le huitième étage. Il était tant focalisé par son enquête qu'il en avait presque oublié leur arrangement d'hier.

Voir la silhouette de Jisoo sur son palier allégea son humeur. Peut-être que sa présence allait rendre sa journée un peu meilleure. Il l'accueillit dans son nouvel appartement et lui fit rapidement visiter ses quartiers.

- Bah dites donc, ils t'ont vraiment gâté à la préfecture. Déclara Jisoo.

- Hm. Je comprends toujours pas pourquoi ils m'ont payé un appart aussi grand mais je vais pas m'en plaindre. C'est agréable d'avoir de la place, c'est moins agglomérant et je peux mieux réfléchir.

Il était vrai qu'avoir un espace de vie plus aéré permettait à Jeonghan d'autoriser ses pensées à s'évader autour de lui. Et en ayant plus de place autour d'elles, elles embêtaient moins Jeonghan que dans son petit appartement à Busan.

- Bon, sinon c'est quoi le plan pour aujourd'hui?

- On va au cimetière, on mange quelque part, on va à l'hôpital et on continue l'enquête ensemble parce que je vais avoir besoin de toi pour des informations. Si tu veux je peux nous faire à manger ce soir.

Jisoo parut surpris de voir son ami prendre tant d'initiative pour quelque chose qu'il n'avait pas l'air si enthousiaste de faire. Il se garda de faire une remarque, surement pour ne pas décourager Jeonghan, il avait la fâcheuse habitude de le faire.

- Très bien. Qu'est-ce qu'on attend?

Il leur fallut cinq minutes cinquante sept pour se préparer et descendre récupérer la voiture de Jisoo. Jeonghan avait toujours aimé être sur le siège passager. Non pas qu'il n'aimait pas conduire, mais c'était tellement plus relaxant de ne pas avoir à se concentrer sur la route. Avant il réussissait même à s'endormir lorsque ses pensées le lui permettaient.

Et surtout lorsque c'était quelqu'un d'autre en particulier qui conduisait.

Mais aujourd'hui c'était Jisoo et il faisait très bien son boulot. En moins de vingt minutes ils trouvèrent une place de parking au bord du cimetière et ils se mirent tous les deux en route vers l'entrée du lieu. Jeonghan avait fait ce trajet tant de fois que c'était maintenant devenu mécanique de prendre la troisième allée sur la droite et d'avancer tout droit sans même prendre le temps de regarder autour de lui. C'était comme s'il faisait ses courses au supermarché et qu'il passait au rayon des produits laitiers pour acheter du beurre. Sauf qu'aujourd'hui le beurre qu'il achetait était sous la forme d'une tombe.

Quand bien même ça pouvait paraître morbide, se balader dans les cimetières était une activité que Jeonghan appréciait beaucoup. Même à l'époque lorsqu'il n'avait personne à qui rendre visite, il y allait quand même juste pour se promener. Ça le coupait du monde et c'était le seul endroit où il avait vraiment la paix. S'il avait envie de pleurer, il pouvait pleurer et personne n'allait le questionner. C'était son petit havre de paix qu'il avait chéri en grandissant.

Mais maintenant c'était de plus en plus difficile d'y retrouver la sérénité qu'il ressentait auparavant.

Il leur fallut trois minutes douze pour arriver vers la tombe qu'ils recherchaient. Jeonghan s'agenouilla et resta silencieux pendant un instant. Il plaça une main sur le marbre froid de la tombe puis se mit à parler.

- Salut papa...

Sur la plaque de marbre était inscrit "Yoon Jaehyuk, 14 décembre 1965 - 12 octobre 2020, à notre courageux héros et père aimant de retour parmi les anges". À côté, une petite photo en couleur affichait le portrait d'un homme dans sa cinquantaine, souriant.

Son père.

- J'aurais aimé te dire que ça va mieux qu'avant mais ça serait te mentir... Et tu es bien la seule personne à qui je ne peux pas mentir... Ils m'ont fait revenir à Séoul, tu y crois ça? J'avais dit que je ne remettrais plus jamais un pied ici pour le travail et regarde où j'en suis...

Jeonghan s'autorisa à laisser un rire ironique s'échapper de sa gorge. Donner des nouvelles à son père était à la fois l'activité la plus douloureuse et la plus libératrice qu'il n'avait jamais faite. Ça le soulageait de lui parler mais son cœur se serrait à chaque fois parce qu'il n'avait jamais de réponse en retour et il savait qu'il n'en aurait plus jamais une.

- J'ai croisé Jiah au supermarché avant-hier. Plus le temps passe, plus je me rends compte à quel point elle devient hideuse. Et je dis pas ça parce qu'elle s'est mis du Botox dans le visage, mais sa personnalité est devenue si intolérable que ça rend son visage encore plus laid. Tu es vraiment parti avant le désastre.

Il avait l'impression qu'il parlait comme un adolescent qui écrivait dans son journal intime. Mais il s'autorisait à le faire ici, dans le cimetière, parce qu'un parent restait toujours un parent et il restait toujours son fils peu importe où il se trouvait. Parfois il s'imaginait le fantôme de son père le prendre dans ses bras, même s'il ne le sentait pas. Il avait envie d'y croire parce qu'il n'avait rien d'autre à quoi s'accrocher pour rendre son deuil moins douloureux. Il avait envie de croire qu'il se souciait toujours de son état et qu'il l'aimait toujours autant, même de là où il était.

- Tu sais, je me dis que t'as quand même eu une sacrée chance de divorcer comme tu l'as fait. Parce que mon divorce à moi était un putain de fiasco papa. Je te l'ai déjà raconté mais j'arrêterai jamais de le répéter.

Son père et sa mère avaient divorcé quand Jeonghan avait trente ans. Ils étaient mariés depuis dix-huit ans et Jeonghan trouvait que c'était une bien trop longue période pour ce que leur relation avait vraiment été. Leurs dernières années passées ensemble s'étaient faites sous une pluie de disputes et d'arguments insensés, sans parler des tromperies de sa mère et des caprices financiers de son demi-frère.

Son père n'avait pas été aveugle à tout ce qu'il se passait autour de lui. Mais comme Jeonghan, il avait eut de l'espoir. Celui de conserver leur famille et de faire en sorte qu'elle reste fonctionnelle. Mais le temps n'avait pas arrangé les choses et il a fallu une annonce de Jeonghan pour que tout parte en vrille et que son père se rende enfin compte qu'il était bien trop tard pour arranger quoi que ce soit. Le divorce s'en est suivi puis son père coupa tous les ponts avec son ex-femme et Minki. Les années suivantes furent assez positives pour lui maintenant qu'il avait laissé une charge mentale en moins et Jeonghan était content de l'avoir plus que jamais à ses côtés.

Puis son père fut assassiné le douze octobre 2020, quatre ans après le divorce, d'une balle dans le crâne.

- Je dois travailler avec Seungcheol maintenant et les seules fois où on s'est croisés, ça n'a fini qu'en dispute ou en malaise. Je ne sais vraiment pas comment je vais m'en sortir mais je vais faire avec, je n'ai pas d'autre choix. En attendant, j'essaie de minimiser le contact avec lui le plus possible, mais ça va être bien compliqué... J'espère juste que les emmerdes s'arrêteront là parce que j'en ai déjà ras le bol. Je vais pas élaborer mais Minki est passé hier au commissariat pour me faire un scandale et disons que ça n'a pas arrangé notre relation.

Ça donnait la nausée à Jeonghan d'appeler ce qu'ils avaient "une relation". Jeonghan ne tolérait même pas de voir Minki et encore moins de lui parler. Ils avaient la même relation qu'un ouvrier d'abattoir en avait avec un veau.

- Sinon j'espère que tu te reposes un peu mieux que moi. J'essaierai de passer un peu plus souvent comme je suis là, mais je ne promets rien. En plus j'ai quelqu'un d'autre à visiter. Et ce n'est pas une compétition, mais il est un peu prioritaire comme il est toujours en vie. Bref. Je t'aime très fort, tu me manques énormément...

Jeonghan se pencha en avant pour saluer la tombe une dernière fois avant de se relever. Une larme avait coulé sur la cicatrice qui ornait sa joue droite.

- Tu as besoin d'un mouchoir? Proposa Jisoo.

- Non, c'est gentil. Par contre, je crois que je passerais voir Minhyuk à un autre moment dans la semaine. J'ai pas la force de le faire actuellement...

- Très bien. Tu veux aller manger maintenant?

Jeonghan réfléchit pendant six secondes, adressa un dernier regard à la tombe de son père puis se remit en marche en direction de la sortie.

- Oui, je veux bien.

Jisoo comprenait parfaitement Jeonghan et ce depuis plus d'une vingtaine d'années. Jeonghan se rappelait encore du jour où ils s'étaient rencontrés au lycée alors qu'ils n'avaient que quatorze ans. Ses cheveux descendaient jusqu'à ses épaules et sa cravate était toujours de travers tandis que Jisoo avait un appareil dentaire et un petit accent anglais dont il n'arrivait pas à se débarrasser.

" Je peux m'asseoir à côté de toi?"

"Ça dépend, est-ce que tu vas dire à la prof que je bois du lait à la fraise en cours de math?"

" Non, sauf si tu lui dis que je mange des céréales pendant son cours."

Jeonghan lui avait sourit, ils s'étaient serré la main, s'étaient échangé leurs prénoms et depuis ce jour là ils étaient devenus inséparables.

Parfois Jeonghan y repensait, à cette amitié qui était apparue de manière si soudaine et qui au final s'était avérée être son point d'encrage dans sa vie d'adulte. C'était toujours vers Jisoo qu'il se tournait quand quelque chose n'allait pas bien dans sa vie ou qu'il avait besoin d'un conseil et Jisoo l'avait toujours accueilli à bras ouverts. Et voilà que vingt-quatre ans plus tard c'était toujours le cas. La preuve puisqu'en ce moment même ils attendaient sur la terrasse d'un restaurant italien que leur repas arrive et ils ne s'étaient pas échangé une seule parole pour se mettre d'accord. C'était naturel pour eux. 

- Bon appétit!

- Bon appétit.

Après s'être rempli l'estomac d'une portion de pâtes contenant une dose ahurissante de fromage que Jeonghan prenait toujours à chaque fois qu'il sortait du cimetière, ils se dirigèrent vers leur seconde destination de la journée: l'hôpital central de Séoul.

Ces visites-là étaient toujours plus difficiles que celles au cimetière. Au moins au cimetière, il n'y avait plus rien qui pouvait être fait. À l'hôpital, c'était différent: chaque visite se faisait avec un peu d'espoir qui était généralement réduit à néant par les infirmières. Ce n'était pas de leur faute. S'il n'y avait rien qui pouvait être fait, c'était comme ça. Mais c'était frustrant.

C'est pour ça que Jeonghan entra dans la chambre 313 du bloc ouest sans attentes particulières. Jisoo le suivait de près, un pot de succulentes à la main qu'ils avaient acheté sur le chemin. Le silence de la chambre était comblé par le bip continu des machines. Machines auxquelles était reliée une silhouette allongée, mais surtout endormie depuis quatre ans.

Depuis le douze octobre.

- Salut Jihoon, on t'a apporté une petite plante.

Jeonghan ne reçut aucune réponse. Comme à chaque visite qu'il avait faite lorsqu'il venait à Séoul. Et celle-ci était sa quatre-vingt-douzième.

Il posa le pot à côté de tous les autres objets qui s'étaient accumulés au fil de ces quatre ans. Des lettres, des cartes, parfois des bouquets de fleurs, des plantes, des bibelots et encore plein de petites choses qui donnaient à la table un air plus vivant que son occupant.

Lee Jihoon, l'un des meilleurs enquêteurs de la préfecture de police de Séoul, était dans le coma depuis maintenant quatre ans, suite à un accident de voiture qui avait eu lieu lors de l'affaire du douze octobre.

Il n'avait pas été le seul impacté par cet accident: c'était Soonyoung qui était au volant de la Toyota qui avait fini dans un ravin.

Soonyoung s'était réveillé après une semaine. Jihoon n'avait jamais rouvert les yeux.

- On a parlé un peu aux infirmières, elles ont dit que ton état n'avait pas changé... C'est pas surprenant, juste un peu... Décevant...

S'il existait une solution pour réveiller Jihoon, Jeonghan aurait sacrifié toutes ses économies pour le faire. Une grande partie de ses collègues étaient du même avis. Jihoon avait toujours été quelqu'un d'extrêmement important au commissariat. C'était un élément inestimable de la préfecture, aussi acclamé par la réussite de ses enquêtes que Jeonghan lorsqu'il était à l'apogée de sa carrière. C'était d'ailleurs lui qui avait été sur le point de donner un nom de la plus grande importance à Soonyoung, quand leur voiture fut percutée sur le côté, vrillant de la route et tombant droit dans un ravin.

Si seulement cet accident n'était jamais arrivé, Jeonghan était convaincu que sa vie aurait pris une tournure différente.

L'affaire du douze octobre avait été classée, mais justice n'avait jamais été faite. Tout ça pour la simple et bonne raison que Jeonghan était cent-pour-cent sûr que l'identité du tueur n'était pas celle que tout le monde croyait. Sauf qu'il n'avait pas de preuves, puisque les preuves, c'était Jihoon qui les avait, mais elles étaient restées endormies comme lui. Le réveil de Jihoon aurait pu donner une toute autre perspective à l'enquête mais comme il ne s'était jamais réveillé, ce ne fut jamais le cas.

Alors personne ne le crut.

Voir Jihoon dans le coma était un sentiment très particulier pour Jeonghan. Certains jours, il avait envie de pleurer en le voyant. D'autres jours, il avait envie de le frapper et de le secouer pour qu'il se réveille. Parfois il avait juste envie de le prendre dans ses bras. Actuellement il regardait sa silhouette allongée, l'air paisiblement endormi. Ses cheveux noirs s'étaient allongés depuis la dernière fois et son teint pâle le faisait ressembler à un cadavre.

Le courant de sa vie dépendait de la survie de Jihoon alors à chaque visite qu'il lui rendait, Jeonghan espérait qu'on lui donne une bonne nouvelle. Mais il n'en avait jamais reçu une. On lui donnait toujours la même explication: coma profond, manque de réponse cérébrale dû au choc crânien et à l'hémorragie cérébrale que le patient a subi lors de son accident, état stable mais impossible de déterminer son réveil.

Il avait entendu cette phrase à pratiquement chacune de ses quatre-vingt-douze visites.

- On a ouvert une nouvelle enquête au commissariat, en lien avec celle de Minhyuk. Du coup je reviens sur Séoul à plein temps juste pour la résoudre. Ensuite je repartirai. T'as intérêt à te réveiller tant que je suis là, d'accord?

Comme d'habitude, c'était les bips continus des machines qui lui répondirent. Jeonghan avait entendu dans un article que les patients plongés dans le coma pouvaient entendre ce qu'il se passait autour d'eux. Et Jeonghan espérait de tout coeur que Jihoon entendait ses plaintes et qu'il faisait du mieux qu'il pouvait pour sortir de là.

- Bon, Jeonghan est un peu agressif, mais je pense qu'il veut juste que tu te réveilles. Comme nous tous... Tu nous manques beaucoup Jihoon et c'est le bordel sans toi... S'il te plaît, reviens vite...

Leur visite s'arrêta sur la phrase de Jisoo. De toute manière, ils ne pouvaient pas faire grand chose de plus à part peut-être passer plus de temps avec lui. Jeonghan en était incapable: il était convaincu que s'il restait plus d'une demi heure dans une pièce avec un Jihoon inconscient, il allait devenir fou. Son impuissance lui rongeait les entrailles.

Il rentra dans la voiture le cœur lourd. Le silence qui les accompagna pendant douze secondes fut interrompu par Jisoo.

- Ça va?

- Hm. C'est toujours difficile de le voir comme ça...

- Je sais. Mais il va se réveiller un jour, j'en suis sûr...

Jeonghan ne savait pas si son ami avait prononcé cette phrase pour le rassurer ou pour se rassurer lui-même. De l'espoir, c'était tout ce qu'il manquait. Quand bien même ils n'arrêtaient pas d'y croire, ils commençaient à être de moins en moins honnêtes avec eux-même. Peut-être qu'ils se voilaient la face pour éviter de sombrer encore plus dans la tristesse. Un enterrement était bien la dernière chose dont ils avaient besoin en ce moment.

- Bon... Tu veux qu'on aille chez toi?

- Oui, j'ai besoin d'un avis et d'informations de ta part pour l'enquête.

Jeonghan vit les doigts de son ami se serrer autour du volant. Avant même que Jisoo n'ait le temps de faire une remarque, Jeonghan reprit la parole.

- Je sais ce que tu vas dire mais j'ai besoin de m'occuper, Jisoo. Et on a tous besoin que cette enquête avance. Ça va aller, je sais comment prendre soin de moi.

C'était le mensonge le plus évident qu'il avait prononcé de toute sa vie. Jeonghan ne savait absolument pas comment se gérer, ni lui, ni ses émotions. Le dire à voix haute ne masquait pas la réalité, pas même un peu.

- Prendre plus de pilules d'anti-dépressifs que ce qui est indiqué sur ta prescription, ce n'est pas un moyen de prendre soin de toi, Jeonghan.

- C'est le seul moyen que j'ai pour aller mieux actuellement.

- Trouve toi autre chose.

- J'ai bien une autre idée en tête mais ça ne va pas te plaire.

- J'en ai rien à foutre. Tant que c'est pas ça ou t'ouvrir les veines dans ta baignoire ça m'est égal.

- Si je m'ouvre les veines dans ma cuisine ça va?

- Jeonghan!

- Pardon, pardon. Mais dans ce cas j'ai une petite course à faire avant de rentrer.

Et voilà qu'une demi-heure plus tard, ils se trouvaient tous les deux autour de la table du salon de Jeonghan devant des documents, tandis que Jisoo regardait d'un air mauvais son ami s'allumer une cigarette. Jeonghan n'eut même pas besoin de regarder Jisoo pour sentir le dédain sur son visage. Pour l'instant, il se concentra seulement sur la brûlure que procurait le bâtonnet de nicotine à ses poumons. Il n'avait pas touché à une cigarette depuis plus de sept ans et voila qu'il recommençait misérablement, jetant tous ses efforts à la poubelle. Il ferma les yeux pendant deux secondes avant de relâcher la fumée par ses narines.

- Tu es fâché? Demanda-t-il à Jisoo.

- Je ne suis pas fâché Jeonghan, juste déçu. Quand je t'ai dit de trouver un autre moyen que les médicaments ce n'était pas pour trouver une alternative qui te tue encore plus vite.

Jeonghan entrouvrit ses paupières pour croiser le regard de son ami. En effet, la déception était bien l'expression qui se lisait sur son visage.

- Je vais pas attraper de cancer Jisoo. J'ai fumé pendant huit ans avant d'arrêter, c'est pas en reprenant une cigarette de temps en temps que je vais tomber malade. Je vais être raisonnable.

- T'as acheté cinq paquets Jeonghan.

Les petites boîtes sur le comptoir de sa cuisine semblaient se moquer de lui. Jeonghan soupira puis tendit sa cigarette à Jisoo.

- Arrête de t'inquiéter et tire une taffe. S'il y a bien un truc qui risque de me tuer plus rapidement que les clopes et les médocs c'est ce tueur si jamais on ne l'arrête pas à temps.

Un roulement d'yeux et une taffe de cigarette plus tard, Jisoo se concentra de nouveau sur les documents étalés sur la table, ainsi que ceux sur l'ordinateur de son ami.

- La tétrodotoxine, je ne pense pas que ce soit la piste qu'on doit explorer en priorité. Commença Jeonghan.

- Pourquoi tu dis ça?

- Ça se procure facilement sur le marché noir ou chez des particuliers. C'est comme la drogue: peut être pas aussi répandue mais qui utilise le même moyen de vente et qui fait extrêmement attention à ses acheteurs. En somme, on risque de perdre beaucoup trop de temps à chercher là dedans. On va toujours continuer à faire des recherches mais je pense que ce qui est primordial c'est de se concentrer sur les victimes.

- Mhm. Je comprends ton point de vue, ça se tient. Qu'est-ce que tu veux aborder en premier?

Jeonghan prit un instant pour inspirer la fumée de sa cigarette en fixant le vide. S'il voulait résoudre l'enquête, il allait devoir rouvrir des plaies et se jeter à l'eau.

- J'ai besoin que tu me ressorte tous les documents sur l'affaire de Minhyuk dès que possible. Je veux tous les rapports, tous les mandats, tous les témoignages accessibles à tout moment. Il me faudra des copies. Je demanderai à Seokmin de m'envoyer les fichiers informatiques aussi. J'ai besoin de retourner en arrière et de me remettre en tête tout ce qu'il s'est passé au détail près. Et surtout de comprendre pourquoi on n'a jamais été capable de résoudre cette enquête.

L'ambiance dans la pièce s'était alourdie. Les cigarettes rendaient Jeonghan étonnamment plus vif d'esprit. Il savait exactement ce qu'il lui fallait, quand il le lui fallait et comment Il le lui fallait.

- Il n'y a aucun doute à avoir sur l'identité du tueur: c'est le même. Et s'il a laissé mes initiales derrière lui c'est pour se moquer de moi et pour nous prévenir qu'il est revenu.

Jeonghan zieuta le rapport envoyé par Mingyu sur sa boîte mail, mais en plus particulier les photos. Il toisa sévèrement les initiales inscrites sur le Tupperware en verre.

YJH.

Ces mêmes initiales avaient failli causer sa chute.

Au moment où l'enquête du meurtre de Minhyuk avait été ouverte, le premier suspect sur la liste n'avait été autre que Jeonghan. Puisque pour quelle autre raison ses initiales auraient été retrouvées sur le front de la victime?

Le nombre d'interrogatoires qu'il avait subi n'avait pas été si élevé, mais ça lui avait détruit toute sa confiance envers ses collègues.

Oui, ils avaient retrouvé ses initiales, mais aucun assassin n'était assez stupide pour laisser sa signature derrière lui et en plus de ça, signaler le meurtre qu'il avait lui même commis. En plus de ça, l'état émotionnel dans lequel Jeonghan avait été retrouvé lorsque le cadavre avait été saisi ne laissait pas de doute sur le fait qu'il était innocent. Même le plus talentueux des acteurs n'était pas capable de reproduire l'effroi pur qui s'était dessiné dans ses yeux. Et puis surtout Jeonghan avait un nombre incontestable d'alibis qui éliminait toute responsabilité dans cette affaire.

Pourtant ces réflexions n'avaient pas suffi à convaincre ses collègues. Quelques-uns l'avaient cru. Mais Mingyu lui avait expliqué que les règles étaient les règles et il n'avait pas d'autre choix que de se plier aux ordres de ses supérieurs.

Et pour se faire, il s'en était suivi une fouille complète de son appartement et de tous ses effectifs personnels. Les contenus de son téléphone, ordinateur et autres possessions lui appartenant avaient été scrutés avec minutie. Tous ses tiroirs, ses armoires et ses cabinets avaient été ouverts et vidés dans leur intégralité.

En une seule semaine il s'était fait dépouiller de sa vie privée, de sa confiance et d'un de ses amis les plus proches.

Après avoir enfin été réintégré à l'équipe suite plusieurs jours intenses, il s'était senti vide. Il n'avait plus d'endroit propre à lui, ils lui avaient dérobé son confort en accédant à tout ce qu'il possédait sans qu'il ne puisse s'y opposer.

La seule chose qui lui avait permis de garder la tête haute à ce moment-là avait été Seungcheol.

Lui aussi avait subi des interrogatoires, mais l'impact était incomparable au sien. Il était resté fort durant cette situation, bien que chamboulé de voir son partenaire dans un tel état après avoir subi une semaine cauchemardesque. Alors il s'était promis de l'accompagner dans l'enquête en restant à ses côtés à chaque instant pour s'assurer qu'il allait bien.

Il avait partagé sept ans de sa vie avec Seungcheol. Sept ans qui avaient commencé de la meilleure des manières possibles avant de finir en chute libre. Maintenant il n'était plus qu'une coquille, dénudée de toute affection quelle qu'elle soit.

Jeonghan frotta la base de son annulaire gauche.

Parfois il avait l'impression de toujours sentir son alliance dessus. Mais il était passé à autre chose maintenant. C'est ce qu'il essayait de se faire croire. Alors pour éviter de trop y penser, il se noyait de nouveau dans le travail. Et jusqu'à maintenant ça marchait plutôt bien.

- Tu sais quoi Jisoo? Cette fois-ci je ne vais pas laisser cet enfoiré disparaître à nouveau.

Si Jeonghan devait définir le moment qui l'avait fait vriller dans les recoins les plus obscurs de son âme, il répondrait sûrement le samedi 24 août 2020 : le jour où il a découvert la tête de Minhyuk sur le palier de son appartement. Il savait que ce moment-là allait rester gravé dans sa rétine jusqu'à la seconde où il allait rendre son dernier souffle.

- Le jour où je découvrirais qui est le responsable derrière ces actes, je te jure que je me vengerais.

***

Boo. :)

Voici le nouveau chapitre rempli de grosses backstories bien traumatisantes Parce que j'aime faire du mal à mes personnages :D (c'est pour le plot quoi !) Et je suis désolée pour tous mes Jihoon stans aussi :l

Mais sinon j'espère que ce nouveau chapitre vous aura plu quand même ! C'était un chapitre assez émouvant avec la scène du cimetière, j'espère que vous l'avez autant apprécié que moi :)

Je poste ce chapitre à 20h56 un 12 octobre depuis un restaurant, vous allez comprendre l'ironie de cette scène dans une quinzaine de chapitres lol

En attendant la suite, prenez soin de vous et je vous dit à bientôt !

- Dru :)

PS: happy 12 octobre lol

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