7b. Grand gagnant ?

À la base, je voulais juste être un peu sympa et m’amuser en le titillant avant d’enfin tirer mon coup.

Bon sang…

Comment j’en suis arrivé à jouer le chaperon ?

Je ravale mon agacement et vais vers lui en constatant qu’il crache toujours ses tripes. Je dégage ses cheveux humides de son visage en sueur et les maintient dans une queue de cheval. J’aurais préféré effectuer ce geste dans d’autres circonstances. Mais bon.

— Ça va, p’tite bouille ? je demande en lui frictionnant le dos.

Il se redresse, main posée sur son ventre, et hoche à peine la tête qu’il rebalance la sauce. Je lui tapote le dos comme un bébé. Il reste encore un moment penché en avant, certainement jusqu’à ce qu’il soit sûr que plus rien ne vient. Puis il se met à gémir.

— Orf... C’est la dernière fois que je bois.

— Tu diras la même, la prochaine fois.

Je le lâche en ricanant. Il s’essuie la bouche du revers d’une main, tout en agitant l’index de l’autre.

— Ah... Nan, nan, nan, j’en peux plus. Se acabó, nunca más, souffle-t-il, au bout de sa vie.

Je ricane un peu de sa mine déconfite. C'est la première fois que je l'entends parler espagnol et disons que, même si j'ai pigé que deux mots, la sonorité de cette langue a son petit effet. Je plonge mes mains dans les poches de ma veste et mon regard dans le sien.

— Tu te sens mieux ?

Il hoche la tête.

— OK. On y va, alors. Mais tu vomis pas dans la voiture, d’acc ?

— Moui.

Mh, rien n’est moins sûr que cette réponse. Je l’attrape quand même par les épaules et l’accompagne jusqu’à la portière passager, que j’ouvre pour le laisser s’installer. Je contourne ensuite mon bébé et y monte à mon tour. Je démarre à peine que mon boulet tripote le bouton du carreau.

— N’ouvre pas la vitre Nat, ça va encore te remuer.

— Oui mais... J’ai chaud !

— C’est un des nombreux effets de l’alcool. Bienvenue au club.

Je suis claqué, mais la fatigue prend pas le dessus sur mon calme. Je remonte simplement la vitre et allume la climatisation.

Un silence tranquille plane vite dans la caisse. Nathanaël somnole, la tête appuyée contre la fenêtre. Mon attention oscille entre la route et lui, tandis que je bats la mesure des raps français qui s’enchaînent à la radio. Je sursaute presque quand il se redresse dans un mouvement abrupt.

— Je crois que je vais encore vomir.

— Pas dans ma caisse !

— J’y peux rien... Roule moins vite, s’il te plaît, j’ai la tête qui tourne.

— D’accord. Mais tu dégueules pas dans ma voiture. Tu me préviens et je m’arrête. OK ?

Il pose la main sur sa bouche, opine et lâche à nouveau la tête contre la vitre.

Je sais bien qu’il pourra pas contrôler ses reflux, mais l’idée de devoir nettoyer son vomi de mes sièges en cuir ne m’enchante pas des masses. Alors je continue à le guetter par intermittence. Heureusement, l’autoroute est quasi déserte. Il reste que quelques kilomètres à bouffer jusqu’à la sortie de Neuilly-sur-Marne.

— On est presque arrivés, je le rassure alors.

— Pas chez moi ! beugle soudain Nathanaël.

Je sais pas quelle mouche le pique. Il se met à scruter par la fenêtre, comme s’il craignait que quelque chose nous tombe dessus.

— Tu ne me ramène pas chez moi, là, j’espère ! Impossible que mes vieux me voient comme ça, ou ma vie est fichue !

— Eh, calme. On va pas chez toi, Nat. Nathanaël...

Je me vois obligé d’insister face à son agitation persistante. Par chance, on vient de prendre la sortie. Je m’arrête en point mort au feu rouge et saisis son menton pour retrouver son attention.

— On va pas chez toi. T’entends, p’tite bouille ? On rentre chez moi.

— Chez toi ?

Il plisse le front. L’information doit avoir du mal à se frayer un chemin dans sa mer d’alcool. Donc je la lui reconfirme et le lâche pour embrayer quand le feu passe au vert.

— On va avoir du sexe ?

Je tourne le regard vers lui, pris de court. Il se penche dans ma direction avec un petit sourire en coin. C’est la ceinture de sécurité qui l’arrête.

Avant ce soir, Nathanaël ne s’est pas du tout montré entreprenant. Il paraît en général assez pudique et peu confiant. Mais l’alcool et les inhibitions...

Je finis par en rire après un léger flottement.

— Vu ton état, certainement pas.

— Mais t’as dit qu’on le ferait si je demandais. J’en ai envie et je peux être très persuasif, tu sais ?

Je lui jette un bref regard. Il incline légèrement la tête et me dévore des yeux en se mordillant la lèvre. Je soupire :

— J’en doute pas.

Son côté allumeur se grave dans un coin de ma tête, mais je m’efforce de me concentrer sur notre trajet.

— J’ai envie de faire pipi, Dédé.

Ben voyons ! Rien de tel pour faire chuter la tension sexuelle. Il fait trop marrer, ce mec.

— On est presque arrivés. T’iras à la maison.

— Je tiendrai pas jusque-là.

— Bien sûr que si.

Je glisse une main contre sa nuque pour encourager sa patience. Il soupire de bien-être, alors je le masse gentiment.

— Pourquoi moi, Déhon ? finit-il par murmurer.

— Comment ça ?

— Oui... Je suis sûr que tu peux avoir qui tu veux. Tu dois rencontrer plein de mecs comme Chasm, qui rêvent de combler toutes tes attentes. Alors pourquoi tu t’intéresses à moi ?

— Et pourquoi je m’intéresserais pas à toi ? je le taquine.

Les yeux luisants, Nathanaël recule pour mieux me disputer.

— Non, non, non ! Ça ne se fait pas de répondre à une question par une autre.

— Tu me l’as déjà dit, chou.

— Mais tu continues !

Je ris de bon cœur pendant que je me gare au pied de mon bâtiment.

— On est arrivés.

— Ah, enfin !

Il ouvre la porte et saute carrément de la voiture pour se trouver un buisson. En l’attendant, je verrouille mon Audi en m’assurant que les rétroviseurs se rétractent bien. Nathanaël termine vite sa petite commission et me rejoint.

— Je croyais qu’on allait chez toi, pas dans un restau. En plus, il est fermé. Heureusement que je n’ai pas faim.

Je me retiens de me bidonner.

— J’habite cette zone commerciale, Nat. Mon appart’ est au premier étage, juste au-dessus de la supérette.

— Oh, original, décrète-t-il en m’emboitant le pas.

— Ouais, c’est assez agité durant la journée, mais tranquille le soir. Les gars de la cité juste à côté viennent pas squatter ici. Aussi, j’ai un voisin. Alors fais pas trop de bruit.

— OK !

Je tourne brièvement le regard vers lui, il détaille la façade du restau chinois avec tellement d’attention qu’il me calcule même pas. Il manque la première marche des escaliers et manque de se rétamer. Je l’entends râler en espagnol en s’accrochant à la rambarde. J’y pige que dalle, mais ça m’a tout l'air d'un juron.

— Bon, passe devant.

Je tends le bras pour le guider. Il s’exécute sans discuter. Mon intention de le rattraper s’il se ramasse devient moins louable quand je commence à lui reluquer le boule pendant qu’il monte. Il m’attend ensuite devant la première porte qu’il croise. Coup de bol, c’est bien celle de ma piaule. J’ouvre, on y entre pépère. Après avoir viré ses chaussures, Nathanaël cible le grand fauteuil qui fait face au meuble TV et fonce s'avachir dedans, pas du tout gêné par mon regard pesant.

— Tu veux te doucher, peut-être ? je lance en accrochant ma veste en jean au porte-manteaux de l’entrée.

— Non.

— Moi je crois que oui. Viens.

J’avance dans le séjour et empoigne mon paresseux par le bras. Hors de question qu’il dorme où que ce soit chez moi sans se débarrasser de la crasse de la soirée. Je le sens saoulé, mais il résiste pas. Je lui montre rapidement la salle de bain aux tons gris, comme le salon, et lui sort des fringues pour la nuit.

— N’oublie pas de te rincer la bouche, je lui lance depuis la porte. Y’a de quoi faire dans le placard au-dessus du lavabo.

— Si je le fais, j’ai droit à un bisou ?

En voilà un autre qui perd pas le nord. Je ricane et vais vite fait virer les quelques vêtements qui traînent sur mon lit. Je les balance dans le panier à linge et retourne m’asseoir dans le pouf du séjour pour consulter mes alertes.

Les récapitulatifs de commandes affluent dans la boîte de réception de Zero-stress, mon site de vente en ligne. Je constate d'ailleurs que les stocks de confiseries au CBD seront bientôt épuisés. Ça part vite, ces conneries. Je me crée une note pour me souvenir de contacter Talullah, la nana avec qui je collabore pour la production de boules de gomme et autres bonbecs artisanaux. C'est vraiment une confiseuse hors pair. Pas de nouvelles de Ryan, le grand frère de Chasm, mais il m'a déjà fait son rapport hebdomadaire concernant les chiffres de mon commerce moins légal le soir où j’ai ramené P’tite bouille chez lui. J’aurais pas à gérer Cédric et ses livraisons retardées avant que le stock de dope du  club diminue et j’ai rien d’autre d’inhabituel, d’urgent, ni même d’intéressant dans ma barre de notifications. Alors je bascule vers des vidéos de déballage de bagnoles de luxe sur YouTube. Nathanaël ressort de la salle de bains après une quinzaine de minutes.

Nathanaël ressort de la salle de bains après une quinzaine de minutes.

— Je suis requinqué et propre comme un sou neuf !

— Je vois ça, je ricane avant de pointer la porte derrière moi du pouce. Ma chambre est par-là. Tu peux aller te coucher, j’arrive dans un petit moment.

Quand je me lève, il vient se ficher devant moi.

— Et mon bisou ?

J’esquisse un sourire amusé, lui prend le menton et dépose un baiser à la commissure de ses lèvres alors qu’il les tend vers moi.

— Tu es cruel, râle-t-il en me frappant le bras.

Ce coup-ci, je ricane un bon coup. Je lui offre un autre bécot sur le front et file me doucher. Sous le jet, je penche la tête en avant. J’apprécie à sa juste valeur l’eau chaude, qui coule dans mes cheveux coupés courts et roule en cascade sur le reste de mon corps. Ensuite, je me lave, me sèche et m’habille pour la nuit.

Nathanaël a le nez plongé dans son téléphone quand je débarque dans ma chambre. Moi qui pensais qu’il serait déjà tombé de fatigue.

Évidemment, il s’est couché du côté que je préfère. En me voyant arriver, il se redresse sur un coude et dépose le portable sur la table de nuit pour me dévorer des yeux.

​— Je sais que c’est tentant, je lui lance, mais ce soir, on reste tranquille.

— Oops. J’ai pensé à haute voix ?

Il lui en faut pas plus pour rougir.

— Non. On dirait juste que t’as rien eu à te mettre sous la dent depuis dix jours.

Il glousse et continue à me bouffer du regard jusqu’à ce que j’arrive au lit.

Mon short tombe assez bas sur mes hanches. J’aurais peut-être dû enfiler un haut, au lieu d’exposer mon corps de rêve sous ses yeux voraces. Je me couche à peine que Nathanaël bascule de mon côté, il pose timidement les lèvres contre ma clavicule. Je passe un bras autour de ses épaules et l’attire contre moi en soufflant doucement :

— Bonne nuit, p’tite bouille.

— Je n’ai pas sommeil, marmonne l’intéressé.

Il se redresse et presse ses lèvres douces sur la peau de mon torse offert. Je lutte contre la tentation, rassemble toute la retenue que je peux, et soupire à son oreille :

— Nat... Couche-toi et dors.

Au lieu d’y consentir, il passe d’un coup au-dessus de moi. Son bassin se presse contre le mien et, évidemment, aucun de nous ne porte de calbute. J’agrippe ses hanches pour l’empêcher de continuer ses mouvements vers une route qu’il risque de pas assumer au réveil.

— Nathanaël, je souffle doucement en éloignant ses hanches.

— Pourquoi tu me repousses, tout d’un coup ? se plaint-il avec une petite moue. T’as plus envie de moi ?

Ses yeux troublés accrochent les miens. Je crains de bafouer mes principes, si on reste plus longtemps dans cette position. Alors je pivote et le fait tomber à côté de moi.

Nathanaël explose de rire, jusqu’à ce que nos yeux se rencontrent à nouveau. D’un geste lent, j’effleure sa joue, son front, puis glisse mes doigts dans ses mèches humides qui ondulent un peu.

— Je te veux, ouais. Mais est-ce que toi tu veux que les choses se passent comme ça ? Tu risques de le regretter.

Il roule des yeux.

— À quoi bon me saouler, si ce n’est pour en profiter ?

Je laisse filtrer un léger rire.

— C’est pas moi qui t’ai saoulé.

— Mais c’est toi qui m’as ramené chez toi... Et puis, avoue. En vérité, tu te doutes que je ne l’ai jamais fait.

Tiens donc... Avant ce soir, l’idée m’a effleuré l’esprit, ouais. Puis j’ai douté de mon intuition.

Il se pince la lèvre, sûrement un peu gêné, et insiste sans me laisser le temps d’en placer une :

— Ça se voit tant que ça ? Je veux dire, c’est écrit en gros sur mon front ? Tu sais, même si je suis encore puceau, j’ai déjà vu et touché des pénis. Je veux dire, d’autres que le mien ! En deuxième cycle, ce qui équivaut à la classe de première au Mexique, je branlais souvent un des mecs de l’équipe de foot, à la fin des entraînements. Puis durant ma dernière année là-bas, j'ai aussi eu un petit copain secret. C’était mon voisin, Joaquin Salazar. Mais ça n’a pas duré longtemps. Il s’est laissé enrôler dans un cartel et... Enfin, bref ! Tout ça, c'est pour souligner que je sais faire plein de choses avec mes doigts.

Il les agite sous mon nez. Ça me rend hilare ! J’arrive quand même à articuler :

— D’accord, p’tite bouille. Mais là, c’est juste l’heure de faire dodo. T’en a bien besoin.

Sans plus forcer, il se blottit contre moi et pose sagement la tête sur mon torse.

— J’aime bien ce surnom, susurre-t-il.

— C’est vrai ?

— Moui. Ça me donne l’impression d’être important pour toi.

J’ai la gorge qui se serre. Il met peut-être le doigt sur quelque chose que j’avais pas prévu.

Je crois qu’il se fait emporter par le sommeil, petit à petit. Je plonge machinalement le nez dans ses cheveux. À présent, ils sentent l’odeur de mon gel douche. Je dois avouer que j’apprécie.

Il m’est rarement arrivé de vraiment kiffer quelqu’un, ces dernières années. Pourtant, lui, il me plaît de fou. Nathanaël est comme une bouffée d'air frais dans mes poumons pollués. Plus on passe de temps ensemble, plus je me dis qu'il mérite mieux qu’être un plan cul. Même régulier. Je me doute qu'il en attend plus de moi. Mais est-ce que je peux prendre le risque de lui offrir... mes sentiments ?

On n’est pas du même monde. On n’a pas les mêmes codes. Je le fais carburer à l’adrénaline, et c’est bien pour ça que je l’attire. Je le sais. Parce que c’est aussi ce qui m’a fait tomber sous l’emprise de mon premier mec. Je l’ai bien regretté. Et, même si je suis pas comme Mike – repose en paix, mon connard –, je suis pas non plus le roi de l'équilibre émotionnel. Ça peut vite partir en couille, quand je me risque à ouvrir la cage qui discipline mon idiot de cœur. Je veux plus morfler. Je veux pas non plus que Nathanaël se maudisse un jour d’avoir croisé ma route.

Pour l’instant, je préfère arrêter d’y penser. Je dépose un baiser sur le front de ma merveille endormie. Yeux fermés, je profite du réconfort que j’éprouve à écouter son souffle régulier après ma longue journée.

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