7a. Grand gagnant ?

Après m’être rincé le visage pour me rafraîchir les idées, je remonte vers l’espace VIP. Ça me rassure de retrouver Nathanaël en pleine danse aux côtés de Chasm. J’ai l’impression qu’il s’éclate. La bouteille de Hennessy bien entamée, posée sur la table à côté des deux verres et des canettes de Coca-Cola, elle doit y être pour beaucoup.

— Déhon !

Nathanaël se précipite dans mes bras à la seconde où il me voit.

— T’es revenu.

Il s’accroche à moi comme un koala à son arbre. Ses iris reflètent une lueur bien particulière. Là, c’est sûr, il est total pompette.

Je glisse la main sous ses cheveux et lui masse la nuque.

— J’allais quand même pas t’abandonner toute la soirée avec lui.

— Oh, mais Chasm est génial ! Il m’a fait goûter un mélange avec du Coca et du sirop de grenadine !

— N’oublie pas le cognac, bébé ! s’anime Chasm en se rapprochant de nous. Ça fait danser jusqu’à pas d’heure.

— Ouais, mais modérez. Contrairement à ce que dit Camro dans son son, l’alcool c’est pas de l’eau.

Chasm m’envoie un baiser ponctué d’un clin d’œil.

— T’inquiète, Nat et moi, on forme une super équipe ! J’en oublierai presque qu’il essaie de te rafler sous mon nez.

Le blondinet se penche d’un coup, comme pour faire une bise à Nathanaël. Je pivote, ma p’tite bouille toujours calée dans un bras, et repousse Chasm du coude.

— Han, han, pose pas ta bouche sur lui.

Il explose de rire avant de plonger son regard dans le mien.

— Je pourrais la poser autre part, mais tu refuses depuis des années... Tu sais pas ce que tu rates.

— Je m’évite surtout des problèmes.

— Et tu t’en trouve d’autres !

Ça le fait marrer. Il retourne vers la table en roulant du cul et se cale dans le fauteuil pour se resservir à boire. Vu la façon dont il regarde Nathanaël en biais avant de me sourire, je devine qu’il a fait exprès de le pousser à boire. Ce petit con a visiblement du mal à gérer le rejet. Derrière son visage d’angelot, il est aussi tordu que son frangin.

J'ai commencé à croiser Chasm souvent quand j'ai engagé Ryan – son frère aîné – pour m'aider à dealer ma weed sous le manteau, à l'époque où toutes les formes du cannabis étaient encore illégales. Le petit blond devait avoir à peine quatorze piges. J’en avais vingt-deux. Il s’est quand même mis en tête de me faire du rentre dedans. Je sais qu’y en a pas mal qui s’en foutaient de son âge. Je sais aussi pourquoi le petit se comporte comme une timpe depuis son adolescence. Il a besoin de compenser l’absence de son père, autant que le mépris de son grand frère, alors il se tourne vers des mecs plus âgés.

— Pourquoi ne danses-tu pas avec moi, Déhon ?

Les bras autour de ma taille, Nathanaël penche complètement la tête en arrière pour me fixer.

— J’aime pas trop danser.

— Mais moi, j’aime ça ! Allez, fais un effort, mon Dédé.

Eh merde. Voilà que lui aussi se met au surnom débile initié par Lili.

Je finis par me laisser convaincre quand Nathanaël entoure mon cou de ses bras et se met à se trémousser. Je retiens un léger rire. Il a l’alcool joyeux, visiblement. Le fait qu’il y est des témoins de notre rapprochement ne le dérange plus des masses. Je le serre plus étroitement et m’enivre de l’odeur citron et miel émanant de ses cheveux. Ils sont si doux contre ma joue. Je finis par me rendre compte que sa proximité me détend. J’en avais bien besoin. Mais franchement, la danse, c’est pas mon kiffe à moins que ce soit un collé-serré bien sale. Je me détache donc de Nathanaël.

— Tu t’en va encore ? rochonne-t-il, les yeux brillants.

— Je vais juste me poser. Si tu veux, tu peux continuer à danser pour moi.

Il secoue la tête en devenant aussi rose qu’une crevette.

— Je ne peux pas faire ça.

J’esquisse un sourire et lui caresse la joue.

— C’est toi qui vois.

Je l’embrasse avant de retourner vers notre fauteuil. Chasm se lève dans la foulée. Il pense peut-être m’échapper, mais je l’intercepte par le bras.

— S’il se retrouve dans le mal, c’est toi qui va avoir des problèmes.

— Oh, ça va, je nous l’ai juste un peu dégourdi.

— Qu’avec de l’alcool ?

— Ouais, t’inquiète. Il n’avait pas besoin de plus que quelques verres. Je peux retourner illuminer la piste de ma présence, maintenant ?

Ses yeux marrons-verts effrontés restent fichés dans les miens. Je le lâche sans faire d’histoire et le laisse rejoindre Nathanaël.

Dorénavant, je les garde à l’œil.

Ils recommencent à s’enjailler. J’assiste peu à peu à la tombée du voile de réserve dont Nathanaël se couvre. Malgré ce qu’il reste de ses appréhensions, il me taquine de temps en temps avec un regard ou un petit sourire coquin sur des paroles sans équivoque. C’est sûr, il cache une belle ardeur. J’ai hâte de l’explorer en profondeur.

La copine de Chasm s’incruste peu après mon retour. Infatigables, ces trois-là se mêlent au groupe de la table d’à-côté et enchaînent les pas endiablés pendant deux bonnes heures. J’en profite pour répondre à mes différents textos, tout en jetant des œillades à Nathanaël.

Il est presque 5h du mat’ quand Youcef m’annonce que le couple du bad trip a bien profité de sa soirée et s’est barré y’a quelques minutes. Il a réussi à gérer les autres petites couilles de ce soir, alors je crois que je vais y aller aussi. Je commence à fatiguer. J’appelle Nathanaël.

— Viens, on bouge.

— J’ai soif ! décrète-t-il en débarquant devant moi, avant de s’appuyer sur mes genoux.

— OK, on va passer voir Lili, alors.

Je me lève, sans saluer Chasm et sa pote. Ils sont encore fourrés avec les clients de la table voisine. Focalisé sur sa descente au bar, Nathanaël se barre aussi sans les calculer. Heureusement, mes jambes sont plus longues que les siennes. Je le suis sans mal. Il se faufile entre les gens qui profitent de la soirée jusqu’au bout en se frottant sur la session zouk.

— Lili, soif !

Nathanaël claque ses mains sur le comptoir. Liao se tourne d’abord vers nous avec les sourcils froncés, puis finit par sourire. Il n’y a plus grand monde de leur côté à cette heure. Elle attrape un verre, qu’elle remplit avant de le claquer à son tour contre le marbre du comptoir.

— Et un verre d’eau pour le jeune homme !

— Non, je ne veux pas d’eau !

La p’tite bouille râle en repoussant le verre et enchaîne :

— Je boirai de l’eau quand je serai vieux.

— Il est trop mignon, me lance Liao.

Je crois qu’elle aussi l’aime bien. En même temps, Nathanaël dégage ce petit quelque chose. Son côté naturel rend sa compagnie super agréable. Pour preuve, je passe généralement pas mon temps à faire des « hi hi, ha ha » avec les gens. Dans le milieu où j’évolue, le moindre moment de relâchement peut-être interprété comme un signe de faiblesse. Mais avec Nat, j’ai l’impression que je peux décontracter. Sans trop craindre d’abus.

Merde... Dans un sens, ça donne peut-être raison à Chasm. Baisser sa garde, c’est le début des emmerdes.

— C’était quoi, le truc que tu m’as donné ? insiste Nathanaël pendant que je me perds dans mes pensées. Tu sais, le truc licorne-arc-en-ciel-trop-bon.

À mon tour, de froncer des sourcils en regardant Liao.

— Combien de cocktails tu lui as servi, au juste ?

— En comptant le lagon bleu, seulement trois. Mais il est venu avec Chasm y’a quelques heures. Ils ont demandé un Coca-Cola et du sirop de grenadine pour un Roy Rogers alcoolisé.

— Hé ! Vous allez arrêter de parler comme si je n’étais pas là ? Je vous entend ! Et je suis parfaitement en état de...

Très adroit, il se prend le pied dans un des rares tabourets aux abords du bar pendant qu’il gesticule. Je me décale assez vite, il me tombe littéralement dans les bras.

— Oops ! Merci mon Dédé, t’es vraiment mon chevalier de l’ombre trop sexy.

Cool, je viens de gagner un titre de noblesse…

Je l’aide à se redresser sur ses pieds et tourne un regard blasé vers Lili.

— Ben quoi, c’était son baptême du feu, sourit-elle.

— Puis c’est moi qui gère les flammes, je marmonne. Allez, viens par-là, on rentre.

— Ah, mais nan ! J’ai pas encore dit au revoir à Chasm. Et puis, y’a encore de la musique. Tant qu’y a encore de la musique, la fête n’est pas finie !

Il se débat avec autant de force qu’un ver luisant. C’est pas ce qui l’aidera à se défaire de ma prise sur sa nuque, même si elle reste assez leste.

Je salue Liao, puis ignore les jérémiades de Nat tandis que je le conduis jusqu’à la terrasse à travers les derniers clients. On arrive assez vite sur le parking, donc je le lâche. Le bruit étouffé de la musique est derrière nous. L’air frais du dehors aurait pu être bénéfique, mais il est chargé d’une odeur de caoutchouc brûlé.

Comme souvent, des lascars arrogants font crisser les pneus de leurs bolides dans la rue principale. On va encore se manger des plaintes pour tapage nocturne.

Je pousse un soupir lassé tout en jetant un coup d'œil par-dessus sur le côté pour être sûr que Nathanaël suive le pas.

— Déhon…, geint-il une fois devant la voiture.

— Attends, je cherche mes clés.

— Mais, j’ai... Je vais vom...

Merde, l’odeur de brûlé doit le bouleverser. Il se précipite derrière ma caisse pour dégueuler. Je lève les yeux au ciel en ouvrant les bras, dépité.

— Super !

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