16.a. ... et le ciel étoilé.


— Ça te dit qu'on dîne au casino ? propose Déhon alors que j'ouvre la porte du studio.

— Tiens, ce serait sympa, oui ! Mais... Tu crois que nous pourrons y entrer sans accroc ?

À mon grand désespoir, mon chéri se dirige vers son portable dès qu'il pose les pieds à l'intérieur. Il débranche l'objet de son câble, focalise une partie de son attention sur son écran et m'offre un regard en coin avec ce qu'il en reste.

— Ben, ouais... T'es majeur et t'as ta pièce d'identité. Ils vont pas appeler tes vieux pour vérifier que t'aies bien leur autorisation.

Son ton railleur m'ennuie moins que le fait de ne plus être son centre d'attention. Je m'approche du comptoir de la petite cuisine, où il s'appuie nonchalamment, et le bouscule d'un coup d'épaule gentillet. Ma manœuvre fonctionne, Déhon lève le nez de son téléphone avec un sourire fripon. Je lui tire la langue et enchaîne :

— Vilain ! J'émettais mes doutes concernant le dresse code. Il y a peut-être des restrictions du genre : pas de baskets... ou autre. En sachant que je n'ai emporté que ces sandales de randonnée et mes Vans, ça me paraît une préoccupation légitime.

— Mh, bien vu. On va vérifier, mais je crois qu'y en a pas. Enfin, tant qu'on se pointe pas en slip et tongs.

— Tu portes des slips, toi ? le taquiné-je.

Cela suffit à ce qu'il pouffe de rire.

— Je te donne l'occasion de vérifier par toi-même. Je vais me doucher, tu te joins à moi ?

Malgré l'éclat plaisantin de ses iris, le rictus séducteur qu'il arbore au coin des lèvres exprime tout le sérieux de sa proposition.

Je ravale si vite mon sourire espiègle que je manque de m'étouffer avec ! Mon mode « panique à bord » s'enclenche instantanément, bloquant ma capacité à réfléchir ou même à aligner deux mots de manière intelligible.

Raidi comme un bout de bois par cette brusque nervosité, je balbutie bêtement.

— Euh... non. Je... Je dois d'abord appeler Éden. Elle... Elle m'a demandé... de l'appeler, quand j'aurai cinq minutes. Mais, il se peut que ça prenne un peu plus longtemps.

Je ponctue ma phrase d'un rire jaune. Mon cœur bat la chamade et la chaleur de mes joues cramoisies irradie mon visage tout entier.

Loin d'être dupe, Déhon me couvre d'un œil malicieux. Son « OK » tranquille, lancé dans un léger ricanement, érafle ma fierté. Je me détourne toutefois de ma vexation lorsqu'il se penche à mon oreille.

— C'est dommage... Je t'aurais savonné et frotté le corps, avec toute la douceur que je garde en stock juste pour toi.

¡ Madre mía !

La basse de sa voix onctueuse résonne dans tout mon être, faisant vibrer chaque fibre de mon corps. Sentir le souffle coquin de Déhon parcourir ma peau renforce davantage mon émoi. J'en frissonne et me mordille la lèvre en réponse.

Ce coup-ci, la chaleur qui rayonne en moi tire sa source plus au sud.

— Tu sais où me trouver si tu changes d'avis, susurre la tentation personnifiée.

Même le timbre de son rire est marqué d'une intonation inédite. Une note beaucoup trop sexy pour ma sanité. Pourtant, je contiens mes ardeurs et me contente d'observer Déhon s'éloigner effrontément. Il dépose son portable sur un de ses sacs, récupère sa trousse de toilette et sa serviette, avant de se diriger à pas tranquilles vers la salle de bains. Sans se retourner vers moi, ne serait-ce qu'une seule fois !

Un sentiment fort désagréable germe en moi lorsqu'il me relègue ainsi en arrière-plan. Celui-ci se voit cependant refoulé par une nouvelle vague de dopamine alors que Déhon se déleste de son t-shirt, à peine l'encadrement de la salle d'eau franchit. J'ai tout juste le temps d'entrevoir quelques-uns des tatouages ancrés à son dos charpenté avant qu'il ne ferme la porte.

Une bouffée d'excitation importune s'empare de mon corps à l'idée du sien, bientôt nu sous la douche. J'imagine parfaitement ses mains fermes glisser sur mes épaules, couvertes de mousse au parfum gourmand. Puis, le long de mes flancs, sur mon ventre, et plus bas encore...

Redoutant une érection malvenue, je me gifle mentalement afin d'écarter les pensées explicites qui m'assaillent et pousse un soupir de frustration.

Rien ne m'empêche de me déshabiller en vitesse pour saisir l'invitation tapageuse de Déhon. Rien ! Si ce n'est la certitude qu'aucun d'entre nous ne saura résister à l'envie de baisers enflammés, appelant fiévreusement des caresses éperdues, et, une chose entraînant une autre...

Je repense inévitablement à sa plaisanterie anodine, lancée un peu plus tôt dans la journée, et me vois affublé du rôle de jouet sexuel qu'il manipulerait à son bon vouloir. L'idée me stimule autant qu'elle m'effraie. J'aimerais m'abandonner pleinement à Déhon, car il m'attire davantage qu'aucun autre auparavant. Mais je meurs de trouille ! J'ai peur d'être nul, de me laisser emporter par ma déferlante d'émotions. Ou au contraire que ces dernières me poussent à aller trop loin, trop vite, quitte à regretter cette décision par la suite.

— Je cogite trop, conclus-je, agité. Peut-être... que je devrais juste arrêter.

Arrêter d'écouter mon cerveau, qui me rappelle sans cesse mes craintes, au profit des hurlements impatients de mon corps.

Il est indéniable que je brûle de désir pour Déhon. Je voudrais apprendre à connaître par cœur son corps, que je n'ai pu observer que furtivement jusqu'à aujourd'hui. Je veux savoir positionner chacune des tâches laiteuses éparpillées sur sa peau brune, connaître la signification de chacun des tatouages recouvrant cette dernière, sentir chaque cicatrices en relief sur son épiderme, et pouvoir retracer chacun de ces contours les yeux fermés.

Je déglutis à cette idée. Dé a promis que nous irions à mon rythme et je le crois. Je veux lui accorder toute ma confiance. Je prends donc mon courage à deux mains, entame un pas en avant et sursaute bêtement lorsque quelqu'un toque avec force contre la porte d'entrée.

— Joder... soufflé-je, d'abord surpris puis soucieux.

Qui cela peut-il bien être ?

La propriétaire, qui aurait oublié de nous communiquer une information ? Un voisin mécontent s'apprêtant à nous reprocher un quelconque méfait ? Ou pire encore ! Mes parents viennent-ils me tirer d'ici par la peau du cou après avoir découvert le pot aux roses ??

Le simple fait d'imaginer ce scénario catastrophe me rend fébrile. Mais de toutes les possibilités qui traversent mon esprit anxieux, la plus évidente m'échappe visiblement. Lorsque j'ouvre la porte, les mains tremblantes et le cœur à la limite de l'enraillement, c'est un livreur chargé de boîtes et de sacs en papier qui s'adresse à moi.

— Bonsoir ! Une grande pizza hawaïenne, une calzone et deux bouteilles de San Pellegrino.

Il pousse son chewing-gum dans un coin de sa bouche afin de mieux articuler la suite.

— Ça vous fait trente-trois euros et cinquante centimes. Comme indiqué lors de votre commande, on n'accepte pas les paiements par carte bancaire. Alors vous réglez comment, espèces ou tickets restaurant ?

— Euh... Il semble que vous vous trompiez de destinataire, marmonné-je, encore accroché à la porte sous le coup de mes émotions.

— Mh, non, conteste le brun élancé aux yeux d'un gris limpide. C'est bien la bonne adresse.

— Peut-être, mais–

— Pour les pizzas, c'est ici ! intervient une jeune fille depuis l'autre bout du couloir.

Nos regards synchronisés avisent l'adolescente debout sur son seuil, toute penaude dans son pyjama Black Panther.

— Bonsoir et désolée, ma copine s'est trompée en saisissant le complément d'adresse.

— Bon, ben, pardon du dérangement, me lance le livreur d'un air désinvolte.

Il m'adresse à peine un regard et termine tout juste sa phrase qu'il me tourne déjà le dos pour répéter son discours à Miss Wakanda Forever. Je ferme la porte avec un soupir quand mon téléphone commence à vibrer dans ma poche arrière. Je le saisis afin de vérifier l'auteur de cet appel entrant, qui n'est autre qu'Éden.

— ¡ Ay, chiquita ! souris-je en décrochant. T'as dû avoir les oreilles qui sifflent, je parlais tout juste de toi.

— J'ai cru que tu m'avais oublié ! me houspille-t-elle. Ça fait bien une heure que je t'ai demandé de me rappeler pour m'aider avec le choix final de ma tenue. Qu'est-ce qui t'a empêché de me répondre, Nathy ? Et avant que tu commences à rechigner, oui, j'ai des copines, mais elles sont toutes aussi indécises que moi et Édouard, je l'aime mon bichon chéri d'amour, mais il a des goûts vestimentaires plus que discutables... Je ne peux pas me maquiller si je ne sais pas quelles fringues je vais porter, alors c'est vraiment un cas de force majeure ! Le cousin de Maëva passe me chercher dans vingt minutes.

— Attends, respire Éden. Je croyais que ce n'était qu'une petite soirée entre filles pour les dix-sept ans de Maë.

— Oui ! Et ?

Ses informations s'embrouillent un peu dans ma tête. Ma poupette semble cependant agitée et déjà bien assez remontée que je ne comprenne pas la nature de son « urgence » pour que j'insiste pour savoir en quoi c'en est vraiment une. Mon sens sous-développé des dernières modes féminines et moi nous contentons donc d'accepter de la seconder dans ses choix.

— Merci, tomatito ! s'extasie-t-elle au bout d'un quart d'heure d'essayages très intenses. T'es le meilleur des grands frères. Je t'enverrai tout plein de selfies et de vidéos sur Snapchat. ¡ Muchos besos !

— Montones de besos, hermanita, ris-je avant de raccrocher.

— Ta sœur m'a tout l'air d'une mini tornade, plaisante Déhon.

Je soubresaute à cette intervention inopinée.

À des années lumières de ma pudeur, Dé traverse naturellement la pièce à vivre avec pour seul vêtement une serviette de bain autour de ses hanches. Ses pas nonchalants le conduisent à son sac afin d'y chercher ses habits pour la soirée. Je le suis du regard un bref instant, puis me pince les lèvres en détournant les yeux vers mon téléphone, évitant ainsi de baver trop longtemps face aux courbes aguicheuses de ses muscles savamment entretenus.

— Éden est pleine de vie, oui, acquiescé-je en réponse à sa remarque. Je l'adore, même si j'avoue parfois la trouver un tantinet trop directive. C'est peut-être bien son seul défaut.

— Sans conteste hérité de votre daronne, charrie Déhon.

Je m'en veux de sourire alors qu'il critique notre mère, mais je revois ma poupée prendre la mouche car elle refuse de reconnaître à quel point elle et maman peuvent se ressembler. J'ai carrément dû prétexter un mauvais signal réseau lors de notre conversation afin de ne pas basculer vers un appel vidéo qui révélerait inévitablement que je ne suis pas chez Stéph et Neslie.

— La salle de bains est toute à toi, p'tite bouille.

— Oh, oui. Merci !

Détourné de mes pensées volatiles, je me lève du fauteuil, attrape les affaires que j'ai préparées pendant que je discutais avec Éden, et m'éclipse promptement vers la salle d'eau. Mon regard absent cours sur les décorations murales d'inspiration tropicale, seules fantaisies dans la pièce somme toute minimaliste. Sentir la vapeur ambiante, dès que j'y pénètre, et observer les produits d'hygiène de Déhon, alignés sur la faïence en traces discrètes de son passage, me renvoie directement à sa proposition sensuelle.

Dire que j'étais fin prêt à la saisir ! Il a fallu que le sort se joue de moi et de ma poussée de hardiesse avec une erreur de livraison... Je pousse un soupir frustré en posant mes vêtements et mes autres effets sur une des étagères encastrées dans la paroi au-dessus du lavabo. Mais autant aborder les évènements de manière positive. Notre week-end commence tout juste, maintenant que j'y suis décidé, j'aurais sans aucun doute de nouvelles occasions de me rapprocher intimement de Déhon. Ce soir, peut-être, ou durant nos activités de demain.

Je me dénude distraitement, impatient de me débarrasser du sel marin incrusté à ma peau malgré le fait de n'avoir mis que mes pieds à l'eau – il était hors de question pour moi de faire trempette dans une eau aussi froide ! J'entre dans le bac à douche et commence à sourire bêtement tandis que je rince d'abord le sable de mes jambes, perdu dans les souvenirs de cet après-midi en amoureux.

C'était notre second coucher de soleil ensemble. Déhon m'a volontiers accompagné en bord de la mer, j'ai capturé des dizaines de clichés du ciel merveilleusement coloré en refoulant mon envie instinctive d'immortaliser son beau sourire. Nous nous taquinions comme des enfants à coups d'éclaboussures lorsque Dé a décidé de me soulever en jouant de l'effet de surprise. Entreprise un peu trop aisée ! Totalement à sa merci, j'ai bien cru qu'il comptait me balancer à l'eau comme tous les idiots que j'ai pu fréquenter, ruinant au passage mon appareil photo alors pendu autour de mon cou. Mais non. Il m'a reposé en riant, peu après mon exclamation de contestation, et m'a gardé tout contre lui. À cet instant, j'ai encore vogué sur mon petit nuage, bien que je touchais la terre ferme. Électrisé par la douceur de son toucher. L'âme dévorée par la sienne.

Je me laisse porter par ce sentiment vivifiant de plénitude tout le long de ma douche. Une fois propre et séché, j'enfile rapidement mon haut à manches longues rayé et mon pantalon trois quarts bleu roi. Un chignon afin d'éviter de sortir les cheveux mouillés, et me voilà paré !

Lorsque je quitte la salle de bain, Déhon consulte tranquillement le cahier dont nous a parlé la propriétaire. Il est vêtu d'un t-shirt uni gris saillant de manière attrayante ses larges épaules, ses bras et son torse robuste, ainsi que d'un jean destroy noir. Une tenue passe partout, dans laquelle transparaît pourtant son indéniable charme naturel. Quant à ses yeux revolvers, ils abandonnent très vite les pages du cahier pour me scanner de la tête aux pieds.

— T'es canon, lance-t-il spontanément.

— Merci. Toi aussi, souris-je, les joues virant à l'écarlate.

— Prêt à partir ?

— Oui.

— Super.

Déhon se lève du fauteuil, où il laisse gire le guide fait maison par notre hôte. Il enfile sa sacoche en bandoulière, qui contient entre autres nos portefeuilles et documents d'identité. Nous nous assurons de n'avoir rien oublié avant de nous chausser dans l'entrée. Il attrape les clés du studio sur leur support mural et s'apprête à saisir celles de la voiture quand j'intercepte sa main. Je suis vite contraint à m'expliquer par son regard en biais.

— T'abuses, Dé. On peut très bien y aller à pied.

— Tu vas me sortir ça tout le week-end ? rétorque-t-il avec un haussement de sourcils amusé.

— Oui ! m'esclaffé-je. La marche est bénéfique à ton organisme, à la planète, ainsi qu'à notre couple.

— Tiens, c'est original comme approche. Tu peux développer ce dernier point ?

— Bien sûr.

Je m'accroche à son épaule afin de poursuivre.

— On marchera main dans la main dans la nuit étoilée et tu auras tout le loisir de me répéter à quel point tu es heureux que nous passions de si bons moments ensemble.

Entrant dans mon jeu, Déhon enroule un bras autour de ma taille et réplique :

— Je peux que céder face à de tels arguments.

Nous échangeons un rire complice, durant lequel il me vole un chaste baiser, et quittons ensuite promptement le studio.

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