13. Cap à franchir
Nathanaël
« Salut p'tite bouille. Je dois valider la réservation de l'appartement. C'est toujours OK de ton côté ? »
Santo cielo (Juste ciel)...
Mon cerveau beugue sur la réponse à apporter au texto de Déhon, reçu il y a une dizaine de minutes.
Il prépare notre premier week-end en amoureux. Je n'en reviens pas qu'on en soit déjà à ce stade après seulement un mois et demi de relation !
Enfin, en mettant de côté le fait que Déhon se rende initialement à Deauville pour un rendez-vous d'affaires, il m'a invité à l'y accompagner tout le week-end. Son entrevue ne durera qu'une heure, à tout casser. Le reste de son temps me sera donc intégralement consacré.
C'est la première fois que j'ai un vrai petit ami, avec qui je peux avoir de vrais rendez-vous et pas juste quelques baisers ou caresses indécentes échangées à la dérobée après les cours. Alors je suis aux anges. Cela dit, mon excitation est teintée d'appréhension. Et pour cause, nous allons dormir dans le même lit ! Une expérience que nous n'avons pas réitérée depuis ma soirée arrosée au Rodrigue. Mes méninges tournent à plein régime à l'idée d'une nuit entière dans les bras addictifs de Déhon. Sous l'emprise de son regard ensorceleur... De ses baisers enivrants...
Rien qu'y penser est étourdissant !
— Hé oh... La Terre appelle Nathanaël.
Mon attention volatile revient au rire claironnant de Stéph. Nous nous sommes installés dans une salle d'étude durant notre heure creuse, à l'écart d'une poignée d'autres jeunes gens plus ou moins studieux.
Effrontément assise sur la table où trônent nos ordinateurs portables et nos notes, entre autre attirail, elle insiste en dénouant les mèches les plus longues de son carré plongeant.
— Tu ne m'écoutes pas du tout, là. Serais-tu à tout hasard en train de penser à la mystérieuse personne pour qui tu me demandes de moduler la vérité sur ton escapade secrète à Deauville, en week-end de révisions, afin que ça convienne à ta petite maman ?
Glissant ses doigts au milieu de sa masse de cheveux blonds, elle se masse le crâne en me fixant. Je m'empourpre sous l'intensité de ses yeux bleus rieurs.
— Désolé...
— Pas grave, choupi. Je suis 100 % pour que tu sortes de ta coquille, quitte à mentir éhonteusement pour te couvrir ! Mais t'es censé m'aider à corriger mon devoir en retour. Quoique, plus j'y pense, plus je me dis que je me suis faite avoir, puisque tu réponds toujours présent pour sauver ta copine préférée des affres de la langue de Shakespeare.
— Ce n'est pas faux, pouffé-je en ouvrant distraitement la boîte ronde dans laquelle je garde mes gummies.
— Pour la peine, tu m'accompagneras au marché au puce. On choisira un week-end qui te convient.
— Oh, je croyais que tu devais y aller avec Neslie.
— Si, si ! Mais puisqu'on redécore notre appart', on va avoir besoin de mains supplémentaires pour porter tous nos sacs. J'ai eu beau dire à Davi qu'il marquerait des points auprès de notre jolie métisse en nous accompagnant, il ne veut rien avoir à faire avec nos « sorties shopping ».
Davi et moi suivons quelques cours ensemble toutes les semaines. Nous nous sommes bien entendu lors de notre rentrée, il y a de cela deux ans, et avons continué à nous côtoyer quotidiennement depuis. Il est tombé raide dingue de Neslie dès qu'il l'a vue, la première fois que Stéph nous a rassemblés tous les quatre pour une sortie culturelle.
— Il vous connaît trop bien, les filles. Et moi aussi...
— Roh, allez ! Si ça peut te motiver, y'a souvent des livres d'occasion très intéressants. Tu devrais trouver ton bonheur, toi aussi.
— Si je mets la main sur des livres, c'est vous qui risquez de devoir m'aider à porter mes emplettes.
— Ah ouais, j'oubliais. On est vraiment irrécupérables, s'esclaffe-t-elle avant d'enchaîner. Je peux te piquer un bonbec ?
— Eum, chaque couleur offre un arôme différent, mais ils sont tous au CBD. Si ça te convient, fais-toi plaisir.
— Oui, merci ! J'ai entendu parler des bonbons au CBD, mais n'en ai jamais goûté. D'ailleurs, ça m'étonne beaucoup que notre petit Nathy bien sous tous rapports s'y mette avant moi. Je suis censée être la rebelle de notre groupe d'intellos, après tout.
Nous échangeons un éclat de rire complice.
Toutes les personnes qui connaissent Stéphanie savent qu'elle est taquine et qu'elle n'a surtout pas sa langue dans la poche. Asexuelle et loin d'être timide à ce sujet, elle prône avec ferveur la déconstruction nécessaire du schéma de « dressage social » des jeunes filles, destinées à devenir des femmes respectables, soumises au contrôle de soi autant qu'aux besoins leur partenaire. Je suis tombé sur elle en première année, le jour où – séduite par ma « tête de gentil » – elle m'a mis le grappin dessus pour l'aider à distribuer les tracts d'une de ses manifestations.
Bien que nous soyons dans des filières différentes, je gravite autour de Stéph avec plaisir. J'admire son énergie positive et le courage avec lequel elle défend ses idéaux.
— Mmm, c'est super bon, en fait ! Tu les achètes où ?
— En ligne, sur le site Zero-stress.fr.
Je réponds sans hésiter, ravi de pouvoir faire un peu de publicité à mon chéri. C'est la moindre des choses en échange de sa générosité !
Très curieux quant à ses produits, j'ai voulu m'en procurer quelques-uns. Juste pour essayer. Déhon m'a toutefois appelé dès qu'il est tombé sur la notification de ma commande et m'a proposé de l'avertir lorsque que je souhaite tester ou obtenir un de ses articles. Je n'en abuse pas, mais il me donne autant d'échantillons que je veux et j'aime particulièrement ces petites confiseries. Comme lui, elles deviennent un de mes péchés mignons.
— Ça fait planer ? s'enquiert Stéph, qui étudie d'un œil minutieux son deuxième gummi avant de le gober.
— Je ne crois pas, non. Je me sens juste plus détendu l'espace de quelques heures. Mais je n'en ingère pas trop d'affilée.
— Oh, j'imagine. C'est juste qu'ils sont tellement bons ! Je me renseignerai un peu plus sur leurs effets et j'en commanderai peut-être une boîte, moi aussi.
— D'accord, souris-je.
Déhon en a abordé les effets, de manière générale, et j'ai aussi effectué mes propres recherches sur les bienfaits et les risques. Cependant, chaque organisme est susceptible de réagir différemment à l'ingestion de CBD – ou de toute autre substance. Je ne peux décrire que les effets ressentis par mon propre corps et, en plus d'avoir un goût divin, ces merveilles de bonbons apaisent mes phases d'anxiété. J'en ai plutôt besoin quand je dois mentir impunément à mes parents pour passer plus de temps avec Déhon qu'à la veille d'un examen.
— Bon, on fait une vraie pause, du coup.
Stéph saute de la table et poursuit :
— Je vais me chercher un truc à grignoter. Tu veux que je te prenne quelque chose ?
— Non. Merci.
Je n'ai pas trop d'appétit, en ce moment. Je prétends donc garder nos places alors qu'elle s'éclipse au distributeur automatique à l'angle de la salle d'étude. Pendant ce temps, je m'accorde le loisir de revenir à mes rêveries, les yeux rivés sur le SMS de Déhon.
En quelques semaines, il est devenu mon osito – mon nounours. Je dois avouer que, vu sa réputation de danger public, je ne l'imaginais pas aussi câlin. Mais je m'en réjouis.
Nous nous voyons autant que nos agendas respectifs le permettent. Le plus souvent avant ou après mes services au Mérida, pour ne pas éveiller les soupçons de mes parents. Parfois aussi durant mes pauses. Il lui est arrivé de passer me chercher pour un repas en tête-à-tête au restaurant chinois au pied de son appartement, ou une balade nocturne en bords de Marne, et il me ramène souvent chez moi. Le bécotage est de mise à chacune de ces occasions. J'apprécie grandement que ses baisers glissent dans mon cou, que nos échanges de salive s'enflamment. J'adore sentir la fermeté de ses mains, lorsqu'il me saisit pour que je me presse tout contre lui.
Je nous imagine parfaitement aller plus loin. Je sais qu'il en a envie et j'en brûle, moi aussi. Tant et si bien que je me caresse de plus en plus souvent en pensant à lui ! Mais je redoute l'instant fatidique.
Dé est plus plus âgé et sans aucun doute plus expérimenté. Il dégage une aura d'homme alpha, sûr de lui et toujours dans la maîtrise, alors que je suis le cliché parfait du petit omega sensible, constamment dépassé par ses propres émotions.
Si les premières fois sont toujours magiques dans les Omegaverses¹, la réalité est souvent bien différente de la fiction ! Vu mon manque de pratique, Déhon me trouvera peut-être nul. Ou il m'en voudra de limiter nos ébats à la masturbation et aux fellations... J'ai trop peur de le frustrer. Peur de me faire humilier en beauté parce que j'agis encore comme un lycéen à vingt-et-un ans. Peur que sa réaction me déçoive et gâche tout.
Mon nounours grandeur nature est pourtant loin de me brusquer. Je lui ai confié que je n'étais pas encore prêt à aller jusqu'à la pénétration et il l'a accepté. Grâce à cela, je me sens vraiment en sécurité durant nos étreintes. Autant qu'à ses côtés.
En dépit de ses avertissements inquiétants concernant « ses démons », je trouve que Déhon rassemble toutes les qualités d'un petit ami parfait. Il continue à me couvrir d'attention, s'efforce de répondre aux mieux à mes SMS, n'a jamais eu de geste déplacé, de moquerie quant à mon côté fils à maman, ni de blague salace de mauvais goût. En résumé, outre de rares sous-entendus taquins, Déhon se montre patient. Il ne se revendique pas romantique, mais s'avère pourtant absolument adorable ; j'ai encore des étoiles dans les yeux au souvenir de notre dîner à la Tour Eiffel.
En toute logique, je ne devrais pas autant cogiter à propos du sexe. Surtout qu'il m'a promis qu'on irait à mon rythme. Malheureusement, la mésaventure d'Éden avec son premier petit ami me hante. Je suis incapable de penser à autre chose depuis l'invitation de Déhon, mais je vais devoir me faire violence.
Lèvres pincées, cœur battant beaucoup trop vite pour quelqu'un ayant le postérieur vissé sur une chaise, je remonte machinalement mes lunettes de lecture sur mon nez et me décide à confirmer notre rendez-vous.
« C'est toujours OK, oui ! Je me suis arrangé avec une copine pour que mes parents ne se doutent de rien. J'ai hâte d'être à ce week-end. »
Un smiley entouré de cœur inséré et, hop, c'est envoyé.
Obtenir mon samedi de congé auprès de Hanine a été plutôt aisé. Stéph me couvrira. Alors tout semble bien huilé, ne me reste plus qu'à prier pour que notre week-end se passe à merveille.
Je reste anxieux quant à son éminence, et tout ce qui pourrait arriver durant ces deux jours, mais j'ai vraiment hâte d'être avec Déhon. D'autant plus que nous ne nous verrons sans doute pas avant.
Le « Cool, moi aussi. » en réponse à mon message apparait tout juste sur mon écran lorsque Stéphanie revient dans la salle. Sa jovialité enfantine m'écarte de mes tergiversations existentielles.
Sourire victorieux aux lèvres, elle brandit une bouteille d'eau gazeuse, deux paquets de fruits secs et une barre de céréales.
— J'ai mon précieux ! On peut se remettre au décryptage du charabia affiché sur mon ordi.
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