12.b À la hauteur
— Bien sûr que non, s'entête Nathanaël. Pourquoi serait-ce le cas ?
— Parce que mon passif a des répercussions sur l'homme que je suis aujourd'hui.
— Forcément, mais... Je ne vois toujours pas où tu veux en venir.
Ou il a peur de ne le savoir que trop bien.
Peu importe. Je le rencarde sans hésiter :
— Pour l'instant, t'as vu que mes bons côtés, Nathanaël. Ils ressortent d'eux-mêmes quand je suis avec avec toi. Et ça me plaît. Tu me plais. Alors je veux être franc sur ce point. Je doute que mes démons prennent le dessus face à toi, mais ils existent. Faut que tu le saches. Que t'en reste conscient.
— Ils font souvent surface ? s'inquiète-t-il en malmenant ses doigts.
— En fonction des situations... Avec le temps, j'ai appris à contrôler mes coups de sang. Sauf que je suis comme tout le monde, ma patience a des limites. Donc je finis par réagir si on me titille trop.
Je pourrais ajouter que c'est pas toujours beau à voir, mais je m'abstiens.
Ignorant les dingueries dont je suis capable quand je perds le contrôle, Nathanaël fait encore preuve d'une compréhension sans bornes.
— D'un côté, je trouve ça assez normal. Tout le monde a son point de rupture.
— Et le mien survient quand on me pousse à bout...
Je garde un ton léger, mais il est prévenu.
Si Nathanaël respecte ce principe fondamental, on continuera à se voir et on fera peut-être bonne route ensemble. Sinon, on va vite se crasher.
Après un temps de flottement acceptable, il reprend, le ton léger.
— J'essayerai de ne pas trop te titiller, promis.
Il sort sa vanne avec un grand sourire. L'air innocent qu'il surjoue me rappelle direct combien j'ai envie de lui faire du sale.
Je suis à deux doigts de répondre que ça me dérangera absolument pas qu'il me titille à condition que ce soit avec sa langue. Je me contente de terrer cette réflexion dans un coin de ma tête avec un rire amusé.
— Je te rassure, je m'emporte pas si facilement. C'est important que t'oses toujours me dire ce que tu ressens. Ça évite des incompréhensions et des situations qui se compliquent pour rien.
— Comme la fois où tu n'as pas daigné répondre à mon message ?
Je manque d'exploser de rire.
— Je sens que je vais encore l'entendre longtemps, celle-là.
Nathanaël m'adresse un sourire entendu et le serveur arrive enfin avec nos plats. Tant mieux ! Parce que je compte pas m'expliquer outre mesure.
À bien des niveaux, ça regarde pas la p'tite bouille que Léandro se soit fait casser la gueule après avoir fourré la nana du mauvais lascar.
Ce couillon s'est bien bouffé dix jours d'ITT. Ce qui a requis ma présence au Rodrigue tous les soirs. En plus de répondre à ses obligations habituelles, il fallait que je m'assure que le bad trip de la dernière fois n'était qu'un incident isolé et pas du à un problème de qualité de notre came. En parallèle, je devais m'occuper de mon propre business et empêcher la propagation d'une saleté de champion dans un de mes entrepôts.
J'étais clairement pas dans l'état d'esprit papouilles et petits sourires. Alors j'ai recontacté Nat quand je me suis à nouveau senti d'humeur pour tous ces petits jeux. C'est aussi bête que ça.
Égoïste ?
Aussi, oui. C'est un des traits caractéristiques de cet animal impitoyable appelé Homme. Je m'attendais juste pas à ce que ma p'tite bouille fasse la tête. J'aime pas les caprices, mais en toute honnêteté, s'en était pas un. Il était dans son bon droit. Et sa réaction m'a prouvé qu'il a du caractère derrière son air impressionnable. Ça, j'aime bien. Parce qu'exception faite pour la weed, je prends aucun plaisir à cultiver des plantes vertes.
— Je constate que tu t'es souvenu de mon allergie aux fruits de mer, sourit Nathanaël après avoir comparé nos assiettes à celles des tables voisines.
Le menu d'origine est à base de homard, de Saint-Jacques et de langoustine. Ça l'aurait mal foutu si j'avais oublié de signaler son allergie à la réservation.
— Je me souviens de tout ce qui concerne ma petite merveille.
Allez, hop. C'est presque trop facile de teinter ses joues de rouge. Il tente de masquer son contentement et me souhaite bon appétit avant de commencer à déguster son plat. Le dressage est super. La nourriture aussi, bien qu'en trop petite quantité. C'est pour ça que je suis pas trop dans les grands délires gastronomiques. Mais j'aime la bonne bouffe et le chef qui gère ce resto n'est pas célèbre pour rien. Notre dîner se déroule ensuite parfaitement, plats après plats. Le serveur joue son rôle, sans s'éterniser à notre table. Je le sens plus heureux quand on arrive au dessert mais je l'ignore autant que possible, jusqu'à ce qu'on soit prêts pour l'addition.
Évidemment, c'est moi qui régale. Nat me promet timidement qu'il m'invitera la prochaine fois. J'accepte volontiers, même si ça me dérange pas de tout payer à chaque fois on se voit. J'imagine qu'il a bien autre chose à faire avec le salaire d'un job à mi-temps.
Le regard du serveur s'attarde sur nous quand on s'en va. Je m'efforce de pas le calculer, malgré mon irritation.
En bon salop, j'aurais pu froisser mon pourboire de façon à ce que le billet forme une boule et rebondisse mollement avant de chuter au sol. Ça aurait traduit le fond de ma pensée le concernant. Mais Nat est aussi serveur. Je voudrais pas qu'il croit que je manque de respect à la profession. C'est ce connard-là qui m'a gavé.
Bref.
Je me désintéresse de lui et revient à ma merveille tandis qu'on se dirige vers l'ascenseur.
— Je suis repus ! On va marcher en bords de Seine pour faciliter la digestion ? suggère-t-il avec enthousiasme.
— OK. Tu veux qu'on prenne un ticket pour les escaliers, ou ça va aller ?
— Non, ça devrait aller si l'ascenseur se tient tranquille. Mais ça ira sans doute encore mieux si tu me fais un câlin.
Je valide fort ces requêtes inattendues et les petits sourires espiègles qui vont avec.
— Tu risques de devenir accro à mes bras, je le taquine tout en l'attirant sous l'un d'eux.
Nathanaël s'esclaffe et murmure :
— Quelque chose me dit que ce serait la meilleure des drogues.
Je souris et dépose mes lèvres sur sa tempe.
Quand on s'installe dans un coin de la machine, il se cale confortablement contre moi, la joue pressée à mon pec. Je l'enlace et sens encore son cœur s'accélérer. Mais ce coup-ci, c'est qu'en réponse à la main que je glisse sous sa veste pour cajoler le bas de son dos à travers son t-shirt.
Une fois en bas, on marche ensuite jusqu'à flâner côte à côte le long de la Seine. Les bruits de la ville et les babillages de Nathanaël rythment notre balade tranquille. Je prends beaucoup de plaisir à l'écouter. Ça me détend. De même que la fraîcheur ambiante.
C'est cool que Nat se soit arrangé pour être libre à cette heure. Je préfère sortir le soir. Pas spécialement parce que je suis un oiseau de nuit, même si ça joue. Mais plutôt dans un soucis de réduire mon exposition aux rayons ultraviolets.
À cause du vitiligo, j'y suis plus sensible. Si je fais pas gaffe, j'ai des sensations de brûlure sur ma tache au visage et je me chope vite des coups de soleil. Alors je dois porter des chapeaux et me tartiner de crème solaire en journée. C'est une chance que je kiffe les bobs et les casquettes. Je les collectionne, même. Mais cette dépendance quotidienne aux crèmes et aux baumes apaisant me fait vraiment chier.
— Déhon...
— Oui ?
Je m'arrête à la suite de Nathanaël, pensant qu'il va me reprocher de le laisser mener toutes nos conversations. Mais non. Il décrète :
— Je dois te t'avouer quelque chose, moi aussi. Quelque chose qui sera peut-être un élément rédhibitoire pour toi quant à la suite à donner à notre relation.
Ah...
Il essaie de pas me montrer combien il flippe. C'est raté. Les ombres de la nuit se reflètent dans ses yeux et ne font que souligner l'anxiété qui le ronge.
— Je t'écoute.
— Oui. En fait, je... j'ai eu quelques expériences intimes quand je vivais au Mexique, mais jamais jusqu'à... faire la totale. Tu vois ?
— Je vois, ouais...
— Je... Je ne m'y sens pas encore prêt.
— OK.
Il paraît surtout se sentir coupable. Peut-être de ne pas l'avoir dit plus tôt ?
Ça aurait été appréciable... Sauf que vu mon parcours chaotique, je conçois ses appréhensions et ses hésitations. Je suis peut-être un connard, mais pas le genre qui profite de la naïveté ou de l'inexpérience des autres. Alors je l'entraîne à nouveau dans mes bras pour écourter son supplice et lui assure dans un murmure :
— On ira à ton rythme, p'tite bouille. Tant que je peux avoir des bisous à volonté.
Nat recule légèrement pour me contempler. Je lui adresse un clin d'œil complice.
Voilà tout ce dont il avait besoin pour être rassuré. J'apprécie de voir ses yeux reprendre leur éclat pétillant.
— Merci d'être aussi compréhensif.
— Ça va dans les deux sens.
Je m'autorise à caresser sa joue. Il pose la main par-dessus la mienne et presse son visage contre ma paume. L'intensité de la gratitude dans son regard me pousse à réclamer ses lèvres, qu'il m'offre sans hésiter.
Je vais devoir me contenter de ce régal à l'arrière-goût chocolaté pour ce soir, puisque je lui donnerai pas mon boule par bonté d'âme. On pourrait d'ailleurs s'adonner à tout un tas de coquineries sans en venir à la pénétration. Mais s'il le sent pas encore, j'attendrais. Bien que je sois impatient de pouvoir lui écarter les cuisses.
J'aime penser que même si je savais rien de toutes les déchirures que ça engendre, je serais jamais devenu le genre de chien fini qui insiste pour avoir du sexe.
J'aurais jamais la réponse à cette préoccupation inutile. Tout ça est ancré bien trop profond dans ma chair. C'est ce pourquoi je veux que Nathanaël ait la chance de prendre son temps. Qu'il me fasse assez confiance pour vouloir franchir ce cap de lui-même, plutôt qu'il s'y sente obligé pour continuer à m'intéresser ou une connerie du genre.
J'espère quand même que mon petit canon se décidera à me laisser le tirer avant la Saint-Glinglin.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top