64 : Adélaïde
Ce soir là , elle se baladait entre les rayons ,les bras si chargés d'ouvrages qu'il semblait que sa frêle silhouette pouvait à tout instant s'écrouler sous leur poids . La bibliothèque totalement vide, les immenses étagères paraissent l'écraser, se refermant autour d'elle comme une prison. Perdu dans ce labyrinthe de livre, la jeune femme soupira à l'écoute des craquement plaintif de la bâtisse.
Tout échappait à son contrôle.
Aux yeux d'Adélaïde, sa vie était devenue semblable à sa vieille chaise de bureau : elle avait beau tout faire pour la garder la plus resplendissante possible, le cuir continuait de s'abîmer au niveau des accoudoirs. Ses problèmes s'accumulaient un à un, des plus futiles aux plus déprimants, ils pesaient sur ses épaules, l'étouffant peu à peu. La jeune femme se demanda combien de temps elle arriverait à supporter cette lente agonie. Rien n'était sûr, rien ne pouvait être fait. Mais, cette attente, plongée dans l'incertitude et la peur, la rongeait peu à peu.
Elle ne pouvait rien faire de plus.
Etant quelqu'un de majoritairement actif que passif, appréciant particulièrement la maxime "On n'est jamais mieux servi que par soi-même.", la jeune femme se démenait chaque jour un peu plus afin de redonner un peu d'ordre à son existence. Mais ses ennuies se révélèrent finalement similaire aux têtes de l'hydre de Lerne, il ne suffisait que de s'en débarasser d'un pour deux nouveaux apparaissent. Cette lutte interminable était épuisante, autant physiquement que mentalement, mais le plus dur à supporter était la prison de silence dans laquelle elle s'était enfermée.
Adélaïde n'aimait pas se plaindre, elle avait toujours été depuis sa plus tendre enfance le pilier de son entourage, celui dont la chute est presque synonyme d'apocalypse. Elle devait être une figure rassurante, stable, solide. Même lors des moments difficiles, elle devait se tenir droite et souriante, montrant que rien n'était encore perdu, que tout n'était pas si terrible. Elle continuait alors de rigoler aux blagues, de chantonner se rendant le matin à la bibliothèque, s'inquiétant de la santé des autres, écoutant leurs petits problèmes avec la même oreille attentive. Cette petite pièce interprété dans une mise en scène au décor parfait et lumineux lui permettait autant de feindre l'existence ses problèmes que de se rassurer, tant que tout le monde ne s'inquiétait pas pour elle, tout n'était pas si grave.
Fermant les portes du bâtiment à double tour, la jeune bibliothécaire se demanda combien de jour pourrait-elle encore exécuter cette simple action. Son rêve s'estompait au fil des jours et les mots de sa mère face à ces incertitudes qu'elle lui avait confiées lui revinrent en tête.
"Je te l'avais bien dit, mais tu ne m'as pas prise au sérieux, comme à ton habitude."
Elle lui avait bien dit, elle l'avait prévenue. Pas de compassion, de soutient, de conseil. Juste ces mots : je te l'avais dit.Face à cette phrase la jeune femme pensa la seule raison pour laquelle les parents de Basile aient réussi échappés à la claque lourdement méritée, suite aux horreurs bien plus immondes qu'ils lui avaient répétées jour et nuit à la suite de son accident ,n'était dû qu'à la tétraplégie de leur fils.
Car ces mots là, elle, l'avaient chamboulée, soufflée, détruite. Elle aurait aimé un peu de soutient, quelques paroles rassurantes face au scénario dramatique que prenait lentement son existence. Mais il n'y avait pas de soutient pour les gens forts, pour ceux qui ne baissent pas les bras, ne pleurs pas. Les gens ne voient pas que la tristesse n'est pas forcément synonyme de pleur, que la peur, le doute ne s'accompagnent pas toujours de crise, de grande scène. Parfois une main tremblante, un sourire lent , des yeux sans éclats indiquent bien plus que n'importe quelles réactions démesurées. Ils pensent que le fait de rester droit et inflexible est une démonstration d'invincibilité, ils ne comprennent pas qu'il s'agit d'une chute lente, intérieur, invisible aux yeux des autres.
Au milieu des rues brûlantes et agitées, Adélaïde se sentait plus seule que jamais. Elle se demanda en regardant les passants lesquels souffraient bien plus qu'elle et si certains se rendaient compte de la chance d'avoir un quotidien seulement ponctué de petits bonheurs. Bien qu'elle soit habituellement une personne positive, profitant simplement de la vie et s'extasiant pour des petites choses futiles : comme le fait de pouvoir apercevoir les étoiles par sa fenêtre en s'endormant le soir. Ces derniers temps, le noir et le pessimisme l'emportaient lentement sur ces minuscules réjouissances. Il y avait ces nuits sans dormir, ces mots de ventre, ces yeux lourds , ces migraines. Lentement son corps et son esprit perdaient l'équilibre et sombraient.
Alors qu'elle fermait doucement la porte de son appartement, se coupant du monde extérieur, des larmes salées se mirent à dévaler ses joues silencieusement. Des larmes d'épuisement, il ne s'agissait pas de tristesse, de l'apitoiement sur son propre sort, juste de la fatigue, une fatigue à vous donner envie de vous allonger et de ne plus jamais vous relever.
Face à ce reflet déconstruit de son visage dans le miroir, Adélaïde renifla bruyamment et s'essuya les yeux un peu gauchement. Romain et Ivan se battaient activement contre leur propre démons, Lise et Yseult se retrouvaient effrayée et blessée par l'amour, Basile refaisait face à d'anciens fantômes ayant hanté son passé, emportant avec lui Raphaël dans sa chute. Et elle, elle n'avait qu'un seul rôle à tenir. Non pour son bien être mais pour le leur, ses problèmes pouvaient bien devenir plus silencieux. Il ne lui restait qu'une seule chose à faire.
Un sourire forcé s'installa sur ses lèvres. Et bien qu'il sonnait parfaitement faux au milieu de son visage aux yeux rougis, elle ne put se résoudre à le retirer.
Elle devait encore une fois être le pilier.
Et après tout, elle était le héros de cette histoire, elle n'avait pas besoin d'être sauvée.
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