61 : Lise

Ils étaient allongés comme deux enfants innocents sur son lit, elle regardant le plafond pensivement et lui griffonnant comme à son habitude. Le soleil perçait à travers les fenêtres, glissants le long des lattes du parquet à la manière de serpents lumineux et la musique venant du salon était presque imperceptible. Le jean délavé de la jeune femme gisait mollement sur le dossier de sa chaise de bureau et, les jambes repliées contre sa poitrine, elle observait Romain se concentrant sur ses dessins. Elle aimait la façon dont ses sourcils se fronçaient, la moue enfantine dans laquelle ses lèvres se tordaient et le bruit léger de son crayon contre le papier. Ils étaient tous les deux enfermés dans leur cocon douillet, à l'abri de toute attaque extérieure. Lise se rappela avec un certain amusement leur première rencontre, ce garçonnet un peu perdu et maladroit, qui ne savait pas vraiment comment réagir face à l'excentricité dont elle avait fait preuve. Il lui semblait désormais que celui qu'elle avait rencontré ce jour-là n'avait jamais existé. Romain avait évolué, formant sa chrysalide, l'éclosion n'allait pas tarder et bien que la plupart des gens en pensaient le contraire, elle savait que cette révélation serait grandiose. La jeune fille voyait un potentiel incroyable dans ce petit corps frêle amoché de toute part, elle savait qu'il les dépasserait tous, il lui fallait juste un peu de temps. Un soupir las s'échappant des lèvres du garçon la tira de ses pensées, elle redressa son regard vers lui et d'un air inquisiteur, l'observa longuement.

-Je panique un peu pour la rentrée, avoua-t-il en se laissant tomber à ses côtés. J'ai l'impression que tout va mal aller, que je n'ai pas choisi la bonne filière, que je vais me planter et me retrouver seul.

-Ne t'inquiètes pas, tout va bien aller. C'est normal d'avoir quelques appréhensions, j'avais, moi aussi, peur de m'être trompée de voie. Mais il n'y a pas de raison, si tu sens au fond de toi que c'est la bonne alors tu n'as pas à douter.

Romain ne sembla pas totalement convaincu par les paroles rassurantes de la jeune fille, elle lui prit alors la main comme pour lui témoigner de sa sincérité.

-Eh, ais confiance en toi pour une fois. Je sais pertinemment que tout va bien se passer, il faut juste que tu y croies.

Elle serra un peu plus fort ses doigts dans les siens, le garçon répondant à ce geste affectueux par un sourire et, après un léger soupir, posa son carnet et s'allongea à côté d'elle, fixant le plafond, leurs épaules s'effleurant légèrement.

-J'appréhende surtout de ne pas réussir à m'intégrer. Aucun de mes amis ne va dans ma section et, j'ai encore un peu de mal à dialoguer avec les autres. J'en ai marre qu'ils me prennent pour le mec introverti, ridicule, idiot, de qui ont peu se moquer sans trop de risques. J'aimerais tellement être comme toi, confiante et assurée devant les autres tout en pouvant être moi-même, mais j'ai toujours l'impression que les gens me trouvent ridicule ou ennuyant.

-Ne deviens pas comme moi, les gens ne m'aiment pas. De toute façon tu n'as pas besoin de leur avis, tu es parfait tel que tu es.

Leurs cheveux de jais s'emmêlaient légèrement, leurs deux corps aux allures enfantines gisant sur la couette blanche. Un peu perdue dans ses pensées, la jeune fille ressassée les paroles de Romain dans sa tête, à la manière d'une vieille litanie. Elle repensa à ses propres incertitudes, ses échecs et doutes et, sans trop savoir pourquoi, le visage de Raphaël se dessina dans son esprit. Elle revit cette discussion dans la chambre à sa soirée d'anniversaire, cette promesse silencieuse d'essayer, la peur viscérale qui l'avait envahie. Comment avait-elle pu la masquer pendant tout ce temps, elle qui l'avait habitée toute au long de son adolescence et ne l'avait plus jamais quittée, cette peur de l'engagement, de détruire l'autre. La jeune fille s'était toujours décrit comme un parasite, semblant presque inoffensive au premier abord, elle vous détruit à petit feu dans l'ombre et un jour, finalement rassasiée, elle part en chasse de sa prochaine victime, vous laissant seul et détruit. Bien qu'elle n'est jamais vraiment réussi à se l'avouer, elle était similaire à son père, mais contrairement à lui, elle avait trouvé la solution pour ne pas blesser les gens : garder une certaine distance, ne pas s'engager, fuir avant que tout ne devienne critique.

Mais Raphaël avait réussi à lui faire briser les deux premières règles qu'elle s'était fixée. Elle sentait qu'elle s'attachait lentement à lui, se dirigeant lentement vers ce qu'elle redoutait le plus : tomber totalement amoureuse de lui. Partagées entre l'idée qu'il découvrirait bientôt l'imposture qu'elle était, l'abandonnant, la reniant et celle qu'elle l'anéantirait comme les autres, l'issue finale de cette histoire semblaient désastreuses en tout point, aucunes pensées positives n'existaient, seul dominait la peur. Mais elle ne pouvait s'éloigner de lui sans qu'ils souffrent tous deux, la machine avait été enclenchée sans retour possible et comme une idiote, c'était elle qui avait appuyé sur le bouton. Elle n'avait plus qu'à prier que la fin de cette histoire ne soit pas trop désastreuse.

Perturbée par ses réflexions intérieures, elle se blottit dans les bras de Romain à la recherche d'un peu de réconfort, le garçon la serra contre lui sans poser la moindre question, au plus grand bonheur de la jeune fille. Même si l'envie de se confier lui brûlait la langue, elle préféra rester silencieuse, refusant de l'impliquer dans ses états d'âme. Comme perdue au milieu d'un chemin, Lise n'avait d'autres choix que de continuer, se rendant compte trop tard de l'erreur qu'elle avait commise. Elle n'avait plus qu'à essayer d'affaiblir l'explosion qu'elle allait provoquer.



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