60 : Raphaël
Il posa devant Adélaïde une tasse de thé fumant et s'installa face à elle. Jetant un rapide coup d'œil vers la chambre de Basile, dont quelques notes de jazz perçaient à travers la porte, il s'assura que son ami ne s'apprêtait pas à épier leur conversation. Baissant sa voix, il mit au courant la jeune bibliothécaire des derniers évènements qui avaient secoué la maison, puis; lentement, comme un espion dans un film d'action, il sortit de sa poche une enveloppe écornée sur laquelle s'étalaient de grandes lettres à l'encre bleue. La jeune femme la saisit, puis après l'avoir rapidement parcourue, la laissa tomber mollement le visage impassible. Elle interrogea une nouvelle fois Raphaël sur la réaction de l'homme face à ce courrier et, après avoir passé sa main sur ses paupières et s'être massée les tempes, prit une grande gorgée de thé.
Toute cette situation échappée totalement au jeune homme qui ne connaissait seulement que quelques bribes du passé de ses amis. Qui était donc cette Esmée ? Était-ce la même que celle dont avait parlé Basile sur la colline ? Mais le plus important était ce qu'elle avait fait pour que ces excuses écrites déclenchent de telles réactions. Il avait lu et relu ces lignes durant plusieurs jours, recherchant le moindre indice pouvant donner un sens à tout ce qui se déroulait autour de lui. Il avait observé parmi les photos où il avait méthodiquement fait disparaitre son visage, chaque détail afin de comprendre le rôle de cette inconnue. Mais rien ne l'avait plus éclairé, seule la honte qui émanait de la lettre lui avait révélé une information : Esmée était fautive.
Sans un mot, la jeune femme attablée devant lui se leva et déchira laconiquement l'enveloppe et son contenu avant de le jeter dans la poubelle. Des flammes brûlantes flottaient désormais dans ses yeux mais il lui semblait impossible de laisser éclater sa colère. Face à son trouble, Raphaël lui pria de lui expliquer la situation. Ce n'est alors que comme transporté dans un vieux film, il découvrit le passé insoupçonnable des personnes qui lui étaient les plus proches. Jamais il n'aurait pu imaginer Basile, cette figure de l'austérité et du pessimisme être follement amoureux d'un autre être humain. Les photos qu'il avait eues entre des doigts servaient de support à son imagination. Il voyait la joyeuse troupe rigolait, les moments complices que partageaient Esmée et son ami, les mêmes que ceux qu'il partageait avec Lise. Il découvrait une personne qu'il n'aurait jamais pu imaginer, comme si l'homme qu'il connaissait désormais n'avait jamais été semblable à celui que lui conter Adélaïde.
Il voyait ces visages familiers flottant dans son esprit, si proche d'eux bien qu'il ne les ait jamais connus. Esmée et Basile, deux jeunes gens dont l'avenir semblait radieux, le bonheur d'avoir enfin trouvé une deuxième partie de son être, les jours à venir semblaient radieux. Ils étaient jeunes, ambitieux, amoureux, qui ne leur aurait pas prédit des jours heureux ? Mais la fin de l'histoire était bien plus triste que celle que l'on leur avait imaginée. Éclatant dans son esprit, la violence de l'accident vint briser cette idylle. Le récit d'Adélaïde, permettait au jeune homme d'éclaircir les nombreuses zones d'ombre et de doute que son imaginaire avait rempli de supposions. Basile n'avait jamais été seul dans cette voiture roulant de nuit.
L'émotion forma une boule dans la gorge de Raphaël alors que la jeune femme continuait de lui conter les événements, sa voix se fondant dans une mélodie monotone, ses doigts tapants le rythme le long de sa tasse. Pouvait-on vraiment ressentir la rage que procure la trahison ? Le jeune homme ne le savait pas vraiment, mais à ce moment-là, l'émotion qui empara son corps lui sembla plus vrai que nature, comme si l'affront fait à son ami des années auparavant lui avait été destiné. Il comprenait les doutes et les peurs de la jeune femme mais son choix lui semblait inimaginable. Son regard accueillait désormais le même brasier que celui qui avait allumé les iris de Basile et d'Adélaïde. La jeune femme apercevant la haine grandissante de son interlocuteur lui souffla doucement :
-Ne te méprend pas, Esmée n'était pas une femme odieuse et sa décision n'est pas une infamie. Il faut comprendre que tout ceci la dépassait, elle était en état de choc, elle a préféré penser à elle quitte à anéantir celui qu'elle aimait. -Tout de même, comment a-t-elle pu lui faire ça, le laisser d'une telle façon.
-Elle a eu peur, nous ne pouvons pas savoir comment nous aurions réagi à sa place.
Raphaël se révolta face au calme de la jeune femme, la rage, l'envie de vengeance enflammée son esprit. Les mots de la lettre avaient désormais pris leur véritable sens. Il ne s'agissait pas d'excuse mais d'un acte de pur égoïsme pour laver sa conscience, un ultime coup de poignard qui avait rouvert d'anciennes plaies.
-Et dire que maintenant Basile veut mettre fin à ses jours tout ça à cause des actions de cette femme égoïste, tout ça parce qu'elle a détruit le peu d'espoir qu'il lui restait.
-Ne dit pas ça, s'offensa Adélaïde en fronçant les sourcils, Esmée a peut-être pris de mauvaises décisions mais il ne faut en aucune la rendre responsable de tout. Les choix de Basile sont les choix de Basile.
Elle but une longue gorgée de thé et sous le regard courroucé de Raphaël, passa laconiquement sa main dans ses cheveux et tourna vers le jeune homme un regard triste.
-Je connaissais déjà bien Basile à l'époque, et lorsque l'on m'a annoncé qu'il était vivant et le destin qui lui était réservé, une partie de mon être avait déjà compris quel serait le dernier mot de l'histoire. J'étais beaucoup trop optimiste pour accepter cette horrible fatalité, j'avais l'espoir d'avoir tort. Peu importe les événements, Basile aurait pris cette décision et je doute que nous puissions le faire changer d'avis.
Raphaël n'esquissa pas le moindre mouvement face à cette déclaration. Adélaïde avait perdu espoir mais pas lui, il le savait au plus profond de son être, il ferait vivre Basile. Il le sentait, ils étaient sur le bon chemin vers le bonheur.
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