56 : Basile
Il décortiqua avec rage le bout de papier sur lequel s'étalaient de longues lettres harmonieuses, semblables à d'immenses pattes d'araignée. Cette lettre était une infamie, un attentat envers sa propre personne et si son corps avait encore était pourvu de motricité il l'aurait sans doute déchirée avant de la brûler. Mais aujourd'hui il ne pouvait faire d'autre chose que de la fixer, ses yeux brûlant d'une colère dévastatrice. Les mots tournaient dans sa tête comme une comptine malicieuse, comme si le diable lui-même s'était mis à les chanter. Des excuses dénuées de sentiment, des justifications de mauvaise foi et un nom qu'il aurait dû oublier à tout jamais.
Il tenta de cacher son trouble face à Raphaël, s'affairant dans le coin de la cuisine. Qui aurait pu penser que parmi le courrier du matin, une véritable bombe s'était glissé entre les factures et les brochures. L'adresse marquée au stylo bleu sur le dessus de l'enveloppe affichait le nom honteux d'une ville bien trop loin, preuve des agissements passés de l'expéditeur. La rage du jeune homme était telle que sa main quasi inerte, nonchalamment étalée sur la table, était parvenue à froisser le coin supérieur de la feuille.
-Alors qu'est-ce que cette Esmée te raconte beau ? Cela doit être important pour qu'elle t'envoie une lettre, s'exclama Raphaël en posant une tasse de café fumante.
-Seulement de belles conneries. Veux-tu bien la jeter à la poubelle et mettre un peu de Paul Anka, le plus fort possible. Si la voisine vient râler dis-lui que je ne supporte pas sa voix mais que je ne viens pas pour autant sonner à sa porte.
Et sans même jeter un regard à la boisson que venait de lui tendre le jeune homme, Basile se dirigea dans le salon. Son assistant le suivi un peu désemparé, le voyant immobile au milieu de la pièce, il mit la musique qu'il lui avait demandée et tenant toujours la lettre dans sa main, se dirigea vers l'homme.
-Basile, peux-tu au moins m'expliquer ce qui se passe. J'aimerais que tu me parles un minimum avant de partir dans tes lubies étranges.
Posant sa main sur son épaule, Basile, dont les paupières closes rendaient le visage inexpressif, ouvrit les yeux en papillonnant. Regardant Raphaël comme s'il était étrange de le retrouver à ses côtés, il ne dit rien et l'observa quelques instants avant de se diriger vers un buffet dans le coin de la pièce.
-Tiens, comme nous n'aurons rien d'autre à faire aujourd'hui, dernier tiroir à droite, tu trouveras une boîte verte. Dedans il y a d'ancienne photo, je vais te désigner une jeune femme et je veux que tu la fasses disparaitre de toutes les photos sur lesquelles elle apparaît, au minimum son visage. Produit basique, ciseaux, feu, peu importe la méthode, je veux juste qu'elle ne soit plus reconnaissable, essaye juste de ne pas trop abimer les autres visages. Si jamais la photo est fichue jetée là, ce n'est une grande perte.
Jetant un regard circulaire sur la pièce, ses pupilles s'attardèrent sur certains éléments de la décoration et un frisson de dégout lui parcourut l'échine. Il lui semblait désormais impossible de ne pas les dévisager avec une certaine répulsion. Alors, demandant à Raphaël d'aussi rapporter un carton, Basile fit le tour de son appartement à la recherche d'éléments désormais salis par la trahison. Cadres, chemises, bibelots, tous avaient perdu leur valeur d'un seul coup, il n'avait suffi que d'une lettre, que de quelques mots pour changer radicalement sa vision des choses. Ce fut avec une forte répulsion qu'il désigna à Raphaël le visage basané de la jeune femme, dans ses bras, au centre d'une photo. Il n'y avait plus rien, seulement une rage intense qui brûlait son cœur, anéantissant tout autre sentiment et réduisant en cendres tout souvenir, ne laissant celui que de cette abominable lettre.
Il avait réussi au fil des années à s'accommoder de cet autre démon qui pesait sur son cœur et qui l'avait détruit davantage. Mais aujourd'hui, il refusait obstinément de le voir grandir et pourrir en lui. Le seul moyen de se débarrasser de cette mauvaise herbe était de l'exterminer jusqu'à la racine et pas une seule seconde il n'hésita quand Raphaël lui demanda son accord avant d'amener les affaires chez emaeus. Il ne cilla pas quand les traits de la femme disparurent sous le dissolvant, pas même un sourire fade ne put décorer ses lèvres. Il se sentait désormais encore plus impuissant car désormais, plus aucune émotion n'habitait son corps.
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