54 : Adélaïde

La femme s'étira et laissa lourdement tomber son dos contre le dossier de la chaise. Bien qu'elle approchait probablement la soixantaine et que la journée avait été harassante, il flottait encore cette lueur juvénile qu'Adélaïde avait repérée et qui ne semblait pouvoir disparaître. D'un geste machinal, Elise Gillain remonta ses lunettes son nez, regarda furtivement sa montre et releva les yeux, zyeutant de loin la silhouette de la bibliothécaire portant une lourde pille de livres. Quand elle fut à sa hauteur, elle lui demanda si elle comptait fermer la bibliothèque et si elle pouvait attendre son mari à l'intérieur. 

-Il ne me laisse plus reprendre la voiture seule, rajouta-t-elle en rigolant, souvent quand quelque chose nous arrive, nos proches ont tendance à ne plus vouloir prendre de risque.

La jeune femme s'avança vers le bureau, un sourire compréhensif sur son visage, le débarrassa de plusieurs bouquins et demanda à son interlocuteur si elle souhaitait un rafraîchissement.

-Volontiers, par cette chaleur et avec tout mon blabla je ne sens plus ma gorge, un verre d'eau ira ,ne vous embêtez pas. Cela fait bien des années que nous n'avions pas eu un mois de juin aussi chaud.

Alliant le geste à la parole, elle s'éventa de sa main en attendant le retour d'Adélaïde. Lorsque cette dernière revint, la femme la remercia en souriant et bu lentement.
-C'est incroyable comme je ne tiens plus aussi bien les conférences et dédicaces. Et dire que dans ma jeunesse, je redoublais de force et de vivacité ! Mais le temps passe et malheureusement, je ne suis pas immortelle. 

Adélaïde lui sourit, mais ne rajouta rien, très timide en compagnie de cette femme qu'elle admirait énormément. Son livre, les fleurs chantent aussi, n'était pas le plus beau ni le plus incroyable, mais elle avait retrouvé parmi les souvenirs d'Elise Gillain un reflet de sa propre histoire, une sage leçon sur la vie, une histoire d'amitié et d'amour qui bien qu'il n'en reste aucune trace à aujourd'hui l'avait fait rêver pendant la fin de son adolescence. Si elle avait imaginé un jour se retrouver face à cette dame forte et admirable, elle n'y aurait jamais cru. Et bien que des milliers de questions voulaient être posées et qu'elle aurait pu écouter pendant des heures les récits de la jeunesse de l'auteur, elle restait timide, cachée derrière ses sourires.

La bibliothécaire sortie alors une feuille d'un tiroir de son bureau et la présenta devant elle. Madame Gillain posa un regard intrigué sur le bout de papier, sortie ses lunettes de sa poche et les posa sur le bout de son nez. Alors qu'elle semblait en pleine lecture du document, Adélaïde lui indiqua d'une voix faible :

-Voici les coordonnés de mon patron, je vous prie, vous ou votre maison d'édition, de le contacter afin de parler du règlement de la journée. 

-Ranger moi ça tout de suite, nous n'en aurons pas besoin. Je ne souhaite pas être payé pour cette intervention, garder donc l'argent et invitez un nouvel auteur. 

Totalement incrédule Adélaïde ne bougea pas d'un cheveu, face à sa mine septique la femme ne put retenir un gloussement et déchaussa ses lunettes. 

-Asseyez-vous ma chère et rangez moi donc ce bout de papier. 

Voyant que la jeune femme n'exécutait pas ses ordres elle rajouta :

-Allez ! Dépêchez donc !

Madame Gillain lui prit alors la main, un regard affectueux sur le visage, semblable à celui des bonnes grand-mères que l'on voit dans les films. 

-Ma chère Adélaïde, j'ai compris tout le fond de l'histoire dès que j'ai lu votre e-mail. Vous étiez tellement désespéré ! Et même aujourd'hui, malgré vos airs apaisés, on voyait dans votre regard que vous étiez effrayée. Cela se voit dès que l'on vous aperçoit : cette bibliothèque est votre rêve, vous la chérissait plus que tout et son avenir est tout aussi important que le vôtre vu qu'ils sont étroitement liés, presque indissociables. Ayant de nombreux amis libraires, je devine bien vite dans quelle situation précaire doit se retrouver cette petite bibliothèque non-municipale. Alors je veux que vous gardiez cet argent pour pouvoir organiser encore de nombreux évènements. Comme vous le savez je n'ai pas pu réaliser mon rêve alors si cette minuscule action peut vous aider à réaliser le vôtre j'en serais incroyablement honorée. 

Adélaïde ne sut que dire face à cette déclaration, sa gorge semblait s'être nouée sur le coup. Comment était-ce possible qu'une femme aussi admirable le devienne davantage à ses yeux ? Jamais elle ne pourrait la remercier de tout ce qu'elle avait fait dans sa vie. La femme ne s'arrêta pas face au trouble de son interlocutrice et continua en lui serrant la main plus fermement.

-Mais n'oubliez jamais, un rêve ne dicte jamais une vie. Ou sinon il se transforme très vite en cauchemar. 

-Je ne sais comment vous remercier. 

-Soyez heureuse ma chère, peu importe que vous réalisiez vos rêves ou non. Ne ne vous refusez jamais rien, ni opportunités , ni échecs, car ils ne sont pas une fatalité, mais juste un nouveau départ pour l'avenir. 

Elle lâcha finalement sa main et lui sourit de plus belle. 

-Nous sommes tous aptes à faire de grandes choses et chaque action est incroyable, même la plus futile, lorsqu'elle apporte le bonheur. Beaucoup de personnes se trompent en voyant en mon livre une incitation à réaliser ses rêves, il s'agit d'une ode au bonheur et que l'on peut être heureux à l'exact opposé de ses rêves. La vie est belle de multiples façons, gardez toujours cela à l'esprit quand les temps sont durs et que votre vie est chamboulée, n'essayait jamais de voir votre existence seulement par un seul spectre.


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