51 : Lise
Il était étrange d'être proche d'une personne avec qui on avait toujours instauré une certaine distance. Elle déposa un baiser sur la joue de Raphaël pour le saluer et s'assit à côté de lui. Lise n'avait jamais été quelqu'un de très tactile et par chance le jeune homme non plus. Il y avait encore entre eux cette gêne mutuelle, ces hésitations, ces tentatives ,ces joues qui rougissent et ces regards qui se détournent. Ils ne savaient pas encore trop comment mener leur barque, ayant peur d'empiéter sur l'autre, d'aller trop vite, de s'effrayer mutuellement. Mais sa relation avec le jeune homme n'était pas ce qui préoccupait le plus Lise ces derniers temps. La fin de l'année approchant, les examens arrivaient eux aussi et l'idée de passer devant un jury pour qu'ils observent ses projets la paralysait rien que d'y penser. Elle en aurait même oublié son anniversaire si sa mère ne lui avait pas demandé quelques jours plus tôt ce qu'elle prévoyait.
C'est donc pourquoi, en ce vendredi trois juin, ils étaient arrivés un peu plus tôt à la bibliothèque afin de préparer leur petit goûter du soir, la jeune femme ayant fortement milité contre toute chose pouvant ressembler à une fête. Alors qu'Adélaïde continuait de travailler en papotant avec Basile, Lise profita de ce manque d'attention à leur égard pour discuter avec son copain.
-Aussi, dit-elle pour lancer la conversation posant par la même occasion sa main sur son avant-bras, ma mère aimerait t'inviter à dîner à la maison. Elle te voit sans cesse passer en coup de vent et elle aimerait bien un peu plus te connaître.
La bouche du jeune homme se tordit en une moue inquiète et il fronça les sourcils. Voyant son visage se tendre ainsi, la jeune fille se pressa de rajouter :
-Ne t'inquiète pas, ça ne va pas être un interrogatoire de police, elle ne va pas te poser des tonnes de questions et te demander de ne plus m'approcher.
Malgré ces paroles, il ne sembla pas beaucoup plus rassuré, et après qu'elle l'ait regardé avec insistance pendant de longues secondes, il souffla.
-Peu probable que je sois vraiment la représentation du gendre idéal de ta mère. Je me souviens encore du regard étonné qu'elle nous a lancé la dernière fois quand tu m'as dit au revoir .
-Eh, ne dis pas ça, le sermonna-t-elle gentiment en redirigeant son visage vers le sien pour pouvoir croiser son regard, tu es parfait et elle le sait tout autant que moi.
Il lui accorda un petit sourire sans trop y croire intérieurement. Lise le regarda alors plus intensément pour le faire craquer et après un soupir puis un sourire en signe d'abdication, il lui ébouriffa les cheveux en lui demandant d'arrêter ces fourbes techniques de manipulation. Demande à laquelle elle répondit par un petit rire.
*
Quand la bibliothèque fut finalement fermée, les invités tous arrivés et les bougies soufflées, les festivités purent enfin commencer. Adélaïde avait délaissé ses talons, arpentant pieds nus le parquet ciré afin que personne ne manque de rien, Romain s'était assis à côté d'Yseult et d'Ivan et écouté le monologue de la jeune fille entre lui et ce dernier. Lise, elle, s'était installée entre Raphaël et Basile, désormais un peu plus proche et à l'aise avec eux. Tout se déroulait bien, l'on discutait, l'on mangeait et rigolait. Lors de l'ouverture des cadeaux ce fut un défilé de merci, de sourire et de « il ne fallait pas ». Le bureau de la bibliothèque était désormais recouvert d'un énorme charivari de papier, de cadeau et de nourriture en tous genre.
Pendant qu'elle s'amusait avec Basile à taquiner Raphaël, Lise sursauta au bruit d'un verre brisé. Tous se tournèrent vers Romain et Adélaïde, cette dernière le pied meurtri par des éclats de verre. Dans le corps de la jeune fille son sang ne fit qu'un tour mais ce ne fut rien comparé au garçon qui avait laissé échapper l'objet et qui semblait désormais se liquéfier sur place. Tous approchèrent en tentant de garder leur calme mais personne ne parvint à anticiper la réaction de Romain. Alors qu'un flot de larmes commençaient à dévaler ses joues, ses mains parcourues de tremblements se jetèrent compulsivement sur les bouts de verre et d'une façon désordonnée se mirent à les ramasser. Paniquée de le voir agir aussi impulsivement, Lise se rua vers lui et en le tirant par l'épaule lui demanda le plus calmement qu'elle put d'arrêter. Mais le jeune garçon comme plongé dans une totale frénésie , ne l'écouta pas et d'un geste brusque pour se dégager de la poigne de la jeune fille, il continua sa collecte des éclats de verre sans se soucier des nombreuses coupures qui sillonnaient désormais ses mains. Bien que son corps ait davantage la morphologie d'une brindille que du solide roc, Romain n'eut aucun mal à résister aux tentatives désespérées de la petite chinoise pour le retenir.
-Ivan ! Bon Dieu vient m'aider ! Cria-t-elle à l'adresse du jeune homme totalement abasourdi par la scène.
L'éclat de voix de la jeune fille sembla faire disparaître la torpeur qui les avait tous envahis. Ivan saisit fermement Romain à la manière d'un policier arrêtant quelqu'un et Yseult se mit à fouiller dans les tiroirs à la recherche d'une trousse de soin avant de rejoindre Raphaël qui s'était déjà occupé du mieux qu'il pouvait d'Adélaïde, livide et pantelante. Basile quant à lui assistait impuissant à toute cette scène digne d'une tragédie de mauvaise qualité. Les sanglots de Romain redoublèrent et, les bras toujours maintenus dans le dos, il continua de se débattre ,mais Ivan ne desserra pas sa poigne. Totalement dépassée par les évènements, Lise saisit le portable du garçon et contacta la mère de ce dernier, lui demandant de venir au plus vite. Elle se dirigea ensuite vers Romain et passant ses mains de part et d'autre de son visage, lui murmura des paroles rassurantes pour le calmer. Lorsqu'elle vit qu'il cessait de s'agiter, elle le prit dans ses bras et lançant un regard appuyé à Ivan, lui demandant de le relâcher. Si lors des premiers instants, il hésita, pensant que le garçon qu'il retenait était prêt à sauter à la gorge de n'importe qui, il finit par obtempérer. Et comme un corps sans vie, masse lourde dénuée d'énergie, Romain fondit en larmes dans les bras de la jeune fille qui le garda fermement contre elle.
*
A la suite du départ du garçon, l'ambiance se fit encore plus tendue que lors de sa crise. On avait tout rangé, l'on s'était occupé d'Adélaïde et des mains de Romain. Lorsque sa mère était finalement arrivée, elle l'avait pris dans ses bras, les avait remerciés de l'avoir appelé et était repartie sans explication, disant qu'elle leur transmettrait de ses nouvelles demain. Tous s'étaient alors quittés dans l'incompréhension générale. Ivan avant raccompagné Adélaïde et Yseult, et Lise et Raphaël, après avoir ramené Basile chez lui, étaient rentrés à l'appartement de la jeune fille.
-Je ne sais pas ce qu'a eu Romain ce soir, je suis inquiète pour lui, je ne l'ai jamais vu dans un tel état.
-Eh, tu as fait ce qu'il fallait faire Lise, j'espère qu'il ira mieux demain, répondit le jeune homme en lui prenant la main d'une manière rassurante.
Lise opina et déverrouilla la porte d'entrée. Restant sur le perron, elle regarda le visage de Raphaël découpé par la lumière du couloir et lui sourit.
-Je t'aurais bien proposé de passer la nuit ici mais je pense que si ma mère te retrouve demain dans mon lit, elle te jetterait par la fenêtre, même si on est au troisième étage.
-Je doute que ça soit la bonne impression que tu espérais que je lui fasse.
Leurs mains toujours accrochées se balançaient mollement dans le vide et après un sourire amusé, Lise observa ses deux prunelles noisette qui luisaient pleine de malice.
-Fais attention à toi en rentrant, lui dit-elle.
-Ne t'inquiète pas, dors bien. On se retrouve demain comme d'habitude ?
-Oui, dors bien toi aussi.
Et d'un petit signe de main il la salua avant de disparaître dans les escaliers.
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