50 : Adélaïde

Sa valisette à la main, elle attendait patiemment, appréhendant les heures à venir. Elle se demandait quelle mouche l'avait piquée lorsqu'elle a pris la décision d'accepter cette invitation. Rien n'avait vraiment changé en deux ans, il s'agissait toujours du même hall de gare, sol gris, distributeurs de billets jaune criard et vitres, donnant sur le centre-ville, devant lesquels affluaient bus et taxis. Elle vérifia qu'elle était bien habillée et souffla un grand coup pour se détendre. Qu'allait-il se passer quand elle les reverrait ? Ces personnes qui représentaient les meilleures années de sa vie, elles avec qui elle n'avait partagé que de vagues messages au cours de ces deux dernières années. La jeune femme ne voulait pas penser au fait que Marc serait peut-être là, lui qui lui avait été pendant longtemps si cher à son cœur. Et eux comment réagirait-il ? Elle ne se voyait pas être accueillie par un torrent de larmes et d'embrassades, chacun lui disant à quel point elle avait changé ou non. 

Jacques apparut soudain en plein milieu de la foule, dans une nouvelle version bien plus grande et flamboyante de celle dont elle se souvenait. Un sourire décora ses lèvres quand il la reconnu au loin et la jeune femme fit de même, son estomac se tordant dans son ventre sous l'appréhension. D'un éclat de voix dont elle avait fini par oublier la chaleur, il la salua et la prit dans ses bras. Alors que son corps était traversé par un méli-mélo d'émotions, réconforts, joie, tristesse, étonnement, son visage se fit encore plus lunaire, sa voix morne et ses muscles crispés. Elle avait l'impression d'avoir raté une marche, qu'un engrenage venait de se décaler comme si elle revenait d'un voyage dans le temps. Sans vraiment remarquer son trouble le jeune homme continua de badiner joyeusement, expliquant que Vincent les attendait dans la voiture, qu'ils avaient un programme plus chargé que celui d'un ministre et le tout en ponctuant sans cesse ses phrases par le fait qu'elle lui avait manqué et qu'il était très content de la revoir. Elle avait l'impression de ne plus être maitre de son corps.

*

Ils n'étaient pas retourné aux anciens endroits qu'ils avaient fréquentés, il en était peut-être mieux ainsi, rester loin des souvenirs, leur présence suffisant simplement à raviver leur film intérieur. C'était donc dans un café du coin, endroit devant lequel elle avait dû souvent passer sans pour autant y mettre les pieds, que tous s'étaient retrouvés. Il manquait beaucoup de monde à l'appel, et c'est avec une forte déception qu'elle vît l'absence de certains visages chers, dont un dominant plus que les autres. C'est dans des chaudes embrassades, accompagnées de grands sourires qu'elle retrouva des personnes presque oubliées, et se sentant honteuse, elle regretta d'avoir chéri davantage certaines retrouvailles de personnes aujourd'hui absentes. On lui posa alors de nombreuses questions sur sa vie, son travail, vers où elle se dirigeait. Ce fut étrange pour elle que de voir qu'en deux années, le seul changement majeur survenu fut l'arrivée du petit groupe de la bibliothèque, à part ces nouvelles rencontres sa vie ne se découpait qu'en une routine bien rythmée. Elle parla vaguement de Basile, répondant aux questions que l'on lui posait à son sujet, tentant tant bien que mal à éviter de révéler l'information interdite. Ce fut ensuite aux tours de ses anciens amis de lui conter leur vie. Elle découvrit alors de nouvelles vocations survenues, de nouvelles amitiés créees et bien qu'elle mit tous les efforts du monde à essayer de retenir ce flux d'informations, elle était certaines qu'elle ne parviendrait jamais à se souvenir de la totalité.

*

Elle se demanda encore une fois, alors qu'elle passait la porte d'une librairie accompagnée de Vincent, quelle idée lui était passée par la tête lorsqu'elle avait accepté cette proposition idiote. Son corps était en proie à un terrible dilemme, elle avait en même temps l'envie incroyable de le revoir et de courir à toutes jambes vers la gare. Sa tête était envahie de pensées et son corps semblait s'être transformé en mélasse. Alors que Jaques, un peu plus loin devant, parlait à une jeune femme derrière le comptoir, celui pour lequel tous trois s'étaient rendus ici, sortit de la réserve. D'un regard faussement désabusé qui le caractérisait tant, Marc salua en souriant le jeune homme. Il semblait avoir radicalement changé, comme si s'était opéré en lui une mue intérieure. Mais la jeune femme s'en fichait bien, car à cet instant, face à cette vision réelle de son ami cher, personne n'aurait pu être plus joyeux qu'elle. Si elle n'avait pas été figé par cette émotion trop forte, elle se serrait sûrement jeté dans ses bras. Mais cette euphorie ne dura que peu de temps, le regard morne qu'il posa sur elle et le sourire crispé qu'il lui afficha, sans même marmonner un petit bonjour, la broya, la pulvérisa et sembla détruire son être comme jamais elle ne l'avait ressenti auparavant. Elle avait pourtant essuyé de nombreux coups durs tout au long de son existence, mais jamais encore elle ne s'était aussi détruite. Alors après avoir attendu quelques minutes qu'il finisse sa conversation avec Jaques, elle le fixa .Mais voyant qu'il n'esquissait aucun pas afin de lancer la conversation, elle tira la manche de Vincent, murmurant qu'il semblait avoir beaucoup de travail et qu'il fallait mieux partir. D'un ton presque acerbe elle lança qu'elle était ravie de le revoir, avant de lui tourner le dos et de se diriger vers la porte. Le "moi aussi" qu'il dit en guise de réponse par simple politesse eut l'effet d'un énième coup de couteau, et intérieurement, elle se félicita de lui tourner le dos afin de ne pas voir la mine inexpressive qu'il devait afficher.

Alors qu'elle essayait de colmater la faille créée avec la joie des autres retrouvailles, elle discutait avec Jaques et Vincent feignant d'être joyeuse. Ce fut lorsqu'elle s'apprêta à leur dire au revoir pour aller prendre son train qu'une question lui vint à l'esprit.

-Aussi, j'ai totalement oublié de vous demander, comment va Esmée ?

-Je l'ignore autant que toi, répondit Vincent avec son flegme habituel, elle a déménagé depuis longtemps et aucun moyen d'avoir de ses nouvelles.

Adélaïde hocha la tête et se tordit les mains afin d'extérioriser les sentiments qui envahissaient son corps. Elle finit par saluer les deux garçons, les remerciant de cette journée. Lors du trajet du retour, la jeune femme se réjouit du bilan de cette journée, semblant bien moins terrible que ce qu'elle s'était imaginé. Mais tout au fond d'elle, elle le sentait, la faille créée par Marc continuait de s'agrandir.



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