5 : Basile
Gris était le ciel le matin mais Basile l'aimait bien même si le noir lui correspondait plus. Posté devant la fenêtre , il observait souvent les passants , avec leurs démarches si différentes et leurs visages crispés. Son auxiliaire de vie , Annie ou Isabelle , il ne se souvenait plus bien de son nom , rentra dans la pièce. De sa voix nasillarde qui lui déchirait les tympans , elle lui dit d'un air atone.
-Le docteur Xavier va bientôt arriver.
Il n'eut même le temps de répondre qu'elle était déjà sortie. La pluie se mit à tomber comme pour accompagner la complainte de son cœur désespéré. Il bougea maladroitement son bras encore valide vers la fenêtre avant de le laisser tomber mollement sur l'accoudoir. Depuis deux ans et vingt-sept jours il était là , cloué dans ce fauteuil avec pour seul membre encore utilisable son bras gauche. Il ferma les yeux et respira longuement comme pour ravaler un sanglot , son corps était vide de sensation , d'émotion , vide de vie. Il ne ressemblait plus qu'à un tableau abîmé et délavé , ayant perdu ses couleurs d'antan dont il était si fier. Combien de pages ses doigts avaient-ils parcourues ? Combien de corps ses bras avaient-ils serrés ? Et ses jambes , qui autrefois parcouraient les côtes du Finistère à toute allure. Il revoyait les landes désertiques , les falaises abruptes , le vent iodé de la mer lui fouettant le visage. Comment avait-il pu finir là , entre ces murs tristes , à regarder les passants ? Lui qui aimait tant voyager , écrire , découvrir et parcourir les moindres recoins du monde mais tous ces plaisirs lui avaient été retirés en un claquement de doigt. Il avait seulement suffi d'un choc , d'un cri et du noir pour briser la courbe du temps.
Comme beaucoup de philosophe et de littéraire , Basile avait souvent méprisé et voué une vrai aversion pour la mort. Mais aujourd'hui il n'attendait plus que ça , son dernier battement de cœur. Il ne voulait pas de cette vie là , à vivre aux dépens des autres , sous les regards de pitié de ses proches. Il voulait revenir celui d'avant , le Basile qu'on acclamait , que l'on enviait et que l'on trouvait charismatique , pas l'homme affaibli que l'on poussait dans un fauteuil. Il regarda d'un air mélancolique les gouttes s'écraser sur les carreaux , elles formaient de petites taches sur la buée avant de devenir de longues coulées. Il se demanda si les choses arrivaient vraiment par hasard ou si l'on méritait chacun ce que l'on subissait. Il observa les feuilles brunes portées par le vent , les parapluies colorés des passants soufflés et l'eau s'écouler le long du caniveau. Il sourit , il ne sut pas vraiment pourquoi mais ce tableau lui avait plu , il ferma ses yeux pour l'enregistrer à jamais dans sa mémoire.
Comme le médecin n'arrivait toujours pas , il s'était dirigé vers la bibliothèque. Une tranche noir attira étrangement son regard , "Le premier jour de ma mort" de Philippe Sohier. Instinctivement il voulut le prendre dans sa main mais il y renonça vite en songeant à sa dernière tentative du genre. Il retourna donc devant sa fenêtre , son cœur encore un peu plus déchiré. Il le savait , un jour il explosera et ce jour là , il ne sait pas vraiment ce qui se passera.
Puis il se posa de nouveau la question , une question à laquelle personne n'avait de réponse : Quand tout notre être est mort mais que notre cœur bat , est-on encore vivant ?
Tels étaient les questions de Basile.
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