48 : Yseult

Il fut un temps, lointain dans sa mémoire, où les anniversaires et Noël étaient les meilleurs moments de l'année. Maintenant, ils n'étaient plus qu'une démonstration du changement provoqué par le départ de son père. Une carte de Moscou dans les mains, un rapide mot dénué de sentiments et de personnalité griffonné au dos, elle baissa un regard morne sur le contenu du colis. Un album en russe des plus beaux endroits du pays, un porte-clef en forme de poupée gigogne et un paquet d'une probable spécialité du pays qui de par l'odeur lui indiquait qu'elles étaient à la menthe. La jeune fille finit par se demander si son père se souvenait encore de ses goûts et de l'âge qu'elle avait, peut-être que dans plusieurs années il finirait même par oublier son visage et son sexe, ou bien même son existence.

-Alors qu'a-t-on aujourd'hui ? Des babouches, une chapka en poils de marmotte ? L'interrogea sa mère en passant derrière elle.

-Maman, s'il te plaît...Je vais aller le ranger avec les autres.

-Tu sais chérie, tu n'es pas obligée de garder ce qu'il t'envoie, ce n'est pas comme s'il allait être triste que tu t'en débarrasses.

-Je sais maman, je sais.

C'était lors de ces jours spéciaux, ces jours où vous êtes au cœur de l'attention, que la jeune fille se sentait la plus seule. Elle aurait aimé pouvoir passer la journée dans les bras de quelqu'un, se voir rentrer le soir et être étonnée par une fête surprise organisée par ses amis, vivre simplement sa vie comme dans téléfilm un peu niais. Mais la vie n'était pas un téléfilm, la vie n'était pas parfaite et le personnage principal n'était pas toujours content des évènements. Et alors qu'elle observait et répondait aux messages envoyés par ses proches et amis, elle se mit à regretter la bonne époque des cartes d'anniversaire.

*

Ce matin ,Yseult ne s'était pas préparée à subir une avalanche de feuilles en ouvrant son casier. Alors qu'elle les rangeait en les regardant en souriant, se doutant fortement d'où ils provenaient à la vue du trait de crayon, elle entendit quelqu'un s'appuyer sur le bloc de casier.

-Je ne savais pas trop lequel choisir alors j'en ai mis plusieurs.

-Je vois que tu as beaucoup hésité. Merci beaucoup Romain, ça me fait très plaisir.

-Ce n'est pas grand-chose, disons que c'est un pré-cadeau.

Il était étrange de voir comme soudainement, depuis qu'ils s'étaient rapprochés et qu'ils discutaient seuls, le jeune homme pouvait parler sans bafouiller ou rougir à outrance. Elle lui sourit lorsqu'elle croisa son regard en refermant son casier et remonta son sac sur son épaule.

-Aussi, continua le jeune homme alors qu'ils se dirigeaient vers les rangs, j'ai invité Paul et Charles à venir ce soir à la bibliothèque, je me suis dit que ça te ferait plaisir.

La jeune fille fronça les sourcils en attendant une potentielle suite à cette information. Son ami croyant l'avoir contrarié devint plus blanc qu'à l'accoutumée sous le coup de la panique.

-Ca te dérange ? S'il faut je peux annuler ,ou .. Ou leur dire qu'on décale. Je vais me débrouiller t'inquiètes pas, je ne veux pas te...

-Ca ne me dérange pas Romain, je suis contente qu'ils viennent, je me demandais juste si tu avais invité d'autres personnes.

A ses mots, elle jeta un coup d'œil au groupe de populaire plus loin qui, comme à leur habitude, jacassait si fort qu'on les entendait à plusieurs mètres.

-Justement, répondit son ami en suivant son regard, je voulais te demander un peu d'aide pour les inviter, si j'y vais tout seul ils vont pas vraiment me prendre au sérieux avec mon histoire de fête d'anniversaire dans une bibliothèque.

-S'il te plaît, ne leur parle de rien, je ne veux pas qu'ils viennent. Aller, je dois y aller.

Et alors qu'il lui affichait une mine septique, elle lui dit au revoir d'un léger sourire avant d'aller rejoindre le groupe assis plus loin. Ils la saluèrent tous bruyamment, certains oubliant de lui souhaiter son anniversaire, mais plutôt distraite elle ne s'occupa pas de cette agitation, elle regarda seulement Romain partir de l'autre côté de la cour.

*

-Eh bien ! Il y a déjà du beau monde ici.

De sa voix illuminant la pièce à chaque fois qu'elle résonnait, Ivan passa les portes de la bibliothèque en s'exclamant ainsi. Toute joyeuse, Yseult se leva précipitamment pour venir le saluer pour la première fois de la journée. Après une forte accolade et un énième joyeux anniversaire, elle se retourna vers le petit groupe déjà attablé autour du bureau d'Adélaïde, sans se soucier de Romain encore plus ratatiné que d'habitude ou de Lise tordue dans son siège malgré la présence de nombreux inconnus, elle tira le jeune homme vers Paul et Charles un peu perdus au milieu de ce tableau presque totalement inconnu.

-Ivan, voici Paul et Charles. Les garçons , voici Ivan.

Quand il haussa les sourcils et fixa Paul pendant quelques infimes secondes avant de se tourner vers Charles arborant en ce jour un joli chemisier en dentelle, la jeune fille sentie un sentiment de gêne l'envahir, elle était contente que peu de personnes soient au courant de son attirance pour le garçon car sentir sur elle des regards appuyés tout au long de la soirée l'aurait très vite mise mal à l'aise. Alors que tous continuaient de préparer le petit goûter d'anniversaire, Raphaël finit par arriver en compagnie de Basile, ramenant un gâteau fait maison avec lui. Il salua tout le monde, se présenta aux deux nouvelles têtes et après un bonjour tendu auprès d'Ivan, il salua Lise avec un petit sourire. En présence du jeune homme, le petit couple évitait toute marque d'affection mutuelle ou toute discussion à propos de leur relation. Yseult les remerciait intérieurement de cet effort, espérant que son ami se remettrait alors plus facilement de sa déprime passagère qui même s'il ne le montrait à personne, le tiraillait de l'intérieur. Maintenant que tous étaient enfin réunis et que les clients quittaient la bibliothèque, ils allaient enfin pouvoir festoyer.

*

-Tu es sûr que tu ne veux pas que je te ramène ? Lui demanda une nouvelle fois Ivan alors qu'Adélaïde fermait la bibliothèque.

-Ne t'inquiète pas, ma mère m'a dit qu'elle viendrait.

-Je peux rouvrir s'il faut, intervint la jeune femme derrière eux en levant son trousseau de clefs.

Elle hocha la tête et les fourra dans son sac. Après encore de nombreuses et longues négociations sur le fait qu'elle n'avait pas besoin de la ramener ou d'attendre avec elle, sa mère n'allant sûrement plus tarder, elle dût hausser le ton afin qu'ils rentrent chez eux pour être frais pour le lendemain. Elle les salua et s'assit sur les marches du perron et ne tarda pas par être rejointe par Paul ayant accompagné Charles jusqu'à sa voiture pour saluer sa mère.

-C'est parfois embêtant d'être l'une des plus jeunes du groupe, ils ont tendance à se comporter comme des papas et mamans poule, lança-t-elle alors qu'il posait son sac à dos à ses pieds.

-Ils sont sympas, enfin de ce que j'ai vu.

-Oui, j'ai vraiment de la chance de tous les avoir. Même si je ne suis pas très proche de tout le monde.

-C'était sympa ce soir, enfin plus sympa que ce que j'imaginais. A vrai dire j'avais accepté par dépit d'accompagner Charles et Romain.

Yseult se raidit à cette remarque. Déjà qu'elle n'était pas vraiment à l'aise en sa compagnie et qu'elle avait l'impression de jouer au funambule, pouvant tomber à tout moment, ce genre de remarque ne la mettait pas en confiance, loin de là. Mais sans pour autant perdre la parole, elle continua de bavarder, une légère contrariété pointant dans sa voix.

-Ah bon ? L'idée d'un goûter d'anniversaire dans une bibliothèque ne te tentait pas ?

-Si mais, comment dire.. C'est juste que je t'imaginais pas vraiment comme ça, donc j'envisageai mal le déroulement de la soirée.

-Tu m'imaginais comment ?

-Je ne sais pas, plus égocentrique et excentrique, un peu comme toutes les filles qui s'amusent à jouer aux stars dans les couloirs.

La jeune fille se rembrunit alors d'un seul coup, vexée et ne sachant quoi répondre, elle préféra rester silencieuse. Cela ne sembla pas interpeller le garçon qui continua sa conversation comme si ses paroles n'avaient pas pu blesser son interlocutrice.

-Romain et Charles voient toujours les gens mieux qu'ils sont, avança-t-il comme pour justifier son jugement, donc je me méfie de ce qu'ils pensent. Ils continuent de parler et d'être bien veillant avec ceux qui se moquent d'eux ou qui les utilisent. Tu es tellement différente ici qu'au lycée, on aurait presque l'impression que tu es deux personnes.

-Et la deuxième Yseult te plaît plus que la première ? Demanda-t-elle sur le ton de la rigolade espérant revenir à un sujet plus détendu.  

-Oui, je crois que je l'apprécie bien.

Il lui sourit et elle fit de même. Il était étrange comment elle aimait son sourire bien qu'elle le trouve moins mignon que celui de Romain. Elle aurait voulu continuer de discuter avec lui, engager toutes ses conversations qu'elle s'était imaginée afin de ne pas se retrouver dans cette situation à ce moment, mais ils semblaient que les mots étaient eux aussi rentrés chez eux.

Alors ils restèrent silencieux jusqu'à ce que leurs parents arrivent. Ce soir-là, la jeune fille pesta contre elle, allongée dans son lit, mais s'endormit fière de cette petite avancée.



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