Tout était finalement revenu dans l'ordre, comme si ces dernières semaines n'avaient jamais existé. Mais il restait toujours en toile de fond, planant autour de cette scène joyeuse, une ombre menaçante, cette épée de Damoclès rappelant que rien ne pourrait revenir comme avant. Ivan se sentait un peu perdu au milieu de ce nouveau tableau n'ayant pas suivi de près les événements de ces derniers jours. Yseult était devenue une grande amie de Romain, Lise et Raphaël étaient désormais plus que proche et Basile et Adélaïde repartaient sur de meilleurs railles. Ils s'activaient tous, et lui restait seul au milieu de toute cette agitation, les bras ballants, totalement dépassé par les événements. Ivan avait l'impression que tout ce petit groupe reconstruisait leur vie paisible en volant les briques de la sienne. Il se sentait lentement coulé mais n'osait le montrer.

Le jeune homme s'était tout de même promis une seule chose, de ne pas laisser Yseult lui glisser entre les mains et fuir avec son nouvel ami. Il ne comprenait pas d'où venait cette soudaine entente entre les deux qui s'étaient longtemps méprisés mais il savait qu'il fallait se méfier de tous les garçons mêmes ceux qui paraissaient inoffensifs, un angelot lui avait déjà volé Lise, il ne se laisserait pas berner une deuxième fois. C'était donc déterminé à redevenir le premier dans le cœur de son amie qu'il avait acceptée de venir boire un café avec eux après les cours.

Il ne mit pas longtemps à retrouver Yseult, assise seule à une table. Il la salua, lui fit la bise, s'enquit de son humeur et s'excusa un instant le temps d'aller se laver les mains. S'il ne s'était pas immédiatement alarmé de l'absence de Romain, il fût étonné de le trouver devant le lavabo. D'un sourire timide ce dernier le salua, puis rentrant la tête dans les épaules il continua de se frotter les mains. Alors rigides, silencieux, côte à côte, les deux jeunes hommes ne se regardèrent plus, comme s'ils ne se connaissaient pas.

Mais un détail étrange fini sauter aux yeux d'Ivan, les manches légèrement relevées sur les avant-bras du garçon laissaient apercevoir de multiples striures sur sa peau, comme des griffures de chat.

-Ça va . Lui demanda-t-il en désignant son bras d'un coup de menton.

Rapidement, Romain tira sur ses manches et d'un air paniqué tourna la tête vers lui. Face à cette réaction étrange, Ivan crut faire une erreur.

-C'est grave ? S'enquit-il en haussant les sourcils.

-Non, non. C'est rien t'inquiètes pas

. Et sans plus un mot ils quittèrent les toilettes.

*

Ce café s'était révélé plus intéressant qu'il ne l'avait imaginé. Rattrapé par sa timidité maladive, Romain n'avait presque pas ouvert la bouche, ses yeux fuyants le regard de quiconque, ses mains tirant sans cesse sur ses manches, c'était presque comme s'il n'avait pas été là. Yseult n'avait tenté de le faire parler, elle avait seulement discuté avec Ivan, le jeune homme n'avait plus de soucis à se faire, il était redevenu le favori. Alors qu'ils allaient rentrer chez eux, Ivan ayant proposé de déposer son amie, il se tourna vers elle en souriant.

-Je ne savais pas que Romain avait un chat.

-Hein, répondît-elle en levant un sourcil d'un air interrogateur, Romain n'a pas de chat. Qu'est-ce que tu me racontes.

Surpris par cette révélation, il cacha son étonnement sous un visage lunaire.

-Il avait des poils sur son pull, alors je me suis dit que...

-Aucune idée d'où ils viennent mais je peux t'assurer qu'il n'a pas de chat.

Sans révéler ce qu'il avait vu, Ivan continua de converser avec Yseult. Mais une question lui occupait l'esprit : si ce n'était pas des griffures de chats qu'avait-il pu voir ?