46 : Yseult

Sous les lumières tamisées de la salle, elle fendait la foule, silencieuse. Elle rejeta ses cheveux derrière ses épaules et rejoignit les autres populaires qui se tenaient juste devant la scène. Ils la félicitèrent tous pour sa jolie performance, mais tous ces compliments sonnaient creux lorsqu'on connaissait la qualité des installations de l'établissement. La soirée de gala, comme aimait l'appeler le directeur, rassemblait à chaque début de printemps les élèves de collèges et de lycées le temps d'une veillée dansante, les boissons aux sirops remplaçant le punch des bals américains. Tout le monde était toujours bien habillé, ressortant les habituelles tenues de réveillons ou de cérémonie. Yseult n'échappait pas à la règle, elle avait revêtu la même robe que pour la soirée de Fauret, seules peu de filles s'achetaient vraiment une robe pour cet instant. 

Le spectacle d'ouverture organisé par les élèves volontaires et les options musiques s'était enfin terminé et la jeune fille avait pu quitter les coulisses pour rejoindre la salle. Pour de nombreuses personnes ces heures faisaient souvent partie des plus agréables de l'année, pour Yseult il ne s'agissait que d'une énorme mise en scène pleine d'hypocrisie. Elle passait sa soirée à trainer avec des personnes qu'elle n'appréciait pas, à danser sur des musiques qu'elle n'aimait pas et à boire des boissons aux goûts douteux. Elle suivit, évitant du mieux qu'elle pouvait les gens entrain de danser, les filles qui l'accompagnaient.

Il lui arrivait parfois, voire souvent, de regretter ses premières années collèges, ces moments ayant perdu leur saveur depuis. Voir les gens rigoler et passer un bon moment autour d'elle lui rappelaient à quel point elle s'ennuyait. Il y avait ces personnes qui dansaient bizarrement, celles qui n'osaient pas vraiment se lâcher, ses couples qui restaient collés comme des siamois toute la soirée et ceux qui s'épiaient de loin. Et elle restait simplement en plein milieu de cette foule passant un bon moment.

Au bout d'un moment, alors que le temps semblait s'être multiplié. Yseult rejoignit les coins de la salle à la manière d'un naufragé perdue en pleine mer agitée. C'est ainsi qu'elle trouva aplati contre les murs de la salle, Romain dans son costume un peu trop large, l'air encore plus mal à l'aise qu'elle.

-Quelqu'un t'as payé pour faire office de décoration ? Lui demanda-t-elle, poussant sur sa voix pour recouvrir la musique.

S'il mit un temps à décrypter ses paroles, le volume sonore empêchant toute forme de conversation à plus de dix centimètres, il finit par esquisser un demi-sourire et secoua la tête en guise de réponse.La jeune fille prit place à côté de lui, s'appuyant contre le mur.

-Je ne savais pas que tu viendrais, lança-t-elle pour engager la conversation.

-On m'a trainé de force, je dois surveiller ma petite sœur.

-Il n'y a jamais beaucoup d'étranges au gala, ça m'a surpris de te voir entrain de faire le caméléon sur le mur.

Sans relever sa boutade, il se tourna vers elle, arquant le sourcil et répétant d'un air interrogateur le mot étrange. Un peu perdue, Yseult attendit quelques secondes avant de lui citer les trois catégories de personnes présentes dans le lycée.

-Ah je vois, dit-il en se replongeant dans sa contemplation de la foule, c'est comme ça que les populaires voient leur petit royaume. Les étranges en guise de gueux, les autres comme villageois et vous, les princes et les princesses.

-Personne à part nous ne voit ça de cette manière ?

-Non, étrangement les gens normaux n'ont pas pour passion de catégoriser les autres dans des cases dégradantes.

Loin d'être agressif ou réprobateur, le ton du jeune garçon était le plus proche de ce que l'on pourrait comparer à une extrême lassitude. Bien qu'elle ne parle pas souvent avec lui et qu'elle ne le tienne pas en grande estime, la remarque de Romain la mit mal à l'aise. Jamais jusqu'à maintenant elle n'avait vu ces catégories comme quelque chose de péjoratif. Elle ne sut pas pourquoi, elle fut gênée de lui avoir fait mauvaise impression.

-Je n'ai jamais vu ta soeur, quel est son prénom ? Le questionna-t-elle pour tenter de détendre l'atmosphère.

-Emma.

-Tu voudrais bien me la présenter ?

-Un jour, peut-être.

Romain venait de se refermer comme une huitre sans aucune raison. Jamais la jeune fille ne l'avait vu aussi désagréable, pensant que sa présence le dérangeait, elle se redressa et s'apprêta à le saluer.

-Tu peux rester, lui dit-il en la voyant se déplacer, plantant ses iris verts dans les siens. Désolée d'avoir été désagréable, c'est juste que je suis un peu sous tension en ce moment. Avant que tu poses la question, t'inquiète ce n'est rien de grave.

Yseult haussa les sourcils et vint se réinstaller à ses côtés. Tous les deux dans le coin de la pièce ils semblaient un peu comme coupé du monde, personne ne s'occupait d'eux, comme s'ils n'existaient pas. Habituellement, ils ne se parlaient jamais au lycée et lorsqu'ils se retrouvaient à la bibliothèque, les autres faisaient le plus souvent la conversation pour eux. Ils ne dirent rien pendant de longues minutes, ce contentant simplement de regarder les ombres dansantes devant eux. Romain dévisagea d'un air soucieux un groupe de fille qui passa devant eux, vêtues comme des poupées barbie.

-Vous arrivez vraiment à marcher avec des talons aussi haut, s'enquit-il en examinant les chaussures des inconnues.

-Non, personne n'y arrive, on fait juste genre. Je te parie un cookie qu'il y en a une qui va tomber avant la fin de la soirée.

Il pouffa et, après lui avoir jeté un coup d'oeil pour voir si elle était sérieuse, il accepta le pari. Alors comme si leur bulle respective venait d'éclater, ils se mirent à papoter sans plus se soucier du monde autour d'eux. Les musiques défilèrent les unes après les autres sans qu'ils ne s'en rendent compte. Alors que la fin de la veiller approchait peu à peu, la jeune fille saisit la main de Romain et l'entraina vers la piste de danse. Au milieu de la foule, elle se mit à danser, se fichant bien de ce que pourrez penser ceux qui l'entouraient. En face d'elle, le jeune garçon affichait une mine déconcertée.

-Les gens vont se poser des questions, ils ne devraient pas nous voir ensemble.

-On s'en fiche Romain ! Profites juste, peu importe ce qu'ils disent ! Si vraiment ça te déranges-tu n'auras qu'à dire que j'étais totalement saoul !

Il regarda plusieurs fois autour de lui puis la dévisagea comme si une toute nouvelle créature venait d'apparaitre devant lui. Lorsqu'elle l'invita de nouveau à danser, lui rétorquant qu'être comme un piquet en plein milieu de la piste de danse les ferait bien plus remarquer, il haussa les épaules d'un air désabusé et se mit à bouger maladroitement.

 Alors que quelque part dans cette ville deux jeunes amoureux s'ouvraient finalement à l'autre dans la douceur de la nuit, deux vieux amis se réconciliaient accompagnés de pleurs et d'incertitude, un cœur brisé errait dans les rues en trottinant : une jeune fille se révélait enfin, sous les lumières tamisées, dans un mélange de corps serrés les uns contre les autres. Accompagnée de quelqu'un longtemps méprisé, elle se retrouvait, elle retrouvait celle qu'elle avait été et celle qu'elle voudrait être.



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