Au milieu de la peine ombre, discutant joyeusement, les quelques amis de Raphaël s'étaient entassés sur le petit canapé. Lisa avait entamé depuis de longues minutes une vive conversation avec Yseult. Malgré cette ambiance détendue et bon enfant, deux personnes brillaient par leur absence : Lise et Basile. Si personne n'avait été étonné de ne pas apercevoir l'homme parmi les convives, le fait que la petite chinoise manque à l'appel avaient soulevé de nombreuses interrogations, même chez l'hôte. Raphaël avait senti que quelque chose été bizarre entre Lise et lui depuis plus d'une semaine. La jeune femme ne décrochait pas lorsqu'il l'appelait, ne répondais à ses messages que par de courtes réponses fermées et cette absence confirma ce qu'il avait déduit de cette attitude : elle cherchait à tout prix à l'éviter. Ils n'avaient pas parlé de ce qu'il s'était passé à la soirée des Fauret, alors que Raphaël avait plus que jamais besoin d'une épaule sur laquelle se reposer, la jeune femme se défilait sans aucune raison, laissant Romain porter à bout de bras son duo d'amis.

C'était la première fois qu'il y avait autant de personnes réunies pour fêter son anniversaire, mais loin d'être joyeux de pouvoir pour la première fois célébrer cette date importante avec des amis, le jeune homme fut déçu que les choses se passent ainsi. Il aurait aimé avoir à ses côtés l'homme qui l'avait poussé vers le haut bien qu'il ait choisi de détruire sa vie. La colère avait fini par passer mais il restait encore ce chagrin et cette incompréhension tapie au fond de lui. Il le savait, il n'accepterait jamais sa décision.

*

Tremblante, elle appuya sur la sonnette. Comme un funambule sur une corde, elle jouait un jeu dangereux, pouvant tomber à chaque instant. Basile s'était tenu étrangement calme et silencieux jusqu'alors, sentant surement qu'elle était fébrile. Comment réagiraient Raphaël et Adélaïde ? Prendraient-ils cette initiative comme une trahison ? Elle ne voulait pas se les mettre à dos, elle essayait de son mieux de recoller les morceaux.

 Lise entendit le cliquetis de la poigner et inspira profondément. Dans l'encadrement de la porte la silhouette de Raphaël se dessina et son visage s'illumina lorsqu'il la reconnu.

-J'ai cru que tu ne viendrais pas, dit-il d'un air soulagé, comme si sa venue était la plus belle chose du monde.

Ne pouvant se retenir de lui sourire en retour, elle se tordit les mains, un peu gênée de ce qui allait suivre.

-Je ne suis pas venue seule.

Elle se tourna vers Basile, caché derrière elle. Le jeune homme se raidit immédiatement et fronça les sourcils. Après avoir jeté un bref regard derrière lui, il franchit la porte et la repoussa lentement, les réunissant tous les trois dans le couloir. Face au visage orageux qu'affichait Raphaël, la jeune femme baissa les yeux pour fixer ses chaussures, se préparant à recevoir un blâme monumental. Mais il ne dit rien, il se contenta de dévisager Basile devant lui.

-Je suis désolé, dit l'homme sans se défiler du regard, j'aurais dû t'en parler avant. Je n'avais aucun droit de te cacher ma décision et encore moins de t'imposer de m'accompagner et de m'aider. Je comprends très bien que tu n'acceptes pas, je vous laisserai du temps à Adélaïde et à toi, pour que vous puissiez juste voir les choses de mon point de vue.

Il respira un grand coup après avoir sorti une telle tirade.

-Ce serait mentir de dire que tu n'es rien pour moi Raphaël, continua-t-il, depuis que tu es arrivé dans mon existence tout est beaucoup plus beau et plus joyeux, tu m'as redonné le goût de vivre. Mais je ne veux pas de cette vie-là, même si tu es avec moi et qu'Adélaïde l'est aussi, je ne suis plus heureux dans ce corps, je ne peux pas concevoir de vivre dans cette enveloppe charnelle qui ne m'appartient plus. Je suis désolé, désolé pour tout ce que je t'ai fait subir, tous les malheurs qui te sont arrivés par ma faute et pour ce lourd poids qui va peser sur ta vie, à cause de ma décision.

Ses yeux brillaient et sa voix faiblissait à chacun de ses mots, Basile décidait de se mettre à nu, pour la première fois.

-Tu me manques Raphaël, ton sourire le matin me manque, les notes de ta voix me manquent, entendre tes pas dans l'appartement me manque. Je comprendrai très bien si tu refuses, si tout cela est trop dur pour toi, mais s'il te plaît revient, redevient mon ami, mon assistant, mon confident. Je voudrais que le peu de temps qui me reste à vivre soit aussi merveilleux que ces derniers mois, je voudrais que tu sois avec moi.

Raphaël renifla et d'un revers de manche essuya les larmes qui commençaient à perler au bord de ses paupières. Il passa sa main dans ses cheveux, victime d'un violent dilemme interne. Puis sans un mot, il s'approcha de l'homme et le prit dans ses bras. Il se promit intérieurement que même s'il ne pouvait pas faire changer son ami d'avis, il ferait tout son possible pour le rendre heureux.

*

Alors qu'elle discutait avec Romain dans le coin de la pièce, Raphaël vint la retrouver, lui demandant de parler quelques instants en privé. Elle ne put se défiler une nouvelle fois, elle savait que cette conversation aurait finalement eu lieu même si elle avait fait tout son possible pour éviter tout contact avec le jeune homme. Ils s'isolèrent dans la chambre de sa sœur, seule pièce relativement calme du petit appartement. Ne sachant pas par où commencer, ils restèrent silencieux de longues minutes, mal à l'aise. Comment pouvait-on commencer une conversation comme celle-là , que pouvait-on dire alors que la dernière soirée avait semblé si irréelle. Ils n'étaient pas ces couples de séries qui arrivent à trouver les mots, s'embrassent avec facilité, se marient deux ans plus tard et ont plein de beaux enfants parfaits, non ils n'étaient que Lise et Raphaël, les deux timides qui ne savaient pas par quel côté manger le gâteau.

-Je crois qu'il n'y a rien à dire, finit-elle par lâcher alors qu'elle observait les bijoux de la sœur du jeune homme posés sur la commode.

-Comment ça ?

-Ecoutes Raphaël. J'ai fait une erreur, d'accord ? J'étais bouleversée et je me suis laissée emporter. Voilà ,il n'y a rien d'autre à dire.

-Une erreur ?Pourquoi ? Comment ça ? Demanda-t-il de plus en plus déconcerté par le tournant que venait de prendre la conversation.

Lise souffla longuement et rejeta sa frange en arrière avant de se retourner pour lui faire face. Elle ne savait pas comment exprimer ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle. Ils ne pouvaient pas être ensemble, il fallait mieux qu'il reste ainsi, de simples amis. 

-Raphaël, je crois pas que ce soit une bonne idée. J'ai peur que ça ne fasse qu'empirer les choses alors que tout est déjà si instable, qu'on finisse par se faire du mal à un moment et je n'ai pas envie de te perdre ou de gâcher notre amitié.

-Pourquoi tout irait mal, pourquoi ce serait forcément catastrophique ? La questionna-t-il en se rapprochant d'elle.

-On est différents Raphaël et je ne suis pas la fille parfaite. Je suis instable, indécise, je vais encore tout faire rater. Je veux pas rajouter ton nom à ma liste des cœurs brisés, tu comprends ? Je suis juste pas faite pour ce genre de relation. Je...

Il prit ses mains dans les siennes et plongea son regard dans le sien.

-Lise, donne nous une chance, laisse-nous le temps de faire nos preuves. La vie est comme ça, ça se passera peut-être mal, il y aura des jours moins beaux et d'autres meilleurs mais au moins on aura essayé, on ne regrettera rien. Cesse d'avoir peur, croie en toi, il marqua une pause et se mordit légèrement la lèvre inférieure. J'ai passé ces huit dernières années à me refuser des choses par peur de l'échec. Mais je ne veux plus vivre comme ça. Il faut juste que tu acceptes de m'accompagner. 

Elle lui sourit faiblement et hocha la tête, liant ses doigts à ceux du jeune homme. Même si elle était effrayée par l'avenir, il avait raison, il fallait qu'elle cesse de reculer. Intérieurement elle avait attendu ce moment depuis leur première rencontre, comment pouvait-elle maintenant s'autoriser à le refuser. Le jeune homme déposa un baiser sur son front. Ils n'étaient pas les meilleurs, ni des âme-sœurs mais ce soir là , silencieusement, ils se promirent tout les deux tenter d'avancer main dans la main.