44 : Basile
Il n'avait pas ouvert la bouche depuis plusieurs jours, il n'était pas sorti, ne mangeait que peu et se contentait de reprendre son ancienne occupation, regarder les passants par la fenêtre. Bien qu'ils aient changé de saison, sa situation, elle, ne s'était pas améliorée. Il avait tout perdu, ses amis, ses derniers appuis, sa décision avait tout fait voler en éclat. Pourquoi ne comprenaient-ils pas qu'il ne puisse supporter de vivre dans ce corps qui ne semblait plus lui appartenir, pourquoi ne voulaient-il pas l'aider à le rendre heureux ? Ils ne voyaient pas que tous ces sourires, ces petits bonheurs et ces amitiés n'étaient qu'insignifiants face au désespoir qui emplissait son être. Basile voulait mourir de la même façon qu'il avait vécu, en homme fier et respectable, et non à cause d'une pneumonie ou autre complications causées par son handicap. Il souhaitait être cette feuille verte que l'on coupe d'un arbre et non celle d'un brun sale qui tombe mollement au sol, morte, épuisée. Mais eux ne souhaitaient pas.
Il releva les yeux vers l'extérieur où luisaient les premières lueurs du printemps, mais le soleil faisait tache dans ce décor, créant un contraste entre lui et l'extérieur, lui confirmant qu'il n'avait plus sa place en ce lieu. Des pas firent légèrement craquer le plancher de l'autre côté de la porte, l'emplissant par la même occasion d'espoir et de joie. Raphaël était revenu, il ne l'avait pas renié. La porte s'ouvrit doucement dans un imperceptible bruit de frottement, Basile retint sa respiration. Derrière lui, l'inconnu se déplaçait avec langueur, confirmant ses pensées : Raphaël était là, après ces longs jours de silence.
-Je n'ai pas l'habitude de m'excuser, tu le sais, commença-t-il, sa gorge se nouant à chaque mot.
-A vrai dire je ne le savais pas, mais je m'en doutais bien.
A la manière d'un ballon piqué par une aiguille, tous les sentiments qui l'avaient envahi il y a quelques instants disparurent. Cette voix n'appartenait pas à une personne qu'il souhaitant revoir. D'un air maussade il tourna sur lui-même de façon à faire face à Lise, immobile au centre de la pièce, les mains dans les poches. Cette fille n'avait rien à faire ici, chez lui, elle qui lui avait tout volé et lui rappelait sans cesse par sa présence à quel point il était devenu pitoyable. Il fronça les sourcils d'un air sévère et ouvrit la bouche pour lui demander de partir mais aucun mot n'eut le temps de franchir ses lèvres.
-Je ne suis pas venue ici pour te blâmer ou quoi que ce soit d'autre, le coupa-t-elle. Je suis là pour te proposer un marché.
-Un marché ? Répéta-t-il, septique.
La jeune femme passa sa main dans ses cheveux pour rejeter sa frange en arrière, chose qui ne servit à rien vu qu'elle vint se repositionner juste après, puis planta son regard d'encre dans celui de l'homme.
-Oui. Je te conduirai à la clinique et t'aiderai à organiser ton euthanasie, et ce peu importe ce que diront les autres.
-Et qu'elle est la contrepartie ?
Il se doutait très bien que la jeune femme ne faisait pas ça pour la beauté du geste. Maintenant il ne restait qu'à savoir jusqu'à quel point elle pouvait espérer qu'il se soumette à elle, jusqu'à quel point elle oserait l'avilir.
-Du temps. Je te demande un an, juste une année pour qu'ils puissent accepter ta décision, se préparer à ton départ. Cela va beaucoup trop vite pour eux, je me doute que tu as déjà cette idée depuis longtemps mais ils l'ont appris il y a si peu de temps, Lise marqua une pose, sa voix se faisant moins douce. Puis, tu n'as pas vraiment le choix, je n'ai pas encore le permis et il va me falloir plusieurs mois pour passer mon code et faire mes heures de conduite.
Basile haussa les sourcils face à cette demande, un an de douleur contre un accompagnateur, cela était cher payé. Puis pouvait-il vraiment lui faire confiance ? Il n'avait jamais été sympathique avec elle, il avait tout fait pour l'éloigner des autres, pourquoi voudrait-elle l'aider, pourquoi respecterait-elle sa part du contrat ?
-Je refuse, dit-il simplement.
Le visage de son interlocutrice se dérida d'un seul coup puis ses lèvres se tordirent dans une moue étrange. Lise croisa ses bras sur sa poitrine et souffla un grand coup.
-Je ne sais pas pourquoi tu ne peux pas me supporter, et je ne veux pas le savoir. Mais mon offre est des plus intéressantes, si tu refuses tu mettras beaucoup de temps à trouver un accompagnateur, cela pourrait prendre plus d'un an, le temps de tout organiser.
-Le problème n'est pas les conditions mais pourquoi te ferai-je confiance ? Tu ne gagnes rien à faire ça, je n'ai jamais été agréable avec toi et pourtant tu souhaites m'aider, tout cela me semble bien trop suspect. A moins que tu désires fortement ma mort et tout serait alors bien plus logique.
La jeune femme ne cilla pas face à cette pique, elle se contenta de se rapprocher du jeune homme, le dépassant de peu du fait de sa petite taille. Avec ses allures de gamines, l'on aurait pu facilement la croire inoffensive mais Basile avait repéré depuis leur première rencontre ce brasero incandescent qui brûlait secrètement dans son regard et ses iris plus froids que la glace lorsqu'ils se posaient sur vous. Elle l'observa d'un air condescendant mêlé d'une extrême lassitude , loin de s'apitoyer sur son sort comme les autres personnes qui le côtoyaient.
-Je ne fais pas ça pour tes beaux yeux Basile, car aux miens tu n'es qu'un enfant capricieux, égoïste et égocentrique. Ne te m'éprend pas, ce n'est pas seulement pour ton entourage que j'agis comme ça, honnêtement si ta décision avait seulement affecté ta famille, je n'aurais pas bougé le petit doigt. Tout ceci est purement égoïste, car vois-tu, si tu détruis la vie de mes amis, tu détruis aussi la mienne, c'est pour ça que je te demande du temps, pour faire en sorte que je sois touchée le moins possible par l'explosion que tu causeras lors de ta mort.
Face à ces paroles, Basile se changea en statue de sel. Il lui était impossible d'articuler le moindre mot, subjugué par les souvenirs qui affluaient, il se revoyait des années auparavant, comme elle, fier, assuré, confiant. Il avait été elle, elle était lui, il était son reflet vieilli. La jeune femme dû prendre son mutisme pour un refus puisqu'elle se détourna en marmonnant que s'il changeait d'avis, il savait où la trouver. Il sortit de sa torpeur lorsqu'elle abaissa la poigner afin de quitter la pièce.
-J'accepte , lança-t-il précipitamment avant qu'elle ne sorte, criant presque ces mots.
Lise se retourna et lui sourit, mais ne dit rien, elle se contenta simplement de l'observer. Et ces faces à ses traits soudainement apaisés que Basile comprit qu'il pouvait lire à travers elle comme dans un livre ouvert, il lui suffisait simplement de se replonger dans ses souvenirs. L'homme la voyait désormais comme une alliée et non comme une ennemie, il acceptait cette proposition pour l'aider à réaliser ce qu'il n'avait pas réussi à faire, il acceptait pour les aider, elle, eux.
-Car moi aussi je les aime, rajouta-t-il en lui souriant à son tour.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top