Devant la glace, ses yeux fuyaient l'image de son corps. Son avant-bras lui lançait encore et la peau rougie témoignait de blessures récentes. Mais Romain n'avait jamais aussi mal qu'à l'intérieur, ses yeux se mirent à le brûler et il ravala quelque larme. Lentement, il pressa son pouce là où pulsait une veine couverte de griffures, une douleur aiguë lui lança dans tout le bras et il finit par relâcher sa main. Sans jeter le moindre regard à son bras douloureux, il le désinfecta en grimaçant, il n'aimait pas la vue de ces cicatrices et de cet entrelacs d'os, de nerfs et de peaux qui lui servaient de corps. Le jeune garçon avait souvent demandé à sa mère d'installer un rideau devant cette immense glace mais n'ayant pas eu le courage de lui expliquer pourquoi, elle ne l'avait jamais fait.

Après s'être lavé, Romain s'habilla en continuant de fixer obstinément le mur de crépis blanc, la vision de son corps de répugnait plus que tout au monde. Il avait donc pris l'habitude de noyer ses membres longilignes dans des vêtements informes. Alors que la plupart des gens se réjouissaient de voir les températures grimper lors des premières douceurs printanières, le jeune homme n'appréciait pas vraiment, ses tenues lui couvrant presque tout le corps passaient inaperçues en hiver mais dès que le thermomètre annonçait plus de vingt degrés des personnes posaient souvent sur lui des regards étonnés. Alors que les autres garçons de son âge revêtaient bermudas et t-shirt, lui gardait ce corps hideux couvert de tissu autant qu'il le pouvait.

Désormais caché sous plusieurs couches, Romain daigna finalement relever les yeux vers son reflet, après s'être brossé les dents et les cheveux, il observa quelques instants son visage singulier. Comme tout adolescent il avait de l'acné, une rangée de bague s'étalant sur ses dents inférieures même si elles disparaîtraient surement bientôt et une pilosité approximative. Il essaya de redonner un peu de volume à ses cheveux, mais ils retombèrent mollement sur son front. Fatigué, il les rejeta en arrière et vérifia que tout allait bien.

Dans une société où tout le monde se devait d'être beau et charismatique, Romain n'était pas avantagé avec sa timidité maladive et son visage lunaire, à croire que le destin joué en sa défaveur. Il tira une nouvelle fois sur sa manche avant de franchir la porte de la salle de bain, veillant à cacher entièrement son bras mutilé. Personne ne devait être au courant, sa sœur et ses parents les premiers. Dans le couloir il croisa sa sœur qu'il salua nonchalamment, évitant de poser ses yeux sur son visage. Depuis leur accident, leur complicité avait volé en éclat tout comme leur vie, indépendamment de sa volonté, Emma s'était retrouvé avait un grand frère distant et mystérieux. Alors qu'elle s'enquit de son humeur, Romain baissa son regard vers elle. Comme à chaque fois qu'il posait les yeux sur sa sœur, son cœur se serra et son bras couvert de cicatrices se mit à le démanger. Il ne vit pas le sourire rayonnant qu'elle lui affichait, ni ses beaux iris verts qu'ils partageaient tous deux, il n'y avait que ces longues balafres argentées qui sillonnaient son profil droit, ces cicatrices présentes sur ce visage par sa faute.

Il était un monstre.